Le massacre des rêves

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G.-Albert Aurier, « Le Massacre des rêves » , Mercure de France, t. I, n° 8, Août 1890, p. 294-295.


LE MASSACRE DES RÊVES

Dit la Baronne, en son morne manoir :
 — « Le vent hulule !... Et le ciel est sans astres !
 « Le vent hulule !... Et le ciel est bien noir !...
 « C'est une nuit de guerre et de désastres !...
 « Le vent hulule, aux créneaux du manoir... »
 Dit la Baronne, en son morne manoir.
 « Gai Troubadour ! O mon gai Troubadour !
 « Racontez donc, à votre douce dame,
 « En attendant que fleurisse le jour,
 « Racontez donc, ô mon gai Troubadour,
   « Une histoire d'amour ! »
 Le Troubadour ceci dit à sa dame :


 « Pour l'effroi des hameaux de ces terres novales
 « Que protéger ne sut le Moine nonchalant,
 « Des Ducs velus, juchés sur d'étiques cavales,
 « Ont passé, dans la nuit, comme un songe sanglant !...


 « Sous les sabots traînant, dans l'ombre, un incendie,
 « Et les naseaux fumant ainsi que des Etna,
 « Pleuraient les chapelets, entre les mains roidies
 « Des Tonsurés, qu'un bras lourd estramaçonna !...


 « Ils ont passé, dressant leurs féroces bannières !...
 « Et leurs sabres fauchaient les cous comme des blés...
 « Et des têtes en sang fleurissaient les crinières
 « Des chevaux !... et les poings des Ducs échevelés !...


 « Des Ducs que Dieu voulut sevrer des apanages
 « Et qui mirent à mal les Dîmes des Clergés,
 « Éclaboussant le ciel du sang de leurs carnages
 « Et comblant les vallons d'Évêques égorgés !...


 « Mais, maintenant, épars sur les chairs coriaces
 « Et les gestes gelés de ces morts sans tombeaux
 « Et que ne sanctifie aucune croix, croasse,
 « Voraces et couards, le vol noir des corbeaux !...


 « De la sorte ont passé, sur ces terres novales
 « Que protéger ne sut le Moine nonchalant,
 « Les Ducs velus, Des Ducs velus, juchés sur d'étiques cavales,
 « Qui furent, dans la nuit, comme un songe sanglant !...


 Le Troubadour ainsi dit à sa dame
   Une histoire d'amour...
 « Racontez donc, ô mon gai Troubadour,
 « Racontez donc à votre douce dame
 « En attendant que fleurisse le jour,
 « Racontez donc, à votre douce dame,
 « Gai Troubadour, une histoire d'amour !... »
 Dit la Baronne, en son morne manoir  :
 « Le vent hulule, aux créneaux du manoir !...
 « C'est une nuit de guerre et de désastres !...
 « Le vent hulule !... Et le ciel est bien noir !...
 « Le vent hulule !... Et le ciel est sans astres !... »
 Dit la Baronne, en son morne manoir...


 

G.-Albert Aurier.



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