La Grappe volée.

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Saint Pol-Roux, « La Grappe Volée. - Le Cygne d'Illusions », Mercure de France, t. II, n° 16, avril 1891, p. 208-209.


LA GRAPPE VOLÉE

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Qui ravit les raisins sonores de mon Rire
En le val de Caresse aux bons glaïeuls du dire ?

Evaporés des thyrses vierges du sonneur.
Ils mûrissaient : essaim de la treille au bonheur.

Oyez au creux du val la plorance qui meugle,
Oh rendez ses muscats à mon sourire aveugle!

Espoir qui me guidas vers l'ultime pressoir
Où s'épavent les perles qui n'ont pas le soir,

Oncques n'ai retrouvé mes vives de vendange,
Et la neuve douleur m'a pâli de son lange.

Apprends-moi, vert silence, en quel flacon voisin
De harpe maintenant jouit le clair raisin?

Alors une brebis, sans doute ma vieillesse,
Au loin bêla devers ce deuil de gentillesse :

- « Ami, qui désormais as le raisin sans peau
Nommé le pleur et fuis le jovial troupeau,

Ta Jouvence a passé, des adieux plein la robe,
Ainsi qu'un paon coupable, sous le soleil probe.

A l'ombre du fleuve émanant de ses péchés
Clignotait une musique de fruits cachés.

Or tes ris, prisonniers dans un orgueil d'abeille,
Appendaient à l'âpre feuille de son oreille. »

O brebis, si la dépouille, mise en pendants,
Doit jolir ma vendangeuse aux ongles ardents,

Je lègue les raisins sonores de mon Rire
A Celle qui laissa les bons glaïeuls du dire.

 17 novembre 89.

LE CYGNE D'ILLUSIONS


A Gabriel Randon.



Cette boule de neige où se pavane une âme
Est le Cygne ingénu de nos illusions
Qui matinalement cingle sur l'oriflamme
Avant l'aigre soleil des noires visions.

Ricane l'heure où le fer rouge de la preuve
Irréfragable inscrit l'alphabet infernal;
La virginité lors défaille sous l'épreuve,
A jamais se fondant le duvet hivernal.

Institués l'écaille de cette agonie
A la strophe de fin, nous gardons le parfum
Qu'uniquement légua la lunale harmonie,
Et nos cordes s'émeuvent du joli défunt.

L'héritage de songe, aromant notre allée
Entre les perses mares de joyaux salins,
Prêche nos pas, appareillés pour la vallée,
Au gré des roseaux purs devant les loups malins.

Jusqu'à ce que le Cygne, aux cendres de mémoire
Oiseau semé, germant sous les regrets d'aïeul,
Nimbe le phare usé par les âges de moire
Et neige vers l'orteil ses ailes de linceul.

 3 février 90.



Saint-Pol Roux.


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