Journaux et Revues septembre 1892

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Mercvre, « Journaux et Revues  », Mercure de France, t. VI, n° 33, septembre 1892, p. 88-91.



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JOURNAUX ET REVUES
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 Nous sommes en un temps de quasi anéantissement intellectuel, de torpeur, de morne attente, — et comme les bœufs, l'humanité ne lève la tête que pour regarder passer, sans même le voir, l'éternel train qui emporte vers le gouffre ses confus rêves. Je crois bien qu'en vérité rien n'intéresse plus personne, — et quand une clameur de vigie émeut la pénombre de l'atmosphère, la Chose a fui avant que les yeux se soient ouverts.
 En somme, ô la médiocre raison, il s'agit, sur la branlante passerelle, d'équilibrer sa démarche, d'assurer la sécurité des pas qui sûrement mènent à ce but : avoir vécu. Désormais, vu l'encombrement et vu le piteux état de la planche volante posée entre les deux éternités, la distraction sera de moins en moins permise, de moins en moins possible. Ah ! il faut être sérieux ! Il n'est que temps, — et combien en perdit-on (de temps), jadis, à la bagatelle, lorsque, préoccupée d'incorporer l'art à ses us quotidiens, l'enfantine humanité jouissait d'être belle !
 Enfin, et bien à tout jamais (espérons-le), le Beau et l'Utile, ces vieux jumeaux, ont été séparés, — et on leur délimita leur domaine, chacun le sien : le château de Çà-ne-sert-à-rien et la ville de Time-is-money. Nous ne sommes plus exposés à manger notre soupe avec une cuiller à manche sculpté. — C'est toujours ça !
 Cette dislocation est actuellement sensible en tout, et c'est ce qui rend à quelques-uns la vie si pénible et même si répugnante, — et l'Art, même, est devenu dans la prison, où on peut l'aller voir, tout triste et tout attristant. De ce château les pèlerins reviennent affligés d'une consolation trop brève, car au sortir de l'enclos leurs yeux lavés se resalissent et leurs oreilles mondées redeviennent le réceptacle des ineptes sonorités.
 Enfin, cessant de symboliser, n'est-il pas inconcevable quasi qu'il n'y ait nul public à s'intéresser à des tentatives et aussi à des réalisations d'art comme en innovent les Gauguin, Bernard , Bonnard, Denis, Sérusier, Vuillard, Ranson, Filiger, Roussel, Verkade, et d'autres : ceux-là (y ajouter de Groux, très en dehors du groupe impressionniste-symboliste), à l'ombre du chêne Van Gogh et sous la direction d'Emile Bernard, concoururent au n° III du Livre d'Art, par une collection de typiques images, — entre lesquelles furent aimées, surtout, les Jeunes filles de Filiger, une illustration de Maurice Denis pour Pélléas et Mélisande, le Christ d'Emile Bernard, la Vision de Roussel, la Bretonne de Sérusier ; mais toutes ont leur intérêt, et n'oublions pas, de Bonnard , son effarant cheval.
 Le n° II de la même revue, dirigé par P.-N. Roinard, s'illustrait d'un singulier bois de Bernard, et pour le reste — des proses et des vers choisis avec soin en divers portefeuilles d'où ne sortent que des valeurs sûres et d'improtestables signatures : Charles Morice, Edouard Dubus, A. Aurier, Pierre Quillard, Henri Mazel, etc. La Fontaine scellée, de P.-N. Roinard, abrite son secret sous la mystique frondaison d'une futaie de très beaux vers.
 R. G.
 Dans la République Française du 8 août, M. Paul Ginisty a fait tout son feuilleton littéraire, soit douze colonnes totalisant environ cinq cents lignes, avec le « poète hétéroclite » de Pierre Quillard, Tristan Lhermitte de Soliers, inséré dans notre dernière livraison. Mais comme, par une de ces galanteries à quoi nous ont depuis longtemps accoutumés la plupart de nos aînés, M. Paul Ginisty n'a pas voulu dire où il prenait son Tristan Lhermitte, des lecteurs de la République Française demandent l'ouvrage en librairie. Absolument délicieux ! Quant à nous, une telle urbanité ne nous surprend plus ; mais peut-être n'est-il pas inutile de signaler ces faits de temps à autre, pour montrer comment en agissent ces messieurs de la presse avec des gens dont le seul tort fut de leur servir gracieusement leur Recueil depuis sa fondation.
 A. V.
 Le Parti National vient de confier à notre ami et collaborateur Charles Morice la critique artistique et littéraire. Félicitons M. Henri Deloncle d'un tel choix. C'est une heureuse chance pour les poètes et les artistes que l'un des meilleurs d'entre eux puisse en toute liberté, dans une feuille en train de prendre une grande importance, étudier les hommes, les doctrines et les œuvres, parler au nom de la beauté. — Les lundis du Parti National (c'est le jour de la Semaine artistique et littéraire) tenteront des lecteurs que laisse indifférents la prétendue critique des quotidiens ordinaires. Premiers articles parus : De la Critique contemporaine; Lettre à M. Emile Zola ; La Statue de Musset; L'Architecture Moderne ; Le Théâtre de Livre. — Après avoir indiqué dans une sorte d'article-programme les divers genres de critique pratiqués jusqu'à ce jour : la littéraire (de Brunetière à France), la scientifique (de Taine à Ch. Henry), la moraliste (de Vogüé à Rod), et la critique de causerie que représente agréablement M. Lemaître, Charles Morice spécifie son choix : « sur la critique égoïste et eucharistique des poètes ». Il se rappelle avec joie « qu'à une heure où les professionnels ne leur marchandaient ni les excommunications, ni les sarcasmes, c'est un poète, c'est Charles Baudelaire qui rendit à Delacroix et à Wagner le premier éclatant hommage ».
 Avec Jean Jullien au Paris, Sainte-Croix à la Marseillaise, Charles Morice au Parti National, il semble que les idées qui nous sont chères commencent à être vraiment représentées dans ce qu'on appelle la Grande Presse.
 G.-A. A.
 J'avais noté, jadis, pour leur niaiserie, dans un feuilleton de critique littéraire (République Française, 21 avril 1892), signé : Albert Delpit, les phrases suivantes :
 « Les mots jonglent, les rimes chatoient commes des billes d'or lancées en 1'air comme un escamoteur. »
 « Sortez donc Musset de ses désespoirs et demandez-lui d'écrire dix pages du Capitaine Fracasse ! »
 « J'ai ouvert [le volume] au hasard et je suis tombé sur quatre pages datées du 9 octobre 1840. »
 « La langue est aussi jeune, aussi fraîche, aussi lumineuse que si le grand homme avait écrit hier soir, en sortant de l'Opéra-Comique. »
 J'ai eu le plaisir de les relire dans l’Eclair du 25 juillet dernier et de constater que l'article quasi tout entier, intitulé : Injuste, était un pur auto-plagiat : M. Delpit s'était borné à modifier le début et la fin de sa chronique, — comme ces maquignons de province qui teignent le poil des rosses trop connues qu'ils conduisent au marché pour la dixième, fois. Les derniers articles de M. Delpit ont tous cet air reteint ; je suis heureux de l'avoir pris — une fois au moins ! — sur le fait.
 R. G.
 M. Brunetière commencerait-il, dans la Revue des Deux-Mondes, une série de Prosateurs hétéroclites ? II vient, en effet, de découvrir Pierre Bayle, érudit facétieux et « précurseur de Voltaire ». Cette étude est moins amusante que telles pages du Dictionnaire de Bayle, mais tout de même elle est à lire : si certaines opinions de M. Brunetière sont contestables, sa méthode est parfaite et ses renseignements très sûrs.
 R. G.
 On dirait que l'ère de la bonne ironie — est-ce un vain espoir ? — Va se rouvrir dans notre pays tant emmuflé. Après le Quesnay de Beaurepaire de M. Chevassu, puis le livre de Bazouge : Les Grands Enterrements, voici, dans le Figaro du 15 août et signée François de Nion, une bien exquise Rencontre anachronique.
 A. V.
 Dans le Temps du 26 juillet, deux jours après la mort de Léon Cladel, M. Anatole France, avec la bienveillance perfide qui lui est malheureusement plus qu'une mauvaise habitude et presque une nature, crut élégant de railler les travers extérieurs de l'âpre et probe écrivain qui s'en allait, de lui reprocher même ses soucis et ses scrupules d'art. Il fallait ou se taire ou parler respectueusement d'un homme qui laisse La Fête votive, N'a qu'un œil et Les Va-nu-pieds.
 P.Q.
 La sixième livraison de L'Art et l'Idée (juin), qui clôt le tome premier de cette belle publication, est consacrée à l'Hôtel des Ventes : Causerie sur la transformation de l'immeuble des Commissaires-priseurs. — Ce qu'il est — ce qu'il sera — ce qu'il devrait être ; et à Charles Monselet. M. Octave Uzanne a écrit les deux articles. Illustrations hors texte : Une vente sous Charles VI; Une vente à l'Hôtel Drouot en 1892 : deux planches gravées en relief d'après des compositions originales de Pierre Vidal. — Une vente sous Louis XIV au quai de la Ferraille ; Une vente à l'Hôtel Bullion : deux gravures à l'eau-forte par François Courboin, d'après les dessins de Vidal. Dans le texte : quinze dessins sur l'Hôtel Drouot et six portraits de Monselet à différents âges de sa vie. — Le tome II (7me livraison, juillet) s'ouvre sur un frontispice à l'eau-forte par Félix Valloton, d'après un tableau de Giovani Bellini: La Cieca Fortuna. Ce numéro est dévolu à Victor Hugo, dont il reproduit, hors texte et en couleurs, quatre dessins inédits, et dans le texte quinze dessins, plume et crayon, gravés sur bois et en gravure directe. Outre le curieux article de M. Octave Uzanne : Victor Hugo par la plume et le crayon, ses notes et croquis de voyage, la livraison contient un fort judicieux « Paradoxe esthétique » de M. de Saint-Heraye : Des Encouragements à refuser à la Littérature et aux Arts.― Vignettes et lettrines nouvelles de MM. H. Mas, A. Séon, Moreno, Viletti, Georges Scott, A. Lynch, etc.
 A. V.
 La Revue Générale (Bruxelles, août), rédigée dans un esprit qui n'est pas le nôtre, ne laisse pas que d'être intéressante. Histoire, voyages, économie politique, questions sociales, sont traités dans cette déjà vieille revue belge avec conscience. À citer : des impressions de voyage de M. Albert Bordeaux, attachantes et toutes baignées de soleil vrai ; une étude curieuse sur l'infanticide en Chine, par Mgr. de Harlez, une Lettre de Paris, de M. Edouard Trogan, etc.
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 Remarqué dans la Grande Revue de Paris et de Saint-Pétersbourg (25 juillet) une spirituelle et « immorale » fantaisie de Romain Coolus : L'Opinion de ces Dames, — et d'Albert Lacuzon, sous ce titre : La Littérature évolutive et les Revues nouvelles, un article un peu court mais intéressant et exact, préface de notes mensuelles sur le mouvement littéraire et principalement les revues « maudites ».
 Herm.


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