N° 21. – SEPTEMBRE 1891

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Mercure de France, t. III, n° 21, septembre 1891, p. 129-192.


GERMAIN NOUVEAU
ET LES « VALENTINES »



 Du recueil de madrigaux que Germain Nouveau a si joliment baptisés « Valentines », nous avons entre les mains seize pièces. L'éditeur Vanier a chez lui, paraît-il, le volume depuis longtemps composé et corrigé même sur première épreuve de la main de l'auteur. Nous ne savons trop pour quelle raison la publication en fut arrêtée.
  A son retour de la Palestine,où il avait passé quelques années, Nouveau fut accueilli à Paris par un amour que le long isolement subi lui fit accepter avec une joie enfantine, une adorable reconnaissance. Les Valentines furent composées à cette époque.
 Écrits pour une femme, ces vers ne s'adressent en réalité qu'à elle seule. Elle en est le sujet et l'objet. Toutes ses grâces, toutes ses Vertus, toutes ses perfections y sont détaillées et célébrées par une imagination jamais à court, avec une merveilleuse abondance et une infinie variété. Soit qu'il évoque une à une les beautés plastiques ou morales de l'adorée, soit que, pour la mieux faire valoir, il se pare lui-même avec humilité des pires vices — et Dieu sait la fière intégrité de sa vie pauvre et retirée! — le poète a su, avec quelle délicatesse, quel tact, quels spirituels artifices de gaieté évitant la monotonie et l'emphase, diviniser la créature humaine sans attentat sacrilège et sans blasphème. Amour sincère et profond, certes, mais dont la sincérité n'a rien de tragique, la profondeur rien de prétentieux.
  Dans ces poèmes de nerveuse allure, de rare saveur et de clair style, il nous a semblé retrouver la politesse exquise, la courtoisie aisée du grand siècle, plutôt que la galanterie mignarde et effrontée du règne de Louis XV, bien que surgisse à la lecture quelque petit abbé érudit et musqué. Une ironie aimable et bienveillante, dont la noblesse est de porter sur les sentiments, plutôt que sur les personnes, y siffle à chaque phrase, merle moqueur dans une tempête d'opéra. Parfois même — et de quel imprévu! — au milieu d'une phrase la plus artistement correcte, hardi comme un page, un gros mot, terme d'argot ou juron, se dresse, impertinent et délibéré comme un petit coq sur ses ergots.
  La dernière fois que nous rencontrâmes Germain Nouveau, ce fut par hasard, avenue de l'Opéra, une après-midi de ce printemps : il remontait de son pas lent de rêveur, sa petite taille cambrée un peu, les yeux clignotants, comme d'un peintre qui cherche à localiser les grandes masses d'ombre et de lumière d'un paysage, intéressé candidement... peut-être aux foules vives évoluant dans le soleil. Nous l'accompagnâmes un instant. De l'École des Beaux-Arts, où il avait passé sa journée à feuilleter les grands albums d'architecture, il emportait un enchantement. Avec son enthousiasme autoritaire et serré comme de la belle logique, de forme gracieuse néanmoins et singulièrement pénétrant, dont il mesure discrètement les doses selon le plaisir qu'il vous devine à le partager, revivant sa joie profonde de tout à l'heure à interroger ces grandes feuilles où s'analysent et s'ordonnancent les plus glorieuses conceptions architecturales, il nous dit son admiration pour cet art où l'harmonie règne sous son expression la plus rigoureuse, le Chiffre, où l'unité s'impose, immédiate et impérieuse, par la grâce de la Perspective, théologienne incomparable qui s'efforce à ramener au point idéal les brisures des profils et les accidents des reliefs. Surtout en ce spécial dessin des architectes, en ces traits calligraphiés, limpides, mécaniques, que le compas détermine et que la règle conduit, il exaltait la Ligne.
 Or, les Valentines, en leur savante ordonnance de motifs décoratifs, avec, au lieu des calligraphies dont nous parlions, leur langue quasi classique, amoureuse de pure syntaxe, d'ingénieuse élégance et de géométrique précision, ne témoigneraient-elles pas d'un effort à rechercher, au dessin tout linéaire de l'architecte et de l'ornemaniste, à cet art dont la rigueur et la probité dédaignent l'inutile secours du clair-obscur et de la couleur, une sorte d'équivalent littéraire?
 Pour nous, la lecture encore une fois achevée, il nous en reste comme la vision d'un meuble de Boule, d'une aiguière ou d'un coffret de Benvenuto Cellini. Et nous nous imaginons aussi que venant au milieu de notre littérature trouble et capiteuse, les Valentines y feront l'effet d'un diamant de belle eau tombé dans un bouquet de fleurs rares fanées un peu.

Louis Denise.

SPHINX



Toutes les femmes sont des fêtes,
Toutes les femmes sont parfaites,
Et dignes d'adoration ;
Sous les fichus ou sous les mantes,
Toutes les femmes sont charmantes,
Oui, toutes, sans exception;


Toutes les femmes sont des belles,
Sous les chapeaux ou les ombrelles
Et sous le petit bonnet blanc;
Toutes les femmes sont savantes,
Les princesses et les servantes,
Les ignorantes... font semblant;
 
Toutes les femmes sont des reines:
Impératrices souveraines,
Et grisettes de magasin,
Et premières communiantes,
Avant comme après si liantes
Avec les lèvres du cousin;


Toutes les femmes sont honnêtes,
Le cœur loyal et les mains nettes,
En sabots ou sur les patins;
Adorables prostituées,
Nous mériterions vos huées:
C'est nous qui sommes les... pantins.


Toutes les femmes sont des saintes,
Surtout celles qui sont enceintes
Tous les neuf mois sans perdre un jour ;
Et qui de janvier à décembre
Se pâment la nuit dans leur chambre
Par la volonté de l'amour.

Toutes, toutes, sont bienheureuses
D'élargir leurs grottes ombreuses
D'où l'amour a fichu la peur
Par la fenêtre... déchirée,
« Et là fille déshonorée? »
Rit dans sa barbe... de sapeur.


Plus fines que nous et meilleures,
Elles nous sont supérieures...
Chaque Français, dans tous les cas,
S'il les aborde, se découvre,
Et c'est le plus grand, dans le Louvre,
Qui sait saluer... le plus bas.


Belle, parfaite, reine, sainte,
Honnête, si ce n'est enceinte,
Tout cela s'applique fort bien
A la femme que tu veux être...
Mais... si l'on pouvait vous connaître;
Ah!... quant à moi... je ne sais rien...


Devant vous je songe, immobile:
Tel, droit, sur son cheval Kabyle,
Bonaparte, au regard de lynx,
Sans suite, seul, un grand quart d'heure,
Au soleil des sables, demeure
Fixe et rêveur devant le Sphinx!

Germain Nouveau.

 Nous inaugurons, en ce fascicule, la publication d’œuvres inédites, texte et traduction, des principaux poètes étrangers contemporains : elles seront, chaque fois, accompagnées d'une brève notice.
 M. Carducci, aujourd'hui âgé de cinquante-cinq ans, Pisan d'origine, Bolonais par adoption, est le plus remarquable poète de l'Italie contemporaine. Sa célébrité date de son Hymne à Satan, et, après plusieurs recueils, les Odes barbares la consolidèrent singulièrement. Républicain (en ce temps-là), anti-romantique, c'est dire, en Italie, anti-catholique, il avait voulu se séparer de l'école de Manzoni, non pas seulement par les idées, mais par la métrique elle-méme : répudiant les rythmes traditionnels, il imagina de faire revivre en italien le système compliqué de la versification latine. La langue italienne, très accentuée, lui permit de réussir relativement ; mais, en ces dernières années, il est revenu au vers syllabique, comprenant peut-être qu'au lieu de réclamer des règles nouvelles, la versification tend, au contraire, à s'affranchir de toutes les règles qui ne sont pas purement musicales. Les lecteurs du Mercure savent que dans la La Néva notre ami Louis Dumur a tenté, lui aussi, non tout à fait sans succès, un système analogue,— et même plus original. — Carducci et son école, ce n'est pas toute la poésie actuelle en Italie, mais les Barbares tiennent une grande place ; les plus connus sont : D'Annunzio, Marradi, Ferrari, Olindo Guerrini, Giuseppe Chiarini, et Guido Mazzoni dont nous donnons un sonnet. — Ni ce sonnet, ni celui de Carducci ne sont barbares.

R. G.


A C. C.


inviandogli un esemplare delle opere di byron



Carlo, su'l risonante adriaco lido
A te ne viene Aroldo il bel cantore,
Non qual ei drappeggio con riso infido
Nel mantello di pari il suo dolore,


Ma qual di fè raggiante e di valore
Surse d'un popol combattente al grido,
Qnando penso raddur d'Alceo col cuore
L'aquila d'Alessandro al greco nido,


Quanti per quella bianca anglica fronte
Sogni passar di gloria ! Da l'Egeo
Sorridevan le sparse isole belle.


Ahi, la Parca volo. Di monte in monte
Pianse la lira de l'antico Orfeo
E tramontan in buio mar le stelle.

Giosuè Carducci.



A C. C.
.

en lui envoyant les oeuvres de byron




Charles, sur la résonnante rive adriatique,
Vers toi vient Harold le beau chanteur,
Non tel que drapant, avec un rire illusoire,
Sa douleur en le manteau des pairs,


Mais tel que, rayonnant de foi et de courage,
Il surgit aux cris d'un peuple combattant,
Quand il voulut ramener, avec son coeur d'Alcée,
L'aigle d'Alexandre au nid grec.


Oh! sous ce blanc front anglais
Que de songes de gloire passèrent! Sur l'Egée
Souriaient les belles îles épandues.


Ah! la Parque prit son vol. De Montagne en montagne
Pleura la lyre du vieil Orphée
Et se couchèrent en la noire mer les étoiles.




SUL LAGHETTO DI ARQUÀ




Sul laghetto di Arquà (cannuccè integre
Gli fan cintura e trepidanti pioppi),
Secure da le reti e da gli schioppi,
Pispole, capinere e cingallegre

Cinguettan quanto è il di ; ma se le negre
Ombre sgombrano il ciel, par che si addoppi
La gioia di lor vita, e suonan scoppi
Gai di trilli e un frullar, d'ale allegre.

Spesso scendea giù pe' sentieri molli
Esso il Petrarca, e qui si assise e tacque.
A udir del santo suo la voce acerba.

Ahi, con sospiri ei videva altre acque
Nel memoro pensiero ed altri colli!
E aperto il libro gli sfuggia su l'erba.

Guido Mazzoni.







AU LAC D'ARQUA




Au lac d'Arqua (des roseaux levés droits
Lui font une ceinture, et des tremblants peupliers),
A l'abri des rets et des fusils
Les farlouses, les tètes-noires et les mésanges


Gringotent toute la journée ; mais quand les noires
Ombres déménagent du ciel il semble que se double
La joie de leur vie, et sonnent des éclats
Gais de trilles et un frou-frou d'ailes allègres.


Souvent descendait là par les sentiers humides
Pétrarque, et là il s'asseyait et se taisait
A écouter son saint à la voix acerbe.


Ah! regrets! il revoyait les eaux de jadis
En son inoublieuse pensée et les collines de jadis!
Et le livre ouvert de ses mains tombait sur l'herbe.



CAQUETS DE MÉNAGE

A Gustave Geffroy.

I

CHLOÉ
 Tu ne sors pas assez. Si tu veux, ce soir, après dîner, nous ferons un tour.
DAPHNIS
 Par les allées où tombent les marrons, nous irons entendre les grenouilles de haie et les aigres sauterelles. Promets-moi que tu poseras un ver luisant dans tes cheveux, promets-le moi.
CHLOÉ
 Nous regarderons aussi quelques étoiles. C'est à cette époque qu'il en file le plus.
DAPHNIS
 Elles fondent de chaleur et se décrochent. Tu aimes donc les étoiles?
CHLOÉ
 J'aime tout ce que tu aimes.
DAPHNIS
 C'est commode. On n'a pas besoin de faire deux cuisines.

II

CHLOÉ
 Je sais qu'un garçon doit «faire la noce », et je ne suis pas jalouse de tes anciennes maîtresses.
DAPHNIS
 Tu me permettras de t'en parler quelquefois. Pourquoi n'en es-tu pas jalouse? Ton dédain me froisse. Je les ai aimées ces femmes. Elles ont compté dans ma vie. Plusieurs étaient fort bien.
CHLOÉ
 Je veux dire qu'un jeune homme doit jeter sa gourme.
DAPHNIS
 Pourquoi? Pourquoi? s'il n'a pas d'humeur et s'éponge régulièrement la tête.
CHLOÉ

Mais lequel des deux instruirait l'autre?

DAPHNIS

Souviens-toi d'Eve : ils achèteraient un Serpent.

CHLOÉ

Un mari vierge est ridicule, le nies-tu?

DAPHNIS

Ridicule, la propreté du cœur! Où prenez-vous ce goût des hommes impurs?

CHLOÉ

Ils sont éprouvés.

DAPHNIS

Ils n'ont que servi. Vous voulez être, notre unique amour, et peu vous importe que nous ayons connu d'autres femmes avant vous.

CHLOÉ

Tu oses me comparer...

DAPHNIS

Il lui déplaisait, à elle aussi, d'être comparée.

CHLOÉ

Qui ça, Elle? je veux savoir tout de suite.

DAPHNIS

Celle qui m'a le plus adouci mes devoirs de noceur.

III

CHLOÉ

Je suis la plus heureuse des femmes. Et toi?

DAPHNIS

N'insultons pas au malheur des autres.

CHLOÉ

Tu te plains sans cesse.

DAPHNIS

Je me plains comme j'entends. C'est chez moi un sens et je m'applique à découvrir sous sa couche de sable la grasse terre rouge du terre à terre.

CHLOE

Va! pérore en mauvais style à quatre épingles! La vérité, c'est que ma robe ne me coûte que dix-neuf francs, et je l'ai réussie moi-même, seule ! Es-tu content?

DAPHNIS

Vingt sous de plus, elle t'allait presque.

CHLOÉ

Faites donc des frais!

DAPHNIS

Contre remboursement.

CHLOÉ

Quel plaisir éprouves-tu à me dire des choses dures?

DAPHNIS

Il ne faut pas croire que cela m'amuse toujours.

CHLOÉ

Tu ne les penses pas, au moins ?

DAPHNIS

Non ; ce sont elles qui me passent par la tête!

CHLOÉ

Ta littérature te fait mal.

DAPHNIS

Oui, oui : culte de l'art! religion du beau! c'est ça! Il n'y a pas de Christ sans épines.

IV

CHLOÉ

Tu te rappelles comme nous nous sommes roulés sur l'herbe!

DAPHNIS

Mais nous avons peu roulé sur l'or.

CHLOÉ

Bah! quand nous serons riches!...

DAPHNIS

Nous serons donc riches?

CHLOÉ

Mon Daphnis, dès que tu auras gagné beaucoup d'argent, nous serons riches. Oh! je ne tiens pas à l'argent.

DAPHNIS

Avec un chiffre de combien assuré? Je me disais, jeune marié : « Voilà une femme courageuse que la misère n'effraiera pas et qui vivra avec moi sous une cabane de cantonnier! » et je ne demandais au Seigneur que de nous donner notre pain quotidien, du pain de ménage si c'était possible, jusqu'au jour de ma mort où tu ferais la grande collecte définitive.

CHLOÉ

Tu m'honorais. Mais si cette bonne opinion de moi t'encourage à la paresse, je préfère tout de même que tu arrives.

V

CHLOÉ

Quand tu es là, devant ton bureau, et que tu n'écris pas, qu'est-ce que tu fais? Assurément, penser, c'est travailler. Il est des paresses fécondes. Remarque comme je retiens aisément tes phrases. Mais (suis-je sotte?) j'aime mieux te voir, dans ton intérêt, un porte-plume à la main.

DAPHNIS

Il fallait le dire! tranquillise-toi. Désormais j'aurai un manche de pioche.

VI

CHLOÉ

Tu seras célèbre.

DAPHNIS

Diable ! y tiens-tu? je ne te le garantis pas.

CHLOÉ

Tu seras célèbre, j'en suis sûr, quand tu seras vieux, ou ce que disent les journaux ne signifierait rien.

DAPHNIS

En ce temps-là, je n'écrirai plus que des préfaces pour les jeunes. Il faudra être bon pour eux, les recevoir tous.

DAPHNIS

Par fournées.

CHLOÉ

J'y veillerai. Protectrice accueillante et constamment en train de sourire, sur le seuil de ta porte, c'est moi qui leur dirai, les poussant d'une tape amicale : « Entrez, le maître est là! »

VII

DAPHNIS

Je mets des heures à écrire une ligne. Est-ce que je travaille trop ou pas assez? je ne sais plus.

CHLOÉ

Est-il nécessaire que tu remplisses de si gros livres?

DAPHNIS

Les éditeurs te diront qu'il ne faut pas voler le public.

CHLOÉ

Du courage! je serai ta compagne fidèle.

DAPHNIS

Prends garde! c'est un emploi qui exige du savoir et de la délicatesse. Chauffe tes parfums à distance. Verse doucement la louange, comme si tu préparais une absinthe, et ne t'arrête jamais, sous aucun prétexte, d'admirer toujours «  ce que j'ai fait de mieux jusqu'ici! »

VIII

CHLOÉ

Alexandre Dumas père avait-il du talent? Je te demande cela parce qu'il m'amuse, tu sais!

DAPHNIS

Donc il en avait. Son fils en pense le plus grand bien. Tu n'apprécies pas la littérature moderne?

CHLOÉ

Si, j'ai lu quelques-uns de tes livres préférés. Des fois, bon Dieu, que c'est intense! Oh! la! la! On y trouve aussi moins de répétitions, mais tes écrivains voient trop noir.

DAPHNIS

L'optique progresse. Son éducation faite, l’œil regarde au fond des choses, et toutes les choses, avec le temps, déposent.

CHLOÉ

Dommage! Je lis pour mon plaisir.

DAPHNIS

Achève le vers : et non pour ton supplice!

CHLOÉ

Car, moi, je suis gaie, gaie!

DAPHNIS

Marions-nous encore.

CHLOÉ

Et je sens que jamais je ne m'habituerai à la tristesse.

DAPHNIS

C'est qu'alors tu mourras jeune, bientôt.

IX

CHLOÉ

Tu ne m'as pas dit tes idées en politique. Tu-ne votes même pas. Es-tu inscrit? je parierais que non.

DAPHNIS

Et pourtant, un gouvernement «  c'est de l'air qu'on respire! » Conseille-moi.

CHLOÉ

Je n'y entends rien, mais quand mes amies me demandent : « Ton mari est-il républicain? » je suis confuse et je réponds tantôt oui, tantôt non, au hasard. Déroutées, elles finissent par ne plus savoir à quoi s'en tenir. Je t'aimerai bien : choisis un parti, celui que tu voudras, pour nous fixer.

X

CHLOÉ

J'entre volontiers dans une église, me rafraîchir. Mais, je l'avoue, je ne prierais, à mon aise, sans choisir mes mots, que devant la belle nature.

DAPHNIS

Et sur une hauteur, afin d'élever plus vite ton cœur dirigeable vers Dieu polyglotte.

CHLOÉ

Tu vois, tu te moques quand je fais la bête, et tu te moques quand je comprends tout. Suis-je pas la femme d'un libre-penseur?

DAPHNIS

Nous irons tous deux à la messe demain.

XI

CHLOÉ
 Veux-tu me faire un plaisir pour ma fête? Rends-moi le droit que je t'ai donné d'assister à mes toilettes.
DAPHNIS
 Tu te négligerais.
CHLOÉ
 C'est si gênant ! pouah!
DAPHNIS
 Qu'est-ce que tu as de sale?
CHLOÉ
 Il y a des choses qu'un mari ne doit-pas voir.
DAPHNIS
 Ce sont celles-là que je veux voir. Dès qu'on aime moins, on se tient mal. L'amour vit de beaucoup d'eau fraîche. Je te sens mienne si, à quelque heure que je te surprenne, tu me montres des ongles plus lumineux que des croissants de lune, des cheveux rangés, en place, une bouche neuve comme l'intérieur des abricots. Lis la Bible : on s'y lave les pieds à tout bout de chemin. Je parle gravement. N'oublie pas notre convention.
CHLOÉ
 Non : « nous nous préviendrons mutuellement (car on ne se connaît pas soi-même) qu'une visité au dentiste paraît nécessaire. »
DAPHNIS
 C'est d'une importance immesurable. Une dent gâtée gâte tout.
CHLOÉ
 Compte sur moi. Comme nous nous aimons! Qui dénombrera les êtres anéantis dans nos nuits d'amour? Ma conscience a la chair de poule. S'il y avait crime!
DAPHNIS
 Put! cinq minutes avant la vie on est encore mort; aussi, ne te presse pas. N'anéantis pas trop vite. Ça jette un froid.
CHLOÉ
 Un mot, pendant que j'y pense, relatif à notre convention. Tu ne te fâcheras pas, mon Daphnis. Il m'a semblé, ce matin, que ton haleine.....

XII

CHLOÉ
 Notre enfant est notre joie. Il nous occupe toute la journée.
DAPHNIS
 Il ne nous laisse pas un instant de liberté.
CHLOÉ
 C'est juste! Nous avons dû renoncer au théâtre, au monde, et hier encore nous refusions une invitation à dîner.
DAPHNIS
 Le pauvre petit est si gentil qu'on n'a pas le courage de lui en vouloir.
CHLOÉ
 Suppose un instant que nous n'en ayons pas.
DAPHNIS
 Ou qu'il soit mort.
CHLOÉ
 Tu vas trop loin. Je disais cela comme autre chose. Que ferions-nous de notre liberté? Le café-concert ne donne pas le bonheur, et ma vie aura été belle, si je meurs la première des trois.

XIII

CHLOÉ
 T'aurais-je épousé, si tu avais été impropre au service militaire? Mais nous n'aurons pas la guerre, hein?
DAPHNIS

 Entêtée! Il y a vingt ans qu'on te dit que si.

CHLOÉ
 Accepte-t-on des, ambulancières? je te suivrai au bout du monde.
DAPHNIS
 Quel chapeau mettras-tu?
CHLOÉ
 Je suis sérieuse. J'ai le pressentiment que tu ne reviendrais plus
DAPHNIS
 Ne t'y fie pas.
CHLOÉ
 Oh! je t'attendrai.
DAPHNIS
 Avec qui?
CHLOÉ
 Je te défends de ma parler ainsi, même en riant.
DAPHNIS
 Pleures-tu parce que je te fais de la peine? Te fais-je de la peine, pour t'aider, parce que tu as périodiquement envie de pleurer?

XIV

DAPHNIS
 Il est sain, ma Chloé, de brûler d'un coup,: de temps en temps, tous les torchons du ménage. On me l'a bien recommandé!
CHLOÉ
 Qui ça encore? On!
DAPHNIS
 La même.
CHLOÉ
 Je te pardonne tes taquineries. Mais écoute, si je m'aperçois de quelque chose, tu m'entends, ce sera fini entre nous, ir-ré-vo-ca-ble-ment.
DAPHNIS
 On « lit » ça. Je vois l'adverbe écrit à la porte de ton cœur, en lettres de gaz.
CHLOÉ
 Regardez-le serrer ses lèvres plates de lézard! Houe! le peut! que tu m'agaces! A la fin, qu'est-ce que tu as? Qu'est-ce qu'il te faut? Qu'est-ce que tu veux?
DAPHNIS
 Je voudrais être tantôt le premier homme de lettres de France, et tantôt le dernier homme des bois.

Jules Renard.

BALLADE

pour servir de préface

AU « PAYS DU MUFLE »


 « Habitavi cum habitantibus Cédar...
« comparati sunt jumentis insipientibus
« et similes facti sunt illis. »
Psalm., passim.


Mes Quatorzains et vous, Ballade si
Hautainement guoguenarde et frisquette,
Benoît lecteur vous ait en grand merci!
Panurge daube et Sannio craquète,
Et ce divin Mondor, pendant la quête,
Objurgue Tabarin spurciloquent.
Et c'est pourquoi je me rigole quand
— Une rougeur pudique sur leurs trognes —
Vous effarez les snobs ivres de cant:
Ce que j'écris n'est pas pour ces charognes.


Est-il bourdeaux, Quatrevents ou Farcy,
Dont Maizeroy n'emporte la conquête,?
Le fin lamper du Mage (*) a réussi .
Tant qu'à Lesbos, pour très cher, i1 béquète.
Mais l'alkermès, l'ambre ni la roquette
Au jeu d'amour ne l'ont rendu fréquent.
Paul Bonnetain, astucieux bacchant .
Dont le poignet suscita maints ivrognes,
Se vend bien plus que Monsieur Barracand.
Ce que j'écris n'est pas pour ces charognes.


Gallefretiers et veillaques aussi,
Journaleux chez qui Prud'homme banquète,
Maquerels francs de tout noble souci,
Bélitres, candidats à la Roquette, ,
Larbins, truands sans guiches ni casquette,
L'olybrius, le fol et le croquant, .
Et René Ghil, si Belge ! prédicant
Son Verbe doux comme pestes et rognes,
Ah! loin d'iceux contrevaller son camp!
Ce que j'écris n'est pas pour ces charognes.


envoi


Prince, immergez l'odieux fabricant
De méchants vers au plus noir des Baugrognes,
Et, retranché parmi vos quinquengrognes,
Exterminez l'ignare et le pacant :
Ce que j'écris n'est pas pour ces charognes.


(*) Il s'agit de monsieur Joséphin Péladan, renommé dans la littérature pour l'odeur forte de ses pieds.

L. T.


VENDREDI-SAINT


Trop de merluche et des lentilles copieuses
— Seule réfection tolérée aux croyants —
Enjolivent de certains rots édifiants
La constipation des personnes pieuses.

Dans l'omnibus aucunement blasphématoire
Montent force nonnains, coiffes et canezou,
Et c'est un air de deuil en les boutiques où
Sourit la poire du Bienheureux Peyreboire.

Quelques petits enfants, — dirai-je masturbés —
Vers Saint-Sulpice, et leurs maîtres, larges abbés,
Du goguenot prochain éjouissent la vue;

Et, près d'eux, obstruant le degré colossal,
Un homme-affiche avec cette annonce imprévue
« Concert spirituel à Tivoli Vaux-Hall ».

BALLADE

QUE FIT L'AUTEUR POUR UNE PÉCHERESSE

DE SES AMIES


 « Ainsi lui fut baillé par jeu le nom de saint-Nicolas au temps que la baudouinait tel guoguelu saigneur de veaux, honnêtement cagneux et punais en diable mais robuste au déduit, et qui — selon un plaisant dire de notre Jehan Rameau — gardait, contre l'usage, à sa meilleure pratique le morceau le plus dur. »

Vie Des Dames Galantes.


De Montmartre ou de Villejuif,
De Saint-Omer ou de Beaucaire,
Sintoïste, mormon ou juif,
Clerc d'huissier ou d'apothicaire,
Maçon aux gestes en équerre,
Soudrille imbu de chasselas
Qu'embrase parfois la moukère,
Va dormir chez Saint-Nicolas !


Une odeur de crotte et de suif
Et de ratatouille précaire
Dans l'escalier dégueulebouïf.
Au lit égayé d'urticaire,
La punaise des deux Macaire
Et ces poux que tu régalas,
Benoît Labre, se font enquerre.
Va dormir chez Saint-Nicolas !


Exécrable au doux monsieur Cuïf,
Le boucher succède au Vicaire
Alternatif avec le bouïf.
Beau clerc, émule de Vicaire,
Dissipant son meilleur calcaire,
Pour dix francs - prix de ces galas -
Rêve au oulels-nails du Caire !
Va dormir chez Saint-Nicolas.

Envoi


Prince, madame Ségalas
Aux bas-bleus ne la vante guère.
Mais Jean Chouart s'équipe en guerre :
Va dormir chez Saint-Nicolas. .

Laurent Tailhade.

SANGLOTS DANS LA BOUTIQUE (1)


 Le Krach du Livre s'annonce prochain, semble-t-il. De divers côtés montent des clameurs ; les comptoirs se lamentent ; des gens malintentionnés nous prédisent la faillite ; enfin les Amériques, qu'on croyait si grandes, regorgent de nos bouquins ; Java, Borneo en ont assez ; la province se rebiffe, et le Tonkin n'a plus le sou. — En ces derniers mois s'était répandue la légende de navires affrétés par les éditeurs, emportant aux antipodes des chargements entiers de Jean Rameau, d'Ohnet et de toute la pacotille jaune. On y voyait déjà l'avenir du roman. Eh bien, non ! C'était une fausse joie. Les ballots reviennent et s'accumulent dans les sous-sol. À moins qu'on ne décrète la guerre du Livre, pour forcer à l'achat de lointaines peuplades océaniennes, comme on fit la guerre de l'Opium en Chine, voici encore une branche du commerce national qui va pourrir sur l'arbre.
 Ces nouvelles sont graves ; le dommage des entrepreneurs sera grand.
 Mais il faut voir les choses et les dire en quelques paroles sèches : je n'imagine pas que la Littérature ait à s'inquiéter. Tous les éditeurs de Paris peuvent fermer boutique demain matin ; pour le profit qu'on tire d'une œuvre, on ne perdra pas lourd. Que la presse s'émeuve et propose les remèdes qui retarderont la déconfiture, je la comprends, et son inquiétude me charme ; une belle source de ses revenus tarirait. Les critiques, tout jouant les dédaigneux, sont même les premiers atteints. Ils sont bien bons quand ils se plaignent d'être débordés, de recevoir trente volumes par semaine. Chacun sait qu'ils ne les coupent pas, qu'ils en ignorent jusqu'au titre et les revendent sur le quai - en bloc. Puis il y a les quinze cents francs du Monsieur qui tient à se faire « lancer » ! - Tout se paye ; ces petits bénéfices sont dans le secret de polichinelle. - Les éditeurs mettant la clef sous la porte, que vont devenir ensuite les chroniqueurs gagés pour avoir l'air de s'occuper des livres, d'en rendre compte ? Ils sont légion - comme dans le Nouveau-Testament - depuis les quotidiens à deux pour cinq centimes jusqu'aux revues compactes !...
 Les littérateurs ne sont pas menacés de la sorte. Sans doute ils placeront moins facilement leurs productions actuelles et ne placeront aucunement celles de demain. Ils le savent et se résignent. Déjà beaucoup publient pour eux seulement et les leurs, et considèrent si bien la librairie comme un bas trafic qu'ils ne mettent point en vente. Puisqu'il est avéré, notoire, flagrant, que le service de Presse est adressé en pure perte, ils économisent ainsi deux cents exemplaires. La question est aussi plus haute. On est fatigué de donner des volumes, « au pair » ou contre des sommes minimes, fatigué de la promiscuité des catalogues, fatigué d'être dans la cohue des non-valeurs, fatigué d'être à la merci du négoce. Surtout, on comprend que la Littérature ne doit rien avoir d'une profession. En bonne conscience, on n'est pas artiste et poète comme on est ferblantier, journaliste, saltimbanque. Écrire de beaux et bons livres ou seulement des livres personnels et sincères sous-entend des rentes et, à leur défaut, un gagne-pain indépendant. C'est un plaisir, une distraction, un exercice intellectuel, qui porte en soi-même ses peines et ses récompenses ; c'est un mode de vivre, ainsi que le veut M. de Sainte-Croix ; ce n'est pas un métier.


 Autrement lésés dans leurs tripotages se trouvent les fabricants, les feuilletonistes, les manœuvres de Lettres. Pour ceux-là, la Littérature est un métier, un métier qui périclite diablement. Car il n'y a pas à dire, ça ne s'écoule plus. L'indifférence du public est à ce point qu'un article de journal haut coté - faut-il citer ? — qui faisait jadis enlever dix et vingt éditions, provoque à peine, aujourd'hui, la vente de trente exemplaires. D'ailleurs, quand les statistiques parlent de quinze mille ouvrages annuellement édités en France, dont trois mille romans, comment veut-on que le public achète ? Il est las, le public, et trop occupé d'autre part. On l'a tellement abreuvé de sottises, de pseudo-moralité, de niaiseries et d'insignifiances cent fois retapées, on l'a tellement trompé avec les réclames, les articles de complaisance, les insertions et tout l'attrape-nigaud de la troisième page, qu’il ne s'arrête plus devant les montreurs. On en veut à sa bourse : il la défend et il est difficile de lui donner tort.
 Pourtant, tout le monde lit ! beuglent les optimistes. — Peut-être. — Mais tout le monde lit quoi? — Le Petit Journal, les suppléments plus ou moins littéraires, les fascicules à bon marché, les Auteurs Célèbres pour douze sous, les ouvrages en solde, dont les piles multicolores — maladroitement lâchées par les éditeurs qui eussent mieux fait de les incinérer — s'étagent, envahissent les trottoirs et les devantures des librairies, sur le Boulevard. On les a pour vingt-cinq centimes et au-dessous. Les affiches annoncent 30.000 volumes, 30.000 volumes des meilleurs auteurs. Les bouquinistes en ont les larmes aux yeux.
 Parmi les bourgeois, les gens chic, le public dit lettré, on achète encore un peu. Mais c'est le dernier de M. Zola, le dernier de M. Maupassant ; c'est M. Bourget, M. Delpit, M. Ohnet, M. Pierre Loti, enfin les dix tomes à peu près qui forment chaque hiver la production de ces Messieurs les arrivés ; coût : vingt-sept francs ; hors cela, s'il vient au jour un livre à sensation, on le prend au cabinet de lecture. Je sais bien, jusqu'à présent on se rejetait sur la province, on se consolait en expédiant à l'étranger ; les éditions disparaissent, fondaient, s'évanouissaient, que c'en était à mourir de bonheur et de surprise. Mais puisque la province nous abandonne! Puisque l'étranger lève les mains et demande grâce!... Ah misère! ah calamités et désolations!
 J'emprunterais avec confiance les métaphores de nos amis les Magnifiques pour dire que l'heure de la culture a sonné au cadran de la fatalité. L'anguille de l'imprévoyance va « rentrer au fourreau de la déconvenue » ; le commerce du livre crève d'indigestion.

 Ici se place un incident comique. On incrimine l'amateur, le jobard, le bon jeune homme qui paie pour se faire imprimer. C'est le bouc émissaire, le galeux et le lépreux. Si l'on écoutait les conseilleurs, il faudrait le mener la corde au cou par les rues, replanter les potences royales et le brancher sur l'heure. L'amateur a envahi les officines d'édition et donné de l'argent pour faire porter ses petites infamies au catalogue. Lui seul est cause qu'on a baissé les prix, qu'on ne vend plus, qu'on exporte plus. Il a trompé sur la valeur de la marchandise. — Comme s'il y avait une telle différence entre le bouquin de M. Tartempion et celui de M. Jean Rameau! — Et voyez comme le malheur rend injuste. Sans ce pauvre M. Ceinturon — argot professionnel — les officines auraient mis leurs volets depuis belles lurette. C'est parce que M. Ceinturon verse dix-huit cents francs a l'éditeur pour son mauvais livre que l'éditeur peut en verser deux ou trois cents à l'homme de lettre, — dont le livre ne vaut peut être pas mieux, mais qui a un nom et fait bien dans la vitrine. M. Ceinturon a été la poutre de soutènement. L'édifice lézardé ne tient que par un miracle d'équilibre, et de continuelles réparations réglées avec son numéraire. Il a été le sauveur en sa naïveté. Et vous lui ouvrez les yeux maintenant! Vous lui hurlez qu'il est un idiot et un misérable. Imaginez-vous qu'il apportait son argent pour le plaisir? Il se croyait appelé, lui aussi! Il sacrifiait une somme ronde pour s'ouvrir la route ; il fallait protéger ses illusions, flatter sa marotte et, en politiciens habiles, les féliciter de son dévouement à la cause. La situation se serait prolongée un an, deux ans peut-être, et c'était autant de gagné.

 Parbleu, la débâcle devait venir. L'homme de lettres – au vieux sens du mot – n'a plus guère sa raison d'être ; tout le monde lit, disiez-vous ; tout le monde écrit, ce qui est pire. Le mal n'est pas que de jeunes hommes payent leurs éditeurs, mais qu'on produise trop. Faire du roman n'est plus le privilège d'une caste ; c'est une industrie nationale. Sur les trente-huit millions de Français indiqués par le dernier recensement, les noms de ceux que la Société des Gens de Lettres pourrait accueillir empliraient le Bottin. De par le gouvernement et les principes d'égalité – inscrits sur tous les frontons – chacun a été à l'école, a passé son bachot ; nous avons l'Instruction obligatoire, et le roman obligatoire qui en découle ; nous recueillons à présent le fruit des semailles universitaires ; on est arrivé à ne plus lire que ses livres, se disant qu'on n'a pas besoin d'aller prendre chez le voisin ce qu'on peut fabriquer soi-même.


 Et vraiment il fallait être bien mal doué, bien abandonné des Dieux et de ses professeurs pour n'être point capable de pondre une Comtesse Sarah ou Le Fils de Coralie.
 Si le moment se présente enfin où l'on s'aperçoit qu'il n'est plus possible de gagner de l'argent en fabriquant des bouquins, nous crierons : tant mieux, la place sera nette. Le roman est compromis. Mais c'est une forme hybride et transitoire, forme si bien descendue, si basse depuis qu'elle appartient à tous, qu'il devenait nécessaire de la transformer. Le poème et le livre de vers, formes hautes de la littérature, qui ne furent jamais de vente courante, ne sont pas en question. On écrira toujours de belles choses, quand on en sera susceptible. Et nous vivons à une époque si bizarre, si hostile aux prévisions, qu'il pourra se trouver quand même des curieux pour les acquérir. – Va pour le Krach du Livre ; il n'atteint que les bateleurs et les négociants. Et qu'ils le sachent bien : ils peuvent gesticuler et se répandre en doléances ; ce n'est pas nous qui en aurons pitié.

Charles Merki.


 (1) Cet article était écrit quand M. Camille de Sainte-Croix parla dans La Bataille sur le « Krach des Gens de Lettres ». Je le prie de ne voir qu'une rencontre dans l'expression de sentiments qui sont les siens — et les nôtres. C. Mki.

ANNIVERSAIRE
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I

 Naufragé, parmi les épaves il naviguait seul, au gré des houles, sous un ciel blafard où fulguraient des astres apocalyptiques, des astres larges et multiformes pareils à de barbares boucliers d'airain fourbi... Les flots galopaient avec des bonds désordonnés, sans un murmure, comme pris de panique ; les vents, tels des fauves affamés, lacéraient sans rugir des nues violâtres qui saignaient dans les hauteurs du ciel et tachaient l'Océan de flaques tragiques... Tout à coup, un cri d'angoisse qui se prolongea longtemps, répercuté par l'écho des grèves, anéantit l'inexorable silence qui présidait au désastre, et un choc formidable coucha brutalement l'homme sur le radeau, qui tourbillonna durant quelques secondes pour s'engloutir à tout jamais...
 Phanuel, éveillé en sursaut, se frotta les yeux et promena un rapide regard par la chambre très calme... Qui avait crié?... Une terne lueur d'aube blanchissait à peine les vitres, où le gel avait buriné de florales arabesques. A côté de lui, Marie, sa femme, enfouie jusqu'au nez sous les couvertures, dormait profondément.
 — Suis-je bête! grommela-t-il.
 Et il se mit en devoir de reprendre son somme.
 Mais à peine s'était-il assoupi qu'une plainte long-modulée l'éveillait de nouveau. Cette fois, il se dressa sur son séant, perplexe, et se pencha sur Marie. Elle avait déclos ses grands yeux d'enfant et semblait contempler très attentivement le parasol japonais suspendu au plafond. Il eut un sourire à la voir si charmante dans l'ébouriffement de sa chevelure d'or, et se mit à la câliner doucement avec des mots d'amour ; puis, comme elle ne répondait points à ses cajoleries, il crut à des jeux coutumiers et laissa tomber une pluie de baisers au hasard des lèvres. Marie, impassible, garda son attitude contemplative de roide momie et s'obstina dans un absolu mutisme.
 Alors une inquiétude, qui grandit de seconde en seconde, commença de poigner Phanuel, et le pressentiment d'une subite catastrophe le secoua de tel frisson que, sur le coup, il pensa raffolir. D'une main fébrile il chercha la place du cœur, et ne la trouva pas; aucun souffle ne soulevait la poitrine ; les yeux, dans leur implacable fixité, gardaient une lueur d'au-delà qu'atténuait à peine le léger voile d'ombre qui les scellait pour l'éternité.
 Sans force devant une pareille catastrophe, Phanuel, enfantinement, essaya tout d'abord de la révoquer en doute et, d'une voix priante étranglée de sanglots, il chercha à ressusciter la morte par des paroles douces et des supplications. Mais, peu à peu, de la voir toujours s'abandonner, malgré ses efforts, en une veulerie de poupée de son, il s'exaspéra. Dans un accès de rage impuissante, il la secoua frénétiquement, broya ses bras frêles entre ses doigts nerveux, la mordit violemment au visage. Et comme soudain une écume rougeâtre ensanglantait les lèvres de Marie, il sauta d'un bond sur le plancher, ouvrit la porte en hurlant : « Au secours ! », empoigna le cher cadavre à plein bras, et, piétinant sur place, il se mit à proférer de si désespérés hurlements qu'un voisin, attiré par le bruit, fut pris de frayeur sur le seuil de la chambre, et s'en retourna.

II

 Phanuel était un grotesque étrange. Démesurément long, sec comme un coup de trique, presque calvite, il était en outre d'une irrationnelle laideur. Il devait le jour à l'ignoble accouplement d'une juive prostituée et d'un client de hasard.
 Lorsqu'il vint au monde, la sage-femme, qui s'était vue grand mal à le tirer du maternel giron, salua son avènement de cette fatidique exclamation, qui aussi fut un horoscope : « Enfin, le voilà donc ce gibier de malheur! » Et, de fait, il grandit sous un véritable déluge de taloches, au milieu d'une perpétuelle tempête de railleries, traînant mélancoliquement le guignon à ses chausses. Comme sa face exsangue et osseuse avait de tout temps

requis la sotte malignité des fillettes, aux soirs d'amoureux prurits, que d'autre part sa naissance lui interdisait formellement le plaisir tarifé des filles de joie, il s'était vu, jusqu'à ce qu'il connût Marie, condamné à un célibat d'autant plus cruel que, souffreteux et de nature tendre, il avait d'impétueux besoins de moral épanchement.
 Ainsi traqué par le destin, Phanuel était pourtant resté sans haine. Le cilice de douleurs endossé dès le premier jour avait purifié son âme, ennobli son esprit ; insensiblement il s'était détaché de la réalité marâtre pour s'absorber, à la façon d'une plante, dans les consolantes joies du rêve, et bien souvent, par les nuits clairs, ce bizarre solitaire avait pleuré d'extase avec des bégaiements éperdus et de fols gestes d'étreintes vers les astres, vers les nuées, pour les brises...
 Aussi lorsque la blonde Marie, par un miracle d'adorable pitié, lui offrit un soir ses lèvres nuptiales, il pensa mourir d'allégresse ; ses élans de passion si longtemps endigués s'épandirent d'un coup en larges flots d'infinie tendresse, submergeant à jamais les désespoirs abolis, et ce fut une aube d'existence nouvelle, toute vibrante de clartés. Libéré des tourmentes anciennes par la voix pacifiante de l'Amie, il connut enfin l'heur de vivre et se grisa du vin violent des neuves espérance. Son éternel rêve, matérialisé désormais, se constitua tout entier dans cette enfant de vingt ans, aux cheveux couleur de crépuscule, que son amour créa une seconde fois à l'image de la surnaturelle Maîtresse songée aux soirs de solitude. Il la magnifia comme l'Idole souveraine qui incarnait toute sa joie, vers qui montaient tous ses espoirs, et il vécut d'ineffables heures, blotti dans l'affection sororale de Marie, ne respirant que par elle et pour elle, en une complète abdication de sa volonté, tel qu'un enfant.


 En se retrouvant seul, après la fatigue cérémonie des funérailles, Phanuel, pour la première fois, songea que si la Mort était la Reine du Rapt et de Deuil, elle était aussi la grande, la véritable Consolatrix afflictorum, et il se résolut au suicide. Cette décision prise, il fut plus calme. Il se procura une fiole d'acide prussique, et, sûr de son prochain affranchissement, il se plut à se remémorer l'élégie de ses deux ans de ménage écoulés en un unique frisson d'amour. Il revécut le passé, minutieusement, minute par minute, et le charme douloureux de ses songeries le captiva si bien que les heures présentes furent brèves... Peu à peu, elles firent, les heures compâtissantes, neiger de l'oubli, comme une blanche charpie, sur son cœur blessé... La fiole d'acide prussique fut reléguée au fond d'une armoire... Pha­nuel, un matin de soleil, se surprit à chanter...

III

 Les mois s'écoulèrent. Tombé dans une sorte de léthargie cérébrale, il avait quasi cessé de souffrir, lorsque soudain, sans qu'il fût capable d'en définir la cause, une sourde angoisse l'étreignit de nouveau. Ce soir-là, sa chambre lui parut vide, plus abandonnée que de cou­tume. Il songea que Marie était décédée depuis près d'un an, et cette remembrance lui causa une sorte de terreur qu'il ne put réprimer. Son inquiétude alla grandissante les jours qui suivirent, et la nuit qui précéda le jour an­niversaire de la mort de Marie il fut assailli d'épouvantes folles et ne put fermer les yeux. Enfin, au matin, la crise, latente jusque-là, finit par éclater. Dans une terrible hal­lucination, le drame annulé se rejoua point par point, méthodiquement : Marie mourut une seconde fois.
 Phanuel, incapable de se débattre, se mit à fuir à tra­vers Paris, éperonné par une douleur vorace qui lui man­geait le cœur.


 La tête enfouie jusqu'aux oreilles dans le col haut monté de son pardessus, les mains dans les poches, il allait droit devant lui, rasant les murs, l'échine courbée, le regard vague. Parfois, à l'intersection de deux rues, il s'arrêtait net, semblait « prendre le vent » comme un chien perdu, et continuait sa route d'une marche irrégulière et bizarre d'ivrogne. Sourd aux imprécations des gens qu'il bousculait, il brûlait le pavé à grandes enjam­bées ; par instant, il accélérait son allure, prenait le pas gymnastique, se mettait à courir vertigineusement, puis, épuisé, hors d'haleine, il s'alentissait par degrés et finis­sait par muser sans rien voir, en des poses de flâneur, aux vitrines d'un quelconque boutiquier.
 Pendant des heures il ambula ainsi sous le ciel plombaginé de cette hivernale après-midi, insensible à l'âpre. bise qui lui coupait la figure et figeait des perles de glace, dans sa moustache aux crins roidis.
 Enfin, sur le soir, la fatigue mâta la douleur. Aveuli, fourbu, Phanuel presque inconsciemment se réfugia dans une taverne qu'un vitrail polychrome défendait contre les tristesses de la vesprée. Il s'affala sur un divan, dans un coin d'ombre, et se fit apporter de l'absinthe.

IV

 Et tout de suite ce fut un grand apaisement, une quiétude douce, comme si, d'un coup, sa cervelle se fût effondrée dans l'envahissante torpeur du bien-être physique.
 Sans pensée, il contemplait machinalement les deux grandes salles asymétriques, en retour d'équerre, séparées par une haute tribune où trônait une grasse matrone diadèmée d'un peigne dentelé d'or.
 Un jour fin, violâtre, tombait du vitrail rouge et bleu sur le plancher saupoudré de sable. Presque déserte, la taverne, dans cette lueur crépusculaire, arborait un aspect mystérieux de temple, avec ses antique crédences de vieux bois sculptées en forme de châsses byzantines, et ses lustres bizarres, semblables à de primitifs lampadaires, suspendus par des chaînettes de cuivre au plafond à poutrelles. Un silence presque absolu planait, seulement coupé par le cliquetis aigre de pièces de monnaies comptées et recomptées interminablement par la patronne, ou par la musique cristalline des verres entrechoquées.
 Et Phanuel, à moitié ivre déjà, pour avoir lampé d'un trait son verre d'absinthe, laissait errer distraitement ses regards de la verrière historiée d'héraldiques vignettes aux tentures de haute lice, dont les couleurs vétustes sombraient dans une teinte uniforme de gris poussiéreux où transparaissait à peine une forêt aux arbres étrangement tordus, une forêt peuplée d'apocalyptiques monstres que chevauchaient des nains fantasques et des écuyers bardés de fer.
 Un léger engourdissement l'assouplissait dans son coin, tandis que les balsamiques vapeurs du bienfaisant poison montaient à son pauvre cerveau obnubilé par la souffrance, le libéraient enfin de la martyrisante obsession, l'éclairaient peu à peu d'une merveilleuse lucidité.
 Un rayon de soleil moribond filtra soudain à travers la déchirure d'un nuage et vint lamber le vitrail de la taverne. Le sable se revêtit d'une teinte d'or safrané ; les vermouths, les amers, les absinthes étincelèrent, tels d'énormes joyaux. Les monogrammes enclos en des touches d'or sur les caissons latéraux s'allumèrent, striés d'une bande irisée ; la pourpre cardinalice des minces colonnettes, cerclées de patères de cuivre où grimaçaient de simiesques binettes, s'aviva. En l'ombre discrète des dressoirs, cristaux et vieilles faïences éclaboussés par place se mirent a chanter, accusant des panses rebondies, des cols minces, des évasements délicats. Tout un pan de la draperie fut balafré d'un éclat de lumière brutale qui en précisa les couleurs passées, et, par-dessus toute cette symphonie en mineure, le vitrail en fusion hurla par la double gamme de ses rouges et de ses bleus constellés de topazes, d'émeraudes et d'améthystes, un éclatant alleluia.
 Phanuel s'émerveillait. Une bouffée d'extase lui renversa la tête sur le dossier du divan ; la bouche béante, les regards noyés, il se prit à rêver. Aussi bien, il ne souffrait plus du tout, ne songeait même plus à la morte. Ses idées maintenant papillottaient en visions vagues qu'il n'avait pas la force de préciser, mais qui toutes se rapportaient à la conception d'un futur meilleur. De temps en temps il allongeait avec paresse la main vers son absinthe, et en absorbait quelques gouttes qui lui brûlaient le palais. Son second verre consommé, ses idées, tout en restant rationnelles, devinrent extraordinairement falotes.
 La nuit tombait dans un léger brouillard, et les passants entrevus à travers le vitrail prenaient des allures cocasses d'ombres chinoises. Proches, ils se mouvaient raides, guindés, anguleux, avec des gestes cassés et gourds de marionnettes frileuses. Lointains, ils s'estompaient en taches sombres et indécises, semblaient s'évaporer comme des formes de rêve; les chevaux, qui patinaient sur un pavé butyreux avec de rythmiques ondulations de la croupe, paraissaient mus par des ressorts.
 Et Phanuel se plut à imaginer l'univers peuplé de fantoches en bois, se démenant dans tous les sens, sans raison autre que la fantaisie d'un chorège farceur qui tiendrait les fils conducteurs et souvent les embrouillerait en vue d'une incompréhensible amusette. Une fois lancé sur cette piste fertile, il se mit à déraisonner à perte de vue sur la duperie de l'existence, l'intellectuelle myopie de l'humanité et autres considérations philosophiques du même acabit.
 Ce flot désordonné d'incongrues révoltes l'amena naturellement à d'insolites comparaisons, et, une troisième verrée d'absinthe aidant, il se produisit le plus stupéfiant des phénomènes : Phanuel, le laid, le triste, le souffreteux Phanuel eut pour la première fois un frisson d'orgueil. Délibérément il s'investit de qualités extraordinaires, et par ainsi se jugea très supérieur aux paisibles bourgeois qui l'entouraient...
 Le gaz maintenant éclairait la taverne, qui, dénuée de la poésie mystérieuse du demi-jour, avait repris son aspect banal d'auberge parisienne. Les tentures arboraient des teintes pisseuses, le vitrail éteint saignait de déplorables notes rouillées entre les armatures de plomb, un brouillard de pétun s'élevait, empuantissant l'atmosphère. Le corps complètement annihilé, mais l'esprit d'autant plus acute, Phanuel s'attristait, d'une tristesse qui n'allait point pourtant sans une certaine joie égoïste et féroce, à constater l'abrutissement que dégageaient les physionomies des bonshommes ventripotents échoués autour des tables. De leurs conversations il n'entendait rien, mais à voir leurs gestes puant le mercantilisme des gens qui vivent habituellement de négoce, à voir leurs bouches s'étirer hideusement en un rire identique de mufles satisfaits, tandis que leurs yeux, à tous, trahissaient l'inconscient mal de vivre, une méprisante pitié lui vint. A ces études, il acheva de conquérir sa propre estime, et il eut un sourire de néphilibate...
 Soudain son rêve flottant fut happé au passage par une tête de jeune femme, qui profilait au fond de la salle une brune et impérieuse beauté. De prime abord il fut conquis, et brusquement ses idées virèrent. En sa raison à demi-naufragée surgit la vision précise de cette femme nue, dans une pose obscène, et ses sens furent fouettés d'un vent de fougueuse concupiscence. Avec une ténacité d'ivrogne, il se mit à la couver d'une ineffable caresse, soliloquant à mi-voix son admiration en d'exclamatives louanges. A plusieurs reprises les yeux vagabonds de la jeune femme rencontrèrent les siens, sans qu'elle parût y prendre garde ; mais, à la longue, elle s'impatienta de cette gênante inquisition et planta droit son dur regard sur l'importun avec une moue significative. Il baissa les paupières, interloqué, redevenu très timide. Afin de se donner l'audace nécessaire, il absorba un nouvel apéritif, et, tout en se penchant sur un journal en manière de contenance, il tenta de combiner quelque machiavélique projet de séduction.
 Malheureusement, lorsqu'il releva les yeux, après cinq minutes d'infructueux efforts d'imaginative, la jeune femme se trouvait en compagnie d'un imberbe freluquet. A son sourire, à elle, à ses gestes, à lui, Phanuel crut démêler un oarystis, et tout aussitôt il fut pris d'une stupide et démentielle jalousie. En ce court espace de temps, une véritable tempête de désirs s'était ruée sur lui, brû­lant son sang, martelant ses tempes à coups sourds et multipliés.
 A ce degré d'alcoolisme, le rut ainsi déchaîné confi­nait à une sorte de folie éréthique où sombrait irrémé­diablement le reste de sa lucidité. De vagues, idées de meurtre et de viol s'emparèrent despotiquement de son crâne alourdi, et, lorsque les deux amants s'escampèrent, machinalement il les suivit.


V

 Dans le brouillard, il avançait à l'aveuglette, à travers . un dédale de ruelles désertes, titubant ignoblement, se cognant aux murs, embrassant les réverbères...
 Rien ne subsistait plus maintenant, en son intellection à vau-l'absinthe, qu une vertigineuse ronde de chairs nues qui attisaient sa charnelle fringale.
 Soudain une ombre lui barra le passage, se cramponna à son paletot; une voix qui voulait être cajoleuse mur­mura une invitation...
 Le lendemain Phanuel s'éveilla entre les draps souillés d'une abominable pierreuse.

Jean Court.

LES POÈTES ROMANS

 Combien subsistent des poètes symbolistes de la première heure, de ceux dont les gazettes, voilà quelques années, nous ramenaient périodiquement les noms dans un ordre aussi rigoureusement immuable que celui des saisons ? M. Tailhade se récuse. M. Vignier se tait. M. Kahn a regagné la Belgique, et pour M. Charles Morice, surpris par l'effroyable éboulement de Chérubin, il est à craindre qu'il ne reste à jamais enseveli sous les décombres. M. Moréas, resté seul, a senti le besoin de réorganiser son école et d'en transformer la raison sociale. On ne doit plus dire symboliste, mais roman : et voici que les affaires se font aussi brillantes qu'autrefois. Sur les ruines des anciens poètes, de nouveaux se sont édifiés. Citerais-je M. Maurice du Plessys, l'enfant terrible de cette restauration, dont la Dédicace à Apollodore si merveilleusement insolite a stupéfié ceux quelle n'a pas fait écumer de rage impuissante ? Citerais-je Raymond de la Tailhède, unique de grâce et de magnificence, disait Jules Tellier, voilà déjà des ans ? d'autres encore moins hautement avoués pour n'avoir acquitté de quelque ode ou de quelque dédicace, « enflammée » leur droit de péage.
 Et les scoliastes ne manquent point à l'école. Le commentateur patenté fut jadis M. Paul Adam. Ce sem­blait alors une âme, généreuse travaillée d'un grand désir d'affranchissement, un révolutionnaire émancipateur. Le voici, après avoir chu dans le boulangisme, revenu au papisme ; et s'il continue a combattre, ce n'est plus qu'avec des armes dérobées à l'arsenal des plus étroits préjugés. M. Charles Maurras lui a succédé. C'est tout profit pour l'école romane.
 Pour si jeune qu'il soit, M. Charles Maurras n'est point un inconnu. Il chronique un peu dans tous les périodiques et plus particulièrement à l’Observateur Français, où, chargé de la bibliographie, il préfère tenir le public au courant d'un chef-d'œuvre ignoré que d'une ineptie de M. Albert Delpit, voire d'une indigeste denrée de M. Emile Zola.
 Vraiment il sied de le féliciter de maintenir haut l'honneur de son Art, dans un temps où la Critique n'est plus guère, entre les mains de gens pressés de parvenir, qu'un moyen de forcer la bourse et la table de leurs contemporains, qu'un instrument de corruption. Tout au moins celui-ci sait-il que son rôle est d'éclairer l'esprit public, non de l'égarer au profit de tel goujat millionnaire ou de tel imbécile influent, et, certes ! aucune mauvaise arrière-pensée, aucune basse jalousie, aucune idée honteuse de lucre et de profit n'a présidé à la rédaction de cet opuscule : « Jean Moréas », qu'il vient de publier à la librairie Plon, et dont il n'est que bruit partout, à cette heure, dans les sous-sols de brasseries et les antichambres de rédactions.
 Tout d'abord, dans cette opuscule, l'auteur constate que Moréas continue sa brillante ascension, « tel que le voici parvenu au glorieux zénith du Pèlerin Passionné ». Les livres ont leur destin. Le Pèlerin naquit sous une heureuse étoile. On aurait tort de croire, comme l'insinue un Maitre, indemne d'ailleurs de tout préjudice, en l'occurrence, que tout le bruit mené autour de cette œuvre soit le résultat d'une mystification un peu bien machinée. Un article de M. Anatole France, voire de M. Maurice Barrès — supérieur au premier de tout l'excédent de tirage du Figaro - ne suffirait pas à créer au-tour d'un homme une agitation si retentissante. La faveur influente de ces deux critiques est allée à d'autres contemporains qui n'en ont pas retiré de si appréciables bénéfices. La réclame d'un banquet même (MM. Zola et Alfred Bruneau en ont fait récemment l'expérience) est impuissante à nourrir une gloire. Pourquoi donc cette réclame, qui fut profitable à M. Moréas, fut-elle incapable de sortir de la nuit d'indifférence où ils gisent MM. Haraucourt et Rodenbach, par exemple ?
 C'est que le Pèlerin Passionné est une œuvre vivante qui accuse l'âme du moment et où la foule trouve un reflet de ses idées, le sentiment très vif de ses aspirations. Voici que l'enthousiasme de certains lui donne la portée d'un manifeste, lui attribue les glorieuses prérogatives d'un drapeau. A cause d'elle, les félibres s'agitent. Le midi bouge, comme crie Retté avec un rien d'apeurement, et Retté a raison de s'apeurer, car suffit de prêter l'oreille pour percevoir, sous le cliquetis des rythmes, tout le fracas d'une prise d'armes. Oui ! c'est derrière les strophes du Bocage et des Églogues l'explosion d'une âpre révolte, le brouhaha d'une armée en marche, d'une armée de Latins qui, à rangs serrés, s'avance, pour, une nouvelle fois, conquérir la Gaule !
 Cette réaction littéraire, dont je note surtout l'esprit païen, arrive à son heure, alors que nous sommes menacés d'un retour à l'esprit mystique au moment même où M. Maurice Barrès célèbre le los d'Ignace de Loyola, où M. Huysmans bat la grosse caisse à la porte du Satanisme, où M. Léon Bloy menace les Infidèles des hautes flambées de son style d'inquisition, quand, partout le long des Revues, au pied des Journaux, champignonnent les Mages, les Kabbalistes et les Prophètes. Certes, les gens sensés n'ont aucun doute sur l'avenir d'un pareil état d'esprit. Les ressources de l'hydrothérapie et la propagation du bromure en font prévoir la fatale issue. Toutefois, n'est-ce pas trop déjà que quelques esprits faibles puissent être séduits par le côté décor d'une semblable bondieuserie et que la révolution que nous souhaitons, c'est-à-dire l'affranchissement, pour les consciences, du joug chrétien, en puisse être retardé d'autant ? Or donc, puisque les excès appellent les excès, réédifions des vers à Jupiter en attendant de lui réédifier des Temples. Certes ! les gens pour qui les bancs d'école furent une stalle d'orchestre aux Bouffes et qui ne furent initiés aux beautés du polythéisme que par les calembredaines d’Orphée aux Enfers (œuvre où éclate une telle bassesse d'âme, un tel parti-pris de souillure que Zola lui-même s'en est indigné) ne vont pas manquer de sourire. Je m'adresse à ceux qui — de cette religion hellénique — ont su pénétrer les symboles et en ont compris la merveilleuse grandeur. Au moins cette religion avait-elle sur la nôtre l'avantage de donner satisfaction au double vœu de notre nature et de n'en avoir pas rompu équilibre, outre que le mépris de la chair qui fait le fonds du christianisme a détruit tout idéal plastique et obscurci dans nos âmes le sentiment de la beauté corporelle qui est l'échelle par où, comme l'entendait Platon, nous nous élevons jusqu'au concept de la beauté morale.
 Aussi bien, puisse cette vogue du Pèlerin Passionné ramener en France le goût des Poètes de l'antiquité, qui restent nos maîtres - notez-le —, qui forment 1a source la plus pure de notre littérature et où, aux heures de décadence et d'épuisement, il n'est pas mauvais que nous allions nous retremper. Il est de mode aujourd'hui de les dénigrer. Pour donner plus de temps à l'étude des langues dite vivantes, on rétrécit le cercle de l'enseignement classique, au sens exact du mot. Tant mieux ! Les esprits hauts, lorsqu'ils aborderont les poètes grecs et latins, y trouveront plus de fraicheur. On aura moins de prétexte à laisser moisir au fond des placards, sur les planches, tant de précieux matériaux indispensables à l'édification des œuvres nouvelles. Aucun souvenir dé­sagréable ne se mêlera, pour la troubler, à la pure joie qui déborde des vers de Lucrèce ou de Virgile, et sur leur gloire ne flottera plus l'ombre des pensums de jadis.
 M. Charles Maurras, né sur les bords de la Méditerranée, dont il dit qu'il n'est point de pensée ni de rêve qu'elle n'ait suscités, accueille ce livre avec une explosion de joie enthousiaste, et il voudrait à tous faire partager cette joie. Longuement, patiemment, il disposé ses arguments, désireux de hâter les compréhensions pa­resseuses, de dessiller les esprits prévenus.
 Une à une, il expose toutes les objections et les réfute. Que reprochez-vous à Moréas ? Son obscurité ? Elle n'est qu'apparente et faite seulement de votre ignorance. Mo­réas n'emploie que des vocables enregistrés dans les lexiques les plus usuels, et vraiment pouvez-vous bien lui reprocher d'employer des termes aussi vivants que : hiémal, lustral, macrobe, manuterge et simarre, par exemple !
 Est-ce parce que quelques-uns de ses rythmes sonnent faux à votre oreille ? mais cela provient de leur nouveauté. N'imitez pas nos grands-pères qui, façonnés à la fluide harmonie racinienne, se hâtaient de condamner, comme rudes et barbares, les rythmes de Victor Hugo. Avant de si délibérément juger, rappelez-vous que Mo­réas a fait, comme il dit, ses preuves dans la métrique réglementaire, et à tout le moins, s'il pêche, avouez que ce n'est pas faute de savoir.
 Est-ce parce qu'il n'a point d'idées ? mais les idées ne sont point si nécessaires au Poète, qui vit surtout de sensations, et dont tout l'art consiste dans la notation exacte, dans le rendu précis de ces sensations.
 Est-ce parce qu'il ne tient aucun compte de la chronologie ? Mais c'est encore une chose fort défendable, et M. Maurice du Plessys, de qui l'humeur pindarique am­poule le discours, a raison quand il s'écrie :
 « C'est tellement qu'investi du ministère symbolique le Poète délie du temps et de l'espace, les formules sans les représenter. Riche du savoir qu'il tient de la Révé­lation sans réserve, l'Univers est sa panoplie. Voyez de quelle main souveraine il taille dans les temps ; de quels flambeaux saufs de nuit il irradie sa prêtrise ! et reconnaissez, fronts obscurs! combien il serait sacrilège à son rite, combien il serait attentatoire à sa fonction qu'il pliât à de sordides liens un sacerdoce qui n'a sa légitimité que dans sa suprématie ! Ne vous étonnez donc plus qu'il constitue ses poèmes de tout l’Élément incessant ; qu'il leur donne au mépris ou plutôt en dehors de toute convention empirique l'architecture nécessaire ; qu'il assigne à son ouvrage les conditions extérieures harmoniques à son essence et à son objet. Oui, c'est à ces causes et à ces fins souveraines que le poète installera sa vision dans le décor afférent, dédaigneux de tout historicisme intrus; qu'il affranchira sa parole des lisières de l'immédiat, et qu'ouvrier de l'or, il ne consentira à laborer que dans un verbe ramené à la noblesse de sen origine, épuré des sceaux de la mésalliance et de la sénilité. Et ce n'est voire qu'à ce prix qu'il pourra édifier une œuvre durable et véridique; parce quelle aura été, pour parler comme Spinosa, émise sous son angle d’Éternité. »
 Donc solvuntur objecta, comme s'écrie avec une belle assurance, de l'impertinence presque, M. Charles Maurras. Nous serions bien sots d'aller lui chercher noise là-dessus. Pouvons-nous refuser quelques grammes d'enthousiasme à un Poète qui nous « rapatrie par les sillages de Ronsard aux bords de la pure Odyssée »? Qu'il nous suffise, pour être justes, de ne pas oublier qu'à côté des effusifs impersonnels, qu'à côté des traditionnistes où se range Moréas, il y a des différents, des réfractaires point du tout méprisables.

Ernest Raynaud.

LE CALVAIRE IMMÉMORIAL

A José Mara de Hérédia.


 La brise bonne de la Rêverie me poussait à l'aventure, emmi les fermes de pain bis, sur le solide fleuve des routes qu'enrivage l'espérance tendre où pâturent les moutons, ces quenouilles vivantes.
 Un peu partout, sous les coqs de métal, en les donjons divins, tintaient, à rhythme égal, les gros sous d'existence versés par l'aile des moulins et la nageoire des charrues.
 Solitaire, j'allais ; m'effaçant une fois seule devant la naïve diligence vieille : guêpe au dard de fouet qui, de village en village, voltige et cueille l'animé butin qu'amassera tantôt la ruche de la Ville.
A certain coude du chemin, sans doute rendez-vous de l'adieu des Conscrits, je vis un Calvaire soudain.
 Le Christ était à deviner, tant il était usé !
 Cela s'arborait près d'un if séculaire aux petits fruits pareils à des gouttes de sang.
 Or j'eus beaucoup de peine, car Jésus semblait davantage pâtir en sa décrépitude. Il n'était plus que quelque chose de pendu : comme un chiffon de pierre oublié là jadis, et plus jadis encore, par un gars d'avant l'Age des Lances et des Clous.
 Alentour... somnolaient les grandes fleurs de Solitude.
 Je dis :
 — Que je te plains, Crucifié, d'être si dévasté !... Mais pourquoi telle misère maigre ?.. T'avait-on pas appendu bel et grandiose au Sycomore de granit où je te vois à peine avec les yeux de l'âme ? Réponds, ô père fraternel, la forme serait-ce des poussières superposées que lèverait en passant l'aile ménagère des Oiseaux du Temps ? Ou bien t'avait-on fait avec le sel des pleurs, et les larmes longues de la pluie t'auraient-elles fondu ? Parle, frère paternel !.. Tu parlas bien à l'époque de Palme à la Jolie de Samarie.
 Jésus me répondit...
 Oh ! il ne parlait pas, n'ayant plus de lèvres, plus de langue, plus de bouche, oh ! il ne parlait pas... mais le chiffon de pierre prodiguait des abeilles, et chaque abeille était une voyelle avec deux ailes de consonnes.
 Or ce miel j'entendis:
 — Non ce n'est pas la pluie, non ce n'est pas le temps ! bien que je sois là depuis des siècles, dressé par des femmes pies qui seraient très vieilles si elles vivaient encore, et qui sont en Paradis, très jeunes d'être mortes. Non ce n'est pas le temps, non ce n'est pas la pluie ! bien qu'il ait plu souventefois pour le plaisir des fleurs et pour la gloire des pommiers ! Non, ce n'est pas cela ! Mais, à ce carrefour, viennent depuis des ans et des années, viennent tous les Moroses d'ici-bas. Depuis des ans et des années, pélerinent vers moi les Mendiants de l'âme et de la chair fanées; et tous, gravissant les marches du Calvaire, baisent fébrilement mon Image salubre.
 — En vérité, Jésus, là présence des baiser se voit à l'absence de la pierre qui s'en alla parmi les lèvres qui passèrent.
 — Sache davantage. Chaque baiser définit la Douleur qui le pose. Ainsi le Fol baise mon front, l'Aveugle mes yeux, le Muet ma bouche, le Sourd mes oreilles, le Bancal mes jambes, le Manchot mes mains et mes bras, et mon Cœur à la caresse des Madeleines-les-maîtresses. Ces Souffrants réunis signifient la Souffrance Humaine tout entière, et leurs baisers éparpillés concourent au même but en labourant ma pierre bénévole.
 — Ce but, quel est-il, Verbe fait essaim d'abeilles ?
 — C'est mon Âme ! mon Âme Divine qui couve ingénument sous la forme terrestre. Elle est pour eux l'Espérance admirable, et s'ils savaient ne pas la récolter un jour sous la charrue de leurs baisers, ces pèlerins adoreraient l'ivraie blasphématrice et perdraient à jamais la foi du Paradis.
 — O ton Âme Divine ! clamai-je éperdu comme un amant divin.
 Alors, gravissant les marches du Calvaire, j'étreignis le rédempteur Sycomore et j'y baisai avec ardence le chiffon de pierre à la place présumée des yeux, des mains, des pieds, du cœur, du front, - car le poète est la Souffrance Humaine tout entière.
 Si nombreux furent mes baisers que, l'Image disparue de par la forme usée, jaillit l’Âme Divine enfin, l’Âme espérée depuis des ans puis des années par les Mendiants de l'âme et de la chair fanées...
 Mon cœur, soudain ravi par ce Diamant premier de l'Invisibilité, s'épanouit ainsi qu'un fanatique héliotrope vis-à-vis du Soleil.
 Et je dus rester là, vierge, immuable, séculairement.
 Seules m'avaient vu les grandes fleurs de Solitude.
 (les magnificences. - fin 1889)

SUR UN RUISSELET
QUI PASSE DANS LA LUZERNE

A Francis Vielé-Griffin.


 O l'Onde qui file et glisse, vive naïve et lisse!


 Parmi les prairies du Songe, des ,Filles se révèlent, parfois, la chevelure telle.
 Ce Ruisselet, parvule et frais, sans doute est un lézard de désirs purs... épanoui lézard qu'une étincelle d’œil ferait s'évanouir?
 Sur le silence des ongles inférieurs, noyé dans ce saule propice, admirons la pélerine de la Langue et de la Racine qui s'achemine en la luzerne vierge.
 Oh ! cela coule sur des cailloux, arrondis par l'obséquieuse politesse, suggérant les chauves jabotes sans leur perruque printanière.
 L'azur inclus est, n'est-ce point ? la perceptible remembrance des prunelles nymphales qui s'y séduisirent.
 Admirons sans s'y mirer, et de loin sourions, de peur d'effaroucher...
 Combien joli de sourire à du rire qui glisse ainsi que des larmes divines de martyres fines!

 Je me pris à prier comme devant une Statue-de-la-Vierge en fusion :

 — « Onde vraie,
 Onde première,
 Onde candide,
 Onde lis et cygnes,
 Onde sueur de l'ombre,
 Onde baudrier de la prairie,
 Onde innocence qui passe,
 Onde lingot de firmament,
 Onde litanies de matinée,
 Onde choyée des vasques,
 Onde chérie par l'aiguière,
 Onde aimante des jarres,
 Onde en vue du baptême,
 Onde pour les Statues à socle,
 Onde psyché des Âmes diaphanes,
 Onde pour les orteils des Fées,
 Onde pour les chevilles des Mendiantes,
 Onde pour les plumes des Anges,
 Onde pour l'exil des Idées,
 Onde bébé des pluies d'avril,
 Onde petite fille à la poupée,
 Onde fiancée perlant sa missive,
 Onde carmélite aux pieds du Crucifix,
 Onde avarice à la confesse,
 Onde superbe lance des Croisades,
 Onde émanée d'une cloche tacite, .
 Onde humilité de la cime,
 Onde éloquence des mamelles de pierre,
  Onde argenterie des tiroirs du vallon,
  Onde banderolle du vitrail rustique,
 Onde écharpe que gagne la Fatigue,
 Onde palme et rosaire des yeux,
 Onde en vacances des ruches sans épines,
 Onde versée par les Charités simples,
 Onde rosée des Étoiles qui clignent,
 Onde pipi de la Lune-aux-mousselines,
 Onde jouissance du Soleil-en-roue-de-paon,
 Onde pareille aux voix des Aimées sous le marbre,
 Onde qui bellement parais une brise solide,
 Onde semblable à des baisers visibles se courant après,
 Onde que l'on dirait du sang de Paradis-aux-clefs,
Je te salue de l'Elseneur de mes Péchés! »


 — Ce Ruisselet, j'ai su depuis, était mon Souvenir-du-premier-âge.
 O l'Onde qui file et glisse, vive naïve et lisse!


 (Tablettes, 14 avril 91).

Saint-Pol-Roux.


L'AFRIQUE OUVERTE



 Je me préparais très sérieusement à concourir pour le prix de poésie de l'Académie Française.
 Dans ce but — et je prie de croire que la pureté de mes intentions était suprême — je m'étais résolu à réprouver formellement mes erreurs. J'étais décidé à me soumettre avec respect à l'esthétique actuellement en cours (ou en cour) à l'Académie et dans le grand public universitaire, à faire une œuvre que tous les bacheliers pussent lire, comprendre et admirer, dans laquelle ils retrouvassent, agréablement fatigués comme une belle salade romaine, des fragments de leurs auteurs favoris, des bribes de leurs anthologies de classe, les figures de style familières à leurs années de rhétorique, le tout baignant comme il faut dans cette sauce romantico-lyrique, pas trop poivrée, à la Louis-Philippe, qui constitue, pour les honnêtes gens, la caractéristique de la poésie moderne. Je venais donc de relire beaucoup de Hugo, pas mal de Lamartine, quelque peu de l'abbé Delille, pas trop de xviime siècle, pas du tout de xvime, mais du Henri de Bornier, du Déroulède, du Stéphen Liégeard, voire du Jean Aicard. J'étais tout à fait dans l'état mental requis. Je n'attendais plus que le sujet.
 L'autre jour, ouvrant un journal, je tombai sur l'information suivante :
 « Académie Française. — L'Académie a choisi hier le sujet de son prix de poésie pour le concours de 1893. C'est l'Afrique ouverte. »
 J'avoue qu'à cette nouvelle mont Pégase en eut les jambes coupées.
 Ah ! messieurs. j'étais prêt à tout. Plein d'une noble émulation, j'aurais traité avec un égal courage une Patrie en danger, un Gloria victis, une Fête de la Fédération, une Union des Arts et des Sciences sous la bannière du Bien ou une Apothéose de Victor Hugo: mais une Afrique ouverte?, cela me dépasse, ma poésie n'atteint pas à ces hauteurs vertigineuses, j'en reste démesurément baba.
 Que diable aussi peut-on dire sur l'Afrique ouverte? quels alexandrins aligner ? de quel enthousiasme orphique être saisi ? Je vois bien ce titre sur une composition d'économie politique, sur une dissertation historique, sur un mémoire diplomatique, mais en tête d'un poème il me fait l'effet d'une citrouille que tiendrait Apollon au lieu de lyre.
 Décidément, l'Académie va trop loin. Ce n'est pas parce qu'elle se dispose à recevoir M. Zola qu'il faut qu'elle se croie tenue à jouer de pareils tours aux poètes. En l'honneur de celui qu'elle attend, elle pourra, si elle le désir, fonder un prix de prose intensive: mais, pour l'heure, elle doit en rester aux termes des statuts qui l'obligent à fournir périodiquement aux nourrissons des muses des sujets qui soient dans les cordes de leurs luths.
 Les oreilles des poètes académiciens ne se sont-elles pas dressées d'horreur à l’ouïe d'un pareil thème proposé aux méditations de la partie éthérée du peuple français? Il faut croire qu'ils n'y ont pas autrement réfléchi : ils eussent été impardonnables d'avoir laissé passer cette énormité. Chez M. Leconte de l'Isle, ces deux mots auront vaguement évoqué un troupeau d’éléphants batifolant au milieu des palmiers. M. Coppée aura vu bimbeloter devant ses yeux l'étalage de quelque bazar marocain ou frétiller l'intérieur de quelque café maure. Quant à M. Sully-Prudhomme, il est d'habitude trop loin de l'Afrique,,ouverte ou fermée, pour que ces syllabes étranges aient rien pu lui suggérer. Je n'accuserai donc aucun de ces trois messieurs, sinon d'une indifférence pas trop olympienne à l'endroit de leurs jeunes et infortunés confrères.
 Mais il y a évidemment parmi les Quarante un épouvantable farceur.
 Qui est-ce?
 Il ne faut pas chercher dans le parti des ducs. Les ducs s'occupent fort peu de poésie, et ils professent vraisemblablement pour l'Afrique un mépris frisant l'impertinente. Les auteurs dramatiques me semblent également devoir être éloignés de tout soupçon. J'en dirai autant des romanciers. Le seul Loti aurait été capable... Mais, élu d'hier, il n'a guère pu collaborer à cette trouvaille abracadabrante. Les normaliens seraient assez louches : l'Université est coutumière de ces majestueux coq-à-l'âne, à la fois phénoménanaux et poncifs, dont on assomme les élèves béants avec l'espoir de leur fertiliser l'esprit. Cependant, le caractère vraiment par trop contemporain de cette Afrique ouverte défie toute connivence de M. Gaston Boissier ou de M. Gréard. Ils n'auraient jamais imaginé et encore moins osé l'Afrique ouverte. Non : il faut, sans hésiter, s'abattre sur une des âmes errantes de l'Académie : j'entends, par cette expression, ceux qui y sont sans en être et qui, pour montrer qu'ils y sont, font encore plus de bruit que ceux qui en sont. On pourrait d'abord suspecter M. l'amiral Jurien de la Gravière : l'Afrique rentre dans ses attributions. Mais il y a quelqu'un d'autre, pour qui l'Afrique ouverte équivaut presque à une glorification personnelle. Is fecit cut prodest : il n'y a pas de doute, c'est M. de Freycinet qui est l'instigateur de ce prodigieux concours. Quoiqu'il n'ait pas encore prononcé son discours de réception, on sent déjà — jusqu'en poésie ! — la main de celui sous le gouvernement duquel le continent noir fut partagé entre les nations de l'Europe.
 Et maintenant, à vous, poètes, faites aussi consciencieusement que possible votre métier de petits Virgiles vis-à-vis de ce petit Auguste.
 Les concours de poésie vont devenir sans doute très divertissants — pour la galerie — si l'Académie persévère à en faire édicter le sujet par ses membres irréguliers, par ceux qui, je ne dirai pas : n'ont jamais fait un vers, mais n'ont jamais écrit une page de prose artistique.
 On verra, dans un avenir prochain, M. Bertrand mettre au concours : Les beautés de l'hypothénuse;
 M. Pasteur : Le barbet rébarbatif ;
 M. Léon Say : L'Art... gent;
 M. Jurien de la Gravière, ci-dessus nommé : L'hélice poétique (ne pas lire les lices);
 M. Hervé : Le Soleil (ne pas confondre avec l'astre du jour);
 M.. Ollivier : Jadis et Naguère ,(toujours ne pas confondre);
 Et, après l'Afrique ouverte, M. de Lesseps donnera certainement : l'Amérique ouverte.
 On m'objectera peut-être que M. de Lesseps est poète. Il est vrai qu'il a composé autrefois un vers. Ce vers l'a même fait joliment Suez. Mais quand il s'est agi de composer le second, il n'a jamais pu le faire rimer.
 Si l'Académie Française, en proposant le sujet du concours de poésie, a cru compenser ce lui manquait de poétique parce qu'il semblait présenter de patriotique, on tombe du Charybde de l'étonnement dans le Scylla de l'effarement. L'Académie serait-elle subitement devenue anglaise ou allemande ? Car, il n'y a pas à tortiller, c'est bel et bien au profit des Anglais et des Allemands que le fameux partage s'est opéré. La France a tout au plus réussi à se faire confirmer la possession des territoires qu'elle occupait déjà. Je me trompe : on lui a fait entrevoir le Sahara comme fiche de consolation. A la gloire donc de l'Angleterre et de l'Allemagne! Je ne vois pas moyen de traiter le sujet autrement. A moins que, horresco referens, l'Académie n'ait voulu jouer une bien bonne aux Italiens! Ou que, mais ceci partirait vraiment d'un bien mauvais naturel, elle n'ait désiré narguer ces pauvres Portugais dans leur malheur!
 Et avec tout cela, les difficultés s'amoncellent. On chipote pour le moindre petit bout de grève, on se conteste des contrées où pas un blanc n'a encore mis le pied, on bataille pour des lacs, des fleuves, des montagnes dont on n'est même pas sûr géographiquement, il y a déjà des incidents de frontière sur des frontières qui n'existent pas. Et la suppression de la traite, n'est-ce pas une des plus énormes escobarderies du siècle? Les nations s'assemblent en congrès antiesclavagiste, et, lorsqu'il s'agit de prendre les mesures conformes aux décisions, les uns se dérobent pour n'avoir pas à interrompre leur petit trafic d'armes à feu et de boissons alcooliques, les autres pour ne pas devoir tolérer la visite de leurs navires! Quand ce n'est pas sale, c'est triste: on y meurt des fièvres et les voyageurs y sont mangés par les cannibales. Ah! c'est du joli l'Afrique ouverte! .
 Ce qui sera encore plus joli, et ce qui ne ratera pas, c'est qu'en 1893 lors du jugement du concours, il y aura un tel grabuge, tellement de sang versé, tellement d'injustices commises, une guerre ouverte déchaînée peut-être entre des peuples européens, piliers de la civilisation, pour quelques misérables défenses d'éléphant, que l’Afrique sera devenue une véritable honte. Voyez-vous la tête du poète glorificateur et les Quarante du corps qui aura ordonné et devra couronner cette apologie?
 Messieurs de l'Académie, prenez garde à la politique, c'est traître!
 Quoique le ton de cet article ne soit pas aussi sérieux qu'il le faudrait, je ne voudrais pas qu'on me supposât capable de monter le coup — oh! bien petit et de bien loin! — aux Immortels. Nous ne sommes pas de la génération précédente, où il était de mise de dauber l'Académie, quitte à se faire pardonner plus tard ces irrespects, lorsque l'ambition prenait d'y entrer. D'une race moins enfantine que nos devanciers romantiques ou naturalistes, nous n'avons pas comme eux la Fronde dans le sang. Graves, posés, sages, mûris par le siècle sinon par l'âge, nous nous abstenons des plaisanteries faciles et des rodomontades juvéniles; nous ne nous amusons point à tous ces bruits superficiels où se complurent nos aînés. Nos mœurs sont paisibles; nous ne tenons plus à ébouriffer le bourgeois: nous nous contentons de l'ignorer. Il n'y a en nous nul besoin de nous distinguer du public honnête et bien élevé autrement que par la vie intérieure. Les gilets rouges et les chevelures ont cessé d'être un signe de ralliement. Nous nous habillons correctement, et, lorsque nos moyens nous le permettent, nous poussons volontiers jusqu'à l'élégance. S'il y a encore parmi nous quelques incorrigibles bohèmes, soyez sûrs qu'ils sont plus proches de la cinquantaine que de la trentaine et qu'ils ont un pied, sinon les deux, dans le Parnasse. L'Académie n'a donc pas à se méfier de nos intentions. Au contraire! Nous autres, nous sommes envers elle pleins de déférence : nous voyons en elle la première compagnie littéraire du monde, nous l'admirons lorsqu'elle est admirable, et nous ne demandons pas mieux que de l'admirer le plus souvent possible. Aussi, lorsqu'elle se livre à des élections douteuses, ou qu'elle fait preuve, comme en cette occasion-ci, de mauvais goût, nous nous en attristons plus que nous n'en rions.
 Nous sommes surtout fâchés que l'Académie ne tienne aucun compte de nous, qu'elle feigne de ne pas connaître notre existence, qu'elle nous mette dédaigneusement de côté, comme si, par l'esprit, nous n'étions pas, en réalité, plus près d'elle que n'importe laquelle des écoles auxquelles elle fait maintenant des avances. Qu'elle lise nos livres, elle s'en rendra compte.
 Ce que nous nous croyons, au moins, en droit d'exiger, c'est qu'elle ne nous nargue pas si injurieusement par des manifestations déconcertantes du genre de ce malencontreux choix de sujet, choix qui témoigne ou qu'elle n'a aucune notion quelconque des tendances idéalistes et abstraites de la poésie actuelle, ou qu'elle veut écarter systématiquement de ses concours tous les poètes capables, à l'heure qu'il est, de mettre quatre vers debout.

Louis Dumur.



LITTÉRATURE HONGROISE
FOLK-LORE
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 M. Jean de Néthy vient d'enrichir d'un très beau recueil (1) la collection des ballades populaires que l'on peut lire en langue française. L'Angleterre, les régions scandinaves et slaves, l'Allemagne, la Hongrie sont mieux dotées que les pays latins — pays surtout de rires et de chansons — en littérature orale tragique. Même pour les thèmes tels que Jean Renaud, qui se retrouvent également dans les deux zones, les versions du nord ou du centre de l'Europe sont fort supérieures en poésie et généralement plus unes et plus complètes.
 Cette littérature, y compris les contes, fut longtemps, l'unique distraction intellectuelle du peuple, et c'était une distraction vraiment relevée et distinguée, bien plus noble que les fausses notions utilitaires enseignées désormais à l'école, que les histoires lamentables ou gaies distribuées par les journaux à bas prix, que les quotidiennes anecdotes devenues nécessaires au fonctionnement d'imaginations stupéfaites, abêties par le récit de réalités sans signification.
 La poésie populaire, elle aussi, dit des anecdotes, mais exprimées symboliquement: elle chante en termes proférés pour toujours, l'éternel fait-divers, mais généralisé et arrangé selon une forme lyrique et musicale. Cette poésie-là, comme l'autre, se comprend de moins en moins, et bientôt la déchéance de l'intellectualité fera qu'on ne la comprendra plus du tout. Il est bien évident que le besoin du fait tuera le besoin du symbole. A cette heure, il est difficile, en des villes, de trouver des gens du peuple qui possèdent une littérature orale, et comme la littérature écrite ne parvient pas jusqu'au peuple, le peuple n'a plus de littérature du tout, devient en cela semblable à la majorité de la bourgeoisie.
 Deux classes seulement d'êtres humains, en France, ont des connaissances ou des notions d'art : les lettrés (en petit nombre), et les illettrés absolus. Le cerveau d'un illettré breton est souvent plus riche en poésie que celui d'un poète symboliste, — et combien plus élevée en spiritualité que celle d'un lecteur de journaux et de romans, l'âme d'un porcher hongrois qui rôde parmi les bois de la puszta en se ressouvenant de chansons telles que:


 Trois écharpes blanches j'ai acheté.
 Quand je les porterai je serai blanche,
 blanche comme un cygne, comme un cygne:
 nul n'osera m'embrasser.


 Trois écharpes rouges j'ai acheté.
 Quand je les porterai je serai rouge,
 rouge comme une rose, comme une rose:
 sur moi pleuvront les baisers du bien-aimé.


 Trois écharpes couleur d'or j'ai acheté.
 Quand je les porterai, je serai couleur d'or,
 couleur d'or comme un tournesol, comme un tournesol:
 c'est aux jeunes filles qu'appartient le monde.


 Trois écharpes brunes j'ai acheté.
 Quand je les porterai, je serai brune,
 brune comme une chouette, comme une chouette:
 personne ne me demandera plus un baiser.

 Cette chanson, comme toutes celles de la seconde partie du recueil, est d'un genre spécial, sans thème anecdotique, et on n'en connaît guère d'analogues que parmi les strambotti sicilien. Les ballades, au contraire, qui ouvrent le volume, se retrouve dans presque toute l'Europe. Il est très singulier qu'une poésie ou qu'un conte se soient propagés oralement en dix pays de langues différentes: aucune explication n'a encore pu être donnée de ce fait. Il faut vraiment avoir les textes sous les yeux pour admettre que la très populaire ballade, dont le thème est la symbolique histoire grecque, Héro et Léandre, soit aujourd'hui même chantée par les paysans en France, en Flandre, en Allemagne, en Suède; en Hongrie, en Lusace, etc. Comme il est hors de doute que cette ballade traditionnelle ne doit rien ni à Ovide ni à Musée, puisque la poésie écrite ne se transmet jamais oralement; et comme, d'autre part, il est certain qu'Ovide avait pris ce thème dans le fonds populaire, on voit bien que cette légende est très ancienne, mais on ne se rend pas compte dans quelles conditions elle s'est perpétuée en voyageant : peut-être que, pour Héro et Léandre, comme pour la plupart des ballades populaires, la transmission par le latin pourrait être admise, mais la preuve a jusqu'ici été impossible à faire.  Parmi les ballades hongroises traduites par M. Jean de Néthy, j'en ai remarqué plusieurs autres dont ma faible science en folklore me permet de noter les pérégrinations (2). La Belle Anna du juge a de grandes analogies avec L'Anneau de la fille tuée dans les bois, chanson patoise recueillie dans le Gard : c'est le même thème. La Petite Lilia rappelle, mais de plus loin, La Pernette, très répandue dans une grande partie de l'Europe méridionale (3). Les trois Orphelins, c'est le même sujet, très écourté, que La Mère ressuscitée par Jésus-Christ, chanson très connue dans l'Ile-de-France, et que l'on a également trouvée dans le Cher, dans le Gard, en Wallonie, en Pologne (4).
 Sans conclure sur ce vaste sujet, il convient de louer sans réserves M. Jean de Néthy d'avoir naturalisé françaises des poésies qui sont presque toutes admirables ou délicieuses. La traduction, qui semble très exacte, est d'une langue excellente, très ferme et très simple, comme il convenait en un tel sujet.

R. G.


 (1) Ballades et Chansons populaires de la Hongrie, traduites par Jean de Néthy (Lemerre).
 (2) Consulter : Recueil de Chansons populaires, par Eugène Rolland, 6 vol. in-8° (1883-1889).
 (3) Cf. G. Doncieux, La Pernette (Romania, 1890).
 (4) Cf. Laboulaye, Chansons populaires des peuples slaves (1864).


« LA FEMME-ENFANT »


 Bürckhardt, dans son Diarium si précieux pour l'histoire des Borgia, rapporte qu'une nuit de mariage princier les invités seigneuriaux et sacerdotaux, en vêtements d'église et de bal, entrèrent, précédés de porteurs de torches, dans la chambre nuptiale, et, rejetant les couvertures, mirent à nu les adolescents enlacés. Je crains qu'une orthodoxie rigoureuse ne condamnât ce rite inaccoutumé, et cependant j'y vois moins une profanation qu'un hommage élégant et somptueux à la beauté et aux gloires parfois augustes de la chair. Camille Mendès aurait dû vivre en cette Italie de la fin du XVme siècle, ou mieux un peu plus tard, sous Léon X; il fût peut être devenu cardinal comme Bembo: il sait aussi bien le latin, et fait de meilleurs vers. Il aurait du vivre ? Non; il a vécu alors. Il a gardé l'eurhythmie, quelque complaisance au péché et le sens de la femme qui échappe à beaucoup, tant qu'il n'y a aucune impiété de sa part à transgresser les mystères et à rejeter les voiles. Dès les Histoires d'amour, publiées il y a déjà longtemps par A. Lemerre, il fut ce prêtre un peu indiscret, mais si fervent ! Nul n'a montré de créatures plus effroyables ou plus divines, les deux ensemble parfois, que les femmes apparues dans Le Roi Vierge, dans Zo’ Har, dans Méphistophéla, ni même que les trois perverses petites amies Jo, Lo et Zo, et jamais toute la haine et toute la tendresse de l'homme pour « l'enfant malade et douze fois impur » ne s'est plus magnifiquement exprimée qu'en l'admirable poème en prose qui précède La Première Maitresse: c'est l'histoire d'un roi d'Égypte endormi dans son cercueil de cristal et qui porte encore, immortelle, l'imperceptible blessure d'un baiser quarante fois séculaire.
 « Une ambiguë créature à l'âme trop vile pour la tendresse, aux yeux trop purs pour la débauche », ainsi est définie Liliane, la dernière venue parmi celles qui résument en soi et exagèrent assez pour devenir des êtres réels dans le monde de l'art l'un des multiples aspects de la femme. La contradiction absolue entre ce qu'elle est et ce qu'elle parait être, entre la candeur de « l'enfant bleue » et la science , en théorie et en action, de la plus astucieuse obscénité, font d'elle un monstre à part, très bien conçu et très parfait. Que la même personne retrousse volontiers ses jupes au gré du premier venu ou de la première venue, s'en aille très tranquillement à une soirée de journalistes et de cabotins, le soir où sa mère est morte, et quitte le lendemain matin la chambre d'hôtel où elle s'est donnée pour assister à l'enterrement, qu'elle achète un beau jour un singe et se livre sur lui à des jeux peu innocents que les manuels des confesseurs appelleraient : bestialité, que la même personne fasse tout cela et garde une attitude de touchante ingénuité, ne veuille pas être traitée de filles sans attaques de nerfs, « parce que, elle, elle a été bien élevée », et raconte tout à coup les histoires de couvent les plus irréprochablement naïves, voilà qui semble impossible ; et cependant cette dualité n'a plus rien qui étonne si l'on veut bien considérer que Liliane est réellement une enfant. Petit prodige qui à peine hors du maillot récitait des fables et jouait méthodiquement de la musique classique chez les personnes sérieuses, farcie de toutes les nomenclatures de mythologie, d'histoire, voire de botanique ou d'autres sciences plus relevées, violée à neuf ans par un abominable vieillard, elle a appris la débauche comme le reste et est devenue très forte sans cesser d'être une simple pensionnaire qui apprend bien : « Il y avait dans sa façon de faire crier de joie son amant un peu de la satisfaction qu'aurait une écolière à étonner un examinateur en récitant sans faute une leçon bien étudiée,  quoique ennuyeuse peut-être. » Par un arrêt de développement intellectuel et moral explicable, si l'on veut bien songer à ce viol en un âge si précoce, elle a neuf ou dix ans au plus, malgré ses dix-sept-ans ; elle est restée une enfant, c'est-à-dire une âme inconsciente, incapable de pudeur ou d'impudeur, puisque la pudeur suppose l'idée du mal.
 Ce caractère exceptionnel est jusqu'ici très fortement établi par le parfait magicien de lettres qui l'imagina. Mais il faut se défendre contre le charme et contester le revirement qui se produit en Liliane, bien qu'une mort presque immédiate permette de croire qu'un retour aux habitudes anciennes eût peut-être été possible. Cette merveilleuse cure psychologique est si difficile à admettre qu'elle est racontée par l'excellente Mme Laveleyne au lieu d'être mise en action; mais une parole ou un acte seront toujours plus significatifs que les explications, si subtiles qu'on les invente. Et, après tout, est-il nécessaire de se défendre? Je ne pense pas que jamais l'exactitude analytique doive être préférée à l'affirmation d'un poète, quelle que soit de prime abord l'étrangeté de ce qu'il affirme. L'important, c'est que Catulle Mendès ait écrit un Beau livre de plus et que Liliane et ses comparses, Faustin Laveleyne, Mme Laveleyne, Nathan Klotz, le marquis de Montpoul, ceux du premier plan et ceux qu'on entrevoit seulement, soient doués d'une vie intense et personnelle ; c'est aussi que La Femme-Enfant soit exécutée en un français irréprochable, qualité fort peu commune quoi qu'en pensent quelques-uns, tandis que nombre de poètes et de romanciers, nos compatriotes par l'acte de naissance, parlent couramment le Welche et quelquefois le Pahouin.

Pierre Quillard.


LES LIVRES (1)


 La Femme-Enfant, par Catulle Mendès Bibliothèque Charpentier). — Voir page 179.
 L'Exorcisée, par Paul Hervieu (Lemerre). — Œuvre de psychologie pour qui tient à une classification, de psychologie à fleur d'âme, fluide, infiniment épandue. Ce n'est pas là un reproche à l'auteur, dont l'esprit ingénieux se plait aux subtiles casuistiques et y excelle. M. Paul Hervieu comprend plus qu'il ne sent, et il perçoit les rapports infinitésimaux, les divisions et les subdivisions les plus ténues. Il intellectualise l'âme, puis, avec une louable délicatesse de touche et une habileté sans pareille à rester sur les confins au-delà de quoi ce serait le pathos sentimental, il raisonne, induit, déduit et analyse. Casuistique, ai-je dit; voici le cas de L'Exorcisée : une jeune femme, « qui ne s'est jamais aperçue qu'elle aimât son mari avant de remarquer qu'elle ne l'aimait pas », s'est donnée à un autre sans savoir pourquoi, sans motif, dans un moment d'inconscience dont elle parle ainsi plus tard : « On explique des meurtriers par le fait qu'ils ont vu rouge : quant aux femmes, à l'instant qu'il leur est fatal, on pourrait presque de même dire qu'elles voient blanc, un blanc de vide éblouissant, le blanc de vertige dans un tournoiement où se fondent toutes les couleurs de leur existence. Mais pourquoi ai-je fait cette chose? ... Comment, à force de ne pas vouloir, atteint-on un degré où l'on veuille ce que l'on ne voulait pas, ce que l'on ne voudra plus ? » Or, après s'être donnée, ou plutôt laissé prendre, elle se sent dépossédée d'elle même, « ... tellement dépossédée que je ne saurais pas disposer de moi. Ah! j'ai cherché, j'ai essayé, j'ai voulu oser!... Je suis possédée par lui, possédée par le fait, matériellement possédée... » Mais un second amant la prend dans un moment d'inconscience assez analogue au premier, et comme, cette fois, succède un évanouissement total, elle emporte de l'aventure « un doute charnel, dont les tolérances s'étaient substituées à la superstition aigüe de sa chair » : d'où l'exorcisée. Cérébralité, névrose, casuistique ; œuvre fort curieuse, en tout cas, d'un écrivain de grand talent, dont la langue, pour précieuse qu'elle soit et compliquée, ne cesse jamais d'être claire. Je citerai encore cette silhouette morale du mari par sa femme « D'après lui, il y des choses que «  l'on ne dit pas », que « l'on ne fait pas », celles dont « ne se doute pas » une jeune fille, et celles qu'on ne lui fera jamais croire de la part « d'un parent », ou d'un homme qui « a été marin », ou d'une femme « qui a des enfants». Est il assez complet ?...

A. V.

Le Nazaréen, par Henri Mazel (Savine). — Un de ces drames injouables comme en rêvent les poètes quand ils ont longuement compulsé des Tomes d'archéologie, étudié des planches de restitutions ou relu les vieilles chansons de geste et les légendes de la Bibliothèque Bleue. En un déroulement de fresque, des scènes vaguement s'ordonnent, des personnages magnifiques parlent de choses pompeuses ; l'action, enfantine, n'est rien qu'un prétexte à mise en scène ; tout l'intérêt se porte sur le décor splendide, sur l'apparat des costumes, les cortèges, le mouvement des foules qui acclament dans la joie des trompettes et le cliquetis des armes. La pièce, le roman, l'intrigue, les états d'âme, le côté humain de l'œuvre, enfin ce qui la fera vivre et palpiter, on s'en occupera plus tard. Ainsi me semble Le Nazaréen, ébauche de drame, fragment d'un magistral poème que le réveil brusquement venu ne permit pas d'achever. Et peut-être l'aimons-nous mieux ainsi. — A cette cour de Trajanopolis en Romélie, parmi l'opulence byzantine, la gloire théâtrale du vieil Empire d'Orient, ce que viennent faire ces patrices, ces comtes, ces clarissimes, ces chevaliers, ces rois et leurs dames, ne nous inquiète guère. Ils sont là qui étalent des robes de brocart et l'orgueil des armures, qui se drapent dans les soieries d'or et

de pourpre ; c'est tout leur rôle. — On se tromperait en demandant un drame véritable ; à juger d'ensemble, la conception paraîtrait étriquée ; elle manque de souffle. Malgré leurs grandes paroles, leurs gestes tragiques, les personnages restent de tous petits bonshommes ; leurs agissements sont naïfs et mécaniques. Ils ne sont là que pour se faire voir et déclamer en une langue merveilleusement descriptive, pour débiter des tirades où vraiment on trouve quantité de choses très bien. J'insisterais volontiers sur le côté descriptif du talent de M. Mazel et son érudition curieuse. Ce sont là des qualités, et qui le porteront à écrire des pages meilleures que ces dialogues du Nazaréen — un peu trop sous l'influence de la Tentation et de Lohengrin. En tout cas, son livre est gros de promesses ; il serait bon d'y revenir.

C. Mki.


 Des Visions, par Pierre-M. Olin (aux bureaux de la Wallonie). — Après un « Prologue à ma conscience, en mémoire de la rose mystique de Sidon », où, en vers d'un symbolisme rare et d'une métrique personnelle, l'auteur célèbre le désespoir que lui a laissé une passion morte, viennent de précieux poèmes en prose. Ceux-ci évoquent des visions correspondant à des états d'âme, joignent au charme et souvent à la magnificence de la couleur des clartés philosophiques et occultistes d'une saisissante ingéniosité.

E. D.


 Histoires Normandes, par Léo Trézenik et Willy (Ollendorff.) — En tant que genre littéraire, la nouvelle avait besoin d'être réhabilitée ; trop de goujats l'exploitèrent; on la leur abandonnait déjà, comme on abandonne le théâtre aux vaudevillistes et aux histrions, comme on abandonna longtemps la critique aux Vitu et aux Sarcey, la chronique aux Henry Fouquier. Toute tentative est bonne, dès lors, qui nous sort de la cuisine, de la fabrication courante, qui se lève contre l'outrecuidance des Talentueux et de leurs marchands. Il faut remercier M. Marcel Schwob d'avoir écrit Cœur double; à un autre point de vue, il faut remercier MM. Willy et Trézenik de leurs Histoires Normandes. — Pourtant, s'ils pensèrent qu'on doit avoir quelque chose à dire pour se permettre même un volume de nouvelles — avoir au moins des anecdotes curieuses dans son sac — je ne vois pas bien ce qui les forçait à le grossir de pièces inférieures, par quelle concession ils y admirent de petits contes de troisième ordre et justement dans la note journal, supplément de la Lanterne, hebdomadaire de water-closet. A côté de choses de valeur

réelle, de pages d'une incontestable beauté, amusantes souvent d'observation, et d'une acuité de vision remarquable (Le Pointe de Barfleur, Le Gas Faignant, La Solognette), ils placent La Maison Verte, Les Aliénés de Bois-Genson, La Dépêche. C'est parler puérilement que de répéter ici: un gros livre n'est pas toujours un bon livre; — mais je pourrais citer un cas personnel.

C. Mki.


 L'Heure en Exil, par Dauphin Meunier (Léon Vanier). — Voici une forte plaquette en vers et strophes libres, d'un symbolisme intransigeant, que l'on étudiera curieusement lorsqu'on voudra se rendre-compte de l'évolution littéraire de ces derniers temps. Tout ce qu'on a tenté, tout ce qu'on veut de nouveau, à tort ou à raison, a laissé ici quelque trace. Peut être, parfois, au détriment de l'originalité.

E. D.


 Exame de Consciencia, par Antonio de Oliveira Soarès (Coïmbra-Manoël d'Almeida Cabral). — J'ai ouvert avec méfiance ce livre qui vient de loin; je craignais d'y lire quelques poésies de salon et de boudoir comme en écrivent partout les jeunes gens bien élevés et les vieux messieurs galants. Ma Joie s'est accrue de surprise en découvrant un poète qui sans doute n'est point toujours parfait ni original, mais qui fait effort vers un art personnel : Exame de Consciencia est « un livre d'amour mystique et suave », écrit « loin des barbares, à la gloire de la fiancée spirituelle. » J'y louerai surtout l'unité d'ensemble, encore qu'elle n'aille pas sans quelque monotonie; peut-être y a-t-il là un luxe exagéré de cygnes, de lys et de vierges, peut-être aussi par moments des expressions bien scholastiques (p. ex.: « L'amict immaculé qui exprime la chasteté extérieur et intérieure »); mais ce ton de litanies, ce mélange d'amour profane et de latin liturgique conviennent mieux à une confession de ce genre que telle dissonance de japonisme ou, au milieu d'un sonnet, les horribles mots fin de siècle et décadent. M. d'Oliveira Soarès, à qui il a fallu bien du courage pour inaugurer une renaissance en dehors de tout milieu littéraire, a mieux à faire que de nous emprunter d'aussi tristes vocables : il l'a montré au reste en écrivant sur des rhythmes de rondels et de ballades d’excellents poèmes, et cependant je préfère encore les belles tiercé-rimes où il se complaît ; là surtout s'affirme le catholicisme enluminé et fleuri qui donne à son œuvre un caractère de luxe sacerdotal.

P. Q.


 Liminaires, par Paul Redonnel (P. Lacomblez, Bruxelles). — « Y en aura-t-il qui comprendront la filiation de ces poèmes ? Oui! Mais beaucoup moins que ne pensent nos ennemis et plus que mes amis ne désirent. Savez-vous que je défie les Welches d'y entendre goutte et les intellectuels de ne pas comprendre? »
 C'est sur ce ton agressif que se clôt la Préface des Liminaires. Tout le volume, d'ailleurs, respire ce même air de morgue et d'impertinence. M. Paul Redonnel est l'un des esprit de la jeune génération sur qui se fondent les plus légitimes espérances. Il n'est pas banal. Qu'il prenne garde pourtant de courir trop l'originalité, qui est, selon, Corbière :

...Une drôlesse assez drôle de rue
Qui court encor sitôt qu'elle se sent courue.

 Il dispose d'assez de ressources pour ne pas s'en tenir à ces exclusives excentricités de tours et d'expressions qui, répétées, se vulgarisent jusqu'au cliché, et ne laissent pas de fatiguer, d'autant que ses concepts, pour la plupart, me semblent entachés de quelque banalité. Ses préoccupations sont telles :

Eût-il pas mieux valu encore ne pas naître?...
Où est le Bien, à quoi reconnaît-on le Bien?...
...Peut-être ai-je peur que la vie
Et la Mort soient d'ennui pareil...
...Savoir s'il est vrai que l'on meurt d'amour!...
...Les Elfes sont partis et les Lutins sont morts.

 Cela n'est pas si neuf, il me semble. De ci, de là, des sentimentalités qui détonnent. Le Chemin de Rome — IV, où ce vers :

Ah! nom de Dieu, de nom de Dieu, de nom de Dieu!

et la seconde partie d’Aubes maternelles, où ceux-ci:

C'est pas pour dire mais, à la fin, c'est rosse
De fabrique tant d'enfants que ça!
versent dans le pire monologue et ne dépareraient pas le programme d'un beuglant. On a d'autant plus le droit de se montrer sévère, que l'on sait toute l'exquisité de ce pur esprit qui a nom Paul Redonnel et ce que l'on est en droit d'attendre de lui.
 Une pièce dédiée à Charles Maurras et où il est parlé « des Nymphes qu'ont tenté de tuer les Barbares » pourrait faire croire que le Poète s'est rallié à l'École Romane. Il n'en est rien, et nul plus que lui n'est dénué de tout esprit classique, de tout sens de la tradition. Il nage — ce qui n'est déjà pas si détestable — dans les eaux de Corbière, de Rimbaud, de Laforgue, et c'est un petit poisson vigoureux qui ne demande qu'à devenir grand. Son nom est à retenir, certes ! et déjà, dans ce volume de début, parmi des incertitudes et des erreurs, s'ébauche une puissante personnalité. Quelques pièces même se lignent définitives, telles : Colloques d'Êtres, Pour l'aimer tant, Rimes vertes. L'Auteur avoue ne pas répugner à l'étiquette de décadent: « J'attendrai, dit-il, pour récuser cette épithète, qu'elle soit plus définie et en des bornes moins apocryphes. » Il a raison. La haine des sots est la pierre de touche du talent. On peut être « gueux », « sans-culotte » ou « décadent » fièrement. L'injure ne fait du tort qu'à ceux qui la profèrent. Mais on n'espère pas de moi que j'analyse en quelques lignes une œuvre si forte, et je ne puis que conseiller aux curieux d'art de la lire. Elle leur réserve sûrement de délicates joies et d'esthétiques voluptés.

E. R.


 Henrik Ibsen. Étude sur sa vie et son œuvre, par Charles

Sarolea. Avec le portrait d'Ibsen (Librairie Nilsson). — Du théâtre d'Ibsen, qui comprend une vingtaine de drames et de comédies, quatre pièces seulement ont été traduites en français, ce qui est insuffisant pour permettre, sur le dramaturge norvégien, un jugement motivé. L'auteur de cette étude connait les langues scandinaves, et aidé des travaux critiques de M. Georg Brandes, il a pu rédiger un petit volume intéressant où les œuvres d'Ibsen sont analysées selon une bonne méthode, quoique avec un enthousiasme peut être exagéré. Il est certain que, de toutes les gloires exotiques que l'on a voulu nous imposer depuis dix ans, Ibsen demeurera la plus solide et la seule légitime. Quant aux bottiers mystiques auxquels même le dur Hennequin se laissa prendre, — sont-ils seulement bons à faire des bottes ?

R. G.


 Pétale de nacre, par Albert Saint-Paul (Léon Vanier) — Je ne sais pourquoi quatre vers de Baïf, d'après Ausone, me reviennent obstinément à la mémoire, en lisant le poème d'Albert Saint-Paul :

Je m'émerveillais en pensant
Comme l'âge ainsi larronnesse
Ravit la fuitive jeunesse
Des roses vieillis en naissant.

 N'est-ce pas que le charme même de ces dix feuilles éparses consiste à fixer des minutes exquises et de frêles grâces qui ne durent point ? Mousmés en robes de brocart qui vont, lentes et blanches, le long des eaux rieuses, forêt de féerie où veille le Dragon vert, paons rouant près des jets d'eau en éventail, soleils dont l'agonie inonde de pourpre les gorges blanches, c'est un rêve d'heures douces en une mélancolique Cythère qui va mourir. Sied-il, après cela, de se plaindre qu'à deux deux ou trois reprises apparaissent des mots et des tours de phrase à la manière de Froissard, plus mignarde qu'harmonieuse ? Je croirais presque ces passages interpolés, tant ils démentent les gestes souples et les attitudes élégantes des jeunes entrevues, et de celle-ci surtout pour qui j'ai déjà de l'amour :

En sa robe où s'immobilisent les oiseaux
Une émerge des Fleurs comme une fleur plus grande,
Comme une fleur penchée au sourire de l'eau,
Ses mains viennent tresser la sanglante guirlande.
Pour enchainer le Dragon vert — et de légende
Qui de ses griffes d'or déchire les roseaux,
Les faisceaux de roseaux : banderolles et lances.
Et quand le soir empourprera le fier silence
De la forêt enjôleuse de la Douleur
Ses doigts, fuseaux filant au rouet des murmures,
Les beaux anneaux fleuris liant les fleurs aux fleurs,
Ses doigts n'auront saigné qu'aux épines peu dures.

P. Q.


 Tendresse (Le monde thermal), par Marcel Luguet (Savine). — D'un style au premier abord un peu effarouchant, avec ses abus d'incidentes placées sans aucun souci de l'envergure de la phrase, ce livre est pourtant une étude fort consciencieuse du début de l'âge critique chez une femme honnête et délicate. Pourquoi seulement ce sous-titre : monde thermal, bien inutile étant donné qu'il ne s'agit pas de faire, je pense, une belle réclame à Royat, la station auvergnate ? Est-ce pour la commodité des entrées en scène et pour le retour inopiné du mari qui arrive de Saïgon ?... D'ailleurs, de bonnes études de types de casino, le sculpteur Romain Miran, Banthem. Des détails très fins et surtout neufs sur ce si vieux sujet : la femme vertueuse assaillie par les désirs physiques. Un suicide décrit avec un rare sentiment de la succession des actes voulus, qui finissent par aboutir à une mort presque involontaire. Littérairement, ce suicide est le clou du livre. Enfin, de jolis paysages. — N. B. L'auteur n'est d'aucune école, c'est-à-dire n'imite personne.

***


 Les Filles d'Avignon, par Théodore Aubanel (Savine). — Un volume fort prôné dans le clan des Félibres, lesquels sont gens à tapage et d'enthousiasme facile, comme on sait. Par exemple, le lecteur non initié au Prouvençau et à ses beautés n'a que faire de la traduction. Il n'y trouvera pas une idée, pas une pensée. On lui chante la nature, la beauté, l'amour, la patrie ; il semble que ce n'est pas très neuf. La pièce « Les Forgerons » a peut-être quelque couleur, sans excuser le « recueil si impatiemment attendu ». Enfin, ces Messieurs nous horripilent, qui affectent de parler charabia quand il existe du bon français pour tout le monde. Mais comme c'est bien le Midi, ce gratuit lyrisme, ces agenouillements de disciples devant une œuvre sonore et vide. Les méridionaux restent des personnages encombrants et loquaces, vantards et superficiels. Et voilà toute leur littérature. Ils disent Li Fiho d'Avignoun et jubilent, encore que Frederi Mistral ait pu prendre pour Tèmo de soun discours d'intrado à l'acadèmi de Marsiho l'éloge de Teodor Aubanel, qu'éro mort, pécaïre ! l'annado d'avans.

C. Mki.


 Mes Dernières nées, Poésies, Fables, Chansons, par Eugène Chatelain, Avant-propos d'Alexandre Boutique (Bibliothèque de la Revue Européenne). — M. Eugène Chatelain est une des plus anciennes et sympathiques physionomies populaires du parti socialiste. Depuis plus d'un quart de siècle, il combat, sans s'écarter du droit chemin, en « honnête homme » — ainsi que le note M. A. Boutique, — ce qu'il juge être le bon combat ; et, n'y espérant, certes, aucun profit personnel, il publie des journaux, des revues et des livres en vue de propager la bonne parole : « La Muse qui l'inspire, dit M. A. Boutique, est vigoureuse, franche et rude. Il est un remueur d'idées, toujours généreuses. L'un des plus lus parmi les poètes du parti socialiste, s'il ne cueille pas toujours la petite fleur rare qui ne croît que sur les hautes cîmes, s'il ne baigne pas son front dans les nuages, c'est qu'il préfère autant avant tout rester près des humbles, qu'il aime, leur parler un langage toujours accessible : le leur. » Mes Premières nées contiennent aussi des gauloiseries genre Caveau, qui ne sont guère plus de notre temps, et, pour ma part, j'aime mieux le poète socialiste que le poète grivois.

A. V.


 Ephémérides et chansons par Claude Lauzanne (Savine). — Dans la prière d'insérer qu'il envoie en même temps que son volume, l'auteur a écrit ceci : « Rien de remuant, d'empoignant ou de gracieux et aussi de lubrique comme ces poésies. » Quelle aberration ! elles sont simplement soporifiques.

E. D.


 La Chanson des choses, par Louis Malosse (Savine). — Étoiles filantes; Effet de nuit; Ballade du Printemps; Pour Elle, etc ... Dix rengaînes sentimentales par page, une métrique embryonnaire et des rimes à peine passables.

E. D.



 (1) Aux prochains fascicules : Enquête sur l'évolution littéraire (Jules Huret) ; Chansons d'Amant (Gustave Kahn); Vers l'Absolu (Bénoni Glador); Les Principes supérieurs (J.-C. Chaigneau) ; Le premier amour de Pierrot (B. Tavernier) ; Chantefable un peu naïve (Albert Mockel); Le Livre de Thulé (L. Duchosat) ; L'Éternel Jocrisse (G. Chanteclair) ; Promenades sentimentales (J. Thorel); La Joie de Maguelonne (A.-F. Hérold); Les Tourmentes (Fernand Clerget); Histoire Générale de le Vélocipédie (L. Baudry de Saunier); Général de Ricard. Autour des Bonaparte (L.-Xavier de Ricard)

JOURNAUX ET REVUES


 La Société Nouvelle (Bruxelles).— Cette revue est l'une des plus importantes et des plus intéressantes entre celles qui paraissent à l'étranger en langue française. Elle fait une part à peu prés égale à la littérature et aux questions scientifiques et sociologiques. Nous relevons dans le dernier fascicule (30 juillet) une étude très curieuse de Francis Nautet sur Les Sources du sentiment littéraire en Belgique. Expression française. C'est une bonne analyse des causes du mutisme littéraire des Belges. Les notes d'Émile Verhaeren sur Charles Cros sont également à lire : on est étonné de n'y voir aucune allusion à la Science de l'amour, cette nouvelle d'une si fine ironie qui, avec un peu de style, serait un chef d'œuvre. Signalons encore Le Despotisme en Chine,prédiction par Frédéric Borde d'une prochaine et profonde révolution en pays jaune.
  De Nieuwe Gids (Amsterdam). — La revue littéraire hollandaise par excellence. Nous y avons lu, aux dernières livraisons, des notices fort bien renseignées de Willem Kloos sur Maeterlinck, Alfred Valette, Jules Renard, Ernest Reynaud, Moréas, Les Chants de Maldoror, etc. Celle du mois d'août contient, entre autres pages, une remarquable nouvelle de Ary Prins, Een Koning.
 Gazzeta Letteraria (Turin). — Noté dans les derniers numéros : Il Padre Curci e la letteratura gesuitica, par Giovanni Faldella ; une analyse (un peu à côté) de A l’Écart, de Minhar et Vallette, par Giuseppe Depanis ; Talento e Personalità, par Bruno Sperani : l'auteur n'est pas dupe du ridicule aphorisme souvent, à cette heure, proféré, que la littérature actuelle se caractérise par « trop de talent ! » — et il distingue soigneusement la personnalité, qui est l'essence du talent, et la faculté d'assimilation, qui en est la singerie, en ajoutant que la personnalité a besoin d'être rigoureusement disciplinée.
 Cronaca d'Arte (Milan). — Une étude sur Le Vierge d'Alfred Vallette ; curieuses notes d'Enrico Morselli à propos de la célèbre attirance qu'exercent les concours académiques et autres sur les demi-fous (les mattoïdes), ceux que l'auteur appelle « i masturbatori della filosofia, métafisica, psicologia e sociologia » ; une polémique où C. Antona Traversi soutient contre la Cronaca la légitimité du théâtre qui plaît à la majorité et « fait de l'argent ».
 Critica Sociale (Milan). — Bons articles de polémique ; théories socialistes doctrinaires.

R. G.


 Le capitaine Bazeries, cryptologue en ses moments perdus, semble porter l'honneur d'être — comme dit Tallemant — idiot par la tête : Je suis resté, narre-t-il dans le Matin du 11 août, trois jours et pour ainsi dire trois nuits sur les fameux chiffres. La difficulté était augmentée de ce que les dépêches étaient rédigées dans le français douteux du temps (Le temps de La Fontaine et de Saint-Simon !), et que la même lettre était représentée par plusieurs chiffres. J'ai trouvé. Flaubert avait rencontré, aux dîners de Magny, un quidam pour lui soutenir que le Duc ne savait pas écrire. La chose Bazeries va plus loin, et c'est tout le xviime qu'il exécute à la houzarde. J'ignore si ce militaire plus nigaud que Baju possède la vérité sur le Masque-de-Fer (circonstance d'ailleurs à ne troubler pas mes nuits) : mais il se peut glorifier d'avoir, dès à présent, légué aux sottisiers de l'avenir une phrase que Sarcey lui-même serait en droit de jalouser.

D. J.


 Un article de M. Gaston Calmette (Figaro du 5 août), à propos de la représentation des Aveugles, de Maurice Maeterlinck, donnée à des aveugles chez M. Maurice de la Sizeranne, est bien réjouissant d'inexactitudes matérielles et d'ignorance foncière. Ces deux perles (entre combien d'autres !) : « Dans l’Intruse, où toutes les horreurs de la cécité sont longuement racontées... » — « Quand la question de la cécité avait été posée, au théâtre du boulevard de Strasbourg, un frisson avait parcouru tout le public des abonnés de M. Antoine... » M. Paul Fort, qui envoie volontiers des petits papiers à la presse, n'eût-il pas dû rectifier au moins celle-là ?
 M. Camille de Sainte-Croix a dévolu la Bataille littéraire du 11 août aux « Lettres en Algérie ». Il y reproduit des poésies, nouvelles et articles fort curieux, qui révèlent — ce qu'on ignore assez généralement — une littérature algérienne.
 La Revue Indépendante de juillet contient une intéressante nouvelle de Mme Tola-Dorian : Rêve d’Éther.
 Dans les Entretiens Politiques et Littéraires de ce mois, où M. Pierre Quillard signe un article contre les « sectateurs de la Renaissance romane », M. Francis Vielé-Griffin publie, à propos de Pages, une étude sur M. Stéphane Mallarmé — de qui L'Art Moderne du 9 août reproduit l'interview prise naguère par M. Jules Huret.

A. V.


 Nous recevons le premier fascicule du Courrier Médical des Bains de Mer (in-8 coq. de 12 p. — Dir., Docteur Delcroix, Dieppe, 114, Grande-Rue. Le numéro, 60 cent. ; ab. ann. 10 fr.), dont le titre explique suffisamment le but. Rédaction : Docteur Calot, Dacquet, Duchesne, Déléage, Gresset, Houzel, Mathon.

 A lire: Le Magazine Français Illustré (Contes, nouvelles, voyages, actualités, nombreuses illustrations) ; dans L'Ermitage : La Fin des Dieux (Henri Mazel), la Fin du Double (Pierre Dufay), Distiques Parnassiens (Albert Saint-Paul), etc.; — La conque, dont le frontispice est cette fois signé Judith Gautier; — dans La Plume, une réponse d'Adolphe Retté à M. Ch. Maurras : Le Midi bouge! et, d'Ernest Raynaud, l'Homme au poids ; — Chimère (in-8 raisin de 16 p. — Dir., Paul Redonnel, Montpellier, 52, cours Gambetta. Le numéro, 50 cent.; ab ann. 8 fr.); — dans La France Moderne, Oraison funèbre de Jean Lombard, par P.-Marius André; — L'Endehors; — La Revue Moderne, qui reparait avec M. Ch. Bourget comme rédacteur en chef (in-4° coq. de 40 p., rue Laffitte, 1. Le numéro, 50 cent.; ab. ann. 12 fr.); — Le Progrès artistique et Littéraire (in-4° raisin de 12 p. — G. de Dubor, 8, rue Lamartine. Le numéro, 30 cent.; ab. ann. 12 fr.); — Le Sillon.


CHOSES D'ART


 Musée du Louvre. — On a déplacé un grand nombre de tableaux, effectué un nouveau classement encore plus malheureux que le précédent, dont le seul but semble avoir été de mettre en cimaise des Guido Reni, des Dolci, des Carrache et autres croûtes, pour accrocher dans les frises d'intéressants tableautins grands comme la main. Quand se décidera-t-on à débarrasser la grande galerie de ses quatre-vingts Guido Reni qui l'encombrent et à créer pour eux, comme on a fait pour les Le Sueur, une salle spéciale dans laquelle on aura la liberté de ne point passer? Dans la salle des Primitifs italiens, il y a cent tableaux remarquables, voisins du plafond, qu'il est impossible de voir, un Perugin, un Boticelli, un Paolo Uccello, etc., etc. Il n'y a pas un seul Jordaens en cimaise. Le Caravage du grand salon carré, malgré ses petites dimensions, est à trente mètres de hauteur. Enfin, et c'est le comble,le Louvre, si pauvre en maîtres allemands, ne possède en tout que trois Cranack: or, un de ces trois Cranack, facile à caser pourtant, puisqu'il n'a guère que vingt-cinq pouces carrés, est exposé... devinez où? — dans le Musée de la Marine!!!
 M. Rodolphe Kahn vient de faire présent au Louvre d'un panneau du xvime siècle représentant : Henri III en prière au pied de la Croix.
 Chez Boussod et Valadon.: Des Gauguin, Pissaro, Monet; le Meurtre, l'Assassiné, les Traînards, le Pendu, d'Henri de Groux.

G.-A. A.

Échos divers et communications


 La Statue de La Fontaine. — Un buste à perruque, une femme à ailes, un tas de bêtes variées avec les inévitables pigeons qui se bécotent, de la prose de M. Sully-Prudhomme et des vers de M. François Fabié : jamais plus naïves sottises ne furent coulées en bronze ou proférées par des bouches. A la banalité du monument a répondu la niaiserie des discours. D'abord M. Sully-Prudhomme dit : « En France, à coup sûr, personne ne toucherait impunément à la popularité de La Fontaine; ce serait un attentat au génie de la nation même, et nos écoles de poésies les plus révolutionnaires n'en ont pas affronté l'aventure. » A quoi bon, puisque nul ne le lit plus et que « le Grand Fabuliste » est entré à tout jamais dans la catégorie des pensums? Lamartine, pourtant, ne cachait pas son mépris pour le poète mesquin des_petites querelles de l'intérêt, et Hello, en son livre l'Homme, l'a sévèrement couché parmi les Horace et autres bassesses. Les Fables de La Fontaine, ces moralités en vers bancals, pas bien supérieures aux quatrains de M. de Pibrac, si vraiment le génie de la France est là-dedans, c'est qu'il est mince et capable de se loger en un bien petit trou. Voyons, est-ce que le génie de la Grèce est dans Esope le Phrygien ou le génie de Rome dans Phèdre? La Fontaine n'est qu'un poète de moyen génie qui, en un siècle tout en décor et en dehors, et avec cela le moins original peut-être de tous les siècles, trouva quelques jolis vers, de compagnie avec Théophile, Saint-Amant, le P. de Saint-Louis et très peu d'autres (quant aux Corneille, Molière, Racine, ils furent dramaturges, orateurs, moralistes, traducteurs, etc., tout ce qu'on voudra, mais non des poètes). Encore ces vers ne se trouvent-ils pas dans les éternelles Fables, mais çà et là, dans le poème sur le Quinquina, par exemple, et noyés en des flaques de boue; sur la mort :

...Alors, il faut oublier ces plaisirs,
L'âme en soi se ramène, encore que nos désirs
Renoncent à regret à des restes de vie.
Douce lumière, hélas, me seras-tu ravie?
Âme, où t'envoles-tu sans espoir de retour?


 Et à côté de cette magnifique inquiétude, on trouve des misères telles que :

Des portions d'humeur grossière,
Quelquefois compagnes du sang,
Le suivent dans le cœur, sans pouvoir en passant
Qu'il naisse des esprits en même quantité
Que dans le cours de la santé.


 Et dans les immortelles Fables, en ouvrant au hasard, on trouve des morales de cette élévation (Le Cerf se voyant dans l'eau) :

Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile;
Et le beau souvent nous détruit.
Ce cerf blâme ses pieds qui le rendent agile:
Il estime un bois qui lui nuit.


 Ou des vers qui ne sont des vers que par des artifices typographiques; tel ce passage (Le Loup et l'Agneau) :
  « Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté ne se mette pas en colère, mais plutôt qu'elle considère que je me vais désaltérant, dans le courant, plus de vingt pas au-dessous d'Elle, et que, par conséquent, je ne puis en aucune façon troubler sa boisson... »
 Et encore : « ... Mets-les contre le mur. Le long de ton échine je grimperai premièrement, puis sur tes cornes m'élevant, à l'aide de cette machine, de ce lieu-cy je sortirai, après quoi je t'en tirerai. »
 Cela fait six vers dans la Fable intitulée : Le Renard et le Bouc.
 Complètera qui voudra ces cursives notes. Elles ne sont ici qu'un à-propos en réponse aux mots de M. Sully-Prudhomme. Si cet honorable académicien croit nous faire peur!
 Quant aux vers lus à cette inauguration, ils représentent bien la médiocrité officielle où se complait l’État moderne, et qu'il convie toujours - et seule - à ses fêtes; en voici un spécimen :

...Depuis ces jours où crânement
Tu soutins en des vers de flamme
Contre Descartes (sic) et tout son siècle l'acclamant
Que les animaux ont une âme.


 Et l'on s'étonne qu'il y ait des anarchistes!

R.G.


 M. L. Baudry de Saunier, qui fonda l'année dernière et dirigea Le Roquet, transformé peu après en Le Carillon, publie à la librairie Ollendorff un livre inattendu autant que curieux et d'actualité : L'Histoire Générale de la Vélocipédie. M. Jean Richepin a écrit une préface pour ce volume, lequel est illustré de 150 dessins originaux, estampes anciennes, caricatures anglaises et françaises de 1818. - Prix: 3 fr. 50. C'est vraiment pour rien.


 M. Paul Fort nous communique la longue liste des pièces qu'il vient de recevoir, parmi lesquelles nous relevons Les Chrétiens,de Jean Lombard; un Apollonius de Tyane, d'Edouard Dubus; L'Holocauste, de Charles Morice; Le Nazaréen, d'Henri Mazel; un Pierrot Poète, d'Albert Aurier, etc. - Quant aux premiers chants de l’Iliade et de l'Enéide, que le Théâtre d'Art se propose aussi de monter, il y a évidemment des chances pour que les héritiers de MM. Homère et Virgile ne créent point des difficultés à M. Paul Fort; mais, sauf le respect que nous devons à ces grands morts, la représentation serait assommante.


 Lu à la devanture de la librairie géographique H. Le Soudier, 174, boulevard Saint-Germain, sur une petite affiche, ces lignes suggestives :

Le Monde en poche


 « Le globe terrestre, qui était autrefois gênant, encombrant et difficilement transportable, est donc devenu d'un usage facile, car pour s'en servir il suffit de le gonfler..., etc.
 « Autrefois, le globe terrestre était encombrant et cher... »


PETITE TRIBUNE DES COLLECTIONNEURS


 Il y aurait acheteur pour :
 La collection des Grimaces, d'Octave Mirbeau ;
 Les Origines, d'Odilon Redon ; .
 Le numéro 28 du Décadent (série journal);
 Des exemplaires du Mercure de France : numéro 1 (à 1 fr. 50), numéros 13 et 14 (à 1 fr.).
 Il y a vendeur pour:
 Les Soirées de Médan, édition de 1890, avec les cinq portraits saisis (rare).
 (Au bureau du Mercure de France, le mardi, de 3 à 5 heures, ou par correspondance.)

Mercvre.


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