Journaux et Revues avril 1892

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Mercure. « Journaux et Revues  », Mercure de France, t. IV, n° 28, avril 1892, p. 366-371.



JOURNAUX ET REVUES


 De Nieuwe Gids. Nous avons reçu d'Amsterdam et de Leyde deux lettres nous signalant une erreur dans la note publiée en février (n° 26, p. 179} sur le Nieuwe Gids: c'est M.L. van Deyssel, et non M. van Eeden, qui a parlé du livre récent de M. Jan Ten Brinck : De Oude Garde en de Jongste School. Les auteurs de ces lettres, de plus, ne montrent pas beaucoup de sympathie pour le critique hollandais: l'un l'appelle « le professeur Ten Brinck, un critique très connu, peu sérieux et pas du tout célèbre », et l'autre déclare qu'il « n'est célèbre qu'à ses propres yeux ». — Dans la livraison de février du Nieuwe Gids, MM. Holst et de Graaf étudient l'art du peintre Derkinderen; — L. Nijland attaque M. van Eeden : quelques pages bien écrites, mais faiblement argumentées et sans aucune portée immédiate ; — Jeugd I, par M. van Deyssel; première partie d'un livre descriptif : l'auteur ne raconte pas, il décrit ; — Van een Groole, par Jac van Looij; — Najaar, par M. Delang; — Socialisme, par M. van Deyssel ; — Etudes sur le Socialisme, par M. van der Goes ; — Zeedijk, par M. Frans Erens, dont nous publions plus haut (p. 296) un poème en prose : Droom ; — Melodie en Gedachte, par M. Alphonse Diepenbrock : prose magistrale quant au rythme, idées peu originales ; — Jules Chéret, par M. Jan Veth.
  La Plume (Iermars) publie le portrait de notre collaborateur Jules Renard, accompagné d'un Petit Portrait en quarante lignes de Léon Deschamps, et d'un article de Rachilde sur l'Ecornifleur ; d'autre part, une Lettre sur l'Anarchie, d'Edouard Drumont ; une fantaisie de Louis de Saint-Jacques : Comment on devient magot ; poésie d'Ivanhoé Rambosson : L'heure charmante.
  La Revue de l'Evolution (15 février) contient une longue étude de M. Léon Riotor sous ce titre modeste : Notes sur Léon Cladel. Les lignes suivantes appartiennent au chapitre : Esthétique.
 « Au milieu de ces amoncellements de rochers et de calcaires cyclopéens, l'œuvre de Cladel a d'adorables pages tout emmitouflées d'herbes fines et de thym ; la surprise est d'autant plus charmante que les transitions sont peu ménagées. Le maître a conservé de ses premières aspirations à la poésie et à l'élégance poétique des retours et des délicatesses d'un charme infini, tel un riant vallon arrosé d'eaux vives, rafraîchi de brises parfumées, au sein de rocs sauvages et désolés. Ses amours sont bien naïfs et plébéiens, tout à la fois, candides peut-être, souvent farouches. Et la femme, qui ne joue d'ordinaire qu'un rôle secondaire dans ces épopées champêtres, prend dans ces pages-là un caractère de franchise, de loyauté, de simplicité ou d'ardente foi qui en fait une Cornélie ou une Lucrèce. Savant et compliqué, il laisse pourtant à la mère-grand Nature le soin de forger les gorges abruptes et les côteaux brûlés où sa dilection le promène; sa description est sensitive, imitative, tout imprégnée de ce qu'elle peint, harmonique. Et le stvle s'approprie superbement aux milieux, les caractères s'y moulent d'une façon admirable, dans une grandeur relativement naturelle, les personnages fonctionnent parfaitement dans le tableau, à des distances peut-être supra-humaines, mais toujours proportionnées au cadre. »

A. V.


  Dans Floréal, des vers de Henri de Régnier et de Fernand Séverin, et la suite des Little Sketches de Charles Delchevalerie.
  Deg Weg zur Freiheit, par Conrad Froehlich (à Londres, chez J. Kneuelberg, 145, City Road. E. C.) L'au-revoir qui termine cette véhémente brochure anarchiste de langue allemande semble annoncer une périodicité que je ne regretterais point. La nécessité d'une révolution violente est soutenue avec une grande richesse d'arguments contre les partisans

de la voie pacifique, d'abord au point de vue du droit, puis au point de vue même de l'opportunité : à la force représentée par les lois, les tribunaux, la police, l'armée, il faut opposer non la résistance passive, mais la force déchaînée: « Si on nous opprime avec des canons, nous répondrons avec des bombes de dynamite. » Sans doute le meurtre est un recours terrible contre l'injustice sociale : « mais il est mille fois plus terrible encore de nous laisser assassiner. » Les gens prudents objecteraient peut-être que la lutte ouverte n'est pas sans inconvénient : « N'importe! celui qui a peur de la bataille n'est pas digne de la liberté ». L'auteur préconise énergiquement la liberté de l'individu : là est l'opposition fondamentale entre les anarchistes et les socialistes orthodoxes et autoritaires. Aussi Conrad Frœhlich repousse-t-il avec une grande énergie l'idée d'un état de transition entre la société actuelle et celle qui la remplacera, après l'aurore sanglante de la Révolution sociale : une certaine école, tout en admettant la supériorité théorique de l'anarchie, considère cette période de transition comme indispensable pour que le peuple fasse « l'apprentissage de la liberté ». Mais ce ne sera alors que remplacer une tyrannie par une autre; car la tyrannie est le produit certain de tout état constitué: ainsi l'oppression nouvelle ne saurait être une école de liberté. Au reste l'intolérance du congrès de Bruxelles, d'où les anarchistes furent brutalement exclus, montre assez comment leurs adversaires entendent la préparation à la liberté. Cette brochure de propagande, où des lettres capitales imposent aux yeux et à la mémoire les mots rouges et flamboyants de vengeance, d'incendie et de destruction, est écrite en une langue violente, populaire et archaïque, et les « nom de Dieu ! » en français y contrastent singulièrement avec certaines tournures propres aux vieux écrivains allemands (par exemple la substitution de denn à als après les comparatifs). Il est douteux cependant que jamais on la propose comme sujet d'études philologiques aux étudiants de France ou d'Allemagne. Qui sait si la doctrine réprouvée des Sans-patrie et des Hors-la-loi ne gagnerait pas des adeptes, sous l'ombre de curiosité grammaticale?

P. Q.

 A propos de la déimpression des Stories after Nature (Londres, Lawrence and Bullen), L'Athenaeum (16 janvier) donne sur l'auteur, Charles Wells, une très bonne notice. C'était un littérateur de l'époque de Beddoes, et pareillement fort romantique; né à Londres en 1800, il est mort à Marseille en 1879. Les « histoires d'après nature » sont des fantaisies un peu archaïques de style et dont la délicatesse, le sentiment, sont les principaux mérites. Bien supérieur est son drame en prose, Joseph and his Bretheren, pour lequel, en 1876, M. Swinburne écrivit une introduction enthousiaste.
  Une série d'intéressants articles dans la Gazetta Letteraria (février et mars) : L'idealità nella vita, où M. Lenzoni démontre l'impuissance de la science à établir une vraie vérité; de la comtesse Lara, une étude sur Francis Saltus Saltus, littérateur américain ; Cesare Lombroso note que beaucoup d'hommes de génie furent épileptiques et se hate de conclure: « Le génie n'est qu'une des formes de l'épilepsie », — raisonnement dont la naïveté a quelque charme; M. Cipolla narre la vie et l'œuvre d'un poète populaire, le curé don Pietro Zenari; connu sous le pseudonyme de Matio Zocaro, dont la maison Franchini, de Vérone, vient de publier les Poésie scelte.
  La Cronaca d'Arte résume, en un court article, l'état des nouvelles écoles littéraires en France; l'auteur, qui doit être M. Alberto Sormani, paraît bien renseigné et se rend bien compte que la lutte n'a, sous des noms divers, que deux groupes de protagonistes : « les véristes et les idéalistes. »
  La Critica sociale est toujours l'une des meilleures revues socialistes et l'une des plus audacieuses.
  Livres nouveaux italiens annoncés par les revues : Per la vita e per la morte, par Salvatore Farina ; Giovanni Episcopo, par Gabriele d'Annunzio.
  Revus Historique (janvier-février). Suite de l'étude de M. C. Sullian sur Ausone et son temps : II. La vie dans une cité gallo-romaine à la veille des invasions ; cette partie est supérieure en intérêt à la première ; plus de faits mieux présentés.
  Revue des Questions historiques (janvier-mars) : M. Beurlier disserte savamment sur le Culte rendu aux souverains dans l'antiquité grecque et romaine. Cela commence avec Alexandre, aux rois de Macédoine ; ensuite furent adorés les Ptolémées en Egypte, les Séleucides en Syrie ; à Rome J. César fut le premier : il eut un collège de prêtres, les Luperci Julii, un temple dédié A la Clémence de César, un flamine spécial, tout comme Jupiter, Mars et Quirinus. La conversion de Constantin modifia un peu le culte des empereurs, mais très peu, puisque saint Jérôme s'indigne qu'on rendit des sacrifices à leurs images ; Julien essaya de restaurer cette religion d'Etat. Les flamines impériaux, devenus, dans la suite, de simples organisateurs de jeux publics, se perpétuèrent en Occident jusqu'aux invasions barbares et en Orient jusqu’à la chute de Constantinople.
  Journal Asiatique (novemb-décemb.) D'une traduction du Vajracchedikà ou « Fendoir du diamant », qui est un sùtra, c'est-à-dire un livre rapportant des discours du bouddha Çakya-Muni, cette définition de l'état parfait : « II n'y aura plus pour eux ni conscience de l'égoïté, ni conscience de l'être, de la vie ou de la personnalité : il n'y aura plus pour eux ni science, ni absence de science. Et pourquoi? Parce que cette connaissance de l'égoïté est une non-connaissance. Celle de la vie, de l'existence, de la personnalité l'est également. »
  Dans la Nouvelle Revue (15 février), un article de Mathias Morhardt intitulé Les Symboliques ; un peu de pêle-mêle, mais, comme le dit l'auteur, c'est que « les manifestations de l'école symbolique sont complexes ». Oh ! Oui.
 Etudes Religieuses (février). Le P. Etienne Cornut, S. J., déclare, en une diatribe appelée l'Anarchie littéraire, que tous les jeunes écrivains d'aujourd'hui se débattent dans « une atmosphère basse et fétide ». C'est ainsi que les successeurs de Bourdaloue encouragent l'idéalisme.
  M. R. de la Grasserie continue dans le Muséon (Louvain) son Essai de rythmique comparée. Il en est au chapitre III. De l'élément du lieu, ou de la symétrie par assimilation et par dissimilation, c'est-à-dire par unité et par variété : de là, l'harmonie concordante, répétition à courte distance de tel dessin rythmique, et l'harmonie discordante ou différée. Intéressant, mais pour les théoriciens plus que pour les poètes.

 J'ai éprouvé une certaine joie en lisant dans l'Eclair du 8 mars un article intitulé : Prochaines statues. On y révélait que tandis que l'argent abonde pour élever des pyramides aux sieurs Feyen-Perrin, Raymond Deslandes, Crinon, Melssonier, Doudart de Lagrée, Carnot, Cassani, Duhamel de Montceau, Gagneur, Pierre Guignon, Chapu, Eugène Pelletan, Garibaldi, etc., — « il a été impossible de réunir les fonds d'un monument pour consacrer à Loches la mémoire d'Alfred de Vigny ». Comme je reconnais bien là mes chers contemporains, mes chers compatriotes!

R. G.

 

Le Voltaire donne tous les lundis une chronique d'art signée Roger Marx. A signaler, parmi celles qui ont déjà paru : Balzac et Rodin, Raffet, Le Sou français, etc.

G.-A. A.

 

Revue Philosophique, dirigée par M. Th. Ribot. Sous ce titre : Hynoptisme et Criminalité, M. Liégeois réédite une fois de plus sa doctrine alarmiste sur la suggestion criminelle, que nous croyions sombrée à tout jamais, depuis les débats du récent procès Eyraud-Bompard, qui, si on se le rappelle, avait été l'occasion d'une discussion fameuse entre les deux Ecoles, partagées sur le rôle de l'influence de l'hypnotisme en médecine légale. L'auteur n'apporte aucun fait nouveau à l'appui de sa thèse, mais il nous fait part d'une conception originale. L'armée renfermant, nous dit-il, environ 4% de sujets hynoptisables, il y aurait là un véritable danger pour la sécurité nationale. Le remède serait dans l'examen des conscrits, quant à leurs aptitudes suggestives; on leur suggestionnerait alors, méthodiquement, qu'ils ne peuvent être soumis à aucune hypnotisation ultérieure. Il y a là un projet de vaccination psychique, susceptible d'être étendu, et qui restreindrait, à n'en pas douter, l'emploi trop fréquent du qualificatif suggestif. A ce point de vue, noua n'hésitons pas à nous en montrer partisan.
 

Vaprosy Filosofii i Psichologii, dirigée par N. Groote (Moscou). — Au sommaire, un intéressant article de Stein sur Léopardi et son pessimisme.

G. D.


 L'Avenir de l'Aude (Carcassonne, 9 mars) donne une étude sur l’Evolution artistique. Le mouvement littéraire. L'avenir de la nouvelle école. Cette étude est signée du Rédacteur en chef, M. Gaston Lesaulx, dont on a souvent vu le nom dans la Bataille Artistique et Littéraire.
  La Revue du Siècle (Lyon, février) publie un article de M. Camille Roy, son directeur, à propos de l'album que vient d'offrir à Boudouresque le Caveau lyonnais. Cet album est un véritable monument : il ne compte pas moins de deux cents collaborateurs : écrivains, poètes, chansonniers, peintres, dessinateurs, musiciens.

 A signaler la naissance de Mascarille (autrefois le Bouquin. Rèd. en chef : Paul Frank. Paris, II, rue Beaujolais), Revue littéraire, artistique et théâtrale, paraissant le Ier et le 15 de chaque mois ; — et celle du Banquet (Paris, librairie Rouquette, 71, Passage Choiseul), publication mensuelle.

Z.


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