Les Livres, Théâtre, etc.

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Mercvre, « Les Livres, Théâtre, etc. », Mercure de France, t. I, n° 2, février 1890, p. 60-64.


LES LIVRES


 Uranie, par Camille Flammarion (1 vol. illustré, chez Marpon). ―— C'est l'histoire d'une statuette de Pradier dont s'énamoure un mathématicien de dix-sept ans, « Camille Pygmalion », pour ne pas nommer tout à fait l'auteur. Beauté plus Amor égale Science. Inattendu comme résultat, fort joli, d'ailleurs, comme procédé. Camille Flammarion, avec des malices bien extraordinaires chez un savant aussi hérissé de compas qu'il le doit être, mesure la distance du Soleil à la Terre en employant, semble-t-il, la longueur d'un cheveu de blonde. Son Uranie, traité des savoirs exquis, contient des passions ardentes écloses à travers des aurores boréales, des jeunes filles surprises au bain, des apparitions célestes, d'autres qui le sont moins, des nuits embaumées, du magnétisme, des ballons, tout cela appuyé par une fabuleuse orchestration de chiffres.
 D'étoiles en étoiles, de Vénus en Vénus, l'astronome virtuose nous promène, sans que nous y pensions trop, dans des domaines algébriques bons à faire peur aux femmes du monde. Et de ci, de là, le miraculeux cheveu blond s'entortille à la redoutable queue d'une comète, la poésie adapte de son doigt léger le loup de satin rose à l'astrolabe de Newton. Des fleurs, énormément de fleurs. Il paraît que la planète Mars possède une humanité privilégiée : mâles et femelles y changent de sexe chaque soir. Plus haut, les habitants, travestis en libellules, ont, nonobstant leurs ailes de gaze, des idées de constance éternelle. Puis viennent des personnages montrant jusqu'à dix membres principaux, des êtres ne se nourrissant que de musique sacrée, des contrées pleines de petits ruisseaux de miel, des montagnes d'or, des volcans lançant de l'émeraude en fusion. Et, perpétuellement, s'accroche au balancier implacable de la pendule Uranie le cheveu blond très doux, très fin. Camille Flammarion aurait-il trouvé une pierre philosophale ayant nom l'Amour ? Ces différentes études cosmographiques sont reliées sous une couverture suggestive, représentant une de ces « âmes vêtues d'air » dont nous parle l'auteur quand il tire les cheveux de Vénus, une horizontale de la Voie lactée en costume d'étoile. Ce n'est pas le nu que signalait Musset à propos du discours d'un académicien, mais, sincèrement, voilà un beau nu scientifique, Monsieur l'astronome ! ― Un volume de Camille Flammarion étant toujours un évènement littéraire, rappelons Uranie à l'attention des jeunes savants de notre époque, et fasse le ciel qu'ils s'en inspirent !


***


 Possédée d'amour, par Jean Rameau (chez Paul Ollendorff). « ..... Et Cazala dit : « Je t'aime ! » et elle dit : « Moi, pas encore ! », et pour le fuir elle prit le train de onze heures quarante-deux ; il y en avait bien un autre à minuit moins cinq, mais elle partit trop tôt pour le prendre ; et elle s'installa dans un compartiment de première, et elle garda l'électricité négative des femmes honnêtes, et elle ferma ses croisées implacables. Et enfin l'amour lui vint, et elle avait son centre d'attraction dans la tête, entre ses deux yeux vieil or, et elle accusait une continuelle tendance à baisser son centre d'attraction, et lui accusait vingt-six ans, et, comme c'était un compositeur de musique, il avait obtenu un prix de poésie de deux cent cinquante francs, au concours de l’Écho de Paris, et elle regarda la layette de son enfant, mais rien n'y fit, et ils s'unirent avec des grondements, et elle guida ses doigts, et des cris joyeux sortaient des chocs, et, prudent jusque dans ses transports, il aurait pu passer à bon droit pour la sécurité des familles, et elle parvint à verser deux larmes, et ils montrèrent à tout le monde le beau sourire luisant de leurs joues rouges, et elle le voussoya longtemps avec des lèvres enflées où on aurait pu retrouver la trace des dents, et il aurait bien pris la fille avec la mère, mais quand il essayait de lui baiser les doigts, la fille les retirait vivement en lui disant qu'elle avait cueilli de l'oseille, et elle le priait de ne pas la toucher avec ses yeux, et il dut se contenter de la mère, et le mari, qui toutefois sentait saillir ses os maxillaires, leur dit : « Ite misse est. »


 

J. R. P.


 Sous-Offs, par Lucien Descaves (Tresse et Stock, édit.) Si piètre qu'elle ait été, la saison d'octobre-novembre a pourtant eu son livre à sensation, autour duquel un bruit anormal s'est fait. Je ne pense pas que Descaves, en écrivant Sous-Offs, s'attendait à des récriminations aussi furibondes ainsi qu'à la réclame de ces poursuites imminentes et inconsidérées. Nous ne sommes pas compétents pour juger le côté documentaire de ce Volumineux dossier, nous ne pouvons que dire qu'artistiquement le livre a de la valeur, bien que la phrase y soit souvent pénible et inutilement « emberlificotée ». Stock, en tous cas, peut se vanter d'avoir de la veine. Voilà que le Ministère de la Guerre lui prépare un petit logement à Sainte-Pélagie précisément au moment où menace d'aboutir la féroce campagne entreprise par certains journaux pour le déloger ― dans l'intérêt du Théâtre Français ― des galeries qu'il y habite.
 L'Âge de Papier, par Charles Legrand (Kolb, éditeur). Quelque temps avant Sous-Offs paraissait, chez Kolb, l’Âge de papier, de Charles Legrand. C'est un pamphlet, sous forme de roman, dirigé contre les Juifs, et qui n'est pas sans mérite.
 Pietro Seracini, par Jean Fusco (Paul Ollendorff, éditeur). Ce n'est pas « parisien » ― le parisianisme ne nous dévore-t-il pas ? ― Mais c'est évidemment une œuvre qui retient l'attention.


 

L.T.


Rééditions


 Vieilles Actrices, par J. Barbey d'Aurevilly (Chacornac, éditeur). ― On connaît ces silhouettes railleuses, parues dans un petit journal du temps, la Veilleuse, que Barbey d'Aurevilly rédigeait seul, avec cette verve tranchante, sans cesse retrempée aux sources du vieux esprit gaulois, qui en a fait le premier journaliste de son époque.
 Polémiques d'hier (Albert Savine, édit). ― En même temps que paraissaient les Vieilles Actrices, Savine nous donnait, du même grand maître, les Polémiques d'hier, un recueil d'actrices du Nain jaune et du Gaulois de 1865 à 1870. C'est un livre à la fois profond et gai, dont la lecture ne pourrait que profiter à nos articliers d'à présent, qui ont l'insulte pour argument suprême. Il me reste trop peu d'espace pour faire quelques citations. Et pourtant, combien de ces pages, écrites avant la guerre, sembleraient aujourd'hui d'une curieuse et hurlante actualité !


 

L.T.


 
THÉÂTRES


 ODÉON. ― Shylock, comédie en sept tableaux, d'après Shakspeare, par Edmond Haraucourt. ― Venant si tard, une critique de cette comédie serait pour le moins inopportune ; il nous amuse cependant d'ajouter notre mot à la kyrielle d'opinions émises et qui toutes circonvoisinent ceci : que le traducteur n'a pas le droit d'adultérer l'œuvre originale. Il est clair que M. Haraucourt mérite la hart, encore que certaines plumes sans vergogne aient insinué que le Marchand de Venise, comme les Joyeuses Commères de Windsor, soient plus près de la bouffonnerie que du drame, et que peut-être la comédie de l'Odéon rend mieux l'original que telle traduction fort grave... Mais, de l'original, avons-nous à nous en soucier en la circonstance ? On nous offre une pièce d’après Shakespeare, et ce d’après ne signifie point, ce semble, traduit de. C'est, si l'on veut, inspirée de l'œuvre initiale, une féerie en sept sujets d'éventails, gracieux ou terribles, évoquant la lagune derrière le pont du Rialto ou noyant les Soupirs dans une eau funèbre : un tableau de Ziem qui se mettrait tout d'un coup à chanter et transporterait d'aise les amateurs. M. Haraucourt, avec son esprit souple ― un esprit en pourpoint brodé ― a écrit allègrement, jetant çà et là l'or parisien sur le fer anglo-saxon. Mais c'est justement ce qu'on lui reproche : Porcia est une chère folle née Chaussée d'Antin, et ses expressions de nerveuse cliquètent comme un collier de Froment Meurice ; l'amoureux va et vient sur un rayon d'électricité, et Shylock lui-même a des mots. Mon Dieu oui, des mots, du factice comme le reste. ― Pour les uns, en somme, des clairs de lune à mille francs le mètre carré ; pour les autres, le simple reflet de cette même lune dans le ruisseau de la rue du Bac... « Voilà la vie ! »


***


 THÉÂTRE-LIBRE. — Le Pain d'autrui, pièce en deux actes, traduite de Tourgueneff par MM. Armand Ephraïm et Willy Schutz ; — En Détresse, pièce en un acte, en prose, par M. Henry Fèvre. — On se demande l'effet que produirait Le Pain d'autrui sur le vrai public, quand on songe aux rires qui en ont accueilli certaines scènes. Il faut avouer d'ailleurs que si le premier acte est intéressant pour ce qu'il ouvre d'échappée sur les mœurs des hobereaux slaves d'il y a cinquante ans, le second acte devient du simple mélo et d'une maladresse invraisemblable au point de vue scénique, maladresse aggravée par le jeu des principaux personnages, qui ne me paraissent pas avoir compris leur rôle. Seul M. Antoine a convenablement tenu le sien, et il a dit la scène finale du second acte de façon à en laisser inoubliable le souvenir.
 On a été sévère Pour M. Henry Fèvre, et on a eu tort. Sa pièce en un acte, En Détresse, qui met en présence de son ancien tuteur un dévoyé « moderne » devenu misérable, qui fait raisonner le Dénuement et l'Épargne, contient d'excellents passages. M. Antoine s'est montré d'un naturel achevé dans cette piécette, de beaucoup mieux interprétée que l'autre, quoique Mlle Barny ait un peu exagéré son rôle et que M. Paul Cléry ait été faiblot dans le sien. Quant à Mlle Luce Colas, c'est absolument ça, malgré M. Vitu.


 

A. V.


BEAUX-ARTS


 Exposition Jules Chéret, Galerie du Théâtre d'Application 18, rue Saint-Lazare. — Pour nos étrennes, la délirante joie de l'Exposition Chéret, Polichinelle frénétique gambade en ricanant, des gommeux étiques et monoculés bayent aux corneilles dans leur frac à queue de pie, Pierrot s'effare. Des chapelets de bébés joufflus, crevant de bonheur et de santé, s'égrènent et trébuchent sous le poids des jouets désirés. Et partout la Colombine capiteuse et demi-pâmée, le nez au vent, l'œil champagnisé, toutes quenottes dehors, reine de grâce en la grotesque saturnale de son rouge éclat de rire, réveille les folies épuisées.
 Ont été dites — par Huysmans, R. Marx et d'autres aussi — l'imprévue crânerie et les élégantes témérités de ce crayon tout de jaillissement et de spontanéité.
 Pourtant la pure note d'art ― j'entends d'art affranchi des nécessités de l'ultérieure traduction ― nous semble être dans une trop courte série d'aristocratiques pastels. Harmonies fastueuses, aériennes transparences : une féerie de couleurs qui serait jouée par des poussières de rubis, d'émeraude, de topaze et de saphirs. Ils reposent délicieusement les yeux un peu brutalisés par la relative crudité des grandes affiches, mal à l'aise dans l'exigu vestibule du Théâtre d'Application.


 

L. Dse


 BRUXELLES. — Nous nous occuperons en notre prochain numéro du Salon des Vingtistes, qui doit s'ouvrir ces jours-ci. Parmi les artistes étrangers invités, nous remarquons Dubois-Pillet, Forain, Pisarro, Redon, de Regoyos, Renoir, Rodin, Signac, Sisley, Vogels, etc.
 Le cercle des XX organise des après-midi musicales consacrées aux jeune écoles française, belge et russe, et une conférence littéraire par Stéphane Mallarmé.


 

D.


Échos divers et communications


 Nous adressons nos remerciements à l’Écho de Paris, la Grande revue, la Paix, la Bataille, la Caravane, au Réveil au Quartier, aux Annales Gauloises, qui ont annoncé le Mercure de France. Merci également MM. Arsène Houssaye, Ed. Deschaumes, Louis Kolf, Marc Legrand, Henri Bossanne et Marius André.


 Une nouvelle qui ne manquera pas d'intéresser les jeunes d'aujourd'hui, et même ceux d'hier : la résurrection de Lutèce dans les premiers jours de février, sous l'unique direction littéraire de Léo Trézenik, mais avec un autre tire : le Carillon, et un programme qui, sans faillir aux souvenir laissés par Lutèce, sera cependant plus accessible à M. Tout-le-Monde. Trézenik se vante d'ailleurs que la nouvelle feuille aura l'indépendance de plume et la fierté d'allure de l'ancienne. Le Carillon, en tout cas, sera certainement un journal d'avant-garde et de bon combat littéraire, ouvert à tous les talents comme le fut Lutèce.


 On nous annonce, pour paraître prochainement, un roman russe : Mlle Wladimir, mon mari, par la comtesse Lydia.


 L’Europe, journal international hebdomadaire, paraissant le jeudi. Rédacteur en chef : Georges Blachon. ―— Ce journal a pour but de présenter les choses de l'extérieur sous leur véritable jour, de faire justice de tous les sophismes et de démasquer toutes les manœuvres par lesquelles on s'efforce de duper et de dérouter le patriotisme français. Il veut travailler à l'union franco-slave pour combattre l'ennemi séculaire de l'Europe, le pangermanisme, sous sa formation de combat actuelle, la Triple-Alliance.


 En même temps que paraîtront à Paris ses deux livres Lassitudes et Albert, notre collaborateur Louis Dumur publiera à St-Pétersbourg un recueil de poésies : la Néva. Le manuscrit est en ce moment à la Censure, formalité préalable obligatoire en Russie.


 Le Théâtre franco-russe, sous la direction de M. de Bernoff et avec M. Julien Leclercq au secrétariat, donnera le 1er février, Galerie Vivienne, sa seconde représentation. Au programme : une traduction en vers français d'un fragment du Démon de Lermentoff ; Le Médaillon, un acte de Mme de la Tombelle ; Philosophe, un acte en russe, par M. de Bernoff ; —― et pour la partie musicale : Elégie, de Dynam Fumet.


 

Mercvre.

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