Les Livres, Théâtres, etc.

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Mercvre, « Les Livres, Théâtres, etc. », Mercure de France, t. I, n° 1, janvier 1890, p. 30-32.


LES LIVRES


Joies, poèmes (1888-89), par Francis-Vielé Griffin (chez Tresse et Stock). — O poètes, réjouissez-vous, car « le vers est libre »: c'est M. F.V. Griffin qui le proclame, avec la légitime allégresse d'un trouveur. Oui, ce vers dont beaucoup d'entre nous cherchaient la formule, ce vers que M. Gustave Kahn et tant d'autres, malgré de louables efforts si bêtement raillés, n'avaient pu réussir à sérier en poèmes suivant un lien orchestral exempt de cacophonies, M. F.V. Griffin l'emploie désormais avec la plus admirable sûreté. Ces rondes aux refrains mobiles, ces dialogues répercutés d'une âme de blonde à l'âme du poète, au milieu de magiques paysages à demi voilés par les bleuissantes gazes embuées des féeries de nature, sonnent, sanglotent ou susurrent en de prestigieuses concordances de rythmes: « ce qui ne veut nullement dire(comme le déclare l'auteur avec un hautain bon sens) que le vieil alexandrin à césure unique ou multiple, avec ou sans rejet ou enjambement, soit aboli ou instauré ; mais, plus largement, que nulle forme fixe n'est plus considérée comme le moule nécessaire à l'expression de toute pensée poétique... » Maintenant, que s'esclaffe la Cohne ! Moi je dis qu'avec les Épisodes, de M. Henri de Régnier — et ce n'est point sans motifs critiques que je rapproche ici ces deux œuvres, — Joies restera l'une des plus merveilleuses manifestations poétiques de ce temps, et de tous les temps.
 Le Livre du Jugement (la Création, la Chute), par Alber Jhouney (édition de l’Étoile, chez Sauvaître). — Ce sont les deux premiers hymnes d'un poème qui en contiendra quatre : « l'histoire dramatique de l'Âme humaine et de sa destinée, racontée à la lumière des traditions occultes et de la Kabale. » Certes, M. Alber Jhouney connaît son métier ; certes, j'admets pour l'Idée-pure — je l'ai dit déjà — le droit de s'affirmer en poésie : mais encore est-ce à la condition que l'esprit didactique n'en exclue pas toute envolée ; or, cette œuvre donne, trop souvent, l'impression de bonnes proses rimées. Néanmoins, je devine en M. Alber Jhouney l'un des poètes le plus capables, dans la jeune littérature, de devenir réellement complets : il a la pensée, on sent qu'il aura l'image quand il le voudra, l'image ou plutôt la couleur. Mais cette sobriété, hautaine et sévère, ne me déplaît que par sa continuité. Aussi, malgré mes restrictions, je vous salue, frère, vous êtes des nôtres ; et — ce que certains des nôtres ignorent — vous savez que Lucrèce fut LE Poète.


L. P. de B. G.


 Bas les Cœurs ! par Georges Darien (Savine, éditeur). Ce sont, dites par lui-même, avec le je, les impressions d'un gamin de Versailles, pendant la guerre franco-allemande, d'un gamin, mais d'un gamin certes fort précoce, qui est un bien fin observateur et un très terrible railleur. Il y a, dans ce livre, toute l'ironique histoire des évolutions psychologiques de la société bourgeoise, en province, avant et pendant l'invasion. Si l'on ne devinait, sous la raillerie, la présence latente de quelque thèse sociologique en gestation qui surgira un jour, l'œuvre de M. Georges Darien ferait penser aux ironies de Flaubert, du Flaubert qui créa Bouvard, Pécuchet et M. Homais. L'écriture de Bas les cœurs ! est souple, nerveuse, pittoresque ; inégale parfois et un peu trop hâtive, mais, en tout cas, fort personnelle. Bref, un livre pas banal, souvent profond, alerte toujours, et qui promet.
 Albanus-Albano, par Bardha de Temal (Savine, éditeur).Ce sont des scènes de la vie albanaise, paraît-il.


G. A. A.


Rééditions


 Chez Bergeretto. — Sodome, par Henri d'Argis, préface de Paul Verlaine.
 Chez Félix Brossier. — Zé'boïm, par Maurice de Souillac, et toute la série des Voluptueuses, de Jean Larocque : Isey-VivianeOdileFausta - Daphné — sous de fantaisistes couvertures à illustrations polychrômes.


THÉATRES


Le Théâtre-libre a inauguré sa saison théâtrale par un acte en vers de M. Georges Bois, et cinq actes en prose de M. Georges Ancey. De l'acte de M. Bois, peu de chose à dire. Le sujet, assez banal, n'est relevé ni par les vers, qui sont quelconques, ni par le jeu, qui est mauvais. Ce parallèle entre Charles d'Orléans, l'inventeur du rondel, et François Villon, le père de la ballade, ne s'imposait guère, que je sache, après le Gringoire de Banville. On a accueilli, du reste, Au temps de la ballade, la pièce en question, assez fraîchement. — Ah ! par exemple, c'est des deux mains que nous applaudissons au succès de l’École des Veufs, de M. Ancey, une pièce à la Becque, mordante, ironique, carrément frondeuse, et qui vous retourne, comme on retourne un gant, l'hypocrisie sociale, et vous en montre les dessous et les dedans, implacablement. Une pièce pleine de mots vrais, de ces mots qu'on dit tous les jours et qu'on finit par ne plus entendre, à cause de cela, tant ils sont dans les habitudes, les convenances et les usages. La critique officielle a hurlé, comme il sied. Vitu a même osé écrire qu'un père et un fils comme les Mirelet n'existaient pas, alors qu'on pourrait mettre tant de noms sur ces types communs. Bref, et en dépit des Vitus de tout calibre, l’École des Veufs est un tel succès pour M. Ancey, que l’Écho de Paris a eu l'intelligence de lui demander une chronique hebdomadaire.


BEAUX-ARTS


Signalée aux curieux d'art jeune, vivant, chercheur, l'exposition organisée par M. Fernand l'Anglois, au n°4 de la rue Gay-Lussac. Au catalogue, les noms de MM. Émile Bourdelle, Gaston Prunier, Maurice Baud, Louis Hayet, Georges Binet, de Chabaud la Tour, Roubichon, Victor Koos, Aristide Maillol, Raymond Daly, Séguéla. Fernand l'Anglois : toiles à l'huile, pastels, sculptures, gravures, dessins. Se détachent en de spéciales attractions l'extraordinaire buste d'enfant, le groupe symbolique et le bas-relief de Bourdelle, le portrait et les paysages de Prunier, les recherches impressionnistes de Hayet, le Beethoven profondément fouillé de Maurice Baud, le Verlaine de l'Anglois, tiré d'une anthologie de poètes contemporains en préparation. Destinée à créer un centre agréable où pourront se rencontrer des artistes, des musiciens, des littérateurs, cette exposition, qui se renouvellera continuellement, groupe de nombreuses sympathies. En ce local intéressant sont organisées, chaque samedi, des réunions où l'on dira de bons vers et où l'on fera de belles musiques. Les intrus n'y pénétreront pas, mais la porte en sera hospitalièrement ouverte à tous ceux d'intelligente compagnie.


L.D.


Échos divers et Communications


 Vers la fin de janvier, la librairie Ollendorff publiera La Confession d'un fou, de Léo Trézenik. Ce livre est d'un intérêt spécial, en ce sens qu'il traite d'une façon compétente un sujet scientifique dont on n'a pas encore écrit sous forme de roman. La « littérature pathologique » est d'ailleurs une contrée vierge — les vestiges qu'on en trouve de ci de là dans l'œuvre de nos fabricants de bouquins ne relevant que de l'imagination pure. Et cela s'explique aisément, ce genre requérant un fonds de connaissances techniques que ne possèdent ordinairement point les romanciers. Or, étudier un cas pathologique pour en faire un roman ne donne jamais — les exemples abondent — que d'incomplets résultats, et en tout cas ne saurait permettre ces hardies hypothèses scientifiques que n'oserait pas le médecin, que peut oser l'homme de lettres, et qui doivent, semble-t-il, être le piment d'une telle littérature. Léo Trézenik, qui a presque toutes ses inscriptions de médecine, nous paraît des mieux placés pour réussir dans cette voie nouvelle. Car La Confession d'un fou est le premier ouvrage d'une série que l'auteur se propose d'écrire concurremment avec cette autre série, Ma Province, tableaux de mœurs normandes dont le dernier brossé est l’Abbé Coqueluche.
 Le prochain roman de Rachilde portera ce titre : La sanglante ironie.
 Notre collaborateur et ami Louis Dumur se décide enfin à publier, en même temps qu'un livre de poésies : Lassitudes, un roman achevé depuis longtemps déjà : Albert. Nous reparlerons de cet ouvrage lors de son apparition, en janvier.


Mercvre.


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