Les Métamorphoses de la Dame du Soir : I La Fée aux Mousselines. II L’Impératrice. III La Mégère

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Jean Court, «  Les Métamorphoses de la Dame du Soir : I La Fée aux Mousselines. II L’Impératrice. III La Mégère », Mercure de France, t. IV, n° 27, mars 1892, p. 232-233


LES MÉTAMORPHOSES

DE LA DAME DU SOIR


I. - LA FEE AUX MOUSSELINES
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Surgie en la pénombre odorante du soir,
La bonne Fée aux yeux d'amour, aux mains câlines,
D'un geste ordonne à la Vie âpre de surseoir,
Et l'Heure se revêt de blondes mousselines...

Sur la nef de cristal que mènent les dauphins,
La bonne Fée embarque les Cœurs intrépides,
Et sous l'Astre qui meurt en des tissus d'ors fins
On appareille pour les Vierges Atlantides.

La brise fraîche et folle froisse les roseaux;
Les écharpes du ciel frissonnent sous les eaux
Où la voix de la Fée a suscité des Gloires;

Et le charme infini du soir religieux
Palpite d'un vol fou d'Aiglats prestigieux
Que tente la clarté de soleils illusoires!

II. - L'IMPERATRICE.


Hyacinthe, saphir, émeraude, topaze,
Un ciel artificiel flambe sur la verrière
Où des éperviers d'or qu'aveugle la lumière
Rêvent, écartelés, dans une paix d'extase.

Sous la voûte royale où languissent les fleurs,
Sous la voûte interdite aux cyniques clartés.
Trône, dans la splendeur de perpétuels étés,
L'Impératrice chère aux Ames de douleurs.

Son règne est rude et doux, car c'est la Vierge amère
Dont la main de fer sait museler la Chimère
Et maîtriser les Hippogryphes hasardeux.

Mais les obscurs dévots que nul effroi n'arrête,
Sentent, lorsque son sceptre tombe sur leur tête,
Un peu d'éternité s'appesantir sur eux !

III. - LA MEGERE.


Des pans de ciel ruiné menacent la falaise
Où la mer démontée a jeté l'Armada.
O Soleil mutilé, quel bras te lapida,
Et quel glas pleure ainsi dans la bise mauvaise !

Mains jointes, étendus sur des gerbes de fer,
Les guerriers désarmés vont résigner leurs âmes.
Et, sur leur chair offerte aux baisers verts des lames,
Se lamente le chœur des Femmes de la Mer.

Mais, dominant le fracas sourd des flots livides
Et la clameur plaintive des Océanides
- Tandis que les mourants rêvent de Paradis -

Une sinistre Voix monte en le crépuscule
Qui, déniant l'espoir de leur cœur trop crédule,
Prophétise la nuit sans astres des maudits.

Jean Court.


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