Les Grenouilles Dans l'Ame

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G.-Albert Aurier, « Les Grenouilles Dans l'Âme », Mercure de France, t. I, n° 3, mars 1890, p. 74.


LES GRENOUILLES DANS L'ÂME



Sanglots d'or que rhythma l'Arpège essentiel,
Vous qui choyez l'oubli des banales rancunes,
Sonores Fleurs, aux fins cheveux couleur de lunes,
Vierges douces qui vous exhalâtes du ciel,

O mes Rimes, je vous ai dit : Un Avril rose
Éparpille en mon Cœur un sourire vainqueur...
Venez donc vous baigner au golfe de mon Cœur!...
— Des rires bondissaient par la forêt morose ;

Des pans d'azur flottaient aux branches des cyprès ;
Une odeur de baiser s'envolait des corolles
Vers l'onde chuchotant des odes bénévoles
Et les Édens fuyeurs nous paraissaient plus près !...

— Dans la sainte impudeur des filles ingénues
Méprisant, Faune roux, tes yeux et tes brocards,
Vous quittâtes alors vos robes de brocarts
Et les langues d'azur léchèrent vos chairs nues...

Mais la mer hypocrite aux clins d'œil captieux,
La mer d'opale aux Flots menteurs comme des lèvres,
Celait sous ses splendeurs les vases et les fièvres
D'un Marais affamé de l'idylle des cieux !...

Et vos corps purs, vos corps pétris de neiges roses,
Sombrèrent doucement en ces bourbiers puants
Où les poulpes grouillaient et les baisers gluants
Des larves implorant l'éveil des Couperoses !

— Et voilà maintenant, chastes filles du ciel,
Sonores Fleurs, aux fins, cheveux couleur de lunes ;
Qui distillez l'oubli des banales rancunes,
Sanglots d'or que rhythma l'Arpège essentiel,

O mes Rimes, voilà que vos gorges issues
S'enflent au chaud contact des limons onctueux
Et que vos corps, pris de tressauts voluptueux,
Se pâment aux suçons voraces des Sangsues !...


G. Albert Aurier


 Septembre 1887.


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