Litanies

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Jean Court, « Litanies », Mercure de France, t. II, n° 18, juin 1891, p. 337-339


LITANIES
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 Quum viliorum tempestas
 Turbabat omnes semitas,
 Apparuisti, Deitus,
 Velut stella salutaris
 In nanfragiis amaris...
 Suspendam cor tuis aris !
  Ch. Baudelaire.

DÉDICACE


 Pour Toi, Port de Salut, qui durant la tourmente
 As sauvé les débris de mon cœur naufragé;
 Pour Toi qui fus la Mère et la Sœur et l'Amante,
 J'ai récolté ces Fruits au merveilleux Verger.


 Laissons la meute des vents geindre sur les routes
 Comme des chiens hagards qui hurlent à la mort,
 Notre Amour sait-il pas les divines Absoutes
 Par quoi nous défierons les colères du sort ?


 Va, narguons l'Heure et ses rigueurs inexorables !
 Et tandis qu'au Beffroi d'effroi tinte le glas.
 Tourne autour de mon col le collier de tes bras,
 Et ferme le fermail de tes mains adorables !


I

Janua Coeli.


 Par les lilas mourants d'un ciel crépusculaire
 Mon cœur a rencontré ton Amour tutélaire
 Qui l'a marqué de sa divine sigillaire.


 Sur mon cœur où germait la male floraison
 Ton Amour baptismal a chanté l'oraison
 Pour en effacer les baisers de trahison.


 Et la foi de jadis une fois revenue,
 Mon cœur s'étant fait simple et mon âme ingénue,
 En moi tu t'es dressée impérissable et nue.


II

Fœderis arca.


 Que béni soit ce soir d'ineffables aveux
 Où je t'ai consacré ma ferveur et mes vœux,
 O ma charmante et douce Amie aux blonds cheveux.


 Que béni soit ce soir de céleste vendange,
 Où, palpitant d'espoir sous l'ail du même Ange,
 Du nuptial baiser nous avons fait l'échange.
 Ce soir-là, je le veux camper comme un menhir
 Immuable dans la plaine du souvenir
 Pour qu'il domine à tout jamais mon avenir.


III

Consolatrix afflictorum.


 Pour mes douleurs ta Chanson triste, et si câline
 Qu'on dirait presque des soupirs de mandoline,
 A tissé des linceuls de blanche mousseline.


 Et pour charmer l'ennui mortel des lendemains,
 Tes mains d'Amante vont semant par les chemins
 Les roses, les muguets, les lis et les jasmins.


 Va, sème encor, sème toujours, bonne Semeuse,
 Et chante ! car ta voix c'est la Harpe fameuse
 Qui m'endort l'âme mieux qu'un philtre de charmeuse.


IV

Stella matutina.


 Par l'affolante nuit de mon affliction
 Rayonnante a surgi ton Apparition
 Dans une aube de paix et de rédemption.


 Ton geste a lacéré les ténèbres algides
 Où mes espoirs gisaient poignardés et rigides
 Tels des suppliciés vaincus faute d'égides.


 Alors ce fut l'aurore et ses frissons d'éveil !
 Les oiseaux bleus ont secoué leur long sommeil.
 Et leurs coups d'aile ont vibré d'or dans le soleil !


V

Turris eburnea.


 Au milieu des Babels perfides des mirages
 N'es-tu pas le Phare où viennent mourir les rages
 Des vents farouches qui sifflent dans les orages ?


 Et quand j'ai déposé l'armet de carnaval,
 Casqué pour traverser plus sûrement le val
 De la vie et son drame ironique et brutal,


 Ah! vraiment, n'es-tu pas, Chère, l'unique asile
 Où puisse sangloter ma pauvre âme indocile
 Que la lutte épouvante et que le rêve exile ?


VI

Vas honorabile.


 Vase odorant, fleuri de fleurs de Paradis,
 Tu détiens le secret des ferveurs qui jadis
 Ont suscité les Galaor, les Amadis.
 Et bien souvent mon âme lasse et taciturne,
 Que frôle incessamment un vol d'oiseau nocturne,
 S'est penchée inquiète sur les bords de l'urne,


 Afin de respirer les balsamiques fleurs
 Qui cajolaient, de leurs parfums ensorceleurs,
 Les douze plaies que lui firent d'amers jongleurs.


VII

Causa nostræ lætitiæ.


 Reine blonde, douce Reine, naïve Fée,
 Que n'ai-je hélas ! la lyre du divin Orphée
 Pour parer tes autels d'un immortel trophée !


 Car dans l'obscurité du mauvais corridor
 Où j'égarais mes pas de faux Campeador,
 Tu fis surgir la fête aux mille lampes d'or.


 Ton Sceptre de Lumière tint l'ombre asservie,
 Et d'un seul coup d'archet tu fis fleurir la Vie
 Spirituelle où nage mon âme ravie.


VIII

Rosa Mystica.


 Dans le silence émerveillé d'un frais matin,
 Au jardin de lumière interdit au Destin,
 Tu t'épanouissais en un rêve incertain.


 En un rêve incertain d'extases attendries,
 Tu t'épanouissais sous des ciels de féeries
 Où de grands migrateurs brochaient des broderies.


 Mais moi, mauvais larron que n'effraie nul délit,
 J'ai profané, pour reposer mon front pâli,
 Tes blancs pétales dont je me suis fait un lit.


IX

Domus aurea.


 Ouvré comme un palais de faste et d'opulence,
 O retrait de prière et d'ombre et de silence
 Au seuil duquel s'apaise toute violence,


 Les flots des temps battront en vain tes escaliers.
 Ils ne prévaudront point contre les boucliers
 Dont j'ai fortifié tes murs hospitaliers :


 Boudoir d'Avril, Château d'Été, puis Cathédrale
 D'Automne, tu seras l'Abbaye vespérale
 Où mon cœur pieux exhalera son dernier râle !

Jean Court.


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