Marine

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Jean Court, « Marine », Mercure de France, t. I, n° 2, février 1890, p. 56.


MARINE

à Charles Merki


À l'horizon cuivré, des archipels de flammes,
Secoués par le vent tels que des oriflammes,
Courent sous l'Astre-Roi dont la splendeur s'endort.
C'est un soir de défaite, et des pourpres tragiques
Ensanglantent ce ciel fauve de messidor,
Tandis que les armets de fuyards fantastiques
Propagent des éclairs dans la poussière d'or.

Mais la mer est très calme et très douce : elle rêve !
Et le reflux berceur de ses flots flavescents
Module en longs sanglots la chanson des absents
Aux pauvres vieux pensifs attardés sur la grève.

Les lames, déferlant sur ce rythme endormeur,
Couvrent de goëmons les ocreuses falaises,
Dont le faîte effrité flamble comme des braises
Aux coruscations de ce soleil qui meurt.

Nulle voile au lointain... Une paix d'élégie,
Que troublent de frissons les coups d'aile éperdus
D'un albatros, s'épand sur les songes perdus,
Et toutes les douleurs tombent en léthargie.

Mais un fanal, soudain, comme un astre banni,
Éclate solitaire et brutal dans le vide,
Poignardant d'un seul rai de lumière livide
Le vespéral recueillement de l'infini.

Et voici que surgit, découpant sa mâture
Sur le décor ardent du couchant fastueux,
Un navire géant, vogueur majestueux
Appareillé pour les rivages d'aventure !

Jean Court


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