L'auberge

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G.-Albert Aurier, « L'auberge », Mercure de France, t. I, n° 6, juin 1890, p. 211.


L'AUBERGE


Ma gabare brisée aux récifs de la berge,
N'osant plus espérer l'aube des blonds demains,
Et mes pieds lacérés aux ronces des chemins,
J'ai rencontré ton Cœur qui fut ma bonne auberge..


Au foyer de ton Cœur, j'ai séché mes lambeaux,
J'ai bu dans tes hanaps l'hydromel du bien-être...
Nous avons persiflé longtemps, par la fenêtre,
La tempête et le vol sépulcral des corbeaux...


Dans le lit de ton Cœur, j'ai couché mes paresses...
Tu fus l'hôtesse douce, au rire large et bon,
Qui donnas volontiers an blême vagabond
Le pain de tes baisers, le vin de tes caresses !...


Ce bleu festin d'amour, le vivrons-nous encor ?...
— Hélas ! J'ai su, depuis, marchande de délices,
Que si ta main vidait la huché et les calices
C'était pour les remplir de mes joyeux sous d'or !...


Ma gabare brisée aux rochers de la berge,
N'osant plus espérer le printemps de tes mains,
Me faut il maintenant, dans la nuit des chemins,
Fuir à jamais ton Cœur qui fut ma bonne auberge ?...

G. Albert Aurier


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