L'orage

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Jules Renard, « L'Orage », Mercure de France, t. III, n° 22, octobre 1891, p. 222


L'ORAGE


 Vers minuit, par la croisée sans toutes ses fentes, la maison au toit de paille s'emplit et se vide d'éclairs.
 La vieille se lève, allume la lampe à pétrole, décroche le Christ et le donne aux deux petites afin que, couché entre eux, il les préserve.
 Le vieux continue apparemment de dormir mais sa main froisse l'édredon.
 La vieille allume aussi une lanterne, pour être prête, s'il fallait courir à l'écurie des vaches.
 Ensuite elle s'assied, le chapelet aux doigts, et multiplie les signes de croix, comme si elle s'ôtait des toiles d'araignées du visage.
 Des histoires de foudre lui reviennent, mettent sa mémoire en feu. A chaque éclat de tonnerre, elle pense :
 — « Cette fois, c'est sur le château! »
 — « Oh! cette fois-là, par exemple c'est sur le noyer d'en face! »
 Quand elle ose regarder dans les ténèbres, du côté du pré, un vague troupeau de bœufs immobilisés blanchoie irrégulièrement aux lueurs des torches éphémères.
 Soudain un calme. Plus d'éclairs, le reste de l'orage, inutile, se tait, car là-haut, juste au-dessus de la cheminée, c'est sûr, le grand coup se prépare.
 Et la vieille, qui renifle déjà, le dos courbé, l'odeur du soufre, le vieux raidi dans ses draps, les petits collés, serrant à pleins poings le Christ, tous attendent que ça tombe !

Jules Renard.

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