N° 13. – JANVIER 1891

De MercureWiki.
(Différences entre les versions)
 
Admin (discuter | contributions)
(Page créée avec « <center>'''''Mercure de France'', t. II, n° 13, janvier 1891, p. 1-64.'''</center> <br /> <div class="text"> {{Page:Mercure de France tome 002 1891 page 001.jpg}} {{Page:M… »)

Version actuelle en date du 19 août 2015 à 15:25

Mercure de France, t. II, n° 13, janvier 1891, p. 1-64.



 
FRAGMENTS INÉDITS
DE « "L'ÈVE FUTURE" »

 
ALICIA CLARY


 Eve nouvelle (I). — CHAPITRE. — SILENCES. — (Les Silences de Hadaly : les comparaisons du teint, des veux, des mouvements, de l'ensemble, etc.).
 Transition du monstre Alicia. — Lord Ewald dit :
 « La déception constante affina mes sens jusqu'à de plus subtiles attentions, jusqu'à des divinisations véritables. Et tout à coup je découvris, comme seul je pouvais le découvrir, pourquoi j'avais été leurré! Nul, s'il n'a passé par mes tristesses désespérées, ne pourrait découvrir cela !
C'est une ligne si invisible, si ténue, que celle qui sépare la sottise du génie est un madrier en comparaison, — bien que si fine qu'elle soit, elle soit, en réalité, un abime. — Eh bien, je l'ai vue. C'est sa perfection de mirage qui m'avait induit à l'espérance. Mais, j'ai touché, à force d'attention, la ligne où le mirage commençait et m'avait dupé par sa perfection surprenante. Maintenant, je comprends, cela ne m'étonne plus, je sais. »

____


 Si délicate et lumineuse que soit une pensée, il est des yeux où, si je l'envoie, je sens qu'elle a pénétré, mais pour s'y éteindre. Or, rien dans la vibration des pensées ou des êtres ne s'arrête et ne cesse : tout a droit à son prolongement infini : l'opacité néfaste et mortelle de cette femme est la damnation pour [jamais] de mes pensées.

____


  « — Vous demandez beaucoup [dit Edison]! — C'est une chimérique espérance de fonder l'amour sur le cerveau d'une femme, qui est toute mystérieuse d'un instinct divin. La femme a d'autres énergies de compréhension (?) que nous : qu'est-ce donc à dire, de la désirer autre qu'elle ne doit être? Ce serait dénué [de sens] que de chercher trop haut, dans elle, des réalisations impossibles.
  « — Aussi, ne fut-ce point cela, vous dis-je, que ma pensée se trouvait en droit de réclamer de celle-ci : mais une réfraction, une transparence, un prolongement!... non un obstacle mortel... Quoi! ma lumière heurte un mur où elle se brise, et elle est obligée de revenir sur elle-même, dans mes yeux, et d'y reconcentrer perpétuellement sa force radiante ! Mon regard, de plus en plus lourd de rayons ainsi renvoyés captifs, sera le rocher de Sisyphe de mes yeux, — et je ne crierai pas contre l'être de mort qui ne peut que me les tuer par son horrible chambre noire ! — N'est-il pas des femmes obscures, sans éducation artistique, sans être muses (c'est-à-dire déflorées d'avance de toute sensation délicate et profonde, puisqu'elles n'en peuvent concevoir, de par leur féminéité, que le côté putassier), mais qui entendent, par un rien, un regard, un mouvement, le vrai sens, le prolongement divin d'une parole ? Celles-là, seules, ont la vie ! Celles-là seules sont femmes! — Oh! celle-ci m'a donné tout l'amour dont elle était capable, l'amère créature ! mais ce n'est qu'à cette limite où cette sorte d'amour n'est plus que commerce ce que j'entends par l'amour, moi, et que par conséquent la réelle communion de l'amour pouvait exister! O Tantale! je meurs de soif de son baiser, et nos lèvres se touchaient ! »

____


 La boite à joujoux de la science lui a fait l'effet de l'ivresse. Elle est ivre-morte du progrès.

____



 Les sots ont toujours du génie quand il s'agit de nuire, et ils ont cela de maudissable qu'ils rendent indulgents pour les méchants.

____



 Quand il y a de la femme d'esprit quelque part, — ouvrez les fenêtres.

____


 Des êtres d'un esprit fin et éclairé, qui rêvent d'un Dieu distingué, d'âmes élégantes, et qui s'imaginent qu'il y a des temps modernes.

____


 En Miss Alicia, rien de cet orgueil aux sens fauves, capables de ces grands crimes, qui, dans la bacchanale désormais compassée des sociétés modernes, de temps à autres agitent leur thyrse aux vieilles fleurs incarnates ! oh ! fi !... Le meurtre ne lui semble que cruel : elle n'en comprend ni les tempêtes ni l'intrépidité.

____


 Lord Lyonnel :
 « — Ah! si, vêtu en histrion, je me fusse présenté à elle en débitant quelque grossière gravelure d'une voix impudente, en prenant une voix énergique (ou du moins qui lui eût semblé telle, selon la notion qu'elle se forme du « caractère ») — nul doute qu'elle n'eût raffolé moralement de votre serviteur. — « A la bonne heure, au moins, eut-elle pensé, voilà un homme! »
 « En Allemagne, en écoutant Beethoven, elle disait : « Parlez-moi d'une jolie romance ou d'une valse chantée!... Mais on ne peut même pas danser sur cette musique-là ! » etc. — Ces paroles ou leur équivalent, agrémentés du sourire convenu, tintinnabulaient toujours sur ses lèvres exquises, comme des grelots où l'âme d'un perroquet sonnerait perpétuellement. Je sens en elle la vague présence, en effet, de toutes sortes d'animaux, figurez-vous ! Elle me donne, de temps à autre, tantôt l'impression de la paonne étalant son fastueux éventail sur l'herbe d'un parc, tantôt d'une dorade ensommeillée à midi, à fleur d'eau, — que sais-je? »

____


 Chapitre. — Subtilités. — « Tenez, reprit Lord Lyonnel, le propre du vulgaire est, n'est-ce pas, de n'accorder aux nuances des paroles qu'une importance médiocre (son regard suffisant semble toujours signifier un perpétuel : « je sais ce que vous voulez dire!... je ne suis pas un imbécile!... je comprends tout sans phraséologie, etc. »), — et de se prononcer sur tout, de parti pris naturel, sans avoir rien écouté attentivement. — Or, les mots, étant des êtres animés, précis comme les nombres, éveillant tous une pensée différente, il s'en suit que le vulgaire épuise des siècles à expier, en demeurant ce qu'il est, sa rondeur insoucieuse à leur égard. Je suppose qu'un ambassadeur quelconque du vulgaire ait entendu ce que je viens de vous dire. Voici ce que pourrait s'écrier, à mon propos, cet être-là, comme représentant sa corporation, — si on lui permettait de dire paisiblement ce qu'il pense : « — Ah! par exemple, je vous trouve superbe, s'écrierait-il (avec cette familiarité déplacée et maladroite qui ne sert qu'à rappeler de plus en plus la distance sociale qui sépare un homme d'un autre, alors qu'on l'oubliait un instant), vous êtes jeune,- vous êtes un Crésus, un grand seigneur, vous découvrez une très jolie femme, une artiste douée d'une belle voix, une fille de race, après tout, vous l'avez dit, elle vous aime, — et vous vous plaignez? Au lieu de perdre le temps à chercher on ne sait quelle petite bête, ah! je ne me ferais pas tirer l'oreille, à votre place, pour me laisser être heureux. Vous avez plus de chance que vous ne méritez. » — Mais l'Humanité s'égalise et ces tristesses-là disparaîtront. Ce n'est pas juste, etc. »

____


 « — Certes, dit lord Lyonnel, car elle ne pourrait avoir cette âme-là. Je croyais, d'ailleurs, vous avoir dit qu'elle était d'une bonne famille anoblie récemment, — ce qui n'est pas un éloge, au contraire. Tout gentilhomme préfère infiniment un vrai bourgeois à un noble récent. Le sang bourgeois, consacré de la veille, entre dans une sorte de moût où surnagent les seuls défauts de sa nature, et dégage une odeur d'aigre, qui fait que les gens de race attendent, pour le connaître, que le vin se soit un peu reposé. C'est une crise, c'est la ferveur du novice : c'est un moment de folie qu'il faut au moins un ou deux siècles pour calmer, surtout lorsqu'il s'agit, simplement, d'une « bonne famille », la noblesse médiocre étant une chose désastreuse. » — A ce propos, voici notre opinion sur la noblesse en général, dans toute l'Humanité. Au-dessus de toute noblesse, il y a la Race, le type sublime qui la consacre. Jamais il n'y eut que deux manifestations de la Race, l'homme de génie et le héros. Tous deux portent leur signe avec eux. Tous deux font la noblesse d'un pays, mais de la noblesse humaine. Par la race qui est en eux, dans l'un comme l'éclair, dans l'autre comme le flambeau, il tiennent du feu qui purifie ce qu'il touche ou le consume. Toute action se transforme en eux et devient belle. L'anobli peut souiller son courage d'un intérêt, d'une convoitise de grades ou de dignités, le gentilhomme lutte parce que sa cause est belle et qu'il l'aime, et il ne peut se préoccuper d'aucun intérêt pendant le combat. A ce désintéressement seul on reconnaît un homme de race, un gentilhomme. Aussi est-il très difficile, sur mille gentilshommes, d'en trouver un seul, par tous pays. Il ne faut pas être dupe de l'anoblissement, voilà tout. Cela n'a jamais rien signifié pour un gentilhomme réel.

____


 Chapitre x. — A ce moment quelque chose de terrible passa, du sourire flegmatique et du tremblement léger de la voix de lord Lyonnel, dans le ton de son histoire. Une sorte d'éclat de dynamite intellectuelle rompit le roc de glace de son débit, bien que l'organe ne s'élevât pas d'un coma plus haut que l'instant d'auparavant. Ce fut seulement cette petite hésitation de la voix qui avertit électriquement Edison qu'une de ces crises formidables, qui dédaignent de se manifester ici-bas, et où la Haine prend les proportions de l'Eternité, agitait l'âme profonde du narrateur.
 « — Ami, reprit le jeune homme, ce n'est pas au fronton de l'antre où flamboie le Pire, c'est au seuil bénin du Médiocre qu'il faut laisser l'Espérance!... »
 Je dois ici relever une erreur de détail commise par Dante. Tout homme digne du nom d'homme doit tenir à la rectifier à l'occasion, car l'importance du poète accrédite un peu trop le côté sensible de cette erreur. Le Pire ne saurait entraîner jamais que le Purgatoire : au Médiocre seul appartient, revient de droit l'Enfer. Car l'Enfer doit manquer de toute grandeur pour être infiniment affreux, c'est-à-dire conforme à sa notion. La flamme, pour être absolument ignoble, comme il est de nécessité, doit s'y compliquer de nausée : donc, le Médiocre en est l'élément indispensable. L'Orgueil peut s'amender, s'il est grand, la Vanité, non. Son soi-disant repentir aggrave la faute et en approfondit la misère. Elle n'a pas en elle de quoi se reconnaître autrement que selon sa nature, c'est-à-dire d'une manière stérile, c'est-à-dire pour toujours et de plus en plus infernale. C'est là, je puis le croire, sans forfaire au dogme, il me semble, le sens du mot évangélique : « Si vous êtes tièdes, je vous vomirai par ma bouche. » Or, d'après l'éclaircissement du Christianisme, chacun, dans la mort, devant se rendre, de lui-même, à l’état qu'il s'est créé pendant la vie..., — le Médiocre, désagrégé, ne peut se précipiter que dans l'absolument Médiocre, c'est-à-dire dans ce que l'on peut appeler, en effet, au figuré, le vomissement de Dieu, — c'est-à-dire la dernière expression de l'éternel dégoût de l'Esprit-Saint, — c'est-à-dire l'Enfer.
 Bien des casuistes, des conciles même pourraient sanctionner de leur souveraine autorité cette interprétation, que quelqu'un leur soumettra sans doute, un jour, avec les développements qu'elle comporte. Cela deviendra, certainement, un article de foi, si je raisonne selon le Bien, comme je l'espère.

____

EVELYN HABAL


 « — Mais enfin, sous tout ce déballage... c'était une femme, non un fantôme! s'écria Lyonnel. Cet attirail recevait l'existence qu'elle avait le secret de lui donner. Savoir se faire jolie fait partie d'être jolie. C'est plus difficile. Oh! cela s'apprend mécaniquement : c'est un rouage de l'instinct. Ce M. Anderson ne serrait pas tout à fait un rêve sur son cœur! Si avilissante que fût sa passion, elle portait sur une réalité. Il savait au moins ce qu'il aimait et le possédait, et, pour dépravé que fût son amour, il n'aimait pas sa seule illusion, à lui-même, sous ces morceaux de ouate, ces cheveux faux, ces jambes d'étoupes et le reste de cette défroque !
 « — Ah! vous avez, décidément, l'idéal chevillé dans le cœur, milord, et je trouve ce phénomène si admirable, qu'il m'en coûte de détruire sous le coup de hache d'un froid raisonnement votre dernier espoir! murmura l'électricien.
 « — Je vous défie bien de détruire cette constatation-là, par exemple! dit en souriant lord Lyonnel.
 « — Pardon, interrompit Edison, vous oubliez que celui dont nous parlons ne s'est donné la mort que précisément parce qu'il reconnut qu'en réalité cette soi-disant femme n'était nullement celle qu'il s'imaginait avoir possédée. Il ne s'est immolé, comme tous les autres, qu'après avoir constaté et savouré cette suprême déception : c'est-à-dire en s'apercevant que, sous cette carapace d'emprunt, la femme était aussi illusoire que la séduction! — que la passion chez elle était aussi fausse que les cheveux! — que l'attachement, le plaisir, la fidélité, la confiance, etc., n'étaient que d'autres postiches qu'elle lui empruntait pour sembler être, grâce à cet occulte, artificiel agrégat! — que ses sourires, clichés et empesés comme un nœud de cravate, appris et récités, n'étaient que ce qu'ils lui semblaient, à lui! — que les protestations, récits, mots frivoles, cris charmants, etc., de cette femme n'avaient pas, sous leur bruit, plus de valeur morale que le bruit du vent dans une serrure! — que ces éclats de rire féminins, absurdes, ravissants, n'avaient pas eu d'autre signification, sous leur bruit, que n'en a le bruit d'un papier qu'on froisse !
 « Anderson, en un mot, s'était aperçu qu'il n'était pas sorti de lui-même et qu'il avait connubé avec moins qu'une ombre. — Oui, moins! car toute la conscience individuelle (tout le substrat obscur de cet assemblage d'os, de chair, de nerfs et de peau) se réduisait à moins que celle d'une taupe naturelle ou d'une fidèle chienne,— c'est-à-dire à une sorte de machinale peur de se désagréger de bête animée et ambulante. Je dis animée dans le sens mécanique, bien entendu, comme l'on dit : un projectile animé d'une vitesse de x.
 « Bref, l'on ne devrait pas dire que de pareilles femmes sont mortes, elles n'ont pas plus en elles de quoi mériter le mot mourir que le mot vivre. On devrait dire : cet accidentel amalgame, cette contingence vide et nulle, ce machinal devenir s'est dissous : voilà tout.
 « Pourquoi la faire bénéficier morte d'un sentiment dont elle eût éclaté de rire pendant sa vie, et d'un rire aussi creux, aussi nul et vide que ses larmes, si elle eût pleuré ? Gardons le sentiment de la mort pour qui sut vivre...
 «... Et ne soyons pas dupes de la forme humaine, — si dans les mystérieux laboratoires du devenir l'essence hagarde d'un animal quelconque s'y égara et nous apparut!... »

____

HADALY


 La voûte était formée de cette basalte brune, provenue des volcans des Andes, et soutenue par d'énormes piliers peints dans le goût de ceux de Memphis. Une seule lampe électrique au globe azuré suspendu au centre illuminait la pièce. Au-dessous du foyer de cette lampe, une longue table, taillée dans un dur porphyre, en recevait les rayons : à l'une de ses extrémités était fixé un coussin de soie pareil à celui qui supportait en haut le bras merveilleux.
 Une trousse, garnie de longs instruments de cristal, brillait toute ouverte sur une sorte de guéridon près de la table. Deux hauts tabourets d'ivoire étaient aussi à proximité.
 Un brasero de flammes artificielles, réverbérées par des miroirs d'argent, chauffait la vaste chambre dans un angle éloigné.
 De grands rosiers d'Orient chargés de roses en fleur, des étoffes parfumées s'espaçaient le long des tentures. Dans les intervalles, en buissons circulaires, toute une flore artificielle s'épanouissait, et c'étaient des prestigieuses couleurs, des pistils lumineux, des pétales parsemés d'une rosée de senteur. Toutes ces fleurs bougeaient, comme caressées par une brise imaginaire.
 Une foule d'oiseaux des Florides et des parages du Sud américain voletaient sur les branchages, entre les feuilles, avec des rires humains. Tous avaient les yeux fixés sur le visiteur.
 Edison resté dans l'obscurité...
 « — Mylord, cria-t-il, l'on va vous saluer d'une assez curieuse aubade ! Ah! que n'ai-je prévu la conversation! Si vous n'eussiez pas surmené les chaudières de l'express de Menlo-Park... Ne soyez nullement surpris de ce que vous allez voir et entendre. Les oiseaux de Hadaly sont des condensateurs ailés et emplumés. J'ai remplacé en eux, par la parole, le chant démodé et sans signification de l'oiseau normal. — L'oiseau criant, dès l'aurore, des réclames de négociants dans les forêts... ce sera l'utile et l'agréable... L'un des plus grands poètes de l'Union a bien voulu m'écrire quelques mètres sur une donnée de moi analogue à celle de l'événement qui vous arrive... j'ajouterai qu'il m'a paru plaisant de faire prononcer ces vers un à un par quelques-uns de mes visiteurs de hasard sur un phonographe, puis de les transposer en ces oiseaux... Pour moi, je ne comprends rien à ces rimes, n'étant pas un rêveur; mais le poète en question m'ayant affirmé qu'ils sous-entendaient quelque chose, je l'ai cru sur parole, voilà tout. N'y accordez donc qu'une attention de simple curiosité pendant que j'amarre l'ascenseur... »


... La paisible respiration de miss Hadaly soulevait son sein, elle chantait d'une voix douce... et avec les inflexions d'une mélancolie surprenante :

L'Espoir sacré pleure à ma porte.
L'Aurore me maudit dans les cieux.
Fuis-moi! Va-t'en! Ferme les yeux!
Car je vaux moins qu'une fleur morte.


Lord Angel était envahi par une sorte de surprise terrible. L'oiseau de paradis, d'un ton compoinct, s'écria :

N'accède pas à de tels vœux !


Et un oiseau-mouche :

Pourquoi se troubler de la sorte ?


Et un serin, avec l'intonation dubitative d'un professeur de l'université de Philadelphie, et le regardant de travers :

Serions-nous superstitieux?...
Sa raison semble assez peu forte !


Un colibri, avec l'organe d'un marchand d'huile de porc de Cincinnati :

Je ne le crois pas sérieux !


Une huppe, avec un rire :

Pour avoir été curieux,
Craint-il que le diable l'emporte?


L'oiseau de Paradis :

Sommes-nous ses amis, messieurs?


Tous, en chœur de voix rudes et franches :

Oui!

L'oiseau de paradis, concluant :

Donc!... Son sort?... Que nous importe.
S'il nous fournit un mot heureux,
Quelque bon calembour ou deux !

Tous, en chœur :

C'est vrai, si le diable l'emporte,
Soyons hommes, que nous importe ?

Hadaly reprit, et sa voix sanglotait :

N'écoute pas, ferme les yeux!
Rejoins l'Espoir hors du seuil sombre.
Ton amour va renaître aux cieux.
Si ton âme en méprise l'ombre.


____

 Chapitre XXI. — Les Yeux. — Lord Lyonnel regardait Edison avec stupeur.
 — Avez-vous vu de beaux yeux, vous-même ?
 « —Oui, répondit lord Lyonnel. En Abyssinie.
 « — Soit, qu'entendez-vous par de beaux yeux?
 « — C'est bien compliqué ce que vous demandez là !
 « — Compliqués, le regard, les yeux? Certes, oui ! C'est infini même, comme toute chose, comme l'atome, puisque tout se tient. Mais, en classifiant, en décomposant un peu, toute question s'élucide. Tenez, en général, quand l'œil d'un homme brille (Et c'est si facile de faire briller l'œil !), les femmes disent : « Cet homme a de beaux yeux! » — Cet homme fût-il, d'ailleurs, un crétin, un Agota, un niais, — attendu que le brillant des yeux a pour conséquence de faire croire à bien des femmes (et ce, jusqu'à leur en donner la sensation) que l'homme qui a des yeux brillants, sombres, etc. doit être « passionné », et possède, en cette qualité, ce qu'elles appellent du caractère. — Or, quand j'aperçois ces yeux-là, moi qui vois au fond, je vous assure que, transposant la couleur dans le son correspondant, il me semble, à chaque fois que cet œil jette sa facette, entendre, distinctement, hélas ! à mon oreille clairvoyante, le gloussement borborygmeux du dindon en colère, — parce qu'il est en colère!
 « — Cependant, s'ils ont une expression? dit lord Lyonnel.
 « — Oh! c'est de la qualité du brillant de l'œil dont vous me parlez, alors, c'est-à-dire d'un abîme! s'écria Edison, et non de l'éclat! C'est tout différent: ni sur terre, ni dans les yeux extérieurs, il n'y a point d'abîme comparable à celui-là ! Et la meilleure preuve, c'est que j'ai là, dans cette boite, des yeux tellement beaux, tellement noyés, tellement splendides, qu'aucun être humain, j'ose le dire (et tout bon oculiste sera de cet avis), n'en a jamais possédé d'aussi admirables! et sans la paillette de la vie, c'est comme si je n'avais rien!...
  « — Ah?... dit lord Lyonnel.
 « — Oui, dit Edison. Heureusement que j'ai l'étincelle de la vie, le feu de Prométhée, le fluide !
 « — Encore l'électricité!
 « — Toujours, dit Edison.
 « — Mais l'âme?
 « — L'âme!.. vous avouez donc que vous y croyez, puisque vous constatez son absence?..
 « —J'y crois, dit lord Lyonnel,je suis né avec le sens de mon âme. L'âme est une question de naissance, comme tout le reste. Cela ne se défmit pas plus que le reste. Cela est, on le sent ou on ne le sent pas : voilà tout. » Edison regarda lord Lyonnel sans parler, pendant quelques instants.
 « — Tenez, vous êtes... plus étrange que moi, » murmura-t-il.


(Variantes de la Scène d'Amour .)

 « — O prince des forces du monde, ne me repousse pas, toi qui m'as appelée! Eve inachevée, je te demande la vie ! Créateur, insuffle ta créature! Pense, et je suis! Si tu doutes de mon être, je m'anéantis! Je te suis ce que tu es à Dieu ! Ce n'est qu'en toi que je puis être vivante ou inanimée! Quoi ! tu frémis? Est-ce de ton pouvoir ou de mes larmes? Tu charges de chaînes l'idéal et l'esclave t'intimide! Ose m'imaginer, ou je suis perdue! Si tu ne plains, toi aussi, que d'un sourire, je suis perdue!..
 « Certes, tu dois me dédaigner : je ne suis pas de celles qui trahissent ! Ma chair éthérée, mes sens divins, mes paroles idéales, où toutes les harmonies sont captives, les trésors de vertige, de mystère et d'oubli qui s'émanent de ma vision, ma constance profonde, mon impressionnabilité, certes, ce sont là des attraits de peu de valeur près de ceux d'une femme!.. Cependant, si ce sont d'élégantes et perfides frivolités qui te séduisent, si tu me crois grave et dangereuse, si tu regrettes en moi l'absence d'une femme amusante et spirituelle, oh! c'est bien facile! Ma nature est multiple et je puis devenir toutes les femmes. Si tu me préfères mon modèle, l'aimable miss Evelyn, appuie seulement sur cette bague, pas celle là, l'opale de mon petit doigt, et Hadaly va s'évanouir, en devenant l’autre ! »
 Lord Lyonnel, saisi par une curiosité infernale, allait presser la bague transfiguratrice, lorsqu'il entendit Hadaly lui dire à l'oreille d'une voix sourde, suppliante :
 « — Oh ! pour l'amour du ciel!
 « — Sois exaucée, Hadaly, dit lord Lyonnel, l'être de celles dont tu parles ne vaut pas la peine d'être évoqué. Reste seule.
 « — Oh! c'est bien vrai, ce que tu dis? C'est vrai que tu arracheras de mes poumons d'or le ruban de métal où la valeur de cette âme visible est ajoutée à moi? »
 Stupéfait de cette phrase, qui lui rappelait la soi-disant réalité, lord Lyonnel demeura d'abord sans répondre; puis, livide, il dit :
 « — Je le jure, Hadaly! »  « Âmes des fiancées mortes avant le baiser nuptial, vous qui flottez autour de ma présence, je suis l'être obscur qui n'a droit à aucun souvenir... Mon sein infortuné n'est pas digne d'être appelé stérile... Odieux à sa race et sacrilège envers son âme serait l'effrayant déserteur qui, tenté vers de sombres délices, au mépris des flancs qui se déchirèrent pour lui donner le jour, s'aventurerait, pour le deuil de l'amour, jusqu'à cueillir la fausse fleur de ma vaine virginité... Au néant sera donné le charme de mes baisers solitaires! Mes caresses, l'ombre seule, hélas, les recevra! Au vent parfumé, au vent mes paroles! Je serai comme ces femelles d'oiseaux tristes qui, désertes ou captives, et n'ayant pas d'œufs à couver, épuisent leur mélancolique maternité à couver la terre !... »

***

 Tout à coup, l'Andréide, brisant délicieusement sa féminine voix en un timbre de contralto si sourdement tendre que le jeune homme en ferma les yeux :
 « — Je veux t'apprendre des choses ignorées des hommes et familières dans le monde où je suis... Oh! dit-elle, si je tache ma robe sur la terre toute mouillée du soir, en m'inclinant ainsi à genoux, c'est que mon corps immortel ne tient pas comme les femmes à ces enfantillages... Je suis celle qui n'entend que de bien loin, et toutes les âmes des fiancées déçues dans leur amour s'efforcent de me donner un peu d'existence... La chair mortelle ne vaut pas ma chair éthérée, presque céleste, et qui n'attend que ton souffle pour devenir divine comme l'Eve de votre légende sacrée! Je ne sais pas plus ce que je dis qu'une femme, mais j'aime mieux, puisque je ne fais jamais de mal et que je périrai quand tu mourras... Pour être méprisée, suis-je donc de celles qui acceptent devant Dieu la possibilité d'être veuves? Tu penses peut-être à des enfants?.. Ecoute! je ne serai pas jalouse, si c'est pour avoir des enfants que tu me trahis jamais ! Car je ne puis exister un peu que parmi les anges, et les anges sont hermaphrodites et stériles, et je sais que l'amour que j'inspire n'a que faire des saintes conventions de la nature!... »
 Le vertige commençait à gagner le jeune homme. L'épouvante s'amalgamait avec l'inspiration : un sentiment plus violent que l'amour courait dans son sang. Le sein de l'Andréide bondissait et l'énivrait de ses parfums connus mais subtilement trausfigurés; ses yeux à demi clos le regardaient et il frissonnait dans la nuit.
 « — Ecoute, il faut que je te dise! N'est-ce pas, c'est ma virginité qui te rend pâle? Mais, continua-t-elle en souriant, elle est éternelle et tu garderas son reflet dans ton âme à travers l'illusion des années!.. Songe que si tu m'acceptes pour esclave, tu ne vieilliras plus, pas plus que moi! Tu disparaîtras en ma beauté sans mourir, ô mon amant! D'abord, je ne veux pas que tu meures : tu n'en a plus le droit, m'ayant écoutée! Tu ne mourras pas, te dis-je, tu ne mourras pas, mais nous serons comme des Dieux, sachant le bien et le mal. »

____

 « Quant à tous ces moyens employés extérieurement pour arriver à ce grand œuvre, quant à tous ces riens d'électricité, de phonographes d'or et de rayons de soleil, qu'importe, pourvu que le rêve se produise et que ce qui le produit ne se démente pas, comme une vivante ! Ainsi que l'a dit un écrivain français : « Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse! » — Eh bien, l'Ivresse, ajouta Edison, en montrant le cercueil avec un sourire, — la voilà! sans même qu'il soit nécessaire... de se donner la peine de boire. »

Villiers De L'Isle-Adam.

(I) — C'est l'un des titres notés par Villiers pour son œuvre. Ils se succèdent ainsi sur les divers manuscrits : 1° L'Andréide paradoxale d'Edison; 2° L'Eve nouvelle; 3° L'Eve future. — De même, les noms des personnages subissent des variations : Alicia Clary s'appelle d'abord Evelyn Habal, puis Miss Hadaly, deux noms réservés finalement, l'un pour la Femme qui sert de prétexte à la création de l'Andréide, l'autre à l'Andréide elle-même; Lord Ewald apparaît sous les dénominations de : Lord Lyonel, Lord Lyonnel, Lord Angel, Lord Angel**, Lord Edward. — Les pages, inédites ou de variantes, qui suivent sont artificiellement classées en trois chapitres, sous les vocables des trois femmes qui paraissent dans L'Eve future. Le premier est toute une théorie du « Médiocre ».

R.G.

PRIÈRE

A Albert Samain.


Seigneur! conservez-moi mon chagrin vénérable!
Que mon chaste dédain soit fort comme un érable!


Conservez-moi, Seigneur! mes ténèbres, afin
Que mon désir oublie à jamais qu'il eut faim !


La joie est le gluau misérable où s'attache
L'aile blanche de nos virginités sans tache.


Mais la souffrance est le sol fécond où tu crois,
Fleur de mystique amour, loin des tièdes effrois.


Et c'est pourquoi, Seigneur! j'ai fait de ma tristesse,
Lourd tissu de mes deuils, une tenture épaisse


Où mon culte s'isole, avec la volupté
Du chien qui voit marcher son maître à son côté.


Je suis le chien boueux qui hurle dans la cave
Où la mort a tendu son ombre froide et grave.


Seigneur! purifiez mes sens dans le sommeil!
Le mal prend conscience aux gaîtés du soleil!


Et mes yeux de scandale ont scellé leurs paupières,
De peur qu'un rayon dur ne heurte les prières.


La cendre de douleur couvre mon front penché.
Devant le spectre blême et louche du Péché


L'espérance d'en bas, honteuse, se retire,
Et, parfum douloureux de mon âme martyre,


Comme un murmure lent sort d'un buisson geigneur,
Mon extatique ennui monte vers vous, Seigneur !

Louis Denise

LA CHANSON DES SOUVENIRS


— Mangeons des souvenirs daus la coupe d'agate.
Mangeons les grappes d'or des souvenirs épars !...
— Regarde frissonner notre vieille frégate
Appareillant déjà pour de nouveaux départs...


— Nos deux cœurs sont trop vieux pour quitter les rivages
Où nous n'avons trouvé que des fleuves amers...
Nous ne referons plus les longs et beaux voyages,
Nos cœurs bercés par la chanson calme des mers...


— Rappelle-toi le temps de nos aveux tremblants...
Hélas, maintenant, vois, nos deux cœurs ont des rides,
Nos cœurs sont des vieillards graves, à cheveux blancs,
Qui ne quitteront plus ces littoraux arides!...


— Dis-moi, ah! dis — pour consteller ces soirs farouches—
Dis-moi tes souvenirs des choses de jadis,
Dis-moi tes clairs baisers qui fleurissaient nos bouches,
Les rouges voluptés de nos vieux paradis !...


Ces reliques, dis-les, chère langue perverse...
Evoque tes parfums des roses qui m'ont plu...
Toi, mon printemps fané, que ta lèvre me verse
Un peu du jeune avril qu'elle ne connaît plus!...


Ne te souvient-il point des rires de ces faunes
Qui faisaient s'envoler nymphes et papillons?...
— La tempête, aujourd'hui, tord nos crinières jaunes
Et mord ta peau, par tous les trous de tes haillons !...


— Maudis-tu donc encor la pâle châtelaine
Pour qui ma pauvre vielle a bien longtemps chanté,
Qui daigna m'écouter pleurer ma cantilène,
Assise au balcon d'or du manoir enchanté ?...
Rappelle-toi l'effroi des robes dégrafées,
Dans les grisants parfums de ce jardin galant
Dont les fleurs ressemblaient à des lèvres de fées!...
Rappelle-toi tous mes baisers sur ton cou blanc...


Rappelle-toi ces nuits où les ailes d'un ange
Embrasaient de leur vol les cèdres du ravin...
Et nos rires d'argent, ce midi de vendange
Où tu te barbouillas les pommettes de vin...


O le baume enchanteur des choses en allées!..
O le royal nectar des souvenirs amers!...
O les baisers surpris aux tournants des allées!...
Et nos rêves bercés sur l'azur doux des mers!...


O l'évocation des jeunesses lointaines
Où revivent des voix d'enfantins violons !...
O tes petits pieds blancs dans le chant des fontaines !...
Et les lys! et mes doigts dans tes longs cheveux blonds !...


O tout notre passé!... et toute notre joie!...
— Maintenant les éclairs brûlent nos fronts tremblants
Et l'ouragan, parmi les rochers, roule et broie
Nos cœurs, nos pauvres cœurs, déchirés et sanglants!...


— Nos deux cœurs sont trop vieux pour quitter les rivages
Où nous n'avons trouvé que des fleuves amers...
Nous ne referons plus les longs et beaux voyages,
Nos cœurs bercés paf la chanson calme des mers...


— Regarde frissonner notre vieille frégate
Appareillant déjà pour de nouveaux départs...
― Mangeons des souvenirs dans la coupe d'agate,
Mangeons les grappes d'or des souvenirs épars.

 Mars 1890.

G.-Albert Aurier.

NOTICES LITTÉRAIRES


LAURENT TAILHADE
I

 L'homme connu, c'est quelque étrange et prestigieux qualificatif, tel que satrape, archimandrite ou prince du Saint-Empire, que l'on rêverait d'accoler à son nom. Et le fait est qu'il s'évoque pourpré, avec, dirait Verlaine, des somptuosités persanes et papales. Je ne sais pas d'artiste plus soucieux de sa personne, qu'il compose et raffine à la façon d'un poème. On ne le rencontre que rasé, verni, ganté. Tout ce qui émane de lui, ses lettres même ont un parfum aristocratique et doux. Il se vêt d'habits singuliers. On le vit, à Toulouse, porter la bure en signe de deuil. M. Jean Lorrain a cité de lui, quelque part, sa prédilection pour les gilets de soie éclatants et tumultueux. Naguère encore, affublé d'une cape, ne suggérait-il pas, dans les ruelles torves du quartier Notre-Dame et du Marais, une vision de Salamanque!
 Ses gestes, son langage ne sont pas moins apprêtés que ses vêtements. Servi autant par les richesses d'un esprit abondant que par les ressources d'une érudition profonde, c'est un causeur émérite, tel que je ne lui sais de comparable, parmi les gens de cette fin de siècle qu'il m'ait été donné d'entendre, que Villiers de l'Isle-Adam et Stéphane Mallarmé, avec chacun, je n'ai pas à le dire, un tour d'esprit propre sur lequel je me propose de revenir un jour.
 Chez Bruand, au Vachette ou dans le salon de la comtesse Diane, M. Tailhade fait revivre le langage à facettes et la préciosité fleurie de Voiture. Il y ajoute de l'incisif et du mordant. Il a des mots cinglants, des réparties féroces, et les velours de son élocution savante ne dissimulent pas toujours les griffes d'une ironie acérée. Avec cela, d'une humeur bouillante et d'un sang qui, à la moindre alerte, se retrouve espagnol .
 C'est lui qui, un soir, au café, invectivait de la sorte un pleutre borgne, attablé près de lui :
 « Je vous envie, monsieur : à l'heure de la mort, vous n'aurez qu'un œil à fermer et point d'esprit à rendre. »
 C'est encore lui qui, d'un feuilletoniste outrecuidant jusqu'à s'attribuer la traduction de je ne sais quel roman slave, disait :
 « Admirons bien humblement l'ingéniosité de cet auteur qui, ne sachant ni le russe ni le français, a su converser l'un de ces idiomes dans l'autre. »
Plus d'une des blessures qu'il fit à l'amour-propre d'autrui saigne encore. Demandez plutôt à Maizeroy, à Jean Rameau, à Pierre Loti et à tant d'autres. Sa haine a cela de bon, d'ailleurs, qu'elle ne s'attaque guère qu'à des parvenus de lettres. De bonnes âmes lui souhaiteraient plus de charité chrétienne. Je ne puis me ranger à leur opinion, estimant que nous aurions trop à y perdre.
 N'allez point au moins, sur la foi de cela, vous figurer Tailhade un triste et un rageur, une façon de Bloy ou de Huysmans. Il a des heures de haut comique, où il ne dédaigne pas les mystifications. Sur le boulevard Saint-Michel, de Bullier au café du Soleil d'Or, il effare les malheureuses filles qui traînent là une jeunesse d'emprunt et les médiocres résultats d'une élégance appliquée, en s'approchant d'elles, tout velours et leur flûtant des sucreries aigres de ce genre :
 « Desservie par un visage tel que le vôtre, madame, la prostitution doit être un métier bien pénible ! »
Ou encore :
 « Vous m'inspirez un sentiment bien pur : l'horreur du Péché ! »
Non moins amusant, certes ! quand, parmi des artistes, il s'écrie, avec dans les yeux toute l'amertume d'un Ovide exilé :

Cette noble lyre,
Dieux ! que ne l'ai-je eue !
Je voudrais tant lire
Des vers de Baju!

 Je me souviens d'une nuit où, pénétrant dans un lieu toléré, le chapeau à la main, et tout le Grand Siècle dans sa révérence, il disait à la dame de comptoir :
 — « Ne pourriez-vous, madame, résoudre le doute où je suis de la présence en ces lieux de monseigneur le nonce apostolique ? »
 Et tout aussitôt de ressortir, imperturbable, tandis que, ne pouvant croire à tant de rouerie, les consommateurs s'interrogeaient du regard, pensant découvrir parmi eux le saint prélat.

II

 Dans les lettres, M. Tailhade débuta Parnassien. C'est au Jardin des Rêves qu'il dut de goûter le miel premier des renommées glorieuses. Ce volume renferme des choses fortes ou simplement gracieuses, où se trahit un culte appliqué de Banville. Je m'abstiens — encore que quelque douceur m'y serait départie — d'insister sur ce recueil, puisque l'auteur s'est mis en tête de le désavouer.
 Il est constant que M. Tailhade a, depuis, évolué du tout au tout.
 Dans Lutèce, cette feuille impertinente et savoureuse, à côté du Maitre Verlaine et de poètes succulents, tels que Griffin, Ajalbert, de Régnier, Dumur, Tailhade contribua à précipiter le mouvement décadent. Il formait avec Vignier et Moréas ce qu'on était convenu d'appeler le trio de fins poètes. Ces poètes se faisaient remarquer surtout par un soin de la forme minutieux jusqu'à l'excès et par la notation des sensations les plus fragiles.
 Lutèce morte , Tailhade poursuivit au Décadent (deuxième série) le cours de ses exploits avec plus de virtuosité que jamais. Là éclate dans toute sa splendeur, vers et prose, le magnifique, le radieux Tailhade. Et pourtant, ces choses splendides, le poète déclare n'y attacher d'autre importance que celle d'un menu tapotage au piano, soucieux, ajoute-t-il, de n'être point confondu avec les bardes irrémédiablement confits en Trissotin.
 A côté de poèmes catholiques fervents, il offre à l'admiration des poèmes d'un paganisme aigu. L'inconséquence est plus apparente que réelle, ces poèmes divers provenant tous d'un même fonds de sensualisme oriental qui est l'essence même de sa nature. Tailhade est surtout un plastique; toute la nature physique, les fleurs, les diamants, les métaux rares, les étoiles, s'épanouissent dans ses vers abondamment. Sa religion est surtout décorative. L'imagination s'y échauffe plus que le cœur. Ce qu'il chante, c'est, avant tout, la pompe extérieure du culte, c'est le flot d'encens à travers les vitraux orfèvres, le flamboiement des dalmatiques, la somptuosité des chapes, c'est toute la féerie des vêpres où des mousselines, de la soie et des velours processionnent dans le bruit montant des orgues et le concert des voix éperdues ; ou bien c'est la langue des offices du soir :

Un soir de flamme et d'or hante la basilique,
Ravivant les émaux ternis et les couleurs
Ancestrales de l'édifice catholique.

Et soudain — cuivre, azur, pourpre chère aux douleurs,
— Le vitrail que nul art terrestre ne profane
Jette sur le parvis d'incandescentes fleurs.

Car l'ensoleillement du coucher diaphane,
Dans l'ogive où s'exalte un merveilleux concept,
Intègre des lueurs d'ambre et de cymophane.

Il vit avec les saintes images.

J'ai choisi pour l'aimer d'une amour enfantine,
Sur l'icône enfumé peint aux quatre couleurs,
Un barbare portrait de Sainte byzantine.

.....................
Afin que soient les âmes tristes pardonnées,
La Sainte aux yeux plus purs que l'Onde et que le Soir
Croise dévotement ses mains prédestinées,

Ses belles mains qui n'ont touché que l'encensoir
Et l'unique froment réservé pour l'Hostie,
Et les nappes de lin où l'Agneau vient s'asseoir.

Limpide, avec l'immarcescible Eucharistie
Du pâle front auréolé de cuivre bleu,
Sa chair porte le scel de sa gloire impartie.

Ainsi dans la vapeur des baumes et le jeu
Des orgues, et le chant des vieux antiphonaires,
Elle écoute l'appel ineffable d'un dieu.

Et l'orgue, déroulant sa plainte et ses tonnerres,
La caresse de mots énamourés; le chœur
Des hymnodes lui dit les proses centenaires;

Car son âme ingénue et forte, son doux cœur
De neige, comme un vol béni de tourterelles,
Ont fui ce monde impur où le Deuil est vainqueur
.....................

 Ne vous semble-t-il pas que, pour si transportés qu'ils soient dans une sorte de région immatérielle et de rêve, ces poèmes témoignent surtout d'une délectation purement physique ? Quoi d'étonnant que le Poète ait la même flamme dans la voix pour chanter le bel azur de l'Hellade, la fleur païenne des lauriers-roses,

Et Narcisse au grand cœur qui mourut de s'aimer.

 Lisez Psaume d'Amour, lisez Hymne Antique, et vous constaterez qu'il y brûle la même ardeur sensuelle, et que c'est le même cœur qui s'applique à des soins différents. Partout d'ailleurs le coloriste triomphe, et vous trouverez dans ses poèmes (ai-je dit que M. Tailhade était d'origine basque?) toute la radieuse mollesse, tout le lumineux velours des toiles de Murillo.

III

 La partie la plus savoureuse de son œuvre en est la moins austère. Il a cultivé un genre spécial de ballades et de quatorzains d'une bouffonnerie quelque peu acerbe, dont il reste — en dépit de toutes revendications possibles Coppéennes et Banvillesques — l'initiateur. Son esprit caustique et mordant s'y exaspère, et c'est d'un tour de bras preste non moins que vigoureux qu'on l'y voit fustiger tout ce ramassis de filles du monde, de bas bleus avariés, de rastaqouères de lettres et de pleutres circoncis qui encombrent notre littérature et nos boulevards. C'est un carnaval réjouissant où peu d'épaules esquivent les étrivières. A côté de cela, des strophes d'art pour l'art, d'un délié qui va jusqu'à l'évanouissement, d'un délire abondant qu'Aristophane lui-même n'a pas connu, et qu'il lui a plu de sigiller de ce pseudonyme cocassement épique : Mitrophane Crapoussin.
 Toutes ces pièces éparses en mille revues vont incessamment paraître en librairie. Les quatorzains et les ballades s'étiquèteront « Au Pays du Mufle », et les autres poèmes, tout de mysticisme et d'orfèvrerie, formeront le recueil pancarté « Sur champ d' or » Ce sera pour l'un de mes amis du Mercure de France l'occasion de vous en reparler, avec plus d'autorité et tous les développements désirables.
 En attendant, je ne puis résister au désir de vous citer un sonnet du poète. C'est un peu du Tailhade à l'eau de rose, mais beaucoup d'esprits délicats préfèrent ce Tailhade-là, et d'ailleurs le sonnet n'a pas encore été publié, que je sache.

HÉLÈNE
(Le laboratoire de Faust daus Wittemberg)

Des âges écoulés j'ai remonté le fleuve,
Et, le cœur enivré de sublimes desseins.
J'ai quitté le Hadès et les ombrages saints
Où l'âme d'une paix immuable s'abreuve.


Le Temps n'a pu fléchir la courbe de mes seins.
Je suis toujours debout et forte dans l'épreuve,
Moi, l'éternelle vierge et l'éternelle veuve
Que la guerre a bercée aux clameurs des tocsins.

O Faust! je viens à toi du sein profond des Mères.
Pour toi, j'ai vaincu l'ombre pâle où des Chimères
Tragiques et les Dieux roulent ensevelis.

J'apporte à ton désir, du fond des jours antiques.
Ma gorge, dont le Temps n'a pas vaincu les lis,
Et ma voix assouplie aux rythmes prophétiques.

 En résumé, l'œuvre de Tailhade est considérable — considérable — j'y insiste, à l'adresse surtout de ces gens de lettres qui vont encombrant les comptoirs de librairie de leurs intarissables productions mort-nées, et qui affectent de priser un confrère au poids de ses volumes. En dépit de ses trois livres, le poète est jeune encore (il n'a que trente-cinq ans), et c'est une sorte d'Achille tout bouillant de projets. Il ne m'appartient pas de dire quelles affres poignantes ont blanchi ses cheveux et ridé sa tempe avant l'heure, mais j'ai bien le droit de rappeler que la vie fut dure à ce délicat. Si sa voix longtemps fut silencieuse, c'est qu'elle était étouffée de trop d'orages. Ce n'est pas de tous — et c'est tant mieux! — que l'on peut dire : Impavidum ferient ruinæ:.

Ernest Raynaud.

ORGUEIL


J'ai secoué du rêve avec ma chevelure.
Aux foules où j'allais un long frisson vivant
Me suivait comme un bruit de feuilles dans le vent;
Et ma beauté lançait des feux comme une armure.

Au large, devant moi, les cœurs fumaient d'amour:
Calme, je traversais les désirs et les fièvres;
Tout drame ou comédie avait lieu sur mes lèvres;
Mon orgueil éternel demeurait sur la tour.

Du remords imbécile et lâche je n'ai cure,
Et n'ai cure non plus des bâtardes pitiés.
Les larmes et le sang, je m'y lave les pieds!
Et je passe fatale ainsi que la Nature.

Je suis sans défaillance, et n'ai point d'abandons.
Ma chair n'est point esclave au vieux marché des villes;
Et l'Homme, qui fait peur aux amantes serviles,
Sent que son maitre est là quand nous nous regardons.

J'ai des jardins profonds dans mes yeux d'émeraude,
Des labyrinthes fous, dont on ne revient point.
De qui me croit tout près, je suis toujours si loin,
Et qui m'a possédée a possédé la Fraude.

Mes sens, ce sont des chiens qu'au doigt je fais coucher.
Je les dresse à forcer la proie en ses asiles.
Puis, l'ayant apportée, ils attendent, dociles,
Que mes yeux souverains leur disent d'y toucher.

Je voudrais tous les cœurs avec toutes les âmes !
Je voudrais, chasseresse aux féroces ardeurs,
Entasser devant moi des cœurs, encore des cœurs...
Et je distribuerais mon butin rouge aux femmes.

Je traîne, magnifique, un lourd manteau d'ennui
Où s'étouffe le bruit des sanglots et des râles.
Les flammes qu'en passant j'allume aux yeux des mâles
Sont des torches de fête en mon cœur plein de nuit.

La haine me plaît mieux, étant moins puérile.
Mère, épouse, non pas : ni femelle vraiment !
Je veux que mon corps vierge, ainsi qu'un diamant,
A jamais comme lui soit splendide et stérile.


Mon orgueil est ma vie, et mon royal trésor ;
Et, jusque sur le marbre où je m'étendrai, froide,
Je veux garder, farouche, aux plis du linceul roide
Une bouche scellée, et qui dit non encore.


Albert Samain.

DÉCOUPURES

I

LE GARDIEN DU SQUARE


C'est, entre une caserne haute et l'échafaudage d'une maison qu'on ne finit pas de construire, un square pauvre.
 Si on osait en comparer la verdure à quelque tapis, ce serait à une carpette usée et souillée par des chaussures sales. Les oiseaux ne s'y posent plus. On ne leur a jamais jeté de mie de pain, et peut-être qu'elle leur serait volée! Aucun industriel n'a jugé commercial d'y installer une bascule automatique.
 Sur les bancs aux dossiers durs, les pauvres bâillent, dorment la bouche ouverte aux feuilles tombantes, ou bien ôtent leurs souliers et font prendre l'air à des pieds impurs et malades qu'une mère ne reconnaîtrait pas. Quelques-uns lisent des bouts de journaux sans date, qui ont enveloppé du fromage. Ils y cherchent des chiens à retrouver.
 Sorti de son kiosque, le gardien du square se promène en uniforme vert, tenant ferme la poignée de son épée afin d'éviter ses crocs-en-jambe. Il dévisage ces déguenillés, toujours les mêmes et toujours là, qui lui font honte. Volontiers, il les provoquerait. Sournoisement, chaque matin, il croiserait des baguettes sur les bancs sans cesse enduits de peinture fraîche.
 Mais ces meurt-de-faim y prendraient-ils garde? Ils sont assez las pour dormir sur des culs de bouteille.
 Puisqu'il n'a que de pareils êtres à surveiller, ses fonctions lui semblent basses et la supériorité en ce monde une chose vaine.
 Soudain, il reprend tous les pouces qu'il avait perdus de sa taille, et sourit : un couple lui arrive d'un monsieur et d'une dame bien mis, qui marchent lentement, hanche contre hanche.
 Le gardien se cambre, avec une mimique gracieuse et discrète, comme s'il voulait faire les honneurs et inviter Madame et Monsieur à s'asseoir... oh! cinq minutes seulement!
 Mais le couple passe, laissant derrière soi une odeur fine que tous les nez respirent pour la porter à tous les cœurs. Le parfum d'une femme ne donne-t-il pas l'envie de s'attabler à son corps?
 Le gardien se penche sous un peu plus d'humiliation .  — « C'est ma déception quotidienne, se dit-il. Comment d'honnêtes gens proprement vêtus s'arrêteraient-ils au milieu de cette gueusaille? »
 Il rentre à son kiosque, et, découragé, par les vitres, d'un œil méchant, surveille (il le faut bien!) cette troupe infâme et sans étage qu'il ne peut pas mettre à la porte de chez lui.

Jules Renard.

Pour Adolphe Retté.

En mon rêve, où régnait une Magicienne,
Cent violons mignons, d'une grâce ancienne,
Vêtus de bleu, de rosé, et de noir plus souvent,
Se mirent à jouer — il semblait pour le vent...
Des musiques de la couleur de leur costume,
Mais où pleuraient de folles notes d'amertume,
Que la Fée, une fleur aux lèvres, sans émoi,
Ecouta longuement se prolonger en moi,
Et dont j'ai transmué l'écho, pour lui complaire,
En ces joyaux voilés d'ombre crépusculaire,
Qu'orfèvre symbolique et pieux j'ai sertis
A sa gloire,

QUAND LES VIOLONS SONT PARTIS



LA MALE HEURE

Pour Ernest Raynaud,


Les doux printemps d'illusion sont révolus :
Au ciel, que les soleils ne glorifieront plus,
Vois accourir, à la fanfare des rafales,
Les galères de neige en foules triomphales.

Des ailes ont voilé d'un augural linceul
Le refuge d'azur qui nous demeurait seul;
La désolation solitaire des grèves
Envahit le jardin que fleurirent nos rêves,

Tout se déchire en de funèbres nudités:
Les grands lis ingénus et les ferventes roses
Sont partis à la bise en papillons moroses,

Le rire est mort dans les bosquets désenchantés,
Où désormais retentira la voix sans leurre
Du vain clocher d'espoir qui tinte la male heure.

Edouard Dubus.

LES RELIEFS


NOCTURNE

à J.-K. Huysmans.

La Ténèbre va communier.

 Ce spectacle, on dirait tel fusain d'Appian que, potache, il fallait éclairer moyennant la boulette de pain.
 La frivole brise est partie, ayant remis en chignon ses tresses imperceptibles qui tournent la tête aux moulins ; mais elle oublia sa fille, brisette à l'usage des poupées.
 Une pie, réintégrant son marronnier, ferme et déferme sa lettre de faire part.
 Le silence pose ses agrafes. Cependant un gravier d'insectes — maquillage bavard — persiste sur les formes du sol.
 Se recueillent les vignes, comme si la dégringolade apoplectique du Soleil avait ôté l'envie de rire. Dans l'heure agenouillée, les arbres semblent des examens de conscience ; seuls, les rochers sacripantalement songent.
 L'ombre n'est-elle pas la couleur du mystère?
 Passe une dernière escouade de corbeaux : cimetière qui a des ailes.
 La chauve-souris éparpille ses coups d'éteignoir sur les premières lampes qui se déclarent, pareilles à de grandes soifs petitement chosifiées. Son vol hybride, construit d'hésitations entre l'aile et le museau, évoque, par ses angles obtus puis aigus, le mètre ouvert puis replié des charpentiers en velours côtelé.
 Déjà, sur les chevalets d'herbe, les vers copient les étoiles fraîches ainsi que des caresses.
 Ne se distinguent plus les fleurs ; mais le parfum — cette romance pour narines — les divulgue à la façon de la prière sur les tombes.
 Ce vêpre égalitaire escamote ma teinte originale et me fait le noyé d'une atmosphère sans-culotte.
 Puisque l'obscurité submerge l'apparence, vaudrait-il pas mieux, au crépuscule, ôter ses yeux, ses ongles et ses poils, son squelette et sa chair — comme après la bataille un soldat sa ferraille — et, les sens gardés, rester âme uniquement?
 Telles que des pudeurs alarmées, les maisons se sont closes ; le ver-à-soie des cheminées se tarit parmi les tuiles. Des ombres chinoises, sur les rideaux, trahissent que les gens s'alitent : certaines images, couchées dans le lointain Livre d'Heures, ressuscitent en la mémoire de ma main.
 D'un logis où s'ingénie une dot, par fines pluies d'arpèges, la Prière d'une Vierge s'épivarde : quelque demoiselle avec ses doigts fuselés apprivoisant la mâchoire, aux dents cariées de bémols, d'une tarasque moderne.
 Là-bas, hargneuse breloque du portail, un dogue expectore son catarrhe contre la charrette, flanquée d'une limousine blasphémante, qui se disloque en passant.

La Ténèbre communie.

C'est comme un jour d'été vu par des besicles noires.
 Des obsèques où l'on se fiancerait.
 Si c'était qu'il neige des cheveux blancs d'on ne sait où?
 Si c'étaient, en maraude, des cygnes invisibles ou bien des âmes visibles presque?
 Si c'était une immense robe de veuve sur laquelle deux seins, fraîchement décaressés, auraient pleuré un lait vain désormais?
 Si c'était que les morts font sécher les linceuls? Ne pleut-il pas sur leur néant quand rarefois l'étang de nos regrets déborde?
 Ces hypothèses écartèlent mon œil et mon crâne.
 Un bal d'araignées a donc lieu sur ma peau que, toute, elle frissonne?...
 Sans doute cela vient de l'immobilité lugubre des peupliers encagoulés...
 Oh! là-haut — du moulin décapité : puits céleste — ces gestes orphelins qui s'élancent à la délivrance de leurs membres captifs en le donjon de mon Imagination!...
 Une peur d'enfant m'envahit soudain, allumant le désir de me réfugier dans des jupes de nourrice. Si j'ouvrais la bouche, on verrait mon cœur flamber peut-être.
 Voilà que les choses abandonnent leur ombre comme un manteau qui traîne...
 Ce taillis va-t-il pas dégobiller, le sale-bougre muet, d'avoir mis sa langue roide dans son poing?...

 Voilà que, de par une course inconsciente, je me trouve à la lèvre d'un précipice. Suis-je donc un bonbon, qu'il m'ait si goinfrement souhaité, cet abîme : appétit en permanence?...
 Soudain les ecclésiastiques cyclopes de pierre, à l'œil horaire, psalmodient l'alexandrin de bronze sur les choses dont l'ombre s'abandonne en manteau qui traîne.
 Une naïve appréhension de mort laïque me tire la ficelle du bras qui fébrilement signedecroise ma personne.
 Vite, par chance, se m'offre un grand verre d'espace : cognac du père Adam. Réquilibré, sonorement je ris ; — mais je médite : le courage n'est parfois que la cuirasse étincelante de la peur.
 Et maintenant la nature m'a l'air d'une négresse en chemise, poudrée à frimas.

La ténèbre communie.

Cette façon d'aube les dupant, les coqs écorchent leur coqueluche laborieuse dans les granges diverses. Cela fait, sur la paille, grogner les palefreniers, préfaces de la besogne. Mais ils ont une très vieille montre de famille ; un clin rapide vers son minocturne mariage d'aiguilles les fait se r'inhumer en l'Imagerie qui ne se voit que les yeux clos.
 J'ambule, l'œil au firmament.
 Aussi mon pas empreint son poids dedans la merde chue de l'oméga des rustres qui sans gêne ou pressés furent.
 Au creux du val, entre les nichons de collines, stagne la Mare brouillée comme un œil d'androgyne. Sur ces bords-ci — sourcils en quelque sorte — des ifs singent Hamlet de l'Esplanade ; sur ces bords-là — cils alors — des joncs entre lesquels le savoir place en filigrane un guet-apens de faunes rigoleurs.
 Un peu partout, au seuil de l'eau, feuilles de salade vivante, les Grenouilles bégueulent tandis que les Crapauds, chanoines gras, daignent laisser choir un rare avis de basse-taille.
 Lorsque, inopinément, un Serpent gicle en lazzi d'un sureau creux et menace du courant d'air de son corridor les Bavardes Vertes.
 Plic! plac ! ploc!
 Et le Serpent, devant les rides ironiques de la Mare et les pieds de nez des ifs, rentre au fourreau de la déconvenue.
 Le chien s'est tu, le catarrhe guéri par le sommeil ; le coq ne met plus son coquelicot sonore à la boutonnière de l'heure. Mais encore, très loin, se disloque la tardive charrette conduite par ce capucin du transport dont la discipline fouette le silence.

 La ténèbre a communié.


SAINT-POL ROUX.





  Tome I.— Provence, 16-17 août 87.

CONTES D'AU-DELA


LA MARGUERITE


« ... Une vapeur lourde et froide enveloppe les choses, les vagues choses du matin, de sa laiteuse transparence : ce sont des arbres, qui se dressent informes, grands, plaquant leurs silhouettes muettes, immobiles et sombres, près du vide de la route, ainsi qu'une haie, bien alignée, de hauts gardiens noirs. Rarement apparaissent des ombres mouvantes, qui passent dans la brume.
 Les feuilles mortes jonchent la terre de leurs petits cadavres roux ; et de cette terre, de cette pauvre terre dépouillée, toute nue, ridée de sillons bruns, vient une inexprimable tristesse, qui monte, monte, envahit tout de sa morne angoisse, et ouate mon âme d'un mélancolique brouillard de regrets...
 S'enfuient les longues fumées blanches. De fantômes pâles, ce sont les insaisissables robes. Elles volent, frôlant les cîmes des arbres, se déchirant parfois à leurs branches sans s'arrêter, elles volent, poussées par une bise hurlante qui les chasse, impitoyable. Mais voilà qu'un décor plus précis, scintillant de rosée, sort de ces voiles déchirés. Le charme est-il rompu, que cessent les fantastiques apparences, et que disparaît l'envoûtement qui tenait cachée la nature sommeillant?
 A l'Orient, un soleil rouge teinte de sang les nuées lumineuses, aux reflets diaphanes d'opale ; et, par la plaie faite aux nuages lointains, s'aperçoit un coin de ciel bleu, de ce bleu passé d'aigue-marine ou de turquoise.
 Ah! clairs réveils, réveils joyeux, réveils resplendissants des étés chauds, où êtes-vous?
 Jolies fillettes aux cheveux blonds, aux cheveux bruns, toujours beaux ; gaies fillettes en robes claires, qui couriez, suivant les libellules rapides, près des ruisseaux où fleurissent les nénuphars, où êtes-vous?
 Et vous aussi, rêves d'or, flamboiements d'idéals entrevus, volutes bleues de cigarettes blondes, roses décloses au bord des chemins, baisers d'amantes, ivresses partagées...
 Sont-ce pas eux qui s'envolèrent tantôt, devant l'Heure implacable, fuyant sans trêve dans le Présent triste, frêles illusions si vite évanouies?...

Cette pâquerette! — ô l'ironie poignante, contenue en cette fleur de printemps, née là, un jour d'hiver — cette pâquerette mignonne qui s'entrouvre!
 ... Oui, ce fut une marguerite toute semblable, que j'interrogeais avec Elle.
 Etait-ce hier?
 Non ; il y a plus longtemps que cela ; et je me souviens.
 Maintenant, elle est morte!
 Ah, cette petite fleurette des champs, comme elle paraît innocente, virginale! Elle aussi, me semblait plus pure même qu'un lys.
 Maintenant, elle est morte ! Ses yeux, ses yeux de pervenche... ils ne se rouvriront plus, et plus jamais, non, plus jamais, elle ne boira mon âme, de ses lèvres aux mystérieuses caresses, de ses lèvres rouges, de ses lèvres chaudes.
 Comme elles doivent être froides, à présent!... Mais pourquoi revient-elle ainsi, en mon âme, moi qui croyais avoir pu oublier. Oui, je la revois, la frêle et charmante créature, qui n'est plus... Un soir, où les étoiles riaient dans les cieux assombris, un soir tiède de printemps, je l'avais rencontrée — cette marguerite qui s'effeuille en mes doigts, étrangement! — Des parfums pâles montaient des fleurs endormies. Qu'elle était belle !... Un peu...
 Un peu... beaucoup!. ..
 En effeuillant la marguerite, elle riait, d'un rire franc qui la secouait toute, et découvrait ses dents, ses adorables petites dents, blanches ainsi que de blancs pétales de camélia. Sa silhouette cambrée, se profilant dans les demi-teintes d'un dessous de bois, où l'épaisse torsade des cheveux blonds brillait seule, nimbe d'or, est demeurée assez précise en ma misérable cervelle pour la troubler encore. Quoique très enfant, elle avait, en même temps que ces gentillesses mièvres de gamine, un fonds de délicatesse, plus sérieuse, de femme.
 Passionnément... passionnément!...
 Certes, ce fut passionnément que je l'adorai. A voir parfois, en son visage à l'ovale délicat de vierge, luire un instant ses yeux de violette, d'un éclat humide, tout mon être pantelait sous le poids d'un ineffable bonheur, et mes moelles tressaillaient d'une obscure, vibrante et indéfinissable volupté. Elle avait fait de ma vie la sienne ; et j'ai cru, insensé, que cette félicité pouvait ne pas finir! J'ai cru cela — alors, les églantiers rosissaient, les bois se drapaient d'émeraude, nous allions tous deux sous le soleil chaud. — Maintenant, les buissons sont défleuris, les branches pleurent leurs feuilles ; il fait froid, et je suis là, sans elle... Hélène!... Hélène!...
 ...Oh, l'inoubliable, l'horrible sensation !... je ne rêve pas... mes mains sont mouillées d'une tiède rosée... comme en cette nuit affreuse. — Non, ce sont des larmes !
 Pourquoi, pourquoi ce souvenir toujours revient-il m'angoisser, comme un terrible cauchemar? C'est vrai, elles ne sont pas rouges, mes mains... mains de brute... mains qui l'ont tuée...
 J'avais veillé ce soir-là. Penché sur ma table, travaillant, par la porte entrouverte me parvenait le bruit rythmé de sa respiration. Elle dormait.
 Me suis-je assoupi ? Sans doute ; car, à un moment, reprenant possession de moi-même, comme au sortir d'un rêve — ah! il commençait, le rêve, rêve lugubre et trop réel — j'entendis un bruit anormal dans la chambre. Est-ce à ce moment que j'eus l'atroce idée de me saisir d'une arme ? Et pourquoi ? — Mais qui dira jamais les causes obscures, secrètes, confuses des obéissances irraisonnées, des aveugles, des complaisantes soumissions aux ordres de l'Inconscient ! — Brusquement j'entrai, et je vis un homme, un autre, couché là, près d'elle... Encore, à cette heure, la vision m'obsède, de sa précision troublante et funeste. Là, elle est là... C'est l'ombre fauve de ses cheveux qui lance ainsi des rayons d'or sur la liliale floraison des chairs nacrées, que teinte imperceptiblement d'azur le délicat réseau des veines transparaissantes. Ce sont eux... devant moi... ce sont eux... et ils rient, je crois... Ah!...
 Ai-je fouillé le lit de mon couteau? Il ne me souvient plus. Je suis, il me semble, tombé sur un fauteuil, très las, hébété ; et tout était rouge... rouge... le lit, mes mains!... Et tandis que le corps chéri tiédissait à côté de moi, un sommeil noir m'envahit. Je dormis très bien, cette nuit-là.
 Le lendemain, les yeux dessillés à peine, le cadavre de l'aimée m'apparut, seul ; et je compris que j'avais été la victime des hérédités malheureuses, et d'une mensongère hallucination.
 A moins que... le coupable... l'autre... ne se soit enfui... Doute cruel, pesante incertitude... Ma raison chancelle ; et... je ne sais pas.
 Oh! si cela était!... Non, je suis un misérable.
 ...Hélène, Hélène... ne viens pas ainsi me torturer de ton regard accusateur... Quels yeux de reproches tu fixes sur moi !... Dis-moi — quel cercle de feu étreint mes tempes — dis-moi que tu pardonnes.
 Passionnément... Pas du tout!
 Chère âme, tu es vraiment belle ainsi. Mais... cette marguerite est rouge... et qu'as-tu donc sur tes vêtements... Du sang!... du sang... le ciel aussi en est rouge, et j'en vois danser des taches devant moi...
 Oh! je souffre, je souffre! Mon Dieu... Hélène... »


Gaston Danville.


DE LA VÉNALITÉ DE L'AMOUR
CHEZ LA FEMME


De tous les grands instincts, celui qui est désigné de ce nom l'amour est le moins tyrannique, le moins irrésistible, le moins important au fonctionnement de l'être, celui qui peut s'exercer avec le plus de liberté et de fantaisie. Tandis que respirer, manger, boire, dormir, se mouvoir, penser, exprimer, sont des besoins quotidiens, plusieurs de tous les instants, et les quatre premiers essentiels à la vie, aimer est un besoin secondaire. On ne peut pas se représenter l'homme sans respiration, sans alimentation, sans sommeil ; on ne peut guère se le représenter sans mouvement, sans pensée, sans expression ; on peut se le représenter sans amour.
 Mais l'amour est de tous les instincts celui dont la satisfaction procure les plus vives jouissances : jouissances telles que celles de se nourrir, de boire, de bouger, de penser, ne soutiennent pas la comparaison. Aussi a-t-il pris facilement la première place dans les préoccupations humaines. Attisant les facultés seusuelles de l'organisme en ce qu'elles ont de plus attrayant, il a réussi à tellement obséder l'âme qu'il est l'instigateur des plus absorbantes passions, et que, pour un grand nombre d'individus, il forme l'unique mobile et la raison même de l'existence.
 Ce qui distingue l'amour de la plupart des autres instincts, c'est ceci : il faut être deux pour le satisfaire. L'amour, en effet, n'est pas autre chose que l'attraction qu'éprouvent les deux sexes l'un pour l'autre en vue des voluptés concomitantes aux manœuvres de l'acte de la reproduction.
 Il semblerait donc que, l'homme et la femme se trouvant en amour dans la condition de deux facteurs qui se sont réciproquement nécessaires, la mise en commun de leurs spécialités respectives dût s'opérer librement, au pair, et par la vertu même de leur mutuel désir.
 Mais il n'en est point ainsi.
 La femme, qui, par une équitable logique, devrait échanger ses services contre ceux de l'homme, dont elle a le même besoin, la femme, sans éprouver le moindre scrupule et comme si c'était une chose vraiment naturelle, les lui vend.
 Toutes les femmes se vendent.
 C'est-à-dire :les femmes ne donnent jamais leur amour contre l'amour des hommes ; les hommes sont obligés de fournir aux femmes, outre leur quote-part d'amour, des rémunérations en espèces et en marchandises suffisantes à assurer à celles-ci l'oisiveté de l'existence, où elles n'ont plus d'autre peine que celle de chanter leur partie dans le duo génital.
  « L'homme doit entretenir sa femme » : cet aphorisme moral, répété d'âge en âge sous le double sceau de la religion et du code, montre bien que chaque femme est, en effet, une femme entretenue.
 Dans notre société, la vraie condition de la femme est de ne pas travailler. Aussitôt sorti des classes infimes de la population, où la femme ne travaille que par l'insuffisance des gains de l'homme à l'entretenir, on voit s'épanouir le ménage bourgeois dans sa banale ignominie : l'entreteneur se harassant et suant à la conquête pénible du métal, usant ses forces, épuisant l'ingéniosité de son esprit à de durs labeurs créateurs d'aisance et, si possible, d'opulence, élaborant minute après minute ses projets absorbants, acharné dans sa perpétuelle lutte pour le bien-être ; l'entretenue jouissant tranquillement et abondamment des biens amassés, sans autre souci que celui de les dépenser, dilapidant à sa guise, se parant à grand renfort de robes coûteuses et de chapeaux ruineux, dissipant avec joie ses journées à courir les magasins de modes, à babiller chez ses amies et à se montrer plus ou moins décolletée en public, dansant, dévorant des romans, faisant de la musique et, le plus souvent, trompant son protecteur pour tout merci.
 Et c'est cet état de choses qui est considéré comme normal, qui est voulu par la société et proposé en but enviable à ceux dont les moyens ne sont pas encore de luxe à le réaliser!
 Dès que l'ouvrier gagne dix francs par jour, sa femme déserte l'atelier et, fidèle enfin à elle-même, savoure la satisfaction de ne plus se donner que contre argent. Elle se sent du même coup supérieure à ses voisines moins chanceuses, qui en sont encore à collaborer humblement à l'œuvre du pain quotidien. Ambitieuse de grimper, rongée du besoin de la fille tolérée qui veut passer au rang de grande courtisane, elle s'efforce d'éclipser ses compagnes par ses dépenses, et, pour subvenir aux frais que son orgueil occasionne, excite le mari, comme une bête de somme qu'on fouette, à gagner, à gagner, pour pouvoir la payer davantage et la poser plus grandement.
 C'est à cela qu'elles visent toutes : dépouiller l'homme le plus possible, se vendre le plus cher possible.
 Elles établissent bien entre elles une distinction ; elles se divisent en honnêtes femmes et en prostituées : mais ce n'est pas une simple différence de forme. La prostituée est vénale en cynique ; elle agit ouvertement, affiche son tarif, ne demande pas une autre chose à l'homme que son argent, et, si un seul amant ne suffit pas à sa voracité, remplace sans aucune gêne la qualité par la quantité. L'honnête femme est vénale en hypocrite ; elle couvre de l'égide des mœurs le marché qu'elle fait de son amour, il n'est pas question de prix dans le traité qu'elle passe avec l'homme mais d'entretien, elle réclame en outre de celui-ci une position sociale, des honneurs, et de la société des respects, elle s'engage publiquement à ne se donner qu'à celui seul auquel elle s'est liée, et si, par plaisir ou par intérêt, elle se livre à d'autres, éviter le scandale est son suprême souci. La différence apparaît même plus spécieuse encore : car pour les neufs dixièmes des gens, ce qui distingue une honnête femme d'une prostituée, c'est que la première a passé devant le maire. Ces intègres censeurs ne voient pas au-delà : la maîtresse la plus dévouée et la plus fidèle ne saurait, à leurs yeux, prétendre à ce titre d'honnête femme, dont ils affublent l'épouse la plus dissolue. Ont-ils parfois songé qu'en vraie logique et en pure morale il ne peut y avoir d'honnête que la femme qui gagne sa vie par le travail et, librement, sans fausse promesse, se joint à l'homme en un coït gratuit pour l'unique satisfaction de ses besoins passionnels?
 Une catégorie de femmes semble échapper, il est vrai, à l'opprobre de la vénalité de l'amour : ce sont les femmes dotées. Celles-ci s'avancent vers l'homme non plus en mercenaire qui, bassement, s'étale et se fait valoir, mais en puissance égale, avec une noble fierté et tenant en main l'argent. Celles-ci ne se font pas acheter, car elles se suffisent à elles-mêmes : elles possèdent les rentes, qui les rendent honorables, indépendantes et dignes. Parfois même - surtout si elles sont laides et peu propres à déchaîner les désirs - on les voit jouer le rôle de l'homme et domestiquer bellement les piètres individus assez dénués d'orgueil et de ressources pour se laisser corrompre par une dot. Mais le principe n'est pas atteint pour cela. Qu'est-ce qui crée la femme riche? Est-ce le travail de la femme? Non, c'est le travail de l'homme. Si ce n'est toi, héritière, qui t'es vendue, c'est ta mère : c'est la vénalité de ta mère qui te fait aujourd'hui superbe. Remonte à l'origine de ta fortune, tu trouveras l'homme : et tu es ainsi vénale comme les autres, tu détiens ce qui n'appartient pas à ton sexe, et certaines législations l'ont compris en te déclarant impropre à hériter.
 Et sur le million de femmes qui échauffe Paris, à côté de ses deux cent mille filles publiques, de ses trois cent mille femmes du peuples, de ses quatre cent mille petites et grosses bourgeoises, de ses cent mille dames du monde, toutes vénales de fait ou d'instinct, je vois à peine quelques milliers d'énergiques travailleuses, qui ne se marient que quand elles ont amassé leur dot, ou qui, pour rester indépendantes, tiennent à ne jamais faire tort d'un sou à ceux qui satisfont leurs sens, et, sans que cela soit pour elles de nécessité, ne demandent qu'à leur propre effort le pain dont elles ont besoin.
 Cette simple remarque, d'ailleurs, pour établir le niveau moral des femmes. De la plus humble des filles de cuisine à la plus altière des duchesses, y en a-t-il une qui ne considère les cadeaux de son amant,comme dus, qui rougisse de les recevoir et, si quelque homme est assez osé pour user d'elle sans la payer, qui ne dise avec indignation : C'est un misérable?
 Cette autre remarque. Il s'échange chaque nuit à Paris quelque deux cent mille baisers. Pour un quart, au moins, l'homme répugne à la femme ou lui est complètement indifférent : la femme s'est crûment vendue. Pour un second quart, l'homme procure un agrément à la femme : mais l'intérêt seul a guidé le baiser ; la femme compte être rémunérée ; le jeu lui plaît, mais elle joue pour gagner. Pour la moitié, la femme aime l'homme : cependant, si grand que soit son amour, ce baiser, dont elle jouit, elle en profite en même temps ; si même elle n'y mêle aucune pensée de lucre, ce baiser, elle le sait, lui vaut la délivrance du souci matériel de l'existence, lui crée le loisir du lendemain, lui procure l'aisance, lui donne peut-être la richesse ; ce baiser entraîne après lui obligation pour l'homme de couper sa bourse en deux moitiés et d'en jeter la plus grosse à ses pieds.  Et c'est ainsi que la plus sainte des épouses se trouve, en stricte morale, ravalée au rang de la plus vile des créatures.
 De ces constatations de graves conclusions sociales doivent être tirées.
 Car de deux choses l'une :
 Ou l'homme aime plus et mieux que la femme : il a plus faim qu'elle d'amour, et — ainsi que dans tout échange où l'offre et la demande ne sont pas équivalentes — il lui faut payer cet excès de passion. Mais alors, la femme n'est plus qu'une marchandise, c'est une esclave sujette à la traite, et puisqu'elle se fait acheter elle se dénie le droit de disposer librement d'elle-même. Alors, c'est une espèce inférieure, soumise à la suprématie de l'homme, sa propriété, indigne de la qualité de personne morale, dont les trahisons peuvent être châtiées suivant le bon plaisir du maître, et qui doit être séquestrée dans les harems comme des chevaux à l'écurie.
 Ou la femme en est réduite à se vendre par la faute de l'homme, qui ne lui laisse pas prendre dans la société la place qu'elle est capable de tenir. Écartée systématiquement de tous les emplois par lesquels l'homme crée la richesse, repoussée de tous les métiers, reléguée hors des industries, des commerces, des exploitations du sol, vouée uniquement aux occupations improductives, elle s'est trouvée dans la situation de ces Juifs du moyen-âge, qui, se voyant fermer tous les accès aux vocations loyales, se sont rués dans la seule voie restée ouverte, et, de même qu'ils se sont mis à trafiquer de l'argent, elle a entrepris de trafiquer de l'amour. Alors, une réforme importante de la société s'impose. La femme doit être mise sur le même pied que l'homme, dotée des mêmes libertés, munie des mêmes moyens de produire. Rendue à sa dignité d'être humain, elle se hâtera de conquérir la plus noble des indépendances, celle qui fera d'elle l'égale respectée de celui qui a maintenant le droit et le devoir de la mépriser. — Et l'amour sera enfin l'amour , c'est-à-dire la fréquentation désintéressée des sexes pour l'engendrement réciproque des joies suprêmes de l'existence.

Louis Dumur.

BALLADE

SUR LA FÉROCITÉ D'ANDOUILLE


« Le Serpens qui tenta Eve estait
andouillicque, ce non obstant est de luy
escript qu'il estait fin et cauteleux sus
tous aultres animans. Aussi sont Andouilles. »



(Pantagruel. Livre IV, chap. xxxviii)


Loups-garous, stryges et harpie,
D'aucuns ont un mufle camard ;
Chez d'autres le groin copie
Estramaçon ou braquemard.
Empouses, lion de Saint Marc,
Amphiptère jamais bredouille,
Crocute aux pinces de homard,
Qui plus est maupiteux? L'Andouille.

Ogresse léchant sa roupie,
Babeau vêtu de poulemart,
Fane aux yeux clairs et malepie,
Caciques de Gustave Aymard,
Les Cauchemars goûtent comme art
Extasié la bonne « douille ».
Mais, du brucolaque au jumart,
Qui plus est maupiteux? L'Andouille.

Chimère aux sables accroupie,
Nains cagneux supputant le marc
Du teston ou de la roupie ;
Voici, malgré Pline et Lamarck,
Entre Suresnes et Clarmart,
Voici l'étrange niguedouille
Frémine avec son galimard.
Qui plus est maupiteux? L'Andouille.

envoi

Prince, banneret, jacquemart,
Tous et même coquefredouille,
Rifflandouillez sur le trimard
Qui plus est maupiteux? L'Andouille.


INTIMITÉ


A monsieur F. C., de l'Institut.


Or Marpha *** trônait en robe verte.
— C'était bien peu de temps après la découverte
Du téléphone et des pastilles Géraudel. —
La Marpha paraissait un sujet de bordel.
Ce néanmoins, et faisant trêve à leurs tapages,
Les pessimistes et les rimailleurs — quels pages!
Ornaient ses vendredis tumultueusement.
Et Marpha qui goûtait des monceaux d'agrément
Popinait au « Bas-Rhin » — luxe cardinalice!
Elle dormait sous des tapis de haute lice
Et le michet — qu'il fût Falstaff ou bien Hotspur,
Trouvait, sous sa toilette, un bidet d'argent pur.

On la payait trois francs, jusques à quatre même.
Pour un tel prix, la Mousse d'Or qui souvent m'aime
Fréquenterait avec le plus obscène juif.

Les bottes de la Dame étaient pleines de suif
Et le beurre inondait ses épinards.


On dit que

,


Pour les reins affaiblis du magistrat sadique
Et le contentement des chanoines pansus,
Tels flagellants secrets par ses mains étaient sus.
Le pianiste Saut-du-Toit, que chacun gifle,
Pour l'amour d'elle eût assumé quelque mornifle,
Nonobstant les garçons du café Roy ; Baju.
Le stupide Baju qui dit : « Jè, Ji, Jo, Ju »,
Cet Anatole (si Baju !) que l'on encense,
Tripudiait, affolé de concupiscence
Quand elle éructait sur un chaudron de Gaveau.

C'est pourquoi j'écris l’Art d'accomoder le Veau.


Laurent Tailhade.

PROSES DE DÉCOR

LA MER SPOLIATRICE (I)

 Tel qu'un enchantement vague et bleu, de rêve, la mer étend à l'infini son immobilité de lac sous la blafarde lueur d'un insolite crépuscule. Au long des rivages, croulés de vétusté, l'orle écumant du flot vient mourir et s'étale, tandis que des vols épars de blanches mouettes planent en des cris plaintifs, tournoient vers les récifs du large. Le ciel, sans un nuage, garde encore la flottante tendresse de teintes apalies de mauves et de lilas, qui se foncent aux violets du zénith. Mais là-bas, sur l'horizon, la gloire agonise du soleil, dont la sanglante rougeur tache les brumes envahissantes et va disparaître, en ce soir définitif, de la terre condamnée. L'énorme boulet achève son incendie séculaire; déjà son ruissellement orgueilleux a péri sous les funèbres voiles montés de l'Océan. Et dans l'air chaud et lourd, où pèse l'angoisse d'une attente et la terreur de l'irrévocable, des sanglots se lèvent du rivage avec la brise odorante des collines de roses. La voix, la grande voix gémissante de la mer, s'est assoupie et berce le désespoir des hommes. Et voici que d'autres voix répondent, dominant la confuse mélopée du ressac et les clameurs de misère; des voix de révolte, qui accusent et blasphèment...

chœur des poètes

 — Nous l'avons aimée, la mer! nous l'avons aimée !... N'a-t-elle pas le charme étrange des divinités perdues? n'est-elle pas incertaine et changeante comme la fiction de nos âmes ? — Douce et calme, parfois, telle que la pure fiancée des songes, — fantasque et câline et perverse comme une maîtresse, — c'est elle, toujours, que nous acclamions, majestueuse comme une souveraine, jusqu'en ses hurlements de folie, jusqu'en ses sursauts de rage, et poussant l'escalade de ses lames blêmes de colère contre les flancs des navires et le granit des môles.  Nous l'avons aimée, la mer, la bonne dévastatrice et l'épouse de nos représailles. Lorsqu'elle bataillait, fastueuse et farouche, aux abruptes falaises, lorsque, la houle déchirée aux dents aiguës des rocs, elle venait encore défoncer les bastions et les remparts des villes, c'était la joie des calamités vengeresses. La nuit, nous l'écoutions râler le cantique des morts. Avec des glapissements et des imprécations et des menaces, elle nous criait l'assaut, et les murs s'écroulant sous ses coups de bélier. Elle crachait sur le défi des peuples les épaves de leur procérité dérisoire. Et seule proférant le mépris et la vanité de leur conquête, elle demeurait l'insoumise et la rebelle, et payait notre vieille injure et contentait nos haines.
 Et nous l'aimions, la mer, et nous disions ses légendes, ses palais de nuages grandis au souffle des tempêtes ; ses embrasements prophétiques par la quiétude des soirs, reflétant les combats des satans et des archanges ; et ses caresses consolatrices aux pauvres cœurs meurtris. Nous l'aimions, la mer, et maintenant elle nous trahit et nous dédaigne; elle nous prend l'extase du soleil qu'elle ensevelit silencieusement dans sa robe livide. Il ne nous restera que de tristes flambeaux pour les marches triomphales, et le deuil inamissible profanera les bois sacrés et l'effigie des dieux. Les lampes des catafalques devront éclairer les festins des terrasses, et la chevelure d'or et les seins et le cher visage frivole des amies. Et la pourpre épuisée du couchant, après qu'aura sombré l'antique et impérial décor, nous n'aurons pas même à conter le tragique et l'effroi d'un désastre, l'horreur et la magnificence des suprêmes catastrophes!...

chœur des matelots


 — Maudite soit la mer,la mer spoliatrice! Combien des nôtres n'a-t-elle pas engloutis, et combien de vaisseaux? Sait-on les armadas perdues, les cités submergées, le caprice où naufragea l'aube de notre opulence, et toute la détresse d'un peuple errant à la pitié des rafales? Faut-il des sacrifices encore et jeter des victimes aux gouffres allouvis? — Les mères ont prié pour le retour des nefs, madones compatissantes; sur les marches des autels, aux clartés pâles des cierges, les prêtres officient et lèvent le calice vers le Seigneur de Miséricorde. Pour ceux qui sont en route au péril de l'Océan, qu'on nous accorde un jour, un seul jour de surséance. Les astres maintenant abolis, des plaines sidérales,ne les guideront plus vers le port coutumier. Écoute, Seigneur, écoute le glas des cloches et la rumeur des oraisons, regarde s'approcher dans les palmes et les dalmatiques le lugubre troupeau des suppliants ; regarde-les qui tendent les bras et s'écrient et implorent ; regarde se prosterner les diacres et les légats, et les évèques de ton culte. Par leurs mains, leurs mains sacerdotales, les mains dont la bénédiction te dévouait la mer du passé favorable, suspends, Seigneur, suspends les funérailles du Soleil. Permets le miracle et la pérennité de ce soir moribond ; prolonge ces lueurs de désuétude ; et conduis les navires et les Hottes, Dieu secourable, car sans toi nos frères ne reviendront plus, sans toi nos frères ne reviendront jamais...


***


 Mais la froide et fantomatique lumière de l'Occident faiblit encore. Sur les nations agenouillées et les collines de roses, et la mer étendant à l'infini son immobilité de lac, l'ombre descendait, déroulait ses plis de linceul, teignant la flottante tendresse des teintes apâlies de mauves et de lilas. Graduellement, les ténèbres se refermèrent, laissant à peine le blanc portique d'une clarté indécise, qui plana sur la tombe du Royal interdit. De compassion, sa défaillante fierté se réverbéra sur les crosses et les mitres, arracha de suprêmes étincelles aux bagues épiscopales. Et dans la paix mystique de cette vespérale défaite, on vit des barques pavoisées s'éloignant sous la cadence des rames, déployant des voiles et des banderolles. Au pied des mâts et sur les poupes, on distinguait les formes liliales de femmes essaimant des fleurs dans le sillage. Le vent apporta des chants de citharèdes , des soupirs et des langueurs de harpes éoliennes ; et ces voix s'atténuant, et la méprise de ces virginités, évoquaient les vieilles parthénies et les convois des vestales...
 Cependant, les voix, sur l'eau, très loin, disaient :
 — Femme blonde, sœur de péché! Femme de mon cœur! Sœur de ma chair! Ton cœur étrange et doux, le cher cœur de nos rêves ; ton cœur aventuré, la belle aux cheveux roux; ton cœur s'endort— ton pauvre cœur — ton cœur est mort!
 Fille de roi, fille d'amour! Est-ce la mort du rêve, ou rêvons-nous la mort et l'exil éternel de l'erreur charitable? — O sœur de mon péché, comme ton cœur est triste — ton triste cœur — comme ton cœur est las!... On entendit encore :
 — C'est le soir bienvenu de notre délivrance ; voici neiger l'oubli sur nos joies criminelles et voici le repos du sommeil reconquis ! .. Nous emportons le fol espoir et la beauté des pécheresses ! Vos cœurs n'auront plus à saigner — vos lamentables cœurs — filles d'amour sont en allées !...
 Les barques et les voiles peu à peu s'évanouirent, disparurent dans les maléfiques vapeurs du large. Et rien ne demeura que le sanglot des hommes et le ricanement sinistre du flot — qui déferlait dans la nuit inexorable, par l'immensité des grèves.

(1) La musique, pour soutenir ces déclamatious, et les chœurs, sont de M. Eugène Lacroix.

Charles Merki



LE THÉÂTRE D'ART

Le Théâtre d'Art, ancien Théâtre Mixte, nous a donné, salle Duprez, son spectacle de novembre, en cinq pièces.
 Le Débat du Cœur et de l'Estomac, farce nouvelle fort bonne et fort joyeuse, par Alexis Martin, à quatre personnages : c'est assavoir, etc.
 Nous n'avons rien à ajouter au sous-titre, M. Alexis Martin ayant promis qu'il ne recommencerait plus, faute de temps. Toutefois rééditons le joli trait que lui a coquettement décoché M. Francisque Sarcey : « L'auteur a pris le vers de huit syllabes, en usage chez nos vieux conteurs de fabliaux, et il l'a relevé par la richesse de la rime et le soin curieux de la forme. C'est un pastiche ingénieux et qui revèle une main très habile. »
 Ah le méchant !
 Pourquoi les acteurs se sont-ils refusés à dire : « parbleu »? toute la couleur locale est là. L'homme ne change que de jurons. Soignez votre texte, mes enfants, et prenez garde à la peinture. — Dites-moi, monsieur, ils mangent de la soupe, est-ce de la vraie? —• Oui, mon ami, de la vraie, je l'ai vue. C'est le directeur qui l'a apportée dans son chapeau.
 La Voix du sang, un acte en prose, par Mme Rachilde.
 Mais c'en est! En voilà, du théâtre neuf, peu de décor, pas de ficelle. Aucun a-parte. Jamais de fausse sortie. C'est, pour parler le langage de fruitier qui est maintenant à la mode, une tranche de vie amère.
 Dans un petit salon bourgeois clos et chaud, deux bourgeois digèrent des bécassines et causent. Il ne disent pas leur nom, c'est bien inutile, ni leur âge qu'ils ont oublié. Ils sont le mari et la femme. Ils échangent avec placidité, avec des temps, avec mesure, leurs idées rares sur la littérature, les cuisinières, sur le progrès, et sur l'avenir d'un fils unique. Ils ont ce qu'il faut d'esprit et de cœur dans un intérieur confortable. Soudain, ils dressent l'oreille à cause du trop de bruit qu'on fait en assassinant dans la rue.
 Le Mari : Quelques sales voyous.
 La Femme : Comme on entend bien !
 Ils ont le don de cruauté infus, et, le sang muet, disent doucement des choses féroces.
 La Femme : J'enverrai la bonne aux racontars.
 Le Mari : Nous lirons ça demain. Allons nous coucher.
 Ils iraient : la porte s'ouvre. Leur fils, qu'ils croyaient rentré, tombe à leurs pieds mortellement frappé. Rideau.
 C'est fini. Il n'y a pas de second acte. Sans attendre la « suite », que chacun tire la conclusion qui lui convient.
 Voici quelle pourrait être celle du directeur du Théâtre d'Art :
« Je tâtonne et cherche, le nez en l'air, d'où souffle et même d'où siffle le vent. Ce doit être de ce côté. J'y vais ».
 Dans la petite salle, les lettrés se cambraient glorieusement, comme si la pièce eût été d'eux, et le public, en attendant la suite avec plaisir, souriait finement. Il comprenait, lui aussi, pourquoi pas ?
« Une pièce de Mme Rachilde ! disait-il, avant, aurons nous de la musique, au moins? — De quoi? — Oui, pour couvrir décemment les paroles? » — « Mais enfin, où est la moralité dela chose? — Vous ne la voyez pas? là, un peu à droite, dans le cœur du concierge, derrière sa montre à répétition. » — « Il me semble que ces gens parlent comme vous et moi. — Comme vous, oui, mais comme moi, permettez, j'ai fait mes classes! » — « Oh! ce fichu! si elle garde ce fichu, la pièce le sera. » — « Qu'est-ce qu'il y a sur la cheminée : une pendule, une tirelire ou un petit banc sous un mouchoir à carreaux? » — « Où est le sang? Quand on tue quelqu'un, ça fait du sang? — Monsieur, tout le monde n'a pas des chemises de rechange. » — « Je trouve que l'assassin crie trop fort. — C'est vrai,un homme qu'on assassine n'a qu'à se taire. » — « Voilà M. Sarcey. Oh! ces jeunes! tous les mêmes! Ils s'enrouent à insulter ce brave homme, et, dès qu'il paraît, il se précipitent tous pour le porter sur leur dos (tonneaux, chand'd'tonneaux) jusqu'à sa place. » — « Qu'est-ce qu'il dit de la pièce de Madame Rachilde? — Il dit: Ah! moi je veux bien! — Hein! quel bon sens! » — « Pourquoi donc cette actrice est-elle si grande? — Pour décrocher le lustre en cas d'incendie. » — « Tiens, on distribue des coupe-papier. Une idée de Mme Lynx; c'est gentil et cela vous remet. J'en bourre mes poches, moi. Dis donc, petit Carillon, donne m'en encore dix. » — « Monsieur, vous qui avez l'air d'être quelque chose dans l'administration, est-ce que les cartes d'invitation numérotées sont celles qui ne comptent pas? Voici mon numéro. Où est ma place? — Monsieur, je le regrette, on s'est assis dessus.

 Morized, mystère en deux tableaux, par M.  Jules MéryMusique de scène de M. Ludovic Ratz.

 Que manque-t-il donc à cette pièce qui semble avoir tout pour elle ? En effet, elle possède des Bretons, un chêne germé d'un gland, une fleur sans parfum comme sans vertu inutile, l'écuyer Lannik, un glas, un fossoyeur, un baiser qui est un coup de couteau, un spectre qui parle en vers ou en prose, au choix, et de la musique de scène. Ne lui manquerait-il que de l'originalité ?
 Elle est bien écrite, en un style d'une élégance latine, un style de gens qui mettent des odeurs sur leurs mouchoirs, et les épithètes et les noms y sont dans un état constant d'indivision.
 Des baisers éternels flottent dans l'air tiédi... leurs parfums plus doux encensent les cieux calmes.
 Avec un peu plus de rime, ce serait insupportable.
 Elle est en outre, cette pièce, fort eurythmique, comme dirait mon ami Vallette. Les personnages se mettent tous en colère ensemble et paraissent sans cesse obéir à une sorte de commandement. Un, deux, trois, les voilà partis :
 Owen : Tu en aimes un autre. — Morized : J'en aime un autre. — Owen : Et il t'aime. — Morized : Il m'aime... — Owen : Morized ! — Morized : Laissez-moi. — Owen : Je t'aime. — Morized : Laissez-moi. .
 Owen : Tu es belle. — Morized : Laissez-moi. — Owen : Tu es mienne. — Morized : Laissez-moi . .  Owen : Tu n'iras pas. — Morized : J'irai. — Owen : Tu n'iras pas. — Morized : J'irai........
 Owen : C'est moi qui t'aurai. — Morized : Jamais. — Owen « : C'est moi qui t'aurai..........
 D'ailleurs ces remarques sont enfantines. Morized appartient à un genre de pièces qui plaisent ou déplaisent, on ne sait pourquoi, et vous mettent en bonne ou mauvaise humeur sans qu'on puisse dire autre chose que : j'aime ou je n'aime pas ça. Le public de la répétion générale lui a fait un accueil froid, celui du lendemain s'est montré très satisfait. M. J. Méry aurait grand tort d'avoir quelque considération pour le premier.
 — « Monsieur, qu'est-ce que cette horloge ? — C'est un spectre. » — « Et ce paquet de limaces blanches? —C'est un fossoyeur qui s'est renversé du cierge sur le ventre. » — « Que dit M. Sarcey ? — Il dit : en somme, le temps passe. — Quel sang-froid ! » — « Quelle est, à côté de lui, cette ouvreuse déguisée en homme et dont la langue siffle, tricuspidale comme celle de Neptune ? — Serait-ce Willy ? » — « Ne te semble-t-il pas que ces chœurs chantent faux? — Oh toi, tu demanderais à un chien d'aboyer juste. »

 Les Gueux, Sur la lisière d'un bois, pièces tirées du Théâtre en liberté de Victor Hugo.

 Oh ! un faune ! — un faune pour de bon. C'est M. Raynaud qui l'a prêté. Il en élève en plaquettes: « Le Signe. Les Chairs profanes, les Cornes du faune; envoi franco contre des timbres-quittance » — « Pourquoi parle-t-il si longtemps, celui-ci? — Dame, l'autre ne veut rien dire. » — « Mais ils sont très bien, ces vers-là; qu'est-ce que les journaux ont donc à écrire du mal de ce pauvre monsieur George : il a presque autant de talent que son grand-père. » —
 « Le directeur devrait bien changer son souffleur. — Mais c'est le souffleur qui dirige. »
 II convient, pour terminer, d'offrir aux acteurs, aux actrices (voir le programme), « à toute la troupe », un fort bouquet de louanges. Mais ce qu'il faut surtout vanter, c'est la bonne grâce avec laquelle ils acceptent modestement de petits rôles, dans des pièces non encore jouées d'auteurs qui ne sont pas trop célèbres.

Jules Renard.

AU THÉÂTRE LIBRE


 Soirée du 26 novembre 1890. — L'amant de sa Femme, par aurélien scholl. — Monsieur Bute, par maurice biollay. — La belle Opération, par julien sermey.

 Quelques esprits fort ardents, encore jeunes et d'une illusion infatigable, s'imaginent que M. Antoine s'est engagé à leur offrir un chef-d'œuvre par mois. Aussi, lorsque la représentation n'a pas répondu à ce programme, crient-ils volontiers et très ridiculement à la trahison. Il est vrai — et c'est ce qui fait grand honneur à cette entreprise — qu'on ne va pas au Théâtre Libre comme on va dans la plupart des salles de spectacle de Paris : tuer une soirée, se distraire dans la mesure du possible et n'y plus penser. Chez M. Antoine, on vient chercher du nouveau, de l'inédit, du rare, de l'artistique, de l'intellectuel; la curiosité est vivement surexcitée, on cause de la pièce avant son apparition, on en discute après, on s'attend toujours à quelque événement. Mais, ce que l'on ne demande pas même à la Comédie Française une fois par an, comment l'exigerait-on du Théâtre Libre une fois par mois? Non, M. Antoine n'a nullement promis à son public des chefs-d'œuvre mensuels. Il s'est proposé seulement — et ce seulement est déjà beau — de doter la vie littéraire contemporaine de spectacles intéressants, composés hors de toute compromission avec les goûts de la plèbe, désintéressés, laissant aux auteurs l'intégrale liberté de leur pensée et donnant ainsi — autant que possible — la note juste sur l'évolution actuelle de l'art en matière dramatique. A ce point de vue, qu'elles soient fructueuses ou non d'applaudissements et d'éloges, les soirées du Théâtre Libre demeurent toujours caractéristiques.
 Celle du 26 novembre, la deuxième de la saison, qui a excité, plus encore qu'il n'est concessible, les malveillances peu spirituelles de la presse, si elle n'a rien mis au jour d'extraordinaire, a du moins maintenu à la hauteur habituelle les traditions (peut-on parler de traditions au Théâtre Libre?) de sincérité, de recherche, d'horreur du banal, de vérité dans l'interprétation, de courage, d'hospitalité en honneur dans la maison.
 Ce n'est pas que les trois pièces du programme méritent au même titre l'attention, soient dignes à un même degré de sympathie. Je ferais assez bon marché de l'acte de M. Scholl. Cet opuscule n'est remarquable ni par le fond, ni par la forme. Sa thèse — car, ô Dumas, c'est une pièce à thèse ! — pose qu'un mari, pour ne pas être trompé par sa femme, ne doit pas se contenter de l'embrasser entre les yeux et les épaules : ce qui se démontre par un souper fin et des tapisseries renouvelées. Admirez, ô moralistes! Le dialogue, très superficiel, est jonché de ces faux bous mots de l'esprit boulevardier, qui extraient un rire douteux au moment où ils sont jetés, et paraissent aussitôt si bêtes qu'on a honte de les répéter. La chose est exquisément mise en scène, et jouée à ravir par MMmes Sylviac, une savoureuse vicomtesse, et Régine Martial très experte, et par M. Antoine, qui a composé son personnage, avec une intelligence excédant vraiment la valeur du rôle.
 Si la pièce de M. Julien Sermet est une comédie, elle n'est pas assez comique ; si c'est un drame, elle n'est pas assez dramatique ; si c'est une satire, elle n'est pas assez satirique ; si c'est une fumisterie, elle n'est pas assez fumiste ; si c'est de la vie, elle n'est pas assez naturelle. Des choses excellentes et qui auraient paru d'observation profonde si elles avaient été mieux présentées : la scène des potins, pendant l'opération chirurgicale ; le retour des médecins après la non-réussite. A retenir le mot de la fin, bien déduit, et qui est du même ragoût que le : « A la bonne heure ! » du médecin de Monsieur Bute.
 Monsieur Bute, c'était le morceau de résistance. J'avoue ne pas très bien comprendre les critiques auxquelles cette pièce a donné lieu. Il me semble que l'étude de M. Biollay est, au contraire, fort judicieusement menée. Les événements s'y succèdent naturels, implacables, logiques, pour aboutir sans déviation à cette effrayante scène de folie et de meurtre, qui est une des choses les plus empoignantes que j'aie vues au théâtre. Cela est d'autant plus fort que les personnages ne sont point à proprement parler intéressants, qu'il n'y a pas d'intrigue de passion savamment excitatrice, que c'est la vie, aussi simple, aussi banale, aussi triste, aussi répugnante que possible, primentée seulement par l'étrangeté de la position sociale du héros. Pourquoi un bourreau? s'est-on écrié en chœur. Ce sont de ces questions qui m'ont toujours paru d'une inutile niaiserie. Il faut, je pense, accepter le sujet d'un auteur et ne s'occuper que de la manière dont il l'a traité.
 M. Biollay a voulu — et c'était son droit, n'est-ce pas ? — observer chez un bourreau un cas de folie causée par l'amour propre blessé à la suite d'une révocation brutale et injuste. Cela posé — qu'on ergote ou non sur l'opportunité de la matière — il faut reconnaître que M. Biollay a conduit son action avec intensité, discernement, justesse, puissance d'expression, trouvailles d'effets, haut comique de mots, et marché a son dénouement sans avoir rien laissé au hasard ou à la négligence. La place m'est trop limitée pour insister, pour montrer, par exemple, que telle scène jugée superfétatoire, comme celle de l'interview, si joliment menée par M. Antoine, bien loin d'être inutile, concourt nécessairement au strict développement du drame. On doit attendre beaucoup de M. Maurice Biollay. Ce qui l'a desservi, c'est le coté un peu spécial de sa donnée. M. Damoye incarne superbement le personnage de Fraulin. Remarquable aussi Mme Barny dans son rôle de vieille bonne.

Louis Dumur.

LES LIVRES (1)



 Les Chants de Maldoror, par le comte de Lautréamont, avec une lettre autographe de l'auteur, un frontispice de José Roy, et une notice de l'éditeur (L. Genonceaux). — M. Remy de Gourmont devant consacrer à ce livre son prochain article, nous nous contenterons aujourd'hui de signaler cette œuvre étrange, et de féliciter M. Léon Genonceaux de l'avoir remise en lumière et dans une édition si soignée. A. V.

 Poésies et poèmes en prose, par Ephraïm Mikhael (un volume de la petite bibliothèque littéraire, chez Lemerre). — Voici rassemblées eu un livre, hélas posthume ! toutes les œuvres d'Ephraïm Mikhaël. Jamais la stupide immoralité des choses n'apparaît plus cruellement qu'aux heures mauvaises, où s'en vont ceux dont les lèvres mystérieuses nous révélaient les secrets du rêve et les magnificences cachées de la parole. Ici le deuil est plus tragique : car nul mieux que ce jeune homme de vingt-quatre ans n'a dit l'irrémédiable tristesse de vivre, la vanité de la joie et de la douleur, la double déception de l'esprit et de la chair, ni mieux rendu leur gloire primitive aux mots les plus simples, aux mots des petits enfants et des humbles, comme mauvais, saint, heureux, doux:
 Laisse les vendangeurs en leurs mauvaises vignes.
 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 Et pour avoir dormi sous de saintes étoiles.
 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 Rendit ses douces mains comme des fleurs de paix.
 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 Prés des nymphes riant dans les fleuves heureux.
 C'est qu'il eut par dessus tout les deux dons merveilleux qui sacrent les poètes : celui de créer des personnages symboliques qui représentent en eux toute une partie d'humanité, et celui d'inventer des images qui rendent sensibles ces êtres de fiction. Et tous sont nés de sa parole évocatrice; ils sont sortis à son appel des terres invisibles, tous, le Solitaire du parc clos aux voix du monde,la Dame en deuil éternellement incertaine entre le cilice et les baisers,le Mage incapable de haïr les barbares qui deviendront les héros des légendes futures, et la divine Etrangère lapidée par les femmes et les prostituées, en haine
 . . . . . . . . . . . .de l'amour, des rêves et des dieux et le Chevalier captif de la Magicienne
 Qui méprise la guerre à cause de la gloire
et dont l'amour seul peut remplir

. . . . . . . . . . . . . le grand coeur ténébreux
Divinement élu pour les douleurs obscures.


 Il a revêtu les princesses et les guerriers d'éclatantes simarres et de radieuses armures et leur a donné à chacun un geste et une attitude spéciale. Son œuvre cependant décèle une parfaite unité de conception, de langue et de rhythme depuis le premier poème : Rêves et désirs, écrit en juillet 1884, jusqu'à cette suprême ébauche en vers libres et assonants, datée d'avril 1890 :

Le ciel, ce soir, est un rideau de fière pourpre
Et d'or féroce et d'orageuses broderies.
Ecoute! au delà des champs on entend sourdre
Je ne sais quel bruit de magiques cavaleries
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

jusqu'à la dernière pièce achevée : A Celle qui aima le Cloître, dont je veux détacher les strophes finales, plus significatives que toutes les louanges :

Tous les deux, nous avons trop longtemps contemplé
Les nuages en fuite et les roses du cloître ;
Notre puissant amour pourra durer et croître,
Notre cœur restera divinement troublé.
Peut-être expions- nous l'ivresse merveilleuse
D'avoir rêvé jadis à des pays meilleurs ?
Nous sommes les amants tristes parmi les fleurs
Et même le bonheur ne te fait pas joyeuse.

P. Q.

 Mikhaël fut doué d'une surprenante précocité, surtout, c'est rare, comme prosateur. A dix-neuf ans il écrivait des pages tout à fait charmantes par la franchise de la philosophie, telles que Le Magasin de jouets, avec, déjà, de jolis bouts de phrases : « Ces belles Poupées, vêtues de velours et de fourrures et qui laissent traîner derrière elles une énamourante odeur d'iris... » Dans Miracles, l'incroyance au divin est analysée avec une belle sûreté de main et d'intelligence ; presque partout, on sent un esprit maître de soi et qui tient à ne revêtir de la forme que des idées qui valent la forme. Spécialement l'attirent les légendes significatives et révélatrices d'un état d'âme hermétique : il aime la magie et le prodige, les créatures oppressées de mystère et qui ont « mal à la raison ». Le chef-d'œuvre des proses, c'est Armentaria, poème très pur, très clairement auréolé d'amour, — fleur cueillie en quelque légendaire, qu'il métallisa sans rompre une nervure, sans briser une pointe, sans troubler une nuance, fleur mystique et candide, flos admirabilis ! Il y a des lignes comme celle-ci ; Armentaria dit : « Soyons purs dans les ténèbres et allons au ciel silencieusement. »

R. G.


 Thaïs, par Anatole France (Calman Lévy). — M. A. France, ne le sait-on pas bien, est parmi les plus subtils et les plus délicats. Il serait, dans l'empire où régnerait M. Renan, prince. Est-ce un éloge ? L'écrivain est de bonne race. Le penseur a renoncé. Tous les partis que peut prendre la raison humaine, ils le disent, sont également inconsistants et nous n'avons guère à choisir que parmi de plus ou moins plaisantes erreurs. M. France a fait son choix d'erreurs. Il serait imprudent de lui opposer les nôtres. Est-il nécessaire de discuter les siennes ? Il y tient si peu !
 Vous savez quelle belle légende, celle de Thaïs. Quel merveilleux poème dormait là, qu'un poète avec quelque foi — eût-elle été éphémère pourvu qu'elle eût été sincère dans l'instant — aurait écrit pour toujours. M. A. France :
 « Anachorètes et Cénobites...estimaient que les maladies de nos membres assainissent nos âmes et que la chair ne saurait recevoir de plus glorieuses parures que les ulcères et les plaies. Ainsi s'accomplissait la parole des prophètes : « Le désert se couvrira de fleurs... » Les diables qui livrent de si rudes assauts aux bons anachorètes n'osaient s'approcher de Paphnuce. La nuit, au clair de lune, sept petits chacals se tenaient devant sa cellule, assis sur leur derrière, immobiles, silencieux, dressant l'oreille. Et l'on croit que c'était sept démons qu'il retenait sur son seuil par la vertu de sa sainteté... »
 Agréable ironie ! Le ton bon enfant était-il parfaitement en harmonie avec la gravité — pourtant! — du sujet? M. A. France l'a pensé.
 Ce Paphnuce, abbé miraculeux d'Antinoï, s'en ira dans Alexandrie, pour y chercher la grande courtisane Thaïs et la ramènera, comme une proie, dans l'aride paradis de la Thébaïde. Mais, blessé dans ses sens par la beauté, tandis que l'impure deviendra une sainte, le saint sera livré à tous les démons de toutes les concupiscences. Thaïs va mourir : Paphnuce est là, l'exhortant, le sacrilège confesseur, à la vie, à la joie, au plaisir, à l'amour. Vénus, vaincue dans son trône d'Alexandrie, prend au désert une épouvantable revanche.
 Croit-on cette fable bien logique ? La puissance mystique assez haute naguère pour renverser les remparts païens dans toute leur gloire, pour arracher au myrte royal d'Alexandrie sa plus splendide fleur, — pouvait-elle, cette vertu de la foi et de la charité, périr de sa victoire même ? Le fallait-il ? Pourquoi ?
 Cela sans doute est indifférent. Dans l'erreur qu'il lui plut d'élire cette fois, M. A. France a suivi, je pense, quelque voie vaguement scientifique, et personne n'ignore plus, n'est ce pas, que ces âmes furieuses et tendres, ces Pères de la Thébaïde n'étaient que de pauvres hystériques à la merci du mal affreux qui avait éteint leur intelligence. Soit! Des « Savants » l'ont « dé-mon-tré » et je ne veux point discuter leur compétence. Soit ! Mais j'ai choisi une autre erreur...
 Au secondaire(2) point de vue de la littérature, la nouvelle œuvre de M. A. France est des plus recommandables.

Ch. Mce

 Les Œuvres et les Hommes, par J.-Barbey d'Aurevilly. Tome XII. Littératures étrangères (Lemerre). — Dernières Polémiques, par le même (Savine). — Le premier de ces volumes contient, entre autres, les études sur Shakespeare, Sterne, Heine, Hoffmann, Gœthe, Gogol, Dante, Swift, Byron, Léopardi, E. Poe. Parmi les pages du second : La Cuvette de Sainte-Beuve. Le Robespierre des honnêtes gens, les Singes à l'Académie, les Petits grands Hommes, les Filles, Bas-Bleus et Ratés, etc. C'est toujours, qu'il rédige en poète érudit de l'histoire littéraire ou qu'il s'emballe, en journaliste de violence et d'ironie, sur les minces faits de l'actualité, le grandiloquent et inquiétant d'Aurevilly. De ces produits d'un labeur excessif que lui imposa l'indifférence contemporaine pour les œuvres d'art, la publication n'est pas inutile. Nous devons connaître ses œuvres complètes; son génie impose la déférence de ne mépriser rien de ce qui s'élabora dans une cervelle si merveilleusement compliquée. Cette série, qui aura près de vingt volumes, ne le fait pas plus haut, mais elle le fait plus vaste. La femme dévouée à la tombe et au nom qui a entrepris ce monument doit donc, pour sa persévérance, être humblement remerciée par tous les amants de la littérature aurevillienne.

R. G.

 L'Imprévu, par Gustave Guiches (Tresse et Stock). — Il ne suffirait pas de dire que ce roman est un livre du genre amusant, attachant, un livre pour femme et qui finit presque bien. C'est encore, surtout dans les deux cents premières pages, une étude rare et originale du « soi ». Léon Dussol y cultive son égoïsme avec amour, comme une tulipe monstrueuse. Il se connaît, s'approuve et s'enivre de son vin. S'il refuse de l'argent à un inventeur, c'est parce qu'il ne veut point « encourager certaines folies ». A-t-il fait un serment à une femme, il trouve aussitôt de solides raisons pour être parjure. En effet, « un engagement obtenu par des procédés de séduction auxquels succombent les volontés les plus fermes ne saurait être valable ». Cette femme qui dérangerait , « la tranquillité de sa vie », il la repousse avec fermeté, sans colère toutefois, sans rage, car le bon sens l'a toujours « sauvé du danger des paroxysmes. »
 — « Mais je vais être mère », dit Adeline.
 — « Précisément, répond-il, je connais une maison discrète. Il y a un parc immense, des fleurs partout, une salle de fêtes dans laquelle on donne des concerts très recherchés. Je suis sûr que vous ne vous ennuierez pas. »
 La lutte continue entre cette impudente philautie de l'homme et le doux entêtement de la femme.
 — « Soit, restez, dit-il enfin. Mais je vous préviens que nous vivrons sur le pied de guerre et que vous aurez à souffrir. »
 — « Je sais souffrir ». dit-elle simplement. Et toujours Léon Dussol porte son égoïsme comme un habit de rigueur, comme un drapeau. Il torture savamment, au moyen d'ingénieux supplices, cette maîtresse qui s'impose. Elle a promis de s'en aller, après la naissance de son enfant. Tiendra-t-elle sa parole ? N'abusera-t-elle pas des circonstances pour se lier à son amant plus étroitement encore ? Dans une scène d'une violence un peu mélodramatique, il blesse la mère et cause la mort de l'enfant. Alors il lui semble qu'il a « assez, trop même » prouvé combien il sait défendre d'indépendance de sa vie, et qu'il doit à Adeline une généreuse compensation. Il lui offre son nom. Elle refuse et part. D'abord étonné qu'elle n'ait pas compris la délicatesse de son intention, il est tout près de l'accuser d'ingratitude. Volontiers, il dirait d'elle : « Peut-on être personnel à ce point ! » et, c'est là l'imprévu, il s'aperçoit qu'il aime éperdument sa victime. La manière furieuse dont il la détestait fait pressentir quel sera son amour.

 Et je crois qu'au lieu de suivre Léon Dussol dans sa brusque évolution, dans ses courses folles en compagnie d'une Américaine conventionnelle, jusqu'à sa confrontation romanesque avec cette Adeline qu'il a faite martyre et qui s'en trouve tout heureuse, le lecteur gagnerait à relire cette première partie du livre de M. Guiches, ces deux cents pages que, me servant d'une expression télégraphique fort en usage chez les hommes de lettres, je trouve « très bien ».

J. R.

 Petits Français, par Eugène Morel (Savine). — Eugène Morel et l'empereur d'Allemagne (lire le dernier discours de celui-ci) sont absolument du même avis au sujet des lycées ; trop de latin, trop de grec et pas assez de notre histoire de France. Un projet d'alliance en perspective, quoi ! L'Alsace et la Lorraine rendues en échange d'un bon traité sur les études à faire, signé par l'auteur de l’Ignorance acquise. Tant mieux, c'est ainsi que nous devons entendre le nouveau chauvinisme, consistant a taper sur nous-mêmes, histoire d'empêcher les autres de taper plus fort à leur tour.
 Eugène Morel, au milieu des différentes façons décadentes d'écrire, a sa façon à lui, très personnelle ; il alambique, mais il chauffe furieusement; si, quelquefois, on demeure perplexe devant une phrase, on a toujours vu la pensée en jaillir, comme une flamme assez féroce. « Laissez-nous pleurer, puisque ça nous amuse », déclare Eugène Morel au nez des bourgeois ébahis (je parle des bourgeois de lettres, car je doute que les autres le lisent). Et il finit par pleurer pas mal de fiel, ce qui ne doit point l'amuser toujours quant à la préparation du liquide... Il prend deux petits Français, l'un névrosé, l'autre sain et bon vivant, et les promène à travers les premières études de l'existence. Il ressort de ces études qu'il vont voir des femmes... C'est on ne peut plus français et aussi très humain, à Paris comme à Rome, pour ne pas dire comme en Prusse. Tous les chemins grecs ou latins mènent les petits jeunes gens au gros chiffre en question, point prévu par les tables de Pythagore. Je crois que l'auteur insinue qu'il serait excellent de donner des femmes aux collégiens dès qu'ils en ont envie, pour les calmer... Sarcey dirait : « Moi, je veux bien ! » Mais Eugène Morel n'a pas réfléchi qu'en pleurant de la sorte il finirait par nous donner, à nous, une petite démangeaison de mauvais aloi. Toutes les questions savantes du livre sont traitées soigneusement, à part cette gaudriole, et dans la déchéance de son névrosé, s'il y a du parti pris, il y a surtout la connaissance approfondie de la cause. Mais pourquoi l'autre petit Français est-il seulement ébauché quand le névrosé tient une place énorme? Veut-il prétendre, cet auteur morose, que le névrosé est, en France, le plus abondant des rejetons ? Alors, que conclure, puisque, au point de vue général, le malade est une exception?

 En somme, un livre fortement épicé, où toutes les cinq ou six pages des éclairs fusent par-dessus la noirceur du creuset. Un beau livre, saus trame, et solide cependant comme la vie, mais une vie exceptionnellement torturée. J'aime mieux l’Ignorance acquise.

***


 La Preuve égoïste, par René Ghil (Prix : 1 fr. 50. — Aux Ecrits pour l'Art, 47 bis, avenue de Clichy). — La Preuve égoïste est le livre III de Dire du Mieux, première partie de l'œuvre de M. René Ghil: Nous n'avons qu'à le signaler, un de nos collaborateurs devant prochainement écrire au Mercure de France de tous les livres parus de M. René Ghil.

A. V.


 Physiologie de l'amour moderne, fragments posthumes d'un ouvrage de Claude Larcher, recueillis et publiés par Paul Bourget, son exécuteur testamentaire. — (Lemerre). — Voir plus haut, page 3 : « Des êtres d'un esprit fin... »).

R. G.


 Sous les tentes de Japhet, par Julien Mauvrac (L. Genonceaux). — L'histoire de l'antisémitisne contemporain, par un sorcier. Ce livre est un véritable bijou politique. Toutes les facettes mises en lumière et serties de malignes petites couleuvres d'or. De l'érudition et de l'économie sociale (mon Dieu oui) dans l'intérieur d'un boudoir. Un volume qu'un homme d'esprit doit goûter, qu'une femme d'esprit peut comprendre. Entre les lignes, des méchancetés veloutées bonnes à faire pendre l'auteur. A remarquer des citations, merveilleusement choisies et encadrées, de tous nos joyeux députés boulangistes. Livre sans conclusion brutale, par conséquent vrai livre d'artiste. (Un bon point à Genonceaux, qui a risqué l'épée de Drumont en éditant cela!)

***

 Poèmes et Poètes, par Emile Hinzelin (Perrin et Cie). — M. Emile Hinzelin n'est pas un « moderne », et nul doute qu'il s'en flatte : il y a des abîmes entre lui et nous. Au fond, il est d'un optimisme fort respectable, officiel allais-je dire, mais bien vieillot ; et sa forme, très sage, serait d'un poète d'avant le Parnasse et sans les belles hardiesses romantiques. — Entre autres poésies honorables : La Dernière Fée, et aussi Le Baiser, où se trouve ce vers : Le baiser de Judas, c'est encore un baiser.

A. V.

 Satane, par Sophie Harley (L. Genonceaux). — C'est un roman érotique. L'auteur parle franchement et quelquefois français. Cela commence chez Sapho et finit chez le Diable : oui, nous sommes naïvement induits au péché de bestialité, — non sans logique, certes, après tant de dépenses selon les modes ordinaires ! Faut-il dans ce dénoûment voir quelque intention de moraliste ou tout au contraire assumer ce rôle et reprocher à Mme Harley la part qu'elle prétend, prendre dans la perversion contemporaine ? Ou encore lui savoir gré de cet effort, semble-t-il, qu'elle fait pour nous initier au secret des sensations et des sentiments féminins? Ou garder de ce récit le souvenir d'un cauchemar dans les roses, de passions vite allumées, légères et folles, d'une entreprise de luxure sans portée et qu'on eût pu désirer plus élégante, moins dite ? Mais, franche et naïve, et point si perverse que cela, la toute neuve romancière voudra mériter de l'indulgence et changer de style et de sujet. Car, en vérité, Madame... !

CH. Mce.


Fantaisie mnémonique sur le Salon de 1890 (Champs Élysées), suivie d'un essai statistique établi conformément aux données les plus récentes de la science, et d'une promenade au Salon du Champs-de-Mars, par Paul Masson (L. Genonceaux...) Ouf! quel titre ! Quant à la fantaisie, elle se singularise surtout par sa durée : 350 pages de jeux de mots par à peu près, voilà qui égale pour le moins la Tour Eiffel. Mais il sera beaucoup pardonné à M. Paul Masson, parce qu'il dit en ses Prospylées (Préface pour le profane) : «... des deux buts que doit se proposer l'écrivain dans des essais de cette nature : exaspérer les gens graves et amuser les autres, je serai toujours sûr d'avoir atteint l'un. »

A. V.


La Bohême bourgeoise, par Ch.-M. Flor O'Squarr (L. Genonceaux). — Pas de chance, décidément, ce titre-là ! Exploité par Oscar Méténier et Flor O'Squarr (Ch.-M.), il plane encore au-dessus du néant. Flor O'Squarr nous promène dans un monde de lettres où son héros, un homme de lettres (trouvez-moi un héros de roman qui ne le soit pas, aujourd'hui?) réussit dans tout ce qu'il entreprend et a, sans effort, beaucoup de talent. Ce n'est ni Bohème ni bourgeois, et quant au type de Darnaud, le grand directeur de la grande revue, il nous semble qu'avec une très petite apostrophe entre le D et l’A ce serait un peu l'immortel Arnaud de l’Éducation sentimentale. Cependant, livre écrit fort correctement et par un auteur qui connaît bien la langue ordinaire de M. Alphonse Daudet.

***


Toiles ébauchées, par Hugues Lapaire(Savine). — Eh bien, M. Lapaire, ne vous repentez-vous point déjà? Que ne vous êtes-vous pénétré du dernier alexandrin de votre livre : « Hélas! que peut-on faire en voulant se hâter! » ll eût été bien simple pourtant de débuter par Toiles ébauchées, qui, à défaut d'originalité, décèle au moins une certaine science du vers et un effort d'art.

A. V.


 (1) Au prochain fascicule : La Gloire du Verbe (Pierre Quillard) ; Les Chants de Maldoror (comte de Lautréamont); Fleurs d'oisiveté (Charles Guinot) ; Les Vieux (Ernest Bosiers) ; Le Poème de la chair (Abel Pelletier) ; Les Psychoses (Arsène Reynaud); Un Simple (Edouard Estannié).


 (2) Secondaire, dis-je, la littérature littéraire, celle qui n'est pas dans l'esprit du poète un moyen de grandir vers son propre et personnel Dieu.

Ch. Mce

CHOSES D'ART

 Une double joie pour les iconographes futurs : Eugène Carrière vient de peindre un très beau Portrait de Verlaine, et Paul Gauguin de dessiner un admirable Moréas qui illustrera un des prochains fascicules de « la Plume ».
 A voir :
 Chez Durand Ruel, des Claude Monet ; des Puvis ; des Pissaro ; La petite fille endormie avec son chat sur les genoux, de Renoir ; des Manet. etc.
 Chez Boussod et Valadon (Boul. Montmartre): des Corot ; Daumier ; Degas ; Carrière ; Pissaro, Monticelli ; Odilon Redon ; Paul Gauguin (peintures, sculptures sur bois, grès et lithographie) ; Raffaëlli ; Lautrec: Guillaumin ; etc.
 Chez Tanguy (rue Clauzel) : des Vincent van Gogh ; Bernard ; Guillaumin ; Gauguin ; Luce ; Signac ; etc.
 Dans le vestibule du Moulin Rouge: un quadrille et un cirque, de Lautrec.

G. A. A.


CURIOSITÉS

 Le Mercure galant de 1672, devenu Mercure de France, et continué sous diverses formes jusqu'à nos jours, n'inaugurait que la moins intéressante partie de son titre. Il y a, en effet, des Mercures beaucoup plus anciens. Ce sont, il est vrai, pour la plupart, des publications passagères et spéciales, des brochures sans lendemain, mais ressemblant à un journal en ceci qu'elles avaient pour but d'annoncer rapidement et à un assez grand nombre de lecteurs une ou des nouvelles; d'autres, comme le Mercurius ou le Mercure français, ont une périodicité à peu près annuelle : ce sont de véritables revues politiques.
 Voici, à titre de curiosité, les Mercures qui précédèrent le Mercure galant (ceux qui le suivirent sont innombrables) :
 Mercurius gallo-belgicus, 1598-1638. — Mercure françois, 1611-1648. — Mercure d'Allemagne, 1619 et 1622. — Mercure et fidèle Messager de la Cour, 1622. — Mercure jésuite, 1630.— Mercure allemand, 1631-32.—Mercure ou Courrier céleste, 1632. — Mercure d'Estat (Paris). 1634. —Mercure suisse, 1634.— Mercure d'Estat (Genève), 1635. — Mercure espagnol, 1639.— Mercure de Compiègne, 1649. — Mercure parisien, 1649.— Mercure infernal, 1649. — Mercure de la Cour, 1652. — Mercure indien, 1667. — Mercurio postiglione di questo e l'altro mondo, 1667. — Mercure postillon de l'un et l'autre monde, 1667. (traduction du précédent).

R. G.


Échos divers et communications


 Au Cercle Saint-Simon, devant un auditoire de dames très enthousiastes et de messieurs très initiés, M. Alber Jhouney fit, dimanche 7 décembre, une conférence sur le Christ ésotérique. Par le moyen d'une forme qui ne saurait être suspectée de

banalité ou de prosaïsme, le jeune et brillant aède du mysticisme contemporain refait une virginité à de vieilles et sympathiques idées, qui charmèrent longtemps et charmeront toujours les doux optimistes épris de rêve, de sensibilité et d'idéal. Les antiques principes Trinitaires, qui se trouvent à la base de la plupart des religions, des métaphysiques et des franc-maçonneries, furent exposés, commentés et choyés par M. Jhouney avec toute la poésie et le lumineux vague qu'ils comportent. Ce qui semblait plus malaisé, c'était d'établir les rapports entre la personne de Jésus et cette Trinité transcendante. L'orateur s'en est tiré avec une conviction et une élégance d'images fort appréciées. L'effloraison de cette conférence chatoyante fut une éloquente évocation d'une humanité socialiste et chrétienne, sublimée par l'amour, la liberté, l'intelligence, trop belle évidemment pour qu'il soit loisible à d'autres qu'à d'idéalistes poètes d'en espérer une pareille.

L. D.


 La Bibliothèque Artistique et Littéraire, que dirige M. Léon Deschamps, publie le livre annoncé de notre collaborateur Ernest Raynaud : Les Cornes du Faune. Il est tiré de cet ouvrage 162 exemplaires, dont 12 sur Japon impérial a 20 fr., et 150 sur simili-Hollande à 3 fr. Chaque volume contient le portrait et la signature autographe de l'auteur. L'éloge n'est plus a faire de cette bibliothèque qui a édité Dédicaces (épuisé), de Paul Verlaine, A Winter night's dream (épuisé), de Gaston et Jules Couturat, et Albert, de Louis Dumur. Nous ne saurions trop insister sur ce point que jamais elle ne réimprime les ouvrages de sa collection, tirés à petit nombre et partant fort rares. Que ceux de nos lecteurs qui désirent posséder Les Cornes du Faune se hâtent donc de souscrire, car il n'est pas douteux que ce volume ne soit introuvable bientôt.
 Le 5 décembre, sous la présidence de Jean Dolent, l'auteur de tant délicates et fines choses d'un esprit qui ferait aimer les gens d'esprit (s'ils lui ressemblaient !) : Dîner des Têtes de Bois, chez Mousseau. — Présents : Odilon Redon ; — les peintres Eugène Carrière, Louis Mettling, Victor Marec, Coustantin Leroux ; — les poètes Charles Morice, Jean Moréas, Mathias Morhardt; — les sculpteurs A. Massoule, Gustave Déloye ; — Alidor Delzant, le graveur Henri Guérard, Jules de Marthold, le chansonnier Chebroux, Alfred Vallette. — Beaux vers, chansons drôles et... petit discours de M. Louis Mettling sur ce qu'il sied d'entendre par le mot : Art.
 Le portrait de Paul Verlaine, par Eugène Carrière, est visible le dimanche chez Jean Dolent (Villa Ottoz, 43, rue Piat, à Belleville).
 Nous signalons aux artistes en quête de pittoresque un intéressant journal illustré polonais, le Swiat (le Monde), bimensuel, paraissant à Cracovie, sous la direction de M. Sarnecki, écrivain de talent. Dans le dernier numéro, M. Edouard Loévy, le dessinateur bien connu des Parisiens, nous montre

des Paysans polonais sortant d'une kartchma (Débit d'eau-de-vie).
 En librairie prochainement : chez Savine : Vieux, par G.-Albert Aurier; chez Tresse et Stock: Le Vierge, par Alfred Vallette ; chez L. Genonceaux : Les Pharisiens, par Georges Darien, La Sanglants Ironie, par Mme Rachilde, avec une préface de Camille Lemonnier. Mme Rachilde termine en ce moment une pièce en 3 actes : Madame la Mort, drame cérébral, d'une conception très curieuse.
 Notre camarade Léon Riotor a puisé dans Comines et les chroniques du siège de Beauvais une suite de scènes lyriques sur Jeanne Hachette. On y retrouve les soldats de l'époque et tout le pittoresque de leurs costumes et de leurs armes, puis le cortège solennel tel qu'il a lieu chaque année à Beauvais, avec la châsse de Sainte Angadresme et l'étendard bourguignon capturé par Jeanne, reconstitué d'après les restes que conserve l'église Saint-Michel de Beauvais. — La musique, de M. Paul Dupin, élève de Gigout, comprend 26 numéros, dont un chant d'orgue. Les costumes et les armes ont été dessinés par M. Louis Bombled.
 Prochain spectacle du Théâtre d'Art : Les Cenci, de Shelley, traduction de M. Rabbe.
 Nos souhaits de bienvenue au Combat Littéraire, que dirige notre confrère M. Léon Roux.
 Étrange coïncidence :
  . . . . . . . . . . . . . Chrétienne,
  Ma générosité doit répondre à la tienne.
 (Henri de Bornier: La Fille de Roland, act. I, sc. IV)
  De quoi qu'en ta faveur notre amour m'entretienne,
  Ma générosité doit répondre à la tienne.
 (Corneille : Le Cid. act. III, sc. IV)
 M. Porquet, le libraire bien connu, a fait à la Comédie Française un don important : la collection du Mercure de France années 1749 à 1792, soit environ 500 volumes. Si M. Claretie désirait compléter...
 AVIS. — Il ne reste qu'un très petit nombre de collections du Mercure de France année 1890, et le prix (6 fr. le vol. broché, avec tables et couverture spéciale : envoi franco contre mandat-poste) en sera très certainement augmenté sous peu.


Mercvre.

Outils personnels