N° 22. – OCTOBRE 1891

De MercureWiki.
Version du 19 août 2015 à 16:18 par Admin (discuter | contributions)
(diff) ← Version précédente | Voir la version courante (diff) | Version suivante → (diff)
 
Mercure de France, t. III, n° 22, octobre 1891, p. 193-256.



LA GENT IRRITABLE
LA TRÊVE


 On assiste à ce combat nouveau : des Jeunes Hommes s'estafiladant à coups de plume.
 Il s'agit des Poëtes, — est-il besoin de le dire ?
 Voilà qu'ils ne peuvent se rencontrer sans tricoter de regards méchants l'espace qui les sépare. Échangent-ils un mot, c'est une balle que ce mot.
 De chaque forteresse de papier — ô les fraternelles revues d'antan ! ― s'épivardent sur les camps rivaux des obus de crachats.
 La poignée-de-mains, cette double fleur, ne s'épanouit plus au Jardin de la Beauté.
 Une telle misère ne peut durer, vraiment !
 Je demande la Trêve.


 Le philosophe de la Morale Égoïste et le père de la Lutte-pour-la-vie, Hobbes, déclare que l'homme est un loup pour l'homme : homo lupus homini.
 Ce désolant apophthegme, nos Jeunes Poëtes semblent en revendiquer le monopole. Alors que tout tend à la caresse, par ces jours de Frégates Sympathiques, seuls ils sont en querelle : vates vati lupus. Je ne sache pas un bagne où l'on se haïsse davantage que parmi la Jeune Littérature.
 Lisez ses organes, entrez dans ses chapelles, dégringolez dans ses sous-sols; vous serez édifiés.
 On s'y blasphème avec délices.
 Allez! nul n'est épargné dans la distribution. Chacun reçoit sa part de pain bénit. La mienne me parvient ponctuellement; je la savoure avec miséricorde, et, Dieu merci, j'ai la digestion facile. Rien ne prédisposant au pardon comme un repas copieux, je ne me lève de table que pour absoudre évangéliquement.
 Ces temps derniers, ma Déclaration parue, je fus gâté par trop. Proclamer l'Art de la recherche de l'absolu est, selon quelques hauts esprits, un crime de lèse-banalité méritant les vives framboises du bûcher. Ma gourmandise me défend d'en appeler.
 Mais voyez la manière dont les camarades traitent, ça et là, Charles Morice, René Ghil, Dumur, Remy de Gourmont, Gustave Kahn, Henri de Régnier, Jean Moréas, Paul Adani...
 Ah ! j'ai vu bien des pruniers secoués par le mistral, jamais d'aussi roide façon !
 La Critique de la mère Angot est devenue la nôtre.
 Eh bien, cela devrait cesser, une bonne fois!


 Je le sais, nous péchons les uns et les autres, plus ou moins. Et c'est heureux ! Un poëte infaillible serait un parfait notaire. Je sais encore que la Critique a sa raison d'être. Disons davantage : la Critique est tutélaire; nourricière, — pour peu que vous y teniez. Joignez à cela qu'il est, à notre âge, un certain charme à ramasser une botte de paille en l'œil du voisin. Puis les défauts des autres sont un peu nos vertus, est-il pas vrai ?
 Tout ça, je le conçois.
 Même j'admets volontiers que la Critique, cette vieille manie implantée dans nos mœurs juvéniles, soit incurable, là !
 Fourrageons donc, s'il en est ainsi, allons approvisionner nos rateliers à travers l'œil gauche du voisin jusqu'à ce que le voisin ait pu se mettre dans ses meubles avec les poutres retirées de notre œil droit, critiquons, c'est entendu, critiquons à tire-larigot; du moins enjolivons de rubans nos férules, et, pour Dieu, ne nous lançons pas des pavés à la tête, mais des cailloux polis, c'est-à-dire des arguments.
 Loin de moi la faiblesse d'implorer que l'on s'écarbouille le nez à coups d'encensoir réciproque, ni que l'on s'accorde un génie mutuel comme au bon vieux temps où Béranger filait.
 Point !
 Echangeons une Critique judicieusement amicale, voilà tout !
 Aimons-nous, certes, les Poëtes !
 Aimons-nous simplement, en dehors de tous privilèges d'écoles ! Aimons-nous en adversaires loyaux et généreux ! Aimons-nous parce que nous sommes la Jeunesse et qu'il sera trop tard demain ! Aimons-nous parce que, si l'on veut, la Haine coûte cher et que plus économique est l'Amitié... généralement !
 Enfin réinstaurons la courtoisie dans nos articles, mettons une ganse à notre discours et des jabots à nos gestes, lorsqu'ils s'adressent au Poëte, ― car le Poëte abrite une Grande Dame : son Âme !


 Un écrivain de ma génération, qui depuis longtemps a fui le leurre de nos sympathies et l'hypocrisie de notre atmosphère, me disait :
 ― « Les Jeunes Poëtes, vois-tu, sont les Lépreux du Verbe. J'évite leur cité d'Aoste et j'œuvre bellement dans ma pure solitude. De nos jours, la présence est humaine et l'absence divine. »
 Tentons donc notre métamorphose, soyons sociables et meilleurs, sinon chacun de nous aussi devra conclure en Homme-aux-rubans verts : fuir !
 Il est aisé, ce me semble, de s'épargner le dénouement d'Alceste. Plus d'acide dans nos encriers désormais et tendons-nous une main probe ainsi qu'une aile d'hirondelle : recette simple, s'il en fût.
 Être chien de faïence n'est pas vivre.


 Mais peut-être examiné-je la situation avec un verre noir grossissant, et sans doute ai-je tort de croire tant à la Guerre des Dieux.
 Je préfère supposer une courte prise d'armes engagée sur un malentendu né d'étrangères causes.
 Ce m'est odieux en effet de penser que des Poëtes puissent ainsi, de propos délibéré, démériter des Cygnes et des Lys. Réflexions faites, je me persuade que, s'ils partirent en guerre, c'est sur le conseil de Voix Malignes.
 Autour de la Littérature rôde une phalange de Macaques sans rimes ni raison, dont le désœuvrement consiste à promener leur poche-à-fiel de l'Orient à l'Occident à seule fin de brouiller, moyennant des procédés fouinards, le Soleil-qui-se-couche avec le Soleil-qui-se-lève.
 Chez nos innocents Poëtes, il en est sur qui porte cette hideuse diplomatie.
 Le mal vient de ces sycophantes que leur seul office de Judas met au nombre des Apôtres.
 A l'avenir, jouons du pied dans leur second visage.
 Cela nous portera bonheur.


 Pour conclure :
 Oublions nos égratignures passées et désarmons. L'hostilité des Vieilles Barbes est suffisante; opposons-lui notre paix intestine.


Genus amabile vatum.

 En conséquence, je prie MM. Camille de Sainte-Croix, Bernard Lazare et Vielé-Griffin, Henri Mazel, François de Nion et George Bonnamour, Iwan Gilkin, Zo d'Axa et Paul Roinard, Léon Deschamps, Maus, Werhaeren et Picard, Marius André, Paul Redonnel, Charles Bourget, G. de Dubor, Albert Mockel et Pierre-M. Olin, Robert Bernier, Camille Mauclair, René Ghil, Alfred Vallette... directeurs ou rédacteurs en chef, de prêcher la conciliation à leurs Collaborateurs, — que l'on soit Symboliste, Evolutif, Roman, Romanesque, voire Magnifique.
  10 septembre.

Saint-Pol-Roux.

RUINES

Pour Severine.


Fanant de son halo des parterres d'étoiles,
La lune monte au ciel, dont l'azur se vermeille;
Des nuages lointains stagnent, comme des voiles
Au large de la mer, lorsque le vent sommeille.


Dans un bosquet un peu fané, fleurant la mûre,
Au fond d'un parc désert, quatre fois séculaire,
Où mainte cascatelle en ruines murmure,
Voici que faiblement l'ombré morne s'éclaire.


Aux baisers d'un rayon frissonnent des statues,
Qui se rappellent les duchesses-bergerettes
Parmi les madrigaux s'en allant, court vêtues,
Avec, sous l'éventail, des mines si distraites!


Navrés en leur amour pour les fêtes galantes,
Les Nymphes, les Bacchus, la Vénus et les Faunes,
Sur leurs socles croulants ont des poses dolentes
Et grimacent de lamentables rires jaunes.


Elle ne brandit plus l'arc d'un geste superbe,
Diane, et, de leur faux brutale, les Années
Ont fait rouler son chef parmi les touffes d'herbe :
— Telles ont vit les duchesses guillotinées.


Mais un linceul de mousse, aux pitiés infinies,
Entoure avec lenteur tous les débris funèbres
Qui, cette nuit aux opalines harmonies,
Évoquent le Passé dans les demi-ténèbres.

Edouard Dubus.

ODE TRIOMPHALE

a la gloire des muses romanes

Io! le Délien est né!

J.Tahureau. Ode a Estienne Iodelle.


Le sénile troupeau qui tremble et les Menades
Jalouses, dans ces lieux de gloire n'entreront,
Ni cet esprit vulgaire, effroi des Oréades,
Ni tous ceux dont les Dieux ont détourné leur front!

Raymond de la Tailhède. Ode à Jean Moreas.


 Si, parjure aux Grâces attiques,
 D'une brosse maldocte elle a,
 A quatre épaisseurs d'encaustique,
 Vernissé la Minerve antique
 Du plus barbare des éclats;


 Ou que, d'une bouche sans foudre,
 Elle ait, parodique, tenté
 La buccine par quelle en poudre
 Jéricho vit son mur dissoudre,
 Et s'en soit la gueule éclaté :


 Muses doctorales! Charites!
 Maudissez l'œuvre impur et vain
 De celle de vous qui, du rite
 Affronteuse ou bien mal instruite,
 Déprava le céleste vin!


 Que ta juste nappe, ô Jodelle!
 Pour sa bouche n'ait plus de mets;
 Que, bâtard, son flanc n'ait plus d'aile
 Et que sa sandale infidèle
 Ne foule plus les purs sommets!


 Mais s'elle a, dans la glaise cuite,
 Pétri de dix doigts tortueux
 La défaite d'Io dépite
 Tombant lasse de la poursuite
 Aux bras de Pan voluptueux;

 Ou s'elle a, rompante les vignes,
 Nourri de soleil vingt flacons :
 Muses ! l'élisez la plus digne
 Et le soin de sa main provigne
 Les vergers pompeux d'Hélicon!


 Et puis ordonnez, beau-riantes,
 Vous, ô beau-ballantes enfants,
 Que la rose et le mélianthe
 Se tordent en tresses brillantes
 Autour de son front triomphant!


 Puis ô vous, beau-chantante troupe,
 Fêtez! puis ô vous et chantez
 Celle mieux chère à Callioupe
 Pour qui va tonner dans la coupe
 Le vin de l'Immortalité!


 Tu le sais, toi, Muse, ma mère !
 Si de toi l'honneur que j'attends,
 Autre fut jamais que d'Homère
 Renouer la corde prospère
 A la lyre des nouveaux temps!


 Tu sais si ma joue, au barbare
 Implacable et riche en haros,
 N'a rompu les flûtes avares
 Et tordu l'airain de Pindare
 Avec le poumon des héros!


 Tu sais si mon bras grave aux taures
 Les a pas, beuglantes, courbé's
 Et si j'ai, vidant sa pléthore,
 Plongé dans la tripe au Centaure
 Toute la longueur de l'épé'!


 Et si jamais soye autre trace
 Que poursuivie ai-je et suivrai
 Que de rendre le luth de Thrace,
 Le luth de Ronsard et d'Horace,
 A ce moréas bien lauré!

Mars 1891.


Maurice du Plessys.

ŒUVRES MYSTIQUES DE JEAN PAUL
HYLO ET MÉHALLA (1)


 La vie est un rêve : la mort est un rêve : d'un rêve nous nous réveillerons dans le ciel. Peut-être alors la sereine Lune (Herder déjà et les prêtres égyptiens le pensaient) sera-t-elle la première côte hospitalière où nous trouverons un abri, après les tempêtes de la vie. Là nous cueillerons les premières fleurs printanières de notre nouvelle vie, avant de continuer, pour notre rédemption, notre route de monde en monde, de ciel en ciel.
 Ah ! quand la terre fuyante se fondra derrière nous en un point lumineux, combien alors nous souffrirons de nos folies d'ici-bas, et de nos tristes joies, et de nos afflictions sans frein, et de notre vie sans Dieu.
 Chaque ami trépassé est pour nous un aimant qui nous attire vers un autre monde, et le vieillard ne vit plus que parmi des morts. Au minuit de sa vie, il élève, comme le Groënlandais au minuit de son plus long jour ou au midi de sa plus longue nuit, il élève ses regards vers des régions plus hautes, et du fond de sa nuit, il voit le soleil de l'immortalité empourprer et dorer les cimes.
 Mais quand, au cimetière, la voix consolatrice du prêtre s'est tue, les tombes avides ont un aspect hideux, comme des gueules béantes qui broyent devant vous des pères, des amis, des vies, et un démon venimeux, ennemi de tous les couples qui s'enlacent, réduit en cendres l'un des amants, et laisse un corps glacé contre un sein de flamme.


 Hylo aimait Méhalla. Tous deux étaient bons, mais aucun d'eux n'était heureux. Entre eux s'éleva une montagne qui sépara leurs cœurs. Ils vécurent dans deux déserts; désolée était la terre pour leurs bras, désolé était le ciel pour leurs yeux. Leur enfant mourant avait attiré Méhalla dans ses bras refroidis, ses yeux vers ses cils, son cœur contre sa frêle poitrine. Mais Hylo s'en alla sous la terre, qui ne lui donnait, ni ne lui laissait plus rien, et doucement la Mort étendit ses membres brisés, sécha et ferma ses yeux, sur lesquels une larme éternelle avait été une seconde paupière.
 La Mort aime à mener les enfants par la main, ― par sa glaciale main. Au contact de ces doigts, que nous devrons tous saisir un jour, se roidit l'enfant de Méhalla, et le papillon s'envola des fleurs de la terre vers les fleurs du ciel. Oh ! envolez-vous toujours, heureux enfants ! Au matin de la vie, vous berçant au milieu de chants et de fleurs, la Mort vous endort, deux bras vous emportent dans votre petit cercueil, et vous ne faites qu'échanger un paradis contre l'autre; tandis que nous, nous blêmissons et nous nous effondrons dans les crépuscules — dans la tempête de la vie, les traits fatigués, labourés par les misères et les peines de la terre, et l'âme à la glèbe cramponnée.
 Sous la majestueuse nuit étoilée, auprès du tertre de Hylo qui s'enfonce; souvent passait son amie : elle sentait qu'elle était seule comme la mort, et qu'ils étaient bien loin l'un de l'autre tout en étant si près. Elle leva ses yeux alourdis vers les astres et les nuages fuyants, et ses pensées s'enfuirent impatientes de quitter cette terre morne et sombre où reposait son ami.
 Sous la majestueuse nuit étoilée passait la mère de Hylo ; les larmes lui voilèrent la tombe et elle ne se consolait pas.
 Sous la majestueuse nuit étoilée, Méhalla se rendit au tombeau, pour y déposer des fleurs ; mais point de fleurs elle n'y déposa et elle tomba de douleur en douleur :
 « Oh ! toi, tu as perdu ton nom, et la terre, et tes amis, et il y a beaucoup de terre entre toi et moi, — et je ne te reverrai jamais ! — Oh! que ne puis-je te voir! ton œil s'émiette en cendres, ta main se détache, ton cœur est la pâture des vers, ton âme se dilue. — Oh! destin, que tu nous as ravagés, nous deux et tout, tout notre paradis! »
 En ce moment suprême passa au-dessus du paysage un homme jeune, et beau comme la lumière, avec un sérieux que ne donne pas ce monde. Entre lui et les étoiles était une lueur, et la lueur l'accompagnait. Il ne regardait pas, ainsi que les autres, la tombe. Comme un ciel clair, il vint à Méhalla ; son visage s'ornait d'avoir vécu l'éternité ; ses yeux reflétaient Dieu et une prière :
 « Éloigne-toi de ce mort ! Ne regarde pas cette tombe comme ton univers : le cercueil ne peut emprisonner l'âme, il ne renferme que la Mort. Élève tes yeux! Là-haut, au-dessus de cette nuit, il y a Dieu, et l'homme, et la vie, et la vertu. De là-haut votre terre lointaine apparaît scintillante, comme un glacier entre les nuages; bien au-dessous de l'immuable mer de l'Eternité, roule le torrent rapide du temps qui attire ses morts et ses vivants vers le rivage plus lucide. Vois maintenant ces étoiles qui croulent! Ce ne sont pas des étoiles, mais des enfants de la terre pourrissante, les étoiles et les soleils sont inébranlables et ne tombent pas! Comme ces aérolithes, les corps sont précipités dans la tombe, et l'âme continue ses efforts dans l'éternel éther. Mais toi, tu es encore emprisonnée dans ton corps de poussière ! »
 Méhalla resta abasourdie et inconsolée. L'adolescent continua d'une voix plus douce :
 « Hylo rayonne sur Méhalla ! Vois la Lune au-dessus de toi, c'est vers là que toute âme s'envole, en quittant le corps brisé, et un rêve diaphane y voile cette nouvelle existence. II faut que les morts rêvent comme vous, afin que les flots agités de leur vie s'aplanissent : le rêve de leur enfance terrestre se joue devant eux et berce leur âme apaisée, jusqu'à ce qu'un enfant écarte le voile du rêve, et que leur œil s'ouvre grand et pur sur les silencieuses campagnes éthéréennes du premier ciel.
 « Ah ! quand Hylo entendait dans son rêve, après la mort, résonner son rêve terrestre, et qu'il jouait de nouveau dans le paradis effondré de son enfance, et que toi aussi tu étais devant lui, et que tu enlevais de son cœur agonisant ce noir chagrin qui, semblable à une vipère, l'enlaçait et le faisait enfler... quand enfin ton enfant, par son gazouillement, réveilla Hylo renaissant de son dernier rêve... et quand sur cette fleur des adieux, un vergissmeinnicht que la mort lui conservait de toi, il vit un sourire bienheureux, et quand grandie (2) et élyséenne la terre monta à l'horizon, et que Hylo leva ses yeux vers elle, comme vers des montagnes dont on voit descendre la paix attendue...... Oh ! ne sois pas jalouse de ton Hylo ! Le jour de ta mort viendra à son tour, ta prison terrestre se réduira en poussière, ton enfant accourra te réveiller, toi aussi ; et ton premier regard dans le Ciel te dira que c'est moi, ton Hylo ! »
 Comme s'il redevenait mortel, il la baigna d'un regard d'amour ineffable, puis se dissipa en un éclair. — Et Méhalla ne regarda plus la tombe, n'y déposa pas les fleurs et s'en retourna pleine de pensées célestes, son œil pur fixé vers la Lune pâlissante.

Jules Bois et Henri Albert.


 (1) Ce poème, un des moins connus de Jean Paul, fut retrouvé dans ses écrits posthumes et publié par son gendre Fœrster dans la première édition des Œuvres complètes (1826-1838; 65e partie). D'après la date de 1794, date ajoutée de la main minutieuse de l'auteur, Hylo et Méhalla fut composé pendant un séjour à Hof, alors qu’Héspérus venait d'être terminé et que s'ébauchaient les premiers chapitres de Fixlein. C'est l'époque la plus féconde de la vie de Jean Paul, ― à la veille de son départ pour Weimar où il devait rencontrer Herder, Gœthe, Mme de Kalb et autres « dames de haute noblesse », son « académie érotique » et platonique. La sentimentalité l'attirait toujours davantage. « Je ne désire plus les satires mais les élégies, et mon âme est si lamentablement tendre qu'elle pourrait se nicher dans la poitrine d'une jeune fille de dix-sept ans et demi. » (Lettre du 19 août 1794 à un de ses amis.) ― N.D.T.
 (2) On sait que de la Lune, la terre apparaît 64 fois plus grande que la Lune ne nous apparaît à nous. Le lever d'un astre pareil doit être féerique. (Note de l'auteur.)

LETTRES DE MON ERMITAGE (1)
première a dom cucuphas
du tiers-ordre de l'amour solitaire


Sur le mode ternaire si
Plein de candeur et de merci,
Je vous épistole. Voici.


Fête-Dieu-pleine-de-relique !
Par la caboche de Jamblique
Je suis hûgrement catholique !


Laissant les fils de Bélial,
Pour un Port-Royal lilial,
Je hante le veau cordial


Et j'assume — avec quelles joies! —
La fréquentation des oies.
Ma foi rayonne dans leurs foies.


J'invoque pour le mal au cou,
Saint-Maclou couleur de roucou;
Saint-Mitrophane de Moscou,


Et j'éructe, d'après les rites,
Toutes les oraisons prescrites
Par quoi s'augmentent nos mérites.


« O beata Solitudo ! »
Ne plus remorquer ce fardeau,
Margot en quête d'un chaudeau;


Ne plus rencontrer chez Arsène
La congrégation malsaine
Des Ephestions de la Seine ;


Ignorer, quand elle opéra,
Le labeur de dire à Clara :
« Bell'alma que m'inamora ».


Et, loin des quais où la Tour darde
Sa conformation hagarde
De cathédrale pignouflarde,

Oublier quel puffiste los
Maurras, casuiste à Délos,
Prodigue aux Symbolopoulos!


Enfoncer des pointes égales
Dans son cul! Vivre plein de gales
Mystiques et théologales!


Fuir la table, ses agréments,
Et parfumer tous aliments
De petits morceaux d'excréments!


Supporter le nom d'Anatole
Baju! pour un quart de pistole,
Ceindre le cordon et l'étole:


Ainsi, dans les plaisirs dévots,
Sans lire de fableaux nouveaux,
Coulent nos soirs, auprès des veaux.

***


Les gens du monde, sur les plages,
Cèdent à maints pensers volages
Et gaspillent leurs pucelages.


D'Hendaye à Lock-Maria-Ker,
Tels messieurs d’un équivoque air (2)
Amènent des « fulls » au pocker.


Il en est, aux bords de la Manche,
Qui, sans nul respect du dimanche,
Font sortir le Roi de leur Manche.


D'aucuns, venus de Bourganeuf,
Pour s'acheter un complet neuf,
Comme des sourds abattent neuf.

Magicien aux sept balsames,
Le Péladoison chasseurs d'âmes
Tâte ma chair des vieilles dames.


Des gentlemen « tramés-coton »
Que sangle un inouï veston
Appliquent les lois du boston.


Cependant qu'aux jours de tuerie,
Monsieur Prud'homme se récrie,
Frascuelo! sur ta boucherie


Et qu'un très jeune Pédero,
Comme l'Alexis de Maro,
S'exerce à « toucher le taureau ».


***


Mais nous qu'un Lumignon éclaire
Et qui marchons avec Hilaire
Sur tes pas, Agneau Vexillaire,


Nous que la pudeur a conduits
Méprisant ces impurs déduits,
Employons saintement les nuits:


Mugissons la prose et l'antienne
Frère! Que la prière obtienne
Pour vous cette vertu chrétienne!


Et que, l'esprit réconforté,
Dom Cucuphas soit exalté
Dans la benoite éternité.


Son âme que l'Espoir désigne
Montrera la blancheur du cygne,
Les trois Vertus avec le Signe,


A l'heure où moqués des Vertus,
Quand les buccins se seront tus,
Cherront les pêcheurs abattus,


Et que, les enfants de Voltaire,
Dans l'enfer plein d'un noir mystère,
Subiront le thermo-cautère,


La broche et l'écumoire, hélas!
Des cuisiniers de Satanas.
Vale, mon frère Cucuphas.

Dom Junipérien.


 (1) Voir Mercure de France, août 1890 (n° 8).
 (2) Le R. P. Junipérien à qui n'échappe aucun effort des lettres contemporaines, s'est rappelé sans doute l'excellente fantaisie que MM. Charlice et Vignier publièrent dans la « Vie Parisienne », il y a quelque douze mois :
  Quand on veut jouer au pocker,
  Il faut attendre un sort précaire.
  Ça peut vous mener à Necker
  Ou à la Charité, pécaire!
  Quand on veut jouer au pocker
  Car à Paris, à Gap, au Caire,
  Des messieurs d'un équivoque air
  Ont tôt fait de vous pickpocker,
  Quand on veut jouer au pocker.

LES TROIS FEMMES EN DEUIL



 Les trois femmes en deuil marchent sur la chaussée d'herbe.
 La rivière miroite au soleil et semble une princesse vêtue de soie changeante, qui tient sur sa main pâle, au lieu de l'épervier de chasse, une palombe familière ; dans sa robe lumineuse, dans sa robe de soie et de joie, la rivière se hâte vers la mer prochaine.
 Les trois femmes en deuil marchent sur la chaussée d'herbe.
 Mais de l'autre côté du chemin, le marécage s'endort dans sa chape d'acier ; vieux roi silencieux, il darde ses prunelles blanches ; les opales tristes qui pleurent sur sa poitrine muette sont brulées par des flammes obscures : la guerre, le meurtre et le viol hantent son sommeil.
 Les trois femmes en deuil marchent sur la chaussée d'herbe.
 Mystérieusement elles vont ; leurs monotones pas s'assourdissent et glissent comme dans une chambre où repose un mort bien-aimé, un mort aux mains tièdes encore ; elles vont vers la campagne, loin de la mer et loin de l'écume, mystérieusement, sans se retourner.
  Les trois femmes en deuil marchent sur la chaussée d'herbe.
  Deux d'entre elles sont vieilles par les larmes, par les glaives des sept douleurs; leurs épaules sont lassés d'avoir ployé sous le fardeau des souffrances de la vie et d'étroites coiffes noires enferment leurs cheveux résignés, tandis que leur manteau flotte en plis funèbres.
  Les trois femmes en deuil marchent sur la chaussée d'herbe.
  La troisième fleurit et sourit; sa chevelure d'aube rayonne sur son cou et, l'oreille tendue à la chanson du fleuve en joie, vers la liesse de la mer, attend la barque d'amour, la barque d'amour et de jour, qui l'emportera loin des pleurs oubliés.
  Les trois femmes en deuil marchent sur la chaussée d'herbe.
 

Pierre Quillard.

CONTES D'AU DELÀ
COMMENT JACQUES SE SUICIDA



 9 heures.
 
 ... A voir cette page si blanche, jusqu'alors intacte de toute souillure, préservée des taches dégradantes — ah ! pourquoi mon âme ne lui ressemble-t-elle pas! — il me vient presque un remords de porter sur elle une plume sacrilège et qui la noircira du trop plein d'amertume impossible à conserver de par moi. Je sens que si je n'exprimais pas ces méchantes pensées, soudainement écloses, et avec la force que le Mal possède seul, elles m'oppresseraient tant qu'il me faudrait les crier tout haut, pour en éprouver un soulagement. Il ne m'est pas permis de m'opposer en raisonnant à leur croissance, dont la constatation m'emplit d'anxiété. Peut-être qu'une fois jetées sur ces feuilles, elles pâliront avec le temps, comme l'encre qui les traduit.
  Et puis, si, par le monde, il est d'autres malheureux comme moi, leurs souffrances s'allégeront au récit des miennes : cela me console un peu de songer à ce temps où je ne serai plus, mais où ces paroles résonneront pour eux — et je les aime déjà, ces inconnus — écho de leur propre cœur en atténuant le bruit. Il est si doux de ne pas souffrir seul...
  Je viens de relire ces lignes et m'étonne d'avoir pu les écrire. Non, je ne veux pas que l'on sache; ma maladie est de celles qui se gardent secrètes. Il faudra que je cache ce cahier. Ce sera mieux, plutôt, de le brûler,au dernier moment. Ne me tiendrait-on point pour fou ? Comme si je n'étais pas en possession de toute ma raison, hélas! car le supplice qui m'angoisse vient de là. Clairement, certes, trop clairement je vois dans les replis enténèbrés de mon être et puis distinguer le jeu de ses moindres rouages; mais que faire contre cette force, étrangère et cependant intime, irrésistible, me contraignant à réfléchir aux choses que je désirerais à tout jamais bannir de mon intellect. Fou! assurément je ne le suis pas. Le rameur qu'un courant violent entraîne à l'abîme perd-il pour cela la notion du danger, la conscience de sa force? Or, le péril grandit sans qu'il puisse s'y soustraire; quelques instants encore, il s'efforce de lutter, puis, certain de son impuissance, s'abandonne sans essayer plus de vaines tentatives.
 Ainsi tourmenté par l'idée, qui s'impose avec la vigueur de l'inéluctable, je résiste encore, mais dès à présent je prévois le moment où, fatalement, je devrai accomplir l'acte, malgré moi.
 Il me souvient d'un soir tranquille d'automne, et j'étais tout petit. J'ai là le portrait de ce frêle garçonnet que je fus, et il me paraît que cet enfant me ressemble, beaucoup. Ma mémoire est très précise sur cette scène pénible, la première où se manifesta l'invisible, l'occulte démon que je porte en moi, et qui m'accable aujourd'hui de sa souveraineté perverse.
 Je m'amusais fort à regarder la pluie tourbillonnante et capricieuse des feuilles rousses et les façons différentes dont le vent en usait avec elles. Et je pensais aussi que c'était bien ennuyeux que ma sœur Lily fût malade, car je ne pouvais plus jouer avec elle, depuis un mois qu'elle demeurait alitée.
 Un brin de paille était particulièrement divertissant — il m'est pénible de me souvenir aussi nettement, et c'est au moins étrange — ; il se soulevait à demi, exécutait quelques pirouettes, puis retombait, pour recommencer un instant après, et sans jamais changer de place, fût ce même d'un pas. Cela me faisait rire aux éclats, et trépigner de joie, lorsque la gouvernante entra : « Petit Jacques, me dit-elle, il ne faut pas être gai ainsi, votre sœur est maintenant au ciel. Dieu n'a pas voulu la laisser plus longtemps sur cette terre, et vous ne la verrez plus. » Je sentais déjà de gros sanglots s'amasser dans ma poitrine, vite devenue lourde, et monter, monter jusqu'à ma gorge, lorsque, d'un bond, je m'enfuis dans le parc, me jetant au plus épais des taillis dépouillés, car — et je savais que cela était horrible et je souffrais atrocement — un rire fou, impossible à réprimer, sortait en cascades bruyantes de mes lèvres serrées, malgré tous mes efforts et ma réelle douleur. Oui, je l'entends encore résonner dans la sanglante agonie crépusculaire, tandis que le vent hurlait aux branches, et que les mornes feuillages claquaient, claquaient comme des ossements qui s'entrechoquent.
 Je frissonne à me rappeler ces moments d'angoisse, et le sentiment de mon impuissance ajoute encore à ma tristesse. C'est que, sur moi, retombent les fautes d'une vicieuse ascendance : corrompu par elle, ce sang qui me martèle les tempes, se traîne dans mes artères, trop lent ou fièvreusement rapide... et je me heurte là, désarmé, au mur noir des fatalités qui ne se laissent pas attendrir ou prier, des hérédités implacables, dont je ne puis rejeter les apports mauvais. Ah, ceux qui dorment maintenant sous les cyprès — et je les envie —, ceux qui m'ont fait le don funeste de la vie, comme je voudrais les maudire ! Car est-il supplice plus cruel que le mien... avoir à se défendre de l'obsession constante qui vous hante, vous harcèle, allant presque jusqu'à l'impulsion. L'idée du suicide s'impose à moi avec une persistance telle, que ce sera une délivrance lorsque j'y satisferai. Mais, jusqu'à présent, mon cœur de lâche s'est dérobé devant l'accomplissement de l'acte, librement consenti, voulu, appelé à certaines heures de toutes les forces de mon être qui souffre. Et, plus malheureux que les damnés du Dante, je me débats, plein horreur, dans ce cercle impossible à rompre; la mort m'apparaît tantôt douce libératrice, tantôt cruelle ennemie, cependant que toujours présente à mon esprit, y veillant implacable; et ma volonté affaiblie ne peut plus reconquérir une suffisante énergie pour me soustraire à ces affres et me procurer le repos bienfaisant du Léthé auquel on ne boit pas deux fois ! Chancelant et faible sous le contradictoire de cette effrayante situation, je conserve juste assez de raison pour en prendre une amère conscience, sans qu'elle me permette d'agir plus... Je ne peux pas. Ma volonté est à la fois désarmée contre cette pensée qui m'assiège, cette affreuse pensée de suicide, et inapte à l'accomplir.
 Parfois, il me semble que je suis suspendu au-dessus d'un gouffre profond. Un frêle lien, si frêle qu'à tout moment je crois qu'il va se rompre, me laisse balancer par les bises froides, et qui m'apportent les fines gouttelettes d'écume rejaillissant de je ne sais quel torrent proche. Et j'entends bruire, très loin dans l'ombre, l'onde noire qui refermera sur moi les plis de son linceul humide. Certes, je dois tomber, mais cette chute que j'attends et qui ne se produit pas, cet épouvantable instant jamais arrivé, toujours craint, où mon corps rebondira sur le roc, cette expectative m'emplit de plus de terreurs que la chose même. L'air aspiré à grands coups par les poumons haletants ne parvient pas à rafraîchir mon sang, qui bout d'une éternelle fièvre sous mon crâne frissonnant...
 Et cependant le soleil chaud est si bon, lorsqu'il parait, au matin, dissipant des seules flèches d'or de ses rayons les vilains fantômes qui errent aux heures silencieuses et nocturnes! Vivre, assurément, est deux, alors même que bien des espoirs ont fui bien des tendres illusions... Vivre! Communiquer chaque jour par tous ses sens avec la merveilleuse ambiance du grand Pan!...



 11 heures.
 La pendule a ce soir une étrange sonnerie. Les vibrations de ce timbre ont retenti si sourdes : des pelletées de terre sur un cercueil d'airain. Dieu, que c'est triste!
 Des chansons me montent aux lèvres, chansons d'adieu. Je vais écrire jusqu'au bout. On dit qu'il y a eu des gens pour avoir ce courage. Il ne s'agit que de posséder un peu de volonté. Elle m'est revenue. Tard.
 Maintenant, ce sont des taches rouges qui papillotent devant mes yeux et sur ce papier, ainsi que de petites gouttes de sang ou de minuscules fleurettes pourpres. L'homme m'a prévenu que ce serait long, mais je ne souffre pas. Cependant il ne faut pas attendre trop, et je veux détruire ces feuilles.
 Ils sont trop nombreux les papillons écarlates qui volètent tremblants, je...
 — A cet endroit, Jacques avait cessé d'écrire.

Gaston Danville.

ÉPITRE A MORÉAS

Mœcenas, atavis edite regibus...

Q. H. F.


Toi qui, d'un mouvement de strophes cadencées,
Par le sillage émerveillé du Vendômois,
« Nous rapatri's aux bords de la pure Odyssée »,
Mignon des Muses qui te rangent sous leurs lois!


Tu sais quels soins divers se disputent les hommes :
L'un, jaloux du Centaure, est seulement joyeux
De faire voler la poussière aux hippodromes,
Où conquérir un prix qui l'enfle jusqu'aux dieux!


L'autre, ne dédaignant le plus humble des rôles,
Du peuple outrecuidé se fait le courtisan,
Pour en quêter un jour l'hermine à ses épaules,
Et d'où nouer la pourpre éclatante à ses flancs.


Celui-ci, possédé d'une manie étrange,
N'a souci que du gain imbécile et ne dort
Que s'il a rassemblé la Lybie en ses granges
Ou confisqué tout ce que l'Inde a de trésors.


Celui-là ne se plait qu'en ses terres natales
Qu'il cultive et moissonne au gré de la saison :
Quand on lui donnerait tous les coffres d'Attale
Il ne changerait pas son modeste horizon.


Non, certe! il n'irait pas braver — d'une traverse
Abattue à grands coups de hache aux bois profonds
De Dodone — la mer Egée aux flots adverses,
Ainsi que les marchands insatiables font :

Eux qui, dès qu'échappés aux marines colères,
Jurent qu'ils n'iront plus quitter le port certain,
Et que, pourtant, tu vois, pressés par la misère,
Presqu'aussitôt cingler vers un nouveau butin.


Cet autre, ami du vieux Massique, c'est au verre,
Or' à la Ville, or' sous des feuilles le beau toit,
Qu'il a réduit sa part de bonheur sur la Terre,
Et sa félicité se jauge au vin qu'il boit.


Il en est pour la chasse, oublieux d'une épouse,
Qui souffrent mille froids et veillent pour que les
Molosses soient vainqueurs de la cerve jalouse
Ou que le sanglier n'échappe à leurs filets.


Tels enfin! animés par la fanfare altière
Sonnée aux camps bruyants, suivent le train guerrier.
Eux! les combats qui font trembler le cœur des mères,
Leur main sanglante y veut moissonner des lauriers.


Moi! qui m'isole aux bois où c'est que les satyres
Légers avecque les nymphes dansent en rond,
Moi! le divin bonheur et le seul où j'aspire,
C'est de ceindre l'hyerre ami des doctes fronts!


Mon nom déjà rayonne et Polymnie accorde
D'exceller sur la Lyre à mes doigts musicaux,
On dirait qu'elle-même en a tendu les cordes;
Euterpe se complait au bruit de mes roseaux;


Les sources, quand je chante, arrêtent leur musique.
Mais de te plaire, uniquement ambitieux,
Maître! si tu m'inscris au rang de tes Lyriques,
Mon front démesuré grandira jusqu'aux cieux.

Ernest Raynaud.

PROSES MOROSES


LA FILLE DE LOTH


A Camille de Sainte-Croix.


 Le plaisir sortait furieux, tel qu'un jet de fonte ardente et rouge : Loth s'affaissa sur la chair de l'opprimée. L'idée du sang le tourmentait : « Quelle bouche, ou quelle blessure de virginité a revomi sur ma face ? » Le flot du vomissement cloîtrait ses yeux, scellait ses lèvres, aveuglait, comme un masque, le torrent de son haleine.
 « L'Autre : elle avait nom la Mère... Quelle confusion dans les générations!... Avec l'autre, ils allaient au plaisir en des tremblements de saints qui tomberaient à l'impureté, — mais l'Exultation, fantôme exquis né de leurs souffles, planait, le front haut et rayonnant, tout paré de fleurs fraîches.
 « Celle-ci : quand la mère fut morte, Loth aima sa fille, la fille de Loth; il l'aimait d'une sensualité de prêtre chaste, il se mortifiait...
 « Vainement !
 « Elle dormait... C'était tantôt, non, c'était il y a un instant, un seul instant... Elle dormait. Elle ne cria point. Sa mère non plus n'avait pas crié. Ah ! c'est ma fille, ma vraie fille, — mais quelle confusion dans les générations futures !
 « Elle dormait, elle ne dort plus. Évidemment, — et c'est surtout désagréable parce que de quels yeux irrespectueux ne doit-elle pas, en ce moment même, fixer son père; de quels yeux sournois et, qui sait ? goguenards, des yeux à cracher dedans... Si elle pleurait, au moins, je la consolerais. J'ai envie de la battre !
 « Ah ! voilà que le masque se recollait sur sa figure, et ses membres ligotés ardaient en un enfer de cohabitation un peu excessif. Sa tête, sous l'imaginaire étau de sang glacé, se brisait comme un os dans une gueule de chien, — et l'Ironie l'épouvantait, comme s'épouvante un assassin qui veut, et ne peut, paralysé, redoubler le coup de grâce... »
 Il articulait, sans parole extérieure, des chapelets de « pardon, pardon, pardon » : à Dieu, à Elle, à toute la vie, à toutes les choses, au lit creusé tel qu'un tas de sable fuyant vers un abîme, aux cheveux blonds mouillés par la sueur de l'angoisse, aux seins violentés... au Christ de l'alcove, au Christ de cuivre, qui souriait aux lumières, amèrement... à tout, à la porte brisée, au gynécée troublé dans son silence, à la bouche écrasée par les morsures...
 ...A la bouche surtout, — mais la bouche de vierge et maintenant de femme, la bouche d'enfant et maintenant d'amoureuse, la bouche adorable de la fille de Loth s'ouvrit et murmura dans un baiser : « Je t'aime! »


LE RÊVE


 Primary avoisinait la cinquantaine, lorsque sa maîtresse lui dit, un matin, avec cet air spécial que prennent les femmes pour annoncer à leur bien-aimé des choses d'un embêtement rare et décisif, mais des choses qui crucifient leur chair à elles, et qui la flattent, des choses comme seules elles peuvent en dire, des choses représentatives — absolument — de leur sexe :
 - Tu sais, je suis enceinte.


 - C'est une fille, monsieur, dit la sage-femme, des épingles entre les lèvres. Primary, les yeux vagues, regardait, sans le voir, l'être à la peau de crevette cuite, le fœtus macéré par les alcools amniotiques : il rêvait : une fille : il la voyait montrant, sous sa robe de huit ans, de fluettes jambes de jeune autruche, courant et s'arrêtant de courir à la caresse d'un désir mâle, grimpeuse volontiers vers des genoux agités et chatouilleurs ; il la voyait chuchoteuse et sourieuse; les yeux larges et la bouche gourmande, innocente et tentatrice, angélique et sournoise...
 - Ce sera pour ma vieillesse.
 - Allez-vous-en, dit la sage-femme, des épingles entre les lèvres.
 Et quand il fut sorti, elle se pencha vers la mère plus abolie sous les draps que sous la neige une ellébore, — et familièrement, de femme à femme:
 - Soyez tranquille, pauvre chérie, il l'aimera bien.


SŒUR ET SŒURETTE


 « Sœurette, dit un jour Sœur, avec des yeux très doux de vierge consolable, écoute-moi, Sœurette. Avons-nous, oui ou non, l'âge des révélations définitives? Sommes-nous, toi la blonde et perpétuelle adolescence, moi la brune et précoce maturité, sommes-nous, Sœurette, une couple de futiles cyclamens incueillables et nuls?
 « Réponds, Sœurette, en me donnant tes lèvres ! »
 « Sœurette, dit encore Sœur, avec des yeux très noirs de vierge exaspérée, sommes-nous, toi la fille aux seins blancs comme un mois de Marie, moi plus vermeille qu'un Saint-Ciboire, sommes-nous, Sœurette, des chairs que promène en landau une attendrissante maman ; ou des chairs dont on montre le tiers au bal immaculé de la princesse Unique; ou des chairs enfin que les hommes en frissonnent, parce qu'on livre avec deux ou trois fois leur poids d'argent?
 « Réponds, Sœurette, en me donnant tes lèvres !
 « Sœurette, dit encore Sœur, avec les yeux terribles d'une vierge qui se fait comprendre, sommes-nous, toi le flacon des odeurs mourantes, moi la fiole aux stridents parfums, sommes-nous, Sœurette, les occultes amantes d'un prudent chuchoteur, ou les patientes fiancées d'un épouseur distrait?
 « Réponds, Sœurette, en me donnant tes lèvres! Réponds, Sœurette : — si nous nous aimions entre nous, tout simplement? »


PRESCIENCE

Sol de Stella.

Saint Bernard.


 Elle ouvrit sa fenêtre :
 C'était un paysage de printemps, jeune, pas fini, un paysage d'aube attardée et de lueurs attendues, — des cieux pâlement fleuris, l'envers d'une soie brochée, une broderie de feuillages en enfance sur du tulle mauve...
 Il y eut un arrêt, avant l'exaltation certaine des lueurs attendues. Quelque chose de clarifiant allait surgir dans une bénédiction prochaine. L'Etoile mystique accouchait du Soleil d'Amour...
 Elle referma sa fenêtre, disant :
 « Et moi, j'attends Celui qui ne viendra jamais. »
  Février 1891.


PROSE POUR UN POÈTE

A Saint-Pol-Roux.


 « Pense, disait le Poète, pense au pâle abandon...»
 Il faut savoir qu'elle était pas jeune, jolie plus guère, et parmi l'artificiel glacis blond des cheveux fins, tel qu'en un ciel enflammé des avant-crépuscules, de blanches stries se couchaient, primevères à l'agonie parmi les soucis incandescents.
 Il faut savoir tout ce que savait le Poète : encore ceci, que la pas jeune et plus guère jolie femme, un désolant caprice la délaissait ; « Il ne l'aimait plus! » Ah! même dans un grand calme de ton et avec gestes à la Tant-pis-que-voulez-vous? — ça contenait bien des sanglots, et pas si effarouchés qu'ils ne montassent résolument à l'assaut du pauvre cœur...
 Il faut savoir encore qu'elle dit, après un silence : « Me voilà toute seule. Reste à s'organiser, arranger sa vie »; et qu'en disant, elle torturait par des poses inaccoutumées ses bras, — oh ! eux, très beaux encore et même relativement superbes, relativement à l'inconsistante jeunesse, - ses bras veufs du cou très cher qu'elle aurait eu tant de joie à étrangler pour qu'il ne se pliât pas une fois de plus sous l'étreinte de bras différents — oh! oui, on pouvait le dire — des siens!
 Il faut savoir encore qu'elle avait un vrai gros chagrin, en la pantomime des simagrées obligatoires, — car, seule ou pas seule, est-ce la même chose, voyons? — et que, si elle avait été seule, toute seule, elle se serait vautrée sur ses tapis, se serait saoulée de larmes amères et de « Ah! mon Dieu! » toutes les deux secondes, et de « Qu'est-ce que je vais devenir? » dans les intervalles, et de — car elle avait de la religion — « Sainte Vierge Marie, rendez-le moi! »
 Il ne reste plus rien à savoir, hormis ceci, que le Poète avait beaucoup d'esprit et qu'il faisait des vers, des vers « Ah! ma chère ! des vers! oh! une grâce! un charme! Enfin, avouez qu'ils sont bien. Des caresses, vraiment oui, inexprimables, des caresses, des caresses... »
 « Pense, disait le Poète, pense au pâle abandon... » Et la pas jeune et guère plus jolie femme devenait toute gracieusement pâle et finalement, — tel qu'un ciel enflammé des avant-crépuscules qui s'atténue vers les candeurs de l'agonie, — toute blanche, toute blanche, toute blanche...
 Ah! prends garde aux poètes consolateurs, prends garde au Verbe, à la magie de réalisations, prends garde aux Mots qui se dressent et vivent, aux évocations improvisées, aux incantations créatrices, prends garde aux logiques de la Parole : — toutes les syllabes ne sont pas vaines.
 Le Poète disait :
 « Pense au pâle abandon des vieux lys solitaires. »

Remy de Gourmont.

A UN JEUNE AÈDE


Aède aux yeux de nuance douce,
Toujours vers leur frère Azur tournés;
Avec ton front blanc qui se renverse,
Au-dessus des fronts de tes aînés,
Tu brandis ta strophe comme un thyrse.


Espoir des ardentes Muses pâles,
Qui t'ont, sur un mont, donné le sein,
Dans leur bois antique aux rameaux nobles,
N'abandonne pas ton haut dessein;
Et qu'à tes pieds vienne un fleuve d'âmes.


Oui, charmant Meneur d'Odes divines,
Ainsi que des chèvres bondissant,
Sois meneur encor d'âmes humaines;
Et que ton chant clair comme ton sang
Enivre d'amour les foules fauves.


Moi, moi qui sais l'orphique mystère,
Le premier, j'ai lu ton âme en toi :
J'aimai l'enfant, déjà rêvant d'œuvre,
Et, simplement, t'ai juré ma foi
En un chant qui, grave, se module.


Je t'aimerai, dans ton été riche,
Comme je t'aime dans ton printemps;
Je t'aimerai claironneur farouche
Autant que chanteur de dix-huit ans :
Pourtant, que ton mai longtemps fleurisse...


Puis, avant qu'un fier laurier aux tempes
Tu domptes les haines et la mort,
Reçois, doux Aède, épris des pompes
Antiques, jeune homme aux lèvres d'or,
Ces rythmes tordus comme des pampres.

Louis le Cardonnel.

L'ORAGE


 Vers minuit, par la croisée sans toutes ses fentes, la maison au toit de paille s'emplit et se vide d'éclairs.
 La vieille se lève, allume la lampe à pétrole, décroche le Christ et le donne aux deux petites afin que, couché entre eux, il les préserve.
 Le vieux continue apparemment de dormir mais sa main froisse l'édredon.
 La vieille allume aussi une lanterne, pour être prête, s'il fallait courir à l'écurie des vaches.
 Ensuite elle s'assied, le chapelet aux doigts, et multiplie les signes de croix, comme si elle s'ôtait des toiles d'araignées du visage.
 Des histoires de foudre lui reviennent, mettent sa mémoire en feu. A chaque éclat de tonnerre, elle pense :
 — « Cette fois, c'est sur le château! »
 — « Oh! cette fois-là, par exemple c'est sur le noyer d'en face! »
 Quand elle ose regarder dans les ténèbres, du côté du pré, un vague troupeau de bœufs immobilisés blanchoie irrégulièrement aux lueurs des torches éphémères.
 Soudain un calme. Plus d'éclairs, le reste de l'orage, inutile, se tait, car là-haut, juste au-dessus de la cheminée, c'est sûr, le grand coup se prépare.
 Et la vieille, qui renifle déjà, le dos courbé, l'odeur du soufre, le vieux raidi dans ses draps, les petits collés, serrant à pleins poings le Christ, tous attendent que ça tombe !

Jules Renard.

HENRY DE GROUX


 Sous un ciel bas et sombre de drame, dans une plaine vague, banalement sinistre, à une heure morne et équivoque de nuit, le voyageur a roulé, terrassé, sous un genou nerveux, foudroyé par l'éclair d'un couteau. Quatre yeux horribles, exorbités, allumés d'indicibles terreurs, de férocités ineffables, flamboyent dans le gris de cette louche pénombre. Des membres se tordent en désespérés crispements. Deux bouches grimaçantes béent, comme pour des hurlements de rage carnassière, comme pour des cris suprêmes de secours qui crèvent dans les gorges. Une lame écarlate, dégouttante de larmes rouges, affolée, bondit, retombe, et encore et toujours, acharnée, furieuse, frénétique, sillonnant l'air de zigzags de pourpre, éclaboussant l'air d'une pluie de pourpre. Le sang gicle de la poitrine dénudée où bâillent, épouvantables, vingt trous vermeils. Le sang dégouline à flots des lèvres ouvertes en hideuse gargouille d'abattoir, des lèvres ouvertes par un hoquet qui est à la fois un cri étranglé de terreur et un dernier râle d'agonie...
 Et cela, pourtant, qu'on ne s'y trompe pas, n'est point une simple anecdote, un vulgaire fait-divers bête et sanguinolent, une quelconque scène pathétique de mélo d'Ambigu. C'est autre chose, qui est moins particulier et moins immédiat, autre chose qui est bien de l'art vrai et pur, puisque ce qu'on éprouve, au regarder de cette œuvre singulière et poignante, ce n'est point seulement les banaux sentiments de terreur, de pitoiement qu'inspirerait telle analogue atrocité réelle, par hasard aperçue, ce n'est point cette sensation de nerfs bouleversés au heurt de telle vision spécialement apeurante, c'est plutôt une mystérieuse émotion d'ordre plus intellectuel, une émotion qui, sans affecter en rien les nerfs, ni la sensibilité, ne bouleverse (et d'une façon combien délicieusement épouvantable!) que les facultés supérieures de notre âme, une émotion, enfin, comparable au trouble absolument idéal, insensoriel, que suscite en l'intellectualité d'un penseur qui est aussi poète la conception d'un ensemble d'idées abstraites, qui, soudain, dans le ciel de l'imagination, se précisent, s'incarnent, douloureuses ou terribles.
 Vraiment, non, dans ce tableau du Meurtre, ce qui nous émeut, ce n'est point l'accident banal de ce banal voyageur inconnu, ce ne sont point ces contorsions d'agonie ni ce sang ruisselant. Tout cela n'est que détails très secondaires, voulus matériellement effrayants, pour corroborer la terreur de l'idée, de la philosophie, que l'artiste devait écrire. Cette œuvre, sans conteste, n'est rien moins que l'habile narration d'un crime particulier ; elle est bien un poème, un émouvant et terrible poème où nous lisons, exprimées par l'artifice d'un significatif épisode de hasard, la douleur de vivre, l'épouvante de vivre, l'angoisse de l'Ignoré aventureux embusqué dans l'avenir, la bêtise méchante de la fortune, la pitoyable vanité de la galopade humaine parmi les douloureuses conjonctures de l'existence.... Ah ! pauvre voyageur inconnu, qui, par cette mystérieuse alchimie de l'art, cesse d'être pour nous un voyageur, et deviens Le Voyageur, L'Homme, ah ! pauvre voyageur, où donc allais-tu? qu'espérais-tu? Peut-être tu étais le poète qui sent bourdonner dans sa tête, comme des abeilles d'or, les strophes géniales qui ne doivent point mourir, peut-être l'inventeur sublime qui devait jeter au monde étonné l'admirable secret des pierres philosophales, peut-être le soldat qui pouvait conquérir la terre et s'asseoir un jour sur le trône des antiques empereurs du monde ! Pauvre voyageur, quel banal accident de la vie stupide, quelle force brutale et imprévoyable et irrémédiable t'a terrassé, vomissant par ta bouche râlante ton sang et tes beaux rêves ! ... Tu avais du génie, certes, tu avais la science de la vie, tu t'étais armé des armes qu'il faut pour vaincre, tu avais écouté les conseils des sages qui connaissent les chemins propices, tu étais sûr du triomphal avenir ! Mais l'absurde hasard t'a pris, en lâche, par derrière, et, maintenant, lamentable, tu gis sous ce ciel bas et sombre de drame, dans la plaine vague et banalement sinistre, la poitrine trouée de vingt trous rouges, ton sang dégoulinant par ta bouche...
 Ah ! pauvre voyageur !... Et pourtant ! Et pourtant, qu'il était grand ton espoir ! qu'ils étaient beaux, tes rêves !...
 Là-bas, à l'horizon, tout là-bas, lugubre comme une potence, effroyable et ironique, se découpe sur les nuages tragiques le charitable poteau-indicateur du chemin, de l'infaillible chemin où tu voulais Marcher !... Ah ! pauvre voyageur !...



***


 Ce tableau du Meurtre, on le voit, et je le répète à dessein, n'est donc nullement l'illustration d'un simple fait-divers émouvant par son atrocité. L'action qui s'y déroule n'importe guère, puisqu'elle n'est que le signe matériel d'une pensée, autrement intéressante et philosophique qu'une vulgaire question de coups de couteau. A moins d'être incurablement inapte à toute compréhension d'art, il est impossible à un esprit impartial de se cantonner, devant cette œuvre, dans la seule sensation immédiate déterminée par la matérialité du sujet représenté. On subit, malgré soi, fatalement, nécessairement, la suggestion de ces idées générales que j'ai tenté d'indiquer et que le peintre a, pour ainsi dire, pétries avec ses couleurs. Le drame cesse d'être un drame spécial, pour devenir un drame humain, purement intellectuel, passionnant symbole des rêves douloureux d'une âme d'artiste.



***


 L'existence en une œuvre de ce prolongement spirituel, la quantité et la qualité de ce prolongement spirituel, voilà, je crois, les meilleurs critères pour reconnaître et évaluer une œuvre d'art. Voilà aussi la cause pour laquelle, si je ne me trompe, la meilleure critique picturale sera toujours celle faite par un poète. Ces ensembles d'idées, en effet, qui composent essentiellement une œuvre vraiment d'art et que j'ai appelés le prolongement spirituel, il les précisera, lui, le poète, en les transposant dans son langage propre, vers ou prose, langage évidemment plus clair et plus intelligible, puisqu'il est plus familier à la masse des hommes, que le langage universel, mais assez ésotérique, des lignes et des couleurs. Et ainsi seront pleinement illuminées les essentielles conditions de l'œuvre d'art, ce qui est, à n'en point douter, la seule bonne critique.
 Quoi qu'il en soit, je dois déclarer. dès maintenant, que ce prolongement spirituel sans lequel l'art n'est point, je l'ai constaté dans tous les tableaux, trop peu nombreux malheureusement, de M. de Groux qu'il m'a été donné de voir.
 A quoi tient la possibilité de ce prolongement spirituel, de cette action réflexe du matériel vers l'immatériel, qu'on observe en certaines œuvres et qui manque absolument en d'autres? Comment un fait particulier peut-il instantanément se métamorphoser en une idée générale, en une haute synthèse, en toute une troublante philosophie? Ce n'est point ici le lieu d'étudier cette mystérieuse et difficile, mais peut-être point insoluble question. Qu'il suffise d'avérer que ce phénomène se reproduit constamment en tous les chefs-d’œuvre incontestés, et de faire remarquer combien Le Meurtre de H. de Groux serait, en réalité, dissemblable d'un sujet identique qu'eût traité un habile peintre anecdotier, parfait observateur mais dénué de toute faculté de rêverie philosophique. Puisque c'est la tête qui guide la main, qu'y a-t-il d'étonnant à ce que la tête d'un rêveur guide sa main de façon à traduire son rêve, et la force, pour cela, à des combinaisons, à des modifications de lignes et de couleurs, mystérieuses, inconscientes, presque inanalysables... Regardez, par exemple, dans Le Meurtre la subordination évidente des contours, des surfaces, des lumières, des ombres, observez le rhythme désespéré, tragique des lignes, de toutes les lignes, tombant en courbes douloureuses, parfois dramatiquement brisées, du milieu supérieur de la toile à ses angles inférieurs, constatez la concordance lugubre des couleurs, cette sinistre harmonie en vert sombre, en bleu obscur, en noir, et réfléchissez aux rhythmes de lignés et de couleurs qu'eût nécessairement employés le réaliste anecdotier dont je parlais tout à l'heure.



***


 Voici maintenant une autre toile, plus terrible encore et plus étrange : Les Traînards. Cela ressemble à quelque effroyable tapisserie de Flandre, jaunie et élimée par 1'âge, qu'aurait tramée un patient et paradoxal tisserand de là-bas, interprétant, avec des laines teintes en des ventres putrides de cadavre, un hideux cauchemar de Breughel d'Enfer; cela évoque un rêve macabre de Callot, retouché par Goya, s'agitant dans un royaume en putréfaction, cela s'étale, répugnant, avec des tonalités jaunes et noires et vertes, des marbrures de pourriture, des suintements de pus extravasés, semblable au ventre crevé de plaies et d'abcès d'un hideux reptile en décomposition.
 Et cela, c'est l'Envers de la Gloire.
 Quel empereur cuirassé d'or, quel empereur triomphant, avec son armée immense et brave, a passé par-là, caracolant sur son fougueux cheval caparaçonné de pourpre ? Quels étendards enthousiastes ont frissonné sous ce ciel? Quelles décharges de mousquets y ont retenti? Quels glorieux coups de lances et de sabres s'y sont échangés? Quels gais tympanons, quelles sonores trompettes ont chanté la victoire, ont chanté la bravoure des soldats et le triomphe du beau conquérant? Quelle immortelle et bonne besogne s'est accomplie dans cette plaine dont parleront désormais avec orgueil les chevaliers et les belles dames, que célébreront désormais, en de joyeux enthousiasmés, les peuples et les poètes?
 Maintenant un silence de sépulcre plane parmi des odeurs de pourriture. Le ciel est sinistre et sillonné par des vols tourbillonnants de corbeaux innombrables. Là-bas, dans le lointain, c'est la ville et ses remparts démolis, un lugubre moulin à vent, éventré par les boulets, ses ailes fracassées, laissant pendre ses planchers comme des entrailles. A perte de vue, les corps des soldats, des braves soldats massacrés, gisent, pêle-mêle, entassés, en un grouillement hideux, inextricable, infini. La terre a bu le sang et cette plaine en putréfaction n'est même plus tachée de rouge. Ils pourrissent lamentablement, les valeureux d'hier, parmi les armes perdues, les tambours crevés, les affûts démolis, les chevaux au ventre béant, les caissons renversés..... Leurs membres, hachés par la mitraille, leurs membres en loques, sont roides maintenant, les convulsions de leurs gestes d'agonie sont figées, effroyablement. Innombrables, jusqu'à l'horizon, leurs cadavres fermentent, troués de sombres blessures qui suintent de verdâtres sanies, la plaine entière est de chair qui fermente, de chair humaine qui se liquéfie, qui coule, gluante, purulente, ulcéreuse. Et voilà qu'arrivent en bandes, nombreux comme les corbeaux qui tourbillonnent dans le ciel empesté, ces autres corbeaux de la terre, les Traînards, les détrousseurs de morts, poussant leurs voitures à chiens, se jetant sur cette pourriture avec des gestes voraces, volant avidement sabres, mousquets, tambours, pourpoints, braies, chemises, bottes, éperons, déshabillant ces corps putréfiés, fouillant, avidement, joyeusement, de leurs mains crochues, dans cette pestilente mer de chair humaine en liquéfaction.
 Bel empereur victorieux, bel empereur, êtes-vous dans votre capitale en fête, dans votre capital pavoisée et illuminée, à parler de vos merveilleux exploits avec les belles dames de votre cour, à respirer le métaphorique encens de vos poètes et de vos historiographes!
 Est-il besoin de faire remarquer combien cette compréhension de la gloire militaire, de la guerre, du patriotisme, des épopées, du plumet triomphal et de la sublime pyrotechnie, est différente de la vision qu'eurent de ces mêmes choses les Horace Vernet et les Meissonier, de la vision qu'en ont encore les Detaille et les Déroulède, sans parler de M. H. Fouquier, ce farouche Tyrtée à tant la ligne...



***


 Je ne parlerai guère d'un autre tableau d'Henry de Groux : L'Assassiné. Cette toile, en effet, encore fort intéressante, est pourtant un peu inférieure aux autres peintures de cet étrange artiste. Elle semble d'ailleurs n'être qu'une étude préparatoire du Meurtre, que j'ai décrit et analysé au commencement de ces notes.
 Il suffira de dire quelques mots d'une dernière œuvre : Le Pendu.
 C'est encore, comme dans Le Meurtre, un drame solitaire et banal dont le héros est un voyageur, un pélerin (la coquille qui pend sur sa poitrine l'indique) ou plutôt Le Pélerin (je ne sais quels signes péremptoires et mystérieux nous forcent encore ici à ne pouvoir concevoir cet individu spécial et cette scène spéciale qu'en tant que négligeables contingences symbolisant des êtres généraux, des êtres absolus), Le Pélerin, et, certes, le Pélerin du pélerinage de la Vie.
 Sans doute, il y avait longtemps qu'il était en route, le pauvre moine rôdeur, sans doute il désespérait d'atteindre le but, son Saint-Sépulcre ou son Saint-Graal, sans doute ses pieds avaient trop saigné aux orties et aux cailloux du chemin, il avait, un à un, perdu tous ses chers désirs, tous ses beaux rêves, et le désespoir l'avait fait impie, et las, et sans force maintenant qu'il était sans foi. En passant dans un bois dont les branches railleuses giflaient ses joues, dont les épines déchiraient ses jambes, proférant vers le ciel impassible un suprême blasphème, voilà qu'il se pendit. Son corps maigre, maintenant, se balance, tragique, à la fourche d'un vieil arbre. Mais la nature impitoyable n'a même point voulu pleurer sur son lamentable cadavre. La nature s'exalte en une furieuse joie de vivre. Les oiseaux chantent à rompre leurs gorges, des fleurs merveilleuses s'épanouissent. Le soleil inonde les feuillages. Partout des couleurs hilares, des verts d'émeraude, des bleus de lapis et de saphir, des rouges triomphaux de rubis clangorent des fanfares d'allégresse. La nature insensible et bête, débordante de sève et de santé, exulte, gazouille, rigole à s'éclater le ventre, se tord en une effroyable et rutilante et cynique gaîté - comme pour témoigner de son indifférence, ou, peut-être, de sa haine, devant la mort effroyable d'un de ces pauvres êtres douloureux qui se sont évadés de sa géhenne d'inconscience, sur les ailes de la pensée...



***


 Telles sont les quatre toiles que je connaisse d'Henry de Groux, les quatre seules qui, je crois, aient, jusqu'à ce jour, pénétré en France, le reste de son œuvre étant en Belgique.
 Certes, il serait téméraire, après ce trop rapide examen d'une trop faible partie de ses productions, de vouloir formuler sur lui un jugement définitif. Néanmoins, ces quatre singuliers tableaux, où se laisse deviner une parenté de génie avec les maîtres du drame excessif et truculent, avec les Caravage, les Breughel d'Enfer, les Callot, les Goya et surtout les Delacroix, ces quatre singuliers tableaux m'ont paru, malgré tels insignifiants manquements de technique et un parti-pris de dramatisme peut-être exagéré, si puissamment originaux, si profondément suggestifs, d'un art si vraiment robuste et si vraiment à part, que je n'ai pu me tenir d'en parler un peu longuement, convaincu que — quelle que soit La direction qu'il choisisse dans l'avenir — le jeune homme qui a peint ces quatre toiles étranges, ces quatre cauchemars, est une personnalité qui aura sa place et sa place glorieuse dans l'histoire de la peinture.
  Août 1891.

G.-Albert Aurier.

PAGE RETROUVÉE (1)
L'« ERECTHEUS » DE SWINBURNE



 Sous un ciel de deuil stagnant et d'hiver, l'âme nationale célébrant le Noël chrétien, voici qu'à l'ère même fêtée antérieur, magnifique, religieux aussi, l'écho de quelques beaux vers (fragment resté le seul d'une tragédie d'Euripide qu'un discours de l'orateur Lycurgue enchâsse) a fourni à la voix la plus grande de l'Angleterre actuelle quelque dix-sept cents vers, qui feront compter par ce pays la fin de l'autre année entre les temps de fastes de sa littérature. L’œuvre du jeune poète dont la République des Lettres, avide de la suivre à travers le dénouement du futur, présenta en sa première livraison un extrait dès longtemps célèbre, s'ouvre et se ferme dans sa magistrale plénitude d'aujourd'hui par deux drames antiques, Atalanta à Calydon, puis Erechtheus. Tout entière fascinée par la prodigalité éblouissante d'imagination qui éclate dans l'une de ces pièces, la génération poétique contemporaine attendait, non sans émoi, que l'autre apparût : différente, neuve suprême. L'intérêt, quel en serait-il ; et le ton et le concept : impatience, non doute. Seul le fait qui devait se produire dans la carrière parfaite du génie même le plus libre d'allures ! m'invite à le constater : par une régularité aisée à dire en peu de phrases consolant du peu de temps que j'ai à parler. Abstraction faite de l'éclat puisé à sa richesse pour ces tragédies d'ère presque moderne, Chastelard et Bothwell, tout le débordement de fougue précoce envahissant le drame de début a trouvé un cours naturel en deux recueils de chants lyriques, extasiés d'amour et de liberté, Poèmes et Ballades et Chants avant l'Aurore : à la tragédie de la maturité spirituelle restait donc la fortune nouvelle d'une inspiration savante, pure quoiqu'enthousiaste, conforme davantage à quelque chose de grec.
 Suivez la marche paisible de l'action. Erechtheus, roi d'Athènes, invoque cette terre sainte qu'a foulée l'ennemi Eumolpus ; et bientôt, énigmatique, il annonce à sa femme Draxithea que le destin, pour le salut de la ville veut le sacrifice de leur enfant Chtonia, laquelle reçoit de la bouche Maternelle l'oracle : simplicité et tendresse, rien que d'ineffable entre la mère et la fille et des adieux calmes comme l'acquiescement. Personnages autres, un héraut, il a jeté le défi d'Eumolpe ; un messager qui dit l'immolation au pied du même hôtel de la vierge parmi ses sœurs offertes d'elles-mêmes au couteau ; un héraut athénien pour proclamer l'honneur d'Erechtheus par la foudre frappé après la défaite de l'envahisseur. Le spectacle finit avec la survivante demandant aux dieux de lui accorder à elle aussi, Praxithea, épouse et mère, le bienfait de la mort : Athénor, favorable au souhait, verse sa protection à jamais sur la cité appelée de son nom. Le tragique , très contenu, demeure aux régions supérieures de l'idée : tandis que dans la parole et les actes, règne l'auguste nudité des sentiments antiques et leur délicatesse suave. Odes maintenant, à strophes et antistrophes, puis épodes de chœurs ajoutés à tout ce long hymne, l'un notamment dépeignant et imitant le passage épouvantable du Vent du Nord, composent une sublime musique de trompettes ou de flûte lente qui, longtemps après sa cessation, se mêle encore à la voix du personnage en scène et la soutient. Je signale aussi, dans des proportions parfois presque inconnues, le silence : profond, divin, gisant dans l'âme des lecteurs; et d'où se détachent par moments tels vers de l'un à l'autre envoyés par un homme ou une femme, puis des distiques ou des tercets, comme autant de motifs purs, vibrent sur un fond d'émotion la plus subtile et la plus noble. A trop grands traits écrite et hâtive, telle (un peu)l'impression causée par l'ensemble.
 Quiconque ouvre un livre pour chanter au dedans de soi, le vrai lecteur de vers a, depuis dix ans, en Angleterre, comme avant ce temps, en France, il le fera, emprunté pour son âme le déploiement d'ailes de chacune des stances de l’œuvre lyrique de Swinburne. Ces poèmes (indépendamment de tout ce qu'ils comportent d’humanité dans un sens supérieur) ont donc humainement satisfait à leur visée ; en est-il de même des quatre drames : à savoir doivent-ils, eux, prendre vie sur les planches et au lustre et se communiquer par la scène, immédiatement, à un auditoire ? Question qui s'impose à l'esprit d'un Français, tout d'abord : car , chez nous, la grande lutte a été livrée et la victoire gagnée par le Poète de ce temps ; elle l'est encore un peu chaque jour depuis Victor Hugo et le sera demain. Les maîtres en Angleterre, pudiques ou hautains quoi ? mais réservés, ont, à côté du tréteau triste qu'absout presque seule la longévité glorieuse de Shakespeare et de son groupe, créé tout un autre théâtre, extraordinaire aussi, fait des majestueux fantômes qui hantent l'esprit du siècle ; mais dont on n'est le spectateur que chez soi, un tome ouvert où les yeux fermés. Shelley, Byron souvent et avec eux Beddoes d'autres (je ne nomme pas) ainsi que notre ami Horne, ont inauguré et entretenu cette idéale fête, à quoi parut d'abord voué l’œuvre dramatique de Swinburne : et si ce n'est pas douteux que plusieurs des vastes compositions dues à ces génies ou à leurs successeurs soient en état d'affronter le décor et l'acteur, il est certain que la plus récente, Erechtheus, saurait, dans une solennité exceptionnelle, y prétendre. « Nous voulons un théâtre quotidien et national (diront les bien intentionnés), et non une résurrection, même égale à la vie, de l'art grec »; soit : mais, tant que ce théâtre ne se produit pas chez vous à l'heure qu'il est, jubilez aux reprises du XVIme siècle ; ou de ce qu'il y a eu de notoire auparavant, c'est l'antiquité (évoquée surtout par l'heure actuelle). Tracée avec d'impeccables lignes sur le modèle ancien, mais s'inspirant d'un souffle de maintenant, la pièce de Swinburne, hors quelques longueurs délicieuses, peut devant tous ceux-là qui la lisent se jouer et les ravir (même dans leur sens critique intime), ne fût-ce qu'un soir, ce qui est l'éternité. Ce peu de vers à omettre, seuls, que ne m'est-il loisible de les réciter, enchantement véritable. Rien, de par l'espoir qu'une fois ici apparaîtra quelque étude totale de la poésie de là-bas, n'a été présentement fait, que procurer une notion générale jusqu'au vague, de l'importance triple d’Erechtheus, en soi, parmi l’œuvre de Swinburne et quant à l'art anglais contemporain : trois mots dans l'espace d'une carte de visite répondant à l'envoi que de son livre daigna faire le Maître voisin ; à moi, non pas, mais à la Rédaction tout entière et tant soit peu maintenant aux lecteurs de la Revue.

Stéphane Mallarmé.


 (1) Comme appendice ou note à celles « crayonnées au théâtre », cette page qui a l'intérêt de l'opinion d'un poète, sur un poète, tous deux en leurs royaumes despotes; M. Stéphane Mallarmé nous permet de la réimprimer. Elle ne le fut jamais depuis (il y a quinze ans) la troisième livraison de la République des Lettres, et aujourd'hui comme lors c'est d'un Swinburne encore non francisé qu'il s'agit, le tragique. — Et puis, le prétexte ? La signature suffit.

R. G.

DE L'UTILITÉ DES ACCIDENTS



 Quiconque a lu Villiers de l'Isle-Adam — et maintenant que Villiers est mort il n'est point de bélître qui ne s'en réclame, qui n'étale, au moins, sur sa table un exemplaire annoté de ses œuvres incomplètes, — quiconque a lu Villiers, dis-je, se souvient assurément du pharamineux docteur Bonhomet et de sa motion « touchant l'utilisation des tremblements de terre ». — Dans les endroits menacés de convulsions volcaniques, le docteur faisait construire d'énormes bâtiments à toitures de granit et y casernait les poètes; au moment de la secousse, la toiture s'écroulait, ensevelissant, écrabouillant tous ces satanés rêveurs qui s'intitulent « artistes »; l'humanité se trouvait plus légère, débarrassée de ses parasites, de sa fraction gênante; c'était « un horrible trépas dont elle se lavait ostensiblement les mains ».
 Ce pauvre grand Villiers savait ainsi, par d'aimables apologues, nous enseigner la philosophie des choses; car ce n'est pas galoper bien loin derrière ses conclusions que proférer discrètement : L'humanité a toujours une fraction gênante; si, par une regrettable sensiblerie, elle ne procède pas elle-même à l'opération qui la soulage, les lois immuables (alias le Destin, la Fatalité, la Providence) sont obligées d'intervenir.
 Or, la population du globe est, à n'en pas douter, trop nombreuse ; plus on va, plus on se multiplie ; les statisticiens peuvent l'écrire : on n'a jamais vu ça. Et si les meilleurs de nos romanciers discoururent sur « la lutte pour la vie », personne jusqu'à ce jour n'osa proposer le remède pratique, qui serait d'assommer tous les mioches. Bien au contraire, la malice des gouvernements va jusqu'à offrir des primes dans les cas d'extraordinaire fécondité.
 D'autre part,les grands fléaux sont usés, fourbus, qui vous nettoyaient un pays en un rien de temps et préparaient le terrain pour des couches nouvelles. Citons le choléra : il n'est pas aux portes de Marseille, à la frontière d'Espagne, que des légions de médecins se précipitent et se mettent en travers pour l'empêcher de passer. Les famines sont quasi-inconnues: nous avons tant de pain que nous en donnons aux pauvres. Les guerres d'extermination deviennent impossibles depuis les progrès de l'armement; on n'ose plus manipuler un pétard tellement on craint de faire sauter du coup les quatre cinquièmes de la planète. Encore, les conseils de Malthus et l'Homuncule dans la bouteille ne furent jamais que des atermoiements futiles, si ce n'est facéties d'apothicaires.
 Il faut donc bien que le doigt de la Divine Providence s'introduise derechef dans les affaires humaines.



***


 Présentement, il a suscité les théâtres et les compagnies de chemins de fer. Sa besogne exterminatrice se trahit dans la périodicité des accidents. C'est en exécution des immuables décrets que le Destin enflamme les Opéras-Comiques, pousse les trains à se rencontrer, démolit un pont, flanque une locomotive et ses wagons du haut en bas d'un viaduc. Chaque fois on constate l'occision de cinquante, cent, deux cents personnes; autant de moins; et l'on nous parle de l'aiguilleur, du personnel surmené, de l'imprudence de celui-ci, de la malveillance de celui-là: on s'en prend aux instruments passifs au lieu de rechercher les causes. Mais il faut être bête comme un lecteur du Petit Journal pour ne pas se rendre à l'évidence. Væ cœcis ducentibus! Væ cœcis sequentibus! cria pourtant saint Augustin. — L'humanité présente a-t-elle été frappée de cécité œcuménique? — Ne voit-on pas que si les familles sont, chaque semaine, « plongées dans la désolation » (style de reportage), il est de toute nécessité que cela soit ? Tel qui ne s'en va pas de bonne volonté s'en ira de force. C'est la loi. — Eh! mon Dieu, il ne faudrait point accuser légèrement votre suprême justice! Nous savons bien que vous ne choisissez pas entre les familles et que vous tranchez dans le vif. Qui se trouve là écope. Actuellement, nous tirons notre vie au jour le jour comme un numéro de tombola!



***


 Au reste, une fois l'idée répandue, il suffira de s'y faire. Quand on aura l'habitude de se dire en prenant son billet : Je monte en wagon, je vais au spectacle, je n'en ai peut-être plus que pour un quart d'heure, — on sera tout aussi joyeux qu'auparavant. La soudaineté de la catastrophe a même quelque chose de séduisant. On pourra quitter le monde sans s'en apercevoir. Je ne vois là qu'un mode de vivre — ou plutôt un mode de mourir — impratiqué encore, mais qui n'a rien d'inacceptable en soi. Tout au plus les gens méticuleux réviseront leur testament chaque matin. Ensuite, par mesure de propreté, pour éviter l'encombrement, ne pas gêner le circulation, on établira près des gares et des théâtres les boutiques habituelles des accessoires pour obsèques. On y trouvera des « Docks de la Prévoyance », le « Bazar du Grand Voyage », et l'étalage de tout ce qui accompagne notre corporelle dépouille : pompes funèbres, deuil en trois heures, cercueils pour cadavres complets et incomplets, bières garanties étanches avec sciure et désinfectants, regrets éternels à 3,85 et au-dessus. J'imagine enfin qu'on en viendrait à parler de l'accident journalier comme d'une chose toute naturelle et promise au trafic.
 Dès l'aube, l'honnête fournisseur d'objets mortuaires, marié, père de famille lui aussi, électeur, conseiller, peut-être adjoint, enverra chercher le journal pour savoir les nouvelles et se tenir prêt:
 — Eh bien! fifille, combien avons-nous d'écrasés ce matin ?
 — Soixante-quinze, mon ami! .
 — Quoi !... Pas plus!... Décidément, fifille, nous n'irons encore pas au bord de la mer cette année!... Car le commerce va bien mal.

Charles Merki.

« ENQUÊTE
SUR L'ÉVOLUTION LITTÉRAIRE »


 Ce sont d'humoristiques conclusions que, avec un évident souci, d'ailleurs, de paraître avoir été dupe de toutes les théories qu'il écouta, M. Jules Huret tire de son Enquête ; et, en vérité, les choses qu'il note en sa préface sont fort topiques. Car si, en ces interviews, le moraliste trouverait certes à se condouloir sur la pérennité des tares humaines (le sage Nestor lui-même y perdrait son optimisme, comme M. Jules Simon sa foi en l'amélioration de l'espèce par la morale), le critique littéraire, à qui plutôt devait ressortir le travail de M. Huret, n'a rien à y glaner : ce cas bizarre se présente d'un livre intéressant surtout à côté de son objet. L'interviewer méditait renseigner le public sur l'orientation de la littérature : il n'a fait que l'éclairer sur l'humeur des poètes contemporains, de même qualité, au fond, que l'humeur des poètes de tous les temps, et sur la façon chevaleresque dont les écrivains, en général, entendent la confraternité. Résultat prévu dès le commencement par toute intelligence un peu informée, conséquence nécessaire de la méthode suivie, qui, à une époque moins balourde, eût bien pu provoquer, au lien d'une bataille au trognon de chou et à la pomme cuite, une belle joute courtoise et un tournoi d'esprit aigre-doux, — mais sans mieux aboutir à une solution efficace. Les gens du métier savaient d'avance tout ce qui a été dit, même davantage, et le public, trognons de choux à part, n'a certainement perçu aucune saveur à ces tartines techniques. M. Jules Huret ne se dissimule point l'imperfection du procédé auquel l'ont contraint les exigences du journal — ah! les exigences de la presse!... Du moins lui doit-on cette justice qu'il en a obtenu tout ce qu'il était susceptible de produire; et s'il ne fut pas absolument le seul à montrer de l'esprit, comme le remarque M. Octave Mirbeau, il en eut toutefois, de la finesse aussi et de l'habileté; son livre n'est pas une œuvre de reportage banal, et les conclusions qu'il en infère, j'y reviens, sont les seules logiques. Sans doute, isolément, d'admirables paroles furent dites, celles, par exemple, de. M. Maeterlinck touchant le symbole, et d'intéressantes ou simplement curieuses théories exposées; mais, dans leur ensemble, ces soixante-quatre conversations appartiennent à l'humoriste beaucoup plus qu'au philosophe et au critique.
 L'amusante page que celle où seraient rapprochées, dans telle fiction ingénieuse, certaines phrases même des interviewés ! - La scène, je suppose, est au jardin d'Académus, où sont réunis des Soixante-Quatre gloire et lumière du monde entier. Paisiblement — car fréquent est leur commerce, et ils ont trop ressassé les mêmes propos pour mettre de la passion, si ce n'est par hasard, dans leurs discours - paisiblement ils devisent du chiffre des tirages, de la pingrerie des libraires, de l'indéfectible sottise du public. Ils sont doux, courtois, reconnaissent volontiers leurs mérites réciproques avec une modestie apparente et en s'appelant « cher confrère », respectueux des aînés qu'ils appellent « cher maître ». Mais voilà qu'au milieu d'eux paraît un jeune homme couvert de poussière ; il vient de très loin recueillir la bonne parole, messager des mandarins de son pays : la Renommé leur apporte sans cesse, accolés à des noms fameux, les mots Naturalistes, Psychologues, Symbolistes, Décadents, Évolution, Idéalistes, Mystiques, Romans, Kabbalistes ; cette profusion d'épithètes les plonge dans le plus grand trouble, et ils désirent être instruits. Les Soixante-Quatre sourient avec bonté et font le meilleur accueil au jeune héraut, dont ils autorisent les questions. Du reste, la présence de tant de personnalités considérables ne le déconcerte mie, et, une tablette de papyrus en main, il note le précieux verbe (1) :

 m. barrès. - Ceux qu'on appelle aujourd'hui Symbolistes n'ont guère encore produit qu'un livre : le Pèlerin Passionné, de Jean Moréas.
 m. ghil. - Des vers de mirliton écrits par un grammairien.
 m. morice. - D’ailleurs, Moréas n'est pas un Symboliste.... Je ne sais pas si son domaine est bien grand, mais il joue d'un instrument bien accordé. Il n'a pas d'idées, il ne lui manque que cela.  m. saint-pol-roux.— Coup d'aile de chérubin, Dieu merci !... Moréas m'apparaît comme la complémentaire de François Coppée. En tant que tempérament artistique, il n'est pas sans m'évoquer, aux heures bizarres, un trombonne à coulisse qui dégagerait des sons de fifre.
 m. zola. — Qu'est-ce que c'est que Moréas? Qu'est-ce qu'il a donc fait, mon Dieu! pour avoir un toupet aussi énorme ? Victor Hugo et moi, moi et Victor Hugo... .
 m. aurier. — Victor Hugo... génial bafouilleur...
 m. zola ... Il (Moréas) a écrit trois ou quatre petites chansons quelconques, à la Béranger, ni plus ni moins... C'est de la poésie de bocal!
 m. moréas. — Zola ?... C'est un bon gros romancier, comme Eugène Sue. Il n'a aucun style, comme Eugène Sue... Pour les romanciers naturalistes, ils sont trop illettrés et trop absurdes, à la vérité.
 m. huysmans. — Vous croyez donc que c'est malin un bonhomme qui met « coulomb » pour ne pas mettre « pigeon » ?
 m. verlaine. — Je suis un oiseau, moi (comme Zola est un boeuf, d'ailleurs)... Les Symbolistes aussi...
 m. descaves. — Qui cela les Symbolistes ? Moréas ?... un virtuose qui aurait le goût déplorable de n'exécuter que des variations sur les opéras d'Auber!
 m. verlaine. —... sont des oiseaux, sauf restrictions... Moréas aussi en est un. Mais non... lui, ce serait plutôt un paon.
 m. ajalbert. — Les symbolistes ! Ils sont Grecs, Espagnols, Suisses, Belges !...
 m. verlaine. — ... Si encore ils ajoutaient : « comme la lune », en outre!
 m. leconte de lisle. — Tous fumistes, ces jeunes gens!
 m. barrès. — J'ai le goût de faire dire à mes personnages des choses d'un sens plus général que le récit des menus faits de leur existence : dans ce sens, je serais donc symboliste.
 m. morice. — M. Barrès - qui est bien le moins symboliste de tous les écrivains...
 m. rod. — Les poètes sont symbolistes; les esprits précis se contentent d’être psychologues.
 m. morice. — Mais la psychologie n'est pas de la littérature !
 m. tailhade. — ... Les jeunes hommes qui, n'ayant aucune fortune ni métier avouable dans la main, se destinent à un riche mariage, ce sont les psychologues; puis ceux à qui suffit l'approbation des brasseries esthétiques et d'intermittentes gazettes, ce sont les symbolo-décadents-instrumento-gagaïstes, à qui le français de Paul Alexis ne saurait plaire et qui le remplacent par un petit-nègre laborieux.
 m. alexis. — Naturalisme pas mort !
 chœur de voix. — Le Naturalisme est mort, mort, mort! Requiescat in pace.
 m. renan. — Des enfants qui se sucent le pouce.
 Le jeune étranger, un peu abasourdi, avise un poète de petite taille, replet, l'air bon garçon, qu'il n'a pas interrogé encore.
 M. Ponchon. — Vous feriez bien mieux d'aller voir les filles, plutôt que de me raser avec votre interview... D'abord, tout ce que je pourrais vous dire, vous le savez déjà. C'est que mes amis seuls et moi avons du génie. Et encore, mes amis?...

 Et, sur la route du retour, le jeune messager des mandarins, d'abord choqué de ces derniers propos, reconnaît qu'il se fût épargné bien des peines en commençant par solliciter le poète de petite taille, replet, à l'air bon garçon, qui a si brièvement résumé la philosophie des soixante-trois autres.
 L’Enquête de M. Huret, intéressante en plus d'un point, devait être, de toute nécessité, stérile quant à son objet principal — que l'induction et une sorte de calcul des probabilités basé sur l'expérience élucident plus clairement que l'avis des littérateurs. Le positivisme et le naturalisme appelaient la réaction mystico-idéaliste. Toutefois, le monde moderne est trop imprégné de l'esprit scientifique pour que les écoles d'art nées de cette réaction aient une longue durée; il est même supposable que leurs œuvres ne remueront pas très profondément les couches sociales... Et après cette période florira sans doute le néo-naturalisme, ou, si l'on veut, un réalisme moins puéril, moins grossier, moins terre à terre, plus synthétique, plus savant et plus vaste que le naturalisme. Mais la littérature néo-naturaliste, comme la littérature mystico-idéaliste, ne saurait satisfaire que l'élite des lettrés; toute une catégorie de lecteurs — la plus nombreuse, qui ne s'intéresse pas plus aux romans de MM. de Montépin et Richebourg qu'à ceux de MM. Rosny et de Gourmont — manquerait de livres (!), si, vraisemblablement, n'allait renaître le roman romanesque; et il va de soi que je ne parle pas de celui de M. Marcel Prévost, mais du roman romanesque tel que le conçoit, par exemple, M. Camille de Sainte-Croix, c'est-à-dire ni « dessus de pendule », ni bêtement sentimental et pleurnichard. Voilà, je pense, le processus du mouvement littéraire - si quelque génie surgissant tout à coup ne l'entraîne ailleurs...
 Quant aux discussions si fastidieuses sur le vers libre, le rythme, les césures, la rime riche, la restauration des vieux idiômes, etc.,etc., etc., querelles de rhéteurs, rien de plus.

Alfred Vallette.


 (1) Enquête sur l'Évolution littéraire. Passim.

LES LIVRES (1)


 Enquête sur l’Évolution littéraire, par Jules Huret (Charpentier). — Voir page 236.
 Promenades sentimentales, par Jean Thorel (Perrin et Cie). — La plupart des écrivains actuels ont perdu l'habitude de dire : je ; Musset les a dégoûtés jusqu'à l’écœurement de l'éloquence et de l'impudique mise en scène de soi-même. Ils ont cru, par un simple changement dans la forme de leur phrase, changer l'ordre des choses, à tort peut-être. En somme, sous des noms d'emprunt, sous des vêtements d'apparat, c'est toujours nous-mêmes que nous racontons, et les drames auxquels nous nous déclarons étrangers, les souffrances et les joies soi-disant illusoires que nous attribuons à des êtres de fiction, tout, jusqu'aux paysages d'Athènes ou de Ville-d'Avray où nous leur assignons des demeures, tout cela c'est nous, nous seuls, notre vie de rêve ou d'action, la même vie. Et, inversement, le je n'impliquera pas par lui seul que nous disions notre pensée habituelle, celle qui fait l'apparente unité de notre individu: les Confessions de Rousseau sont presque aussi fantastiques que les Mille et une Nuits, et le désir de leurrer son monde y apparaît à première lecture.
 Il n'est pas inutile de se rappeler ainsi combien l'élection d'un pronom personnel ou d'un autre est peu importante au fond pour goûter en toute sécurité les Promenades sentimentales de M. Jean Thorel. On risquerait de gâter son plaisir pour des préjugés de technique, si le « vous disais-je » qui termine la ligne initiale faisait craindre tout de suite, à défaut d'autre informé, le bavardage sans art des élégiaques. Et vous y connaitrez au contraire l'âme la plus riche d'aventures, de volontés et de créations contradictoires, au point de pouvoir fournir des thèmes aux poètes, hélas trop nombreux ! qui manquent d'imagination. Le livre est divisé en deux parties : Sous un ciel triste et Vers le Passé: c'est d'abord, à propos de rencontres faites au hasard de marches en Picardie, une longue théorie de femmes, évoquant des amours différentes, depuis la pure contemplation intellectuelle jusqu'au simple instinct de la chair ; puis, tandis que se déroulent, indiqués en quelques lignes, les paysages du Rhin, « le Fleuve légende, le Fleuve mystère », les ancêtres renaissent, ou plutôt s'affirme la vie de tous les faux morts qui sommeillent en chacun de nous et dont la résurrection, après des siècle, pour un millième de seconde, nous trouble et nous effraie comme si en nous-mêmes nous prenions conscience d'un grouillement de fantômes: évêques féroces et doux, burgraves chargés de lourdes armures, moines pieux ou révoltés, riches marchands endormis et repus, reîtres brutaux et serfs meurtris qui ne comprennent plus même la parole de la terre. Ces figures d'aujourd'hui et d'autrefois ne se manifestent pas par les particularités de leur costume ou l'archaïsme de leurs paroles, mais par le frisson même de leur pensée; il y a de décor juste ce qu'il faut pour quelque précision : « Si j'ai l'esprit latin, j'ai l'âme d'un germain », dit fort exactement de lui-même M. Jean Thorel, et le besoin de composition, nié par le désordre volontaire de l'ensemble, est satisfait par le rhythme de la phrase, si apparent qu'on pourrait presque transcrire ce livre en vers libres. A quoi bon ? Un artifice typographique nuirait plutôt à la gravité de l’œuvre. L'âme — je m'excuse d'employer ce mot galvaudé par les plus abjects spiritualistes et les plus imbéciles psychologues — l’âme qui s'y dévoile est belle s'il en fut, toute d'amour et de communion avec ce qui est ou a été vivant: « La vie, une vraie merveille ! » Merveille non de joie sans doute ou de pure douleur - mais si étrange et incompréhensible que le mot en est refusé même à l'auguste pitié, le seul sentiment qui donne à certaines heures l'illusion divine de n'être plus soi, vaine comme le reste: « Dans les carrefours déserts, des chiens abandonnés hurlaient et se désespéraient. Je me suis hâté vers eux. je me sentais une sympathie infinie pour leur souffrance et j'espérais qu'ils seraient touchés de la mienne aussi... Je m'avançais doucement vers eux avec des paroles de tendresse, des gestes affectueux et des attitudes de pitié... Hélas! ils n'ont pas pu comprendre ma venue compâtissante, et eux aussi, eux aussi, ils ont fui devant moi»

P. Q.


 Les Amours jaunes, par Tristan Corbière. Nouvelle édition (Vanier). — La notice, signée L. V., nous apprend que, fils et non neveu de l'auteur du Négrier, le poète, né à Morlaix en 1845, y revint mourir d'une fluxion de poitrine en 1875. Le reste demeure imprécis : autant de pages écrites sur Corbière, autant de contradictions: attendons l'étude annoncée de M. Paul Kalig. Parmi les pièces inédites ou de variantes données par M. Vanier, on est surpris de ne pas trouver celles que M. Ajalbert publia pour la première fois dans le Supplément du Figaro du 28 mai 1890; c'est pourtant du très bon Corbière; il y en a deux, les voici :


paris nocturne
C'est la mer; — calme plat.— Et la grande marée
Avec un grondement lointain s'est retirée...
Le flot va revenir se roulant dans son bruit.
Entendez-vous gratter les crabes de la nuit?


C'est le Styx asséché : le chiffonnier Diogène,
La lanterne à la main, s'en vient avec sans gène.
Le long du ruisseau noir, les poètes pervers
Pêchent: leur crâne creux leur sert de boîte à vers.


C'est le champ: pour glaner les impures charpies
S'abat le vol tournant des hideuses harpies;
Le lapin de gouttière, à l'affût des rongeurs,
Fuit les fils de Bondy, nocturnes vendangeurs.


C'est la mort : la police git. — En haut l'amour
Fait sa sieste, en tétant la viande d'un bras lourd
Où le baiser éteint laisse sa plaque rouge.
L'heure est seule. — Ecoutez: pas un rêve ne bouge.


C'est la vie: écoutez, la source vive chante
L’éternelle chanson sur la tête gluante
D'un dieu marin tirant ses membres nus et verts
Sur le lit de la Morgue... et les yeux grands ouverts.


paris diurne
Vois aux cieux le grand rond de cuivre rouge luire,
Immense casserole où le bon Dieu fait cuire
La manne, l'arlequin, l'éternel plat du jour :
C'est trempé de sueur et c'est trempé d'amour.


Les laridons en cercle attendent près du four,
On entend vaguement la chair rance bruire,
Et les soiffards aussi sont là, tendant leur buire,
Le marmiteux grelotte en attendant son tour.


Crois-ta que le soleil frit donc pour tout le monde
Ces gras graillons grouillants qu'un torrent d'or inonde?
Non, le bouillon de chien tombe sur nous du ciel.


Eux sont sous le rayon et nous sous la gouttière.
A nous le pot au noir qui froidit sans lumière.
Notre substance à nous, c'est notre poche à fiel.


 N'est-ce pas comme d'un autre Saint-Amant, aussi personnel, plus trouveur encore d'images neuves? — Pour une dissection du talent de Corbière, que l'on se reporte aux notes de Laforgue (Entretiens Politiques et Littéraires du dernier juillet). — En une étude, j'aurais aimé à dire un mot de l'auteur du Négrier, dont le violent amour de la mer influa sur le poète très fortement. Ce Négrier, par Édouard Corbière, capitaine au long-cours, 1832, 2 vol. in-8°, est un assez intéressant roman d'aventures maritimes. Le chapitre IV de la première partie, intitulé Prisons d'Angleterre, renferme les plus curieux détails sur les mœurs des prisonniers, sur les amours des corvettes avec les forts-à-bras, — en un lieu, dit l'auteur, où, pourtant, « il n'y avait qu'un sexe ». La préface de ce roman décèle un esprit très hautain et très dédaigneux du public : le même esprit avec du talent et une nervosité plus aiguë, — vous avez Tristan Corbière.

R. G.


 La Joie de Maguelonne par A.-Ferdinand Hérold (Librairie de l'Art indépendant). — Le nouveau poème de A.-F. Hérold indique beaucoup plus nettement que tout un volume d'interviews l'évolution littéraire accomplie ces dernières années. Voici un poète qui de très bonne heure ne fut plus un apprenti et connut toutes les subtilités de son art; il s'est cependant modifié peu à peu et en est venu à une conception esthétique fort opposée à celle de ses œuvres anciennes. Il semblait d'abord qu'il eût subi — comme la plupart d'entre nous, et c'est une des plus nobles filiations que je sache — l'influence dominatrice et presque exclusive de Leconte de Lisle. L'exil de Xavini, les Pœans et les Thrênes, étaient une interprétation traditionnelle des mythes hindous et grecs en alexandrins sonores. Çà et là des poèmes comme la Chimère décelaient déjà un effort pour renouveler les légendes en les déformant, et pour les soustraire aux catégories du temps et de l'espace. Maintenant la transformation est complète et la princesse Maguelonne vit dans un monde aussi illusoire et aussi réel que les personnages de Racine ou de Shakespeare : car la négation de toute époque et de toute contrée oblige à créer un décor spécial, précis et harmonieux, qui corresponde à l'action racontée ou dialoguée ; les êtres que la volonté du poète fait ainsi surgir du néant sont contemporains de tous les siècles; ils participent à l'absolu et ont néanmoins une existence propre : c'est ce que comprirent dès le début Ephraïm Mikhaël et Henri de Régnier. Les noms de ces deux poètes, si distincts l'un de l'autre malgré certains principes communs, montrent assez qu'il ne s'agit point ici de cette chose sans nom que, faute de mieux, on appelle une école — par ironie sans doute et pour bien marquer la cuistrerie réciproque des maîtres et des disciples. On rencontrera chez A.-F Hérold des sympathies et des affinités avec tel ou tel des écrivains récents et de nos aînés, jamais cette ressemblance trop exacte qui est la manie de quelques-uns. Je n'en veux pour exemples que sa rhythmique et sa langue. Il a employé dans La Joie de Maguelonne les mètres les plus variés, les formes les plus diverses depuis le simple quatrain à rimes croisées ou enclavées jusqu'aux longs couplets de vers libres où s’entremêlent les rimes et les assonances, sans compter les sonnets, les tierces-rimes et même un pantoum et deux proses latines; ces combinaisons nouvelles de syllabes, employées toujours avec certitude, produisent les effets les plus imprévus : oyez plutôt ce tercet où la troisième rime est sournoisement remplacée par une assonance:

Et mes doigts aigus de nacre et d'ivoire
Sont des fuseaux prêts à tisser la toile
Qui prend les Héros fiers de leur victoire.


 Cette succession de morceaux de mouvement différent se rapproche beaucoup plus de la musique que les tentatives de nos chers évolutistes-instrumentistes. La langue que parlent les personnages du Mystère se distingue par une rare et louable particularité: elle est simple — trop peut-être à mon gré — et j'y souhaiterais parfois des images moins monochromes et la suppression de quelques épithètes parasites. Mais ne fallait-il point aussi la pure langue lyrique, un peu fluente et d'ample noblesse, pour évoquer la mélancolique aventure du Héros qui nia le rêve et qui s'enfuit, hélas! loin de la forêt, vers les vaines victoires et les baisers menteurs?

P. Q.


 Le Livre de Thulé, par Louis Duchosal (F. Payot. Lausanne. En vente à Paris chez F. Grassart, 2, rue de la Paix). — Quoi que feigne d'en penser M. Anatole France (2), il vaudrait mieux que les gens dont ce n'est point le métier de faire des vers renonçassent à juger les poètes et à les commenter ; cela n'est pas dit pour M. France, qui fut et est demeuré un poète et ne se trompe jamais qu'à bon escient. Mais la plupart des critiques qui portent la médaille officielle, à la manière des cireurs de bottes et des marchands de quatre saisons, s'entendent à la poésie à peu près comme un rossignol à crier la moutarde, et dégoûteraient en vérité des bonnes merceries qu'il leur arrive par hasard de prôner. Ainsi M. Édouard Rod écrivit en tête du Livre de Thulé, par Louis Duchosal, une préface parfaitement inexacte, inutile et dangereuse : il est de plus en plus évident que ce professeur de littérature n'a aucun sens d'art; et je crois presque que, par une double palingénésie, il unit l'âme d'Amiel, insupportable bavard, à l'âme de Schérer, qui fut en son temps, selon une parole autorisée, semblable à une grande dinde déplumée et impubère.
 Dans la prose qui lui est propre, le successeur de Marc Monnier annonce que M. Duchosal « entre dans la voie où les Anglais conduisirent la poésie française », et laisse croire qu'il cherche "à se dégager de la tyrannie des rhythmes réguliers et de celle de la rime » ; un peu plus loin, le préfacier déclare que : « on comprendra presque toujours », et regrette qu'après les Fêtes galantes et les dessins de Willette M. Duchosal se soit permis d'introduire dans son œuvre Pierrot et Colombine. Ces considérations esthétiques, au reste assez contradictoires, me remplirent de terreur, et si je n'avais connu M.Duchosal par d'excellents articles de critique — un en particulier sur Léon Dierx — j'aurais cru trouver encore un nouveau confesseur selon l'évangile hétérodoxe de Paul Verlaine, l'un de ceux que l'imagination prétendue d'un maitre inimitable dispense de talent, d'orthographe et de syntaxe. Cela m'étonnait, et en ouvrant le livre au hasard je suis tombé sur le sonnet que voici : je l'ai depuis en le replaçant dans l'ordre régulier, et il me semble toujours plus beau et plus mystérieux.

C'est ici la forêt merveilleuse où s'élève
Le château de silence aux tourelles d'azur;
J'y suis entré, cherchant pour ma lèvre un vin pur
Et pour mon âme un peu d'harmonie, une trêve.


Solitude où l'extase a le goût du blé mûr,
Arbres puissants, troncs noirs, rameaux gonflés de sève;
Nids où l'on peut fermer le vol las de son rêve;
Oiseaux bleus qui chantez à la crête du mur.


O mon cœur désolé, c'est ici la patrie;
Tu vas t'asseoir enfin à la table des Dieux,
Et la coupe d'or luit sur la nappe fleurie.


« Sézame, ouvre-toi donc », dis-je au ciel radieux;
Et le ciel laisse voir comme un trésor de fable
Les doigts purs d'Ophélie et le lys ineffable.


 A part le nom d'Ophélie, qui appartient incontestablement à Shakespeare, je n'ai rien vu là qui rappelât la poésie anglaise ni surtout ceux des poètes anglais qui, comme Shelley, Swinburne, ou G.-D. Rosetti, ont eu une sérieuse influence sur beaucoup de nos contemporains. M. Duchosal serait plutôt parent de Henri Heine, moins l'ironie, et de ces deux songeurs discrets et tristes, Grégoire Le Roy et Fernand Séverin: je parle seulement en cela de la qualité de sa pensée et point du tout de l'expression ni des habitudes techniques. La langue et la rhythmique de M. Duchosal sont, comme on en a pu juger tout à l'heure, absolument traditionnelles. Il fallait bien cependant que M. Edouard Rod eût quelque prétexte à dire une sottise, son manque d'imagination lui interdisant d'en inventer une de toutes pièces. La seule liberté que M. Duchosal se permette à l'égard de la rime est de faire rimer quelquefois des infinitifs de la première conjugaison avec des participes passés: p.ex. brisé et poser (page 86), ou des singuliers avec des pluriels : vous aurez, colorés, adorer (page 60), c'est-à-dire de rimer pour l'oreille seulement, et encore le fait-il assez rarement. Il est vrai qu'une pièce, l’Aubade, dénote une audace beaucoup plus grande : les rimes sont perverses : autel et dentelles, nids et infinies, et les assonances aussi : oiseaux et roses. Je crois pour ma part que c'est là une grave erreur et qu'il n'y a plus alors ni rime ni simple assonance : on sait que dans les poèmes assonancés toute une laisse était masculine ou féminine, et que l'observation de cette règle est rigoureuse. Mais les plus traditionnels des poètes, Théodore de Banville et Catulle Mendès, bien avant Ernest Raynaud, se sont parfois égayés à mettre ainsi à la fin des vers des syllabes de sexes différents, et personne n'a jamais supposé qu'ils voulussent secouer « la tyrannie de la rime »
 Toutes ces discussion philologiques et ces controverses avec M. Rod risqueraient de faire perdre de vue Le Livre de Thulé en lui-même, et ce serait dommage. Mais il y a dans le recueil nombre de pièces aussi purement belles que le sonnet cité, et j'espère que ceux qui savent lire les notes bibliographiques n'auront retenu que lui: ce sera pour qu'ils aiment et admirent, comme je le fais, un exquis et lointain poète, et regrettent seulement de ne point connaître tout de suite tout le livre.

P. Q.


 Les Tourmentes par Fernand Clerget(Bibliothèque Artistique et Littéraire). — Je pense beaucoup de bien de M. Fernand Clerget; son premier livre de vers n'est point quelconque; il a des rythmes de chansons et des délicatesses qui semblent des trouvailles. Certaines pièces, vers la fin du recueil, s'élèvent jusqu'au symbole, et nous n'en souffrons pas, car ici le symbole est à sa place; on y est parvenu graduellement, naturellement, sans effort, sans avoir enjambé des galettes d'adjectifs, circulé par la nuit des archaïsmes et les complications niaises qu'affectionnent tant de petits bonshommes. M. Fernand Clerget a souvent le mot juste; il sait le frisson et la caresse des paroles; il est un de nous par sa tristesse résignée, sa douloureuse vision des choses. — Je trouve bizarre, dès lors, qu'il ait émaillé plusieurs de ses poèmes de vers aussi indigents, d'une inharmonie choquante:

Je me suis sur un roc assis...
Et dont la voix rauque en son cou...
Se crut en des azurs très loin des ruts hideux...

de quatrains pareils, qu'on arracherait sur un mirliton:

Quelle damnée
Vient me huer?
Elle est née
Pour me tuer.


 Et derrière cela, de jolies phrases berceuses, des musiques moribondes, des cris de misère et de détresse qui vous poignent :

Elle est venue un jour de tristesse et d'ennui,
Un jour qu'elle était seule et qu'il fallait qu'on l'aime...
Et l'Angélus, ce soir, est las de nos périls...
Mon Dieu !... mon cœur est triste et nul ne me répond,
Et nul ne me répond!


 Que M. Clerget se défie pourtant des influences; il a bien voisiné chez Baudelaire.

C. Mki.


 Ukko'Till, par Rodolphe Darzens (Dentu). — Un roman de mœurs de cirque, où l'amour est mené à la houssine. Style blanc de perles poudrerizé ça et là de câlineries à la Mendès, joli comme une écuyère vêtue de gaze et parfois désarticulé connue un clown, semé de détails rouges, coups de pistolet, coups de poing, coups... de reins (encore plus de ceux-là que d'autres). Pour épigraphe, cette petite phrase en disant long : « l'imaginaire réalité ». Et, en effet, c'est, dans ce livre, un reflet de nature ou de soleil un peu factice, passant à travers une des verrières du Chat noir, et vous livrant sur la vie des aperçus fantastiques, de beaucoup trop multicolores études. Rodolphe Darzens écrirait-il pour les femmes? A voir tant de paillettes répandues, on le croirait! C'est un courage.— La morale du livre est représentée par un frontispice de Jules Chéret.

***


 Général de Ricard. Autour des Bonaparte, fragments de mémoires publiés par L.-Xavier de Ricard (Savine). ― Cet intéressant volume se compose de deux parties très distinctes: les mémoires du général de Ricard, ancien aide-de-camp du roi Jérôme, et les souvenirs de son fils donnés en forme d'introduction. Les mémoires, divisés eux-mêmes en plusieurs périodes, vont de 1793 à 1836; ils sont suivis de divers appendices et documents, et demeureront, en leur tout, une précieuse source d'information historique. L'introduction n'a pas une valeur moindre: j'y ai remarqué le chapitre où est narrée la fondation du « Parnasse contemporain » dont tout l'honneur revient à M. X de Ricard, aidé du bon vouloir de son père. Ce chapitre donne envie de lire sur ce sujet des pages plus nombreuses. ― Et qui pourrait les rédiger, surtout après les curieuses conférences de M. Catulle Mendès, sinon M. de Ricard.

R. G.


 Stupeur, par Gustave-Charles Toussaint (Vanier). ― Encore une plaquette, et, symptôme grave, une plaquette provinciale. Malgré la Stupeur du titre et la jeunesse d'une dédicace « A la mémoire sacrée du poète E.-A. Poe », l'auteur ne semble pas s'être ému outre mesure de la lividité de ses rêves. Si quelques pièces, Ultimum litius, Visions blêmes, évoquent la terreur du grand X, la conclusion révèle un fonds de philosophie plus tranquille et moins horrifique:

Les Morts!... peut-être bien qu'ils dorment!
Sont ils toujours? Ne sont ils plus?
Qu'ils parlent donc, s'ils sont encore;
N'en parlons pas, s'ils ne sont plus!


 En tout cas, les vers de M. Toussaint, et M. Toussaint lui-même, sans doute, me semblent bien vivants; à quand la prochaine manifestation?

R. V.


 L'éternel Jocrisse, par Gustave Chanteclair - (Perrin et Cie). — Un roman comme il s'en publie trente par jour à Paris. Le livre ne nous a rien appris que le titre ne nous avait dit déjà. Aucune surprise. C'est l'éternel « Éternel Jocrisse ». Ce genre de roman s'édite pour la seule satisfaction de l'auteur.

J. L.


 Le Premier amour de Pierrot, par Eugene Tavernier (Besançon). — « Pierrot, dit l'auteur dans sa prière d'insérer, avait déjà été représenté de beaucoup de manières, mais jamais amoureux. » J'aime à le laisser responsable de cette assertion. Que sa comédie « du goût le plus sûr » ait chance d'être jouée, comme il l'affirme, dans les salons et à la campagne, je n'en serais point surpris. Les vers en sont indiscutables :

Mais puisque toute neuve est encore ta vertu,
Des plaisirs de l'amour, ô Pierrot, que fais-tu?...
Tiens, réconforte-toi d'un coup de gobelet
Et mets-toi sous la dent cette aile de poulet...
Leurs serments amoureux sont un incessant flux.

 C'est M. Legouvé dans toute son horreur!...

C. Mki.


 Ministère et mélinite. Avec portraits, lettres et documents. Étude sociologique, par A. Hamon et G. Bachot (Savine). — Ce volume est pour démontrer une fois de plus que nous vivons en un temps fâcheux, spécialement « antihumanitaire », propice aux vastes escroqueries et aux triponages les plus répréhensifs. Canaillerie, lâcheté, incapacité: voilà ce que les auteurs ont trouvé dans les pouvoirs publics, et ils exposent courageusement leurs découvertes avec preuves et documents, en ayant soin d'ajouter que les autres pays, l'Allemagne, l'Angleterre et l'Italie ne sont pas mieux partagés. Conclusion : « Nécessité d'une transformation sociale ». R. G.
 La Chanson du Grillon, par Edmond Teulet (E. Meuriot). — Chose curieuse et quasiment admirable au temps où nous sommes, Edmond Teulet a la vision optimiste. Il garde du poète cette vieille idée enfantine et charmante qu'il est l'éternel amoureux et le propagateur naturel de toute pensée généreuse; il croit à la bienfaisance, à l'amour, à la justice, à la liberté et aux peuples frères; il croit surtout à l'avenir de la chanson, qu'il voudrait sortir des ordures et des infamies du Café-Beuglant et conduire jusqu'à la littérature. Cet effort déjà n'est point banal. D'ailleurs, si j'ai dit précédemment tout le mal que je pense du genre flon-flon — il serait oiseux d'y revenir — j'estime trop les enthousiastes pour les chicaner en vain. Edmond Teulet a choisi de continuer les poètes de la mansarde, la tradition d'Hégésippe Moreau; il leur a voué un culte filial ; il chante les joies et les beautés de la nature, les futures victoires de l'humanité, la grâce et l'élégance féminine et le côté joli des amourettes ; il s'attachera les dames et de très jeunes hommes. Ses vers — dont on peut critiquer la forme un peu simplette, où l'on découvre même parfois des banalités regrettables — sont très au-delà des jongleries habituelles de MM. les chansonniers, lesquels ne riment que par la toute puissance de l'apocope. Et pour nous qui ne partageons ni ses illusions ni ses croyances, il est agréable cependant d'avoir à signaler en des paroles amies ce premier recueil d'un épris d'art si peu ambitieux, — d'un sincère.
 Tous nos compliments encore pour la remarquable typographie de ce livre.

C. Mki.


 Les Russes en Asie. Exposition à Paris des collections ethnologiques rapportées de l'Asie Centrale par Henri Meser (Panorama Marigny.- Champs-Elysées), par Hippolyte Buffenoir (E. Plon, Nourrit et Cie).- Notice détaillée où M. Buffenoir, après quelques mots de biographie sur M. Henri Moser, examine successivement les curieux objets dont l'explorateur russe fait une intéressante exposition.

Z.


 (1) Aux prochains fascicules : Poésies Eucharistiques (Jean Casier); Heures vécues ( J.- P. Clarens) ; Idylle Russe (Dolguine. Traduit par X. Kouprianoff et J. Couturier); Ægyptiacque (William Ritter); Hedda Gabler (Henrik Ibsen. Traduit par. M. Prozor); A toute volée (Marc Stéphane); et les livres annoncés déjà.
 (2) Voir le Temps du samedi 29 août.


JOURNAUX ET REVUES


 Revue Générale (Bruxelles). — Intéressantes études de sociologie catholique; un roman de M. Charles d'Héricault avec ce titre étrange : Mademoiselle Sous-Pliocène. Chaque numéro est terminé par une ample bibliographie (Août et septembre).
 Revue Socialiste (Paris). — Sous la direction de M. Benoit Malon. Remarqué, dans le numéro d'août, La Légende de Victor Hugo. M. Paul Lafargue y représente le poète tel que la synthèse des banales aspirations de la bourgeoisie à une grandeur sage, à un héroïsme qui va en exil et demeure au courant des cours de la Bourse, à un génie fait surtout d'habileté, de lieux communs et d'audace prudente. M. Lafargue est à cette heure en prison : raison de plus pour avouer que, tout en n'admettant que très peu de ses idées, je le tiens pour un des esprits les plus noblement indépendants et un des caractères les plus estimables de ce temps-ci. — Autre article à lire : Jean Lombard, par Robert Bernier.
 Mélusine, recueil de mythologie, littérature populaire, traditions et usages (juillet et août. — Paris). — Principales matières : Corporations, compagnonnages et métiers : Les Femmes galantes à Paris, par H. Gaidon ; La Fascination, continuation de la savante étude de J. Tuchmann; La Clef des champs, charmante chanson populaire traditionnelle dans certains convents, recueillie par E. Rolland : « Le postulat est un métier — qui commence à m'ennuyer. — Donnez-moi le voile blanc, — je vous en supplie, — donnez-moi le voile blanc, — vous verrez mon cœur content.
 Le voile blanc est un métier — qui commence à m'ennuyer. — Donnez-moi le voile noir, — je vous en supplie, — donnez-moi le voile noir, — vous verrez mon cœur content.
 Le voile noir est un métier — qui commence m'ennuyer. — Donnez-moi la clef des champs, — je vous en supplie, — donnez-moi la clef des champs, - vous verrez mon cœur content. »
 La suite manque, mais on la devine :
 « La clef des champs est un métier — qui commence m'ennuyer. — Donnez-moi vite un amant, — je vous en supplie, — donnez-moi vite un amant, - vous verrez mon cœur content. »
 Gazzetta Letteraria (Turin). — Il Bello e il Gindizio estetico, par G. Lavini: incapacité de la science à définir le beau (22 août); Giorgio Eliot, la sua vita e i suoi romanzi, par G. Depanis (5 septembre).  Cronaca d'Arta (Milan). — Une belle gravure d'après une tête d'étude du peintre Andrea Gastaldi, mort à Turin il y a deux ans (30 août).

Critica Sociale (Milan). — La « vita » delle risainole, étude sur la condition misérable des ouvrières dans les rizières de la Basse Lombardie, par A. Cabrini (20 août).

Le Monde (Paris). — Une très curieuse histoire de la première restauration des Templiers, en 1804, et des relations de l'ordre (qui n'était qu'une loge maçonnique) avec l'abbé Châtel, 1831, extravagances analogues à celles de M. Péladan. — Et qui s'en souvient, hormis M. Oscar Havard, qui les exhuma (27 et 29 août) ?

R.G.


 Les Entretiens Politiques et Littéraires de septembre donnent quelques pages de notes inédites de Laforgue sous ce titre : Ennuis non rimés ; — un article de M. Francis Vielé-Griffin : A propos de Chansons d'Amant, causerie sur M. Gustave Kahn plutôt que critique de sa dernière œuvre; — enfin un assez long et très intéressant article : Les Romantiques allemands et les Symbolistes français, où M. Jean Thorel établit un sagace parallèle entre les deux écoles : « Nous voudrions aujourd'hui....montrer la ressemblance frappante que présente le mouvement symboliste avec un mouvement littéraire qui eût un retentissement considérable en Allemagne à la fin du siècle dernier et au commencement de celui-ci : nous voulons parler des manifestations d'art et des œuvres dues à l'école romantique allemande » ; et, après avoir incidemment constaté que « le groupe romantique en Allemagne n'a à peu près de commun que le nom avec l'école qui eut aussi ce nom en France », M. Jean Thorel démontre que le groupe symboliste français suit absolument la même voie que, il y a un siècle, Schlegel, Novalis, Wackenroder, Tieck, Schleiermacher, etc. — Il conclut : « Les Romantiques allemands... comptèrent dans leurs rangs de vrais grands poètes ; cependant on ne peut pas dire qu'ils aient jamais, ni de leur vivant, ni depuis leur disparition, reçu la consécration d'un vrai succès. On les plaisante moins aujourd'hui qu'à l'époque où ils vécurent, mais on n'est généralement pas moins sévère pour eux. »
 Intéressant numéro de l’Ermitage (septembre), contenant des poésies de MM. Louis le Cardonnel : Chansons d'hiver, — Dauphin Meunier : Élégie dernière, — Ivanhoé Rambosson : Angélus d'hiver, — Camille Mauclair : Les Reines de Thulé, etc. ; de M. Henri Mazel. une « séquence » de poèmes en prose : Azur et Or ; de MM. Marc Legrand et Tarride, une pantomime : Spleen ; de M. Albert Saint-Paul, un poème en prose : Décor pour Symphonie funèbre, etc — Dans la livraison d'octobre, M. Adolphe Retté publiera en article sur le beau livre de notre collaborateur Remy de Gourmont; Sixtine.
 L'Art Moderne (Bruxelles, 13 septembre) se gausse agréablement du jury chargé de juger le concours triennal de littérature dramatique, qui vient de décerner le prix à La Princesse Maleine, « cette œuvre que ces mêmes gens ont ignorée pendant des mois et des mois, dont ils se sont ensuite moqués... » M. Maurice Maeterlinck couronné par un jury dont il « heurte tous les préjugés littéraires et bouleverse toute la sénile esthétique », voilà un événement de haut comique et bien fait pour décourager les sages élèves qui travaillent en vue des concours. — Le même numéro reproduit l'interview de M. Octave Mirbeau (Enquête sur l’Évolution littéraire), et constate, à propos de l'interdiction en la chaste Belgique du supplément de Gil Blas, du Courrier Français, de Fin de Siècle, du Messager Français, etc., que le pudibond M. Vandenpeereboom a commis une lourde gaffe et est « en plein dans le pétrin qu'on lui avait prédit » : Gil Blas, en effet, l'accuse de pousser le protectionnisme jusqu'à protéger la cochonnerie nationale ».
 Le Figaro (14 septembre) insère une lettre de M. Jean Moréas qui se termine ainsi : « ...quant à feu Laforgue, je ne pense pas que mes plus outrecuidés adversaires aient jamais songé à me l'opposer sérieusement. » — Il faut convenir qu’opposer Laforgue à M. Moréas, c'est au moins bizarre.
 Sous ce titre : Les jeunes Poètes, M. Anatole France publie dans Le Temps une série de « Notices et Extraits ». — M. France dit dans un Avant-Propos : « On a, depuis quelques mois, parlé beaucoup et diversement des jeunes poètes. On a disputé de leurs méthodes et de leurs procédés. Ils ont été appelés à professer eux-même publiquement leur doctrine, et, après toutes ces disputes et toutes ces professions, le public n'est pas beaucoup plus éclairé que devant. » Le public, sans doute, n'en saura guère plus après lecture des « Notices et Extraits » de M. Anatole France. L'éminent critique du Temps parle trop peu souvent des jeunes écrivains pour qu'on lui reproche d'en révéler à ses lecteurs un si grand nombre à la fois. Mais la méthode est défectueuse, et, quelque impartialité qu'il y mette, son renseignement, toujours incomplet, sera presque toujours faux. Peut importe d'ailleurs, puisqu'il ne s'agit pas ici de critique; et M. Anatole France aura , en somme, rempli son but : « ...Amuser le curieux et intéresser le savant ».
 La Société Nouvelle (Bruxelles) publie un virulent article de M. Arnold Goffin sur M. Stéphane Mallarmé. M. Goffin, qui veut cependant être juste et avoue son admiration pour telles poésies et telles proses antérieures à la Prose pour des Esseintes, blâme surtout les dernières œuvres ou les œuvres retouchées du poète. Certes, on sent M. Arnold Goffin possèdé d'une ardente foi en la vérité de son dire, et l'on conçoit que, après tant de sottises débitées naguère sur M. Mallarmé par des nigauds qui ne le comprirent jamais, il ait tenu à proférer ce qu'il juge être la vrai parole. Mais quelle véhémence intempestive ! Car, enfin, l'hypothèse que « le second avatar de M. Mallarmé lui a été néfaste » ne suffit point à justifier une telle âpreté de critique. — L'auteur avertit que « ces pages inaugurent une série de Notes cursives qui seront consacrées à Paul Verlaine, Jules Laforgue, Tristan Corbière, Arthur Rimbaud et Lautréamont ». A propos de ce dernier, nous détenons un document qui pourra intéresser M. Arnold Goffin, et que nous insérerons dans notre prochaine livraison.
 Dans La Plume du 15 août, M. Alcide Guérin consacre un long article à notre collaborateur Laurent Tailhade, au sujet de son livre : Au Pays du Mufle. — Le numéro de septembre est dévolu spécialement aux Peintres novateurs : Chromo-luminaristes, Néo-traditionnistes , Indépendants. Illustrations par Maurice Denis, Dubois-Pillet, Paul Gauguin, Maximilien Luce, Alexandre Séon, Georges Seurat, Paul Signac, Lucien Pissaro.
 Le Mazarins Français illustré s'ouvre par une nouvelle inédite de Villiers de l'Isle-Adam : Maitre Pied, suivie du portrait de l'auteur.

A. V.


 à lire : Dans la Revue Indépendante, un article — un peu... long — sur M. René Ghil, par MM. Gaston et Jules Couturat ; dans la Revue du Siècle, une bonne étude de l’œuvre d'André Theuriet, par M. Henri Corbel ; dans Chimère, des poésies de MM. Paul Verlaine, Maurice du Plessys, Stuart Merrill, etc., et des proses de MM. Léon Durocher, Paul Redonnel, Alcide Guérin, Jules Renard. etc. ; dans L'Endehors, une série d'articles de M. Sébastien Faure, et les chroniques hebdomadaires de MM. Zo d'Axa et P. N. Roinard ; dans Vendémiaire, un « drame social en un acte » : Fils d'ouvrier, de M. Gustave Tual, — une poésie de M. Fernand Clerget : Rafales; dans le Progrès Artistique et Littéraire, un article de M. François de Julliet sur Byzance, le dernier roman de Jean Lombard ; dans la France Moderne, d'amusantes Mascarades signées Pangloss ; dans le Cercle littéraire Français, un article de M. Pierre Hancart se Le livre de la Pitié et de la Mort. — Fin de Siècle (16 septembre) a publié un étrange dessin de M. Jehan Mormagne : L'Honneur est sauf. — A signaler un nouvel hebdomadaire : Les Beautés Parisiennes, dont le premier numéro a été saisi. Tirage en couleur, beau papier. Directeur : Arno Mayer ; bureaux : 10, chaussée d'Antin ; prix du numéro 50 centimes. Signalons également un nouveau périodique belge : La Libre Critique, revue d'Art et de Littérature, paraissant le dimanche. Rédaction : Bruxelles, rue Souveraine, 37. Un an : 10 fr. ; le numéro : 20 cent.

CHOSES D'ART



 A voir chez Haro, rue Bonaparte, deux Primitifs italiens, l'un plus que douteux, l'autre qui semble un Pesello (École florentine, xvme siècle) ou un Sano di Pietro (École de Sienne, xvme siècle).
 Rue des Saints-Pères, 13, un autre Primitif qui rappelle les Verrochio (École florentine, xvme siècle).
 Au Louvre. — La nouvelle salle d'antiquités judaïques n'offre aucun intérêt pour l'art ; c'est de la pure archéologie : les Anglais y foisonnent et des Révérends y commentent la Bible à leur famille.

R. G.


 Chez Boussod et Valadon : des Degas, Monet, Pissaro, Gauguin, Raffaelli, etc. M. Henry de Groux a retiré ses toiles : Le Pendu, Le Meurtre, L'Assassiné, Les Traînards. (Lire dans le présent numéro, page 223, l'article consacré à ce peintre).
 Chez Lambert (en face de la Trinité) : des Monticelli, Ziem, Ribot, Raffaelli, etc.
 Nécrologie : Elie Delaunay, Théodule Ribot, Narcisse Bouchère.

G.-A. A.

Échos divers et communications



 Notre collaborateur Laurent Tailhade publiera en novembre, chez Léon Vanier, Douze Ballades nouvelles pour abominer le Mufle.
 La Princesse Maleine vient d'être couronnée, à Bruxelles, au Concours triennal de littérature dramatique. — Ne déflorons la nouvelle par aucun commentaire.
 Dans le but de venir en aide à la famille de Jean Lombard, Chimère réédite « Adel », le poème de notre regretté camarade. Le tirage devant être limité au nombre de souscripteurs, on est prié de se faire inscrire dès maintenant (s'adresser à M. Paul Redonnel, Directeur de Chimère, 52, Cours Gambetta, Montpellier). — Prix du volume : 3 fr. Exemplaires sur papier de luxe : 6 fr
 Détaché du Paillasson — journal défunt — auquel collabora jadis le R. P. Dom Junipérien :

Odelette instrumentale
à la façon de M. René Ghil


(Deux trombonnes et un chapeau chinois)

Muse ceinte d'asphodèle,
Il faut chanter mis Clary,
L'imprenable citadelle,
Le fleuve jamais tari.


Il faut chanter ses prunelles
Obscures où les saphirs
Ont des noirceurs solennelles :
Clary-Bell ! sœur des Zéphyrs.


Il faut chanter sa ceinture
Où les Amours sont nichés,
Cette ceinture, armature
Des rêves et des péchés.


Il faut célébrer ses tresses !
Sont-elles de jais ou d'or ?
Ses tresses d'où les détresses
Meuvent. O trépieds d'Endor !


Il faut chanter sa tunique
Byssus, pourpre et lin vainqueur,
Cette tunique runique
Qui s'imprime sur mon cœur.


Io Pæan ! chantons sa bouche !
O sourire ! ô lis éclos !
O babouche qui m'abouche
Avecque l'azur des flots !


Chantons son nez, cet albâtre,
Ce boisseau de pur froment,
Pour qui l'on eût vu combattre
Tous ceux du camp d'Agramant.


Et ses doigts, palmes ducales,
Dogaresses, que, jadis,
Parmi les hémérocalles,
Vos ongles auraient maudits.


O Clary-Bell ! ô sirène !
Nixe ! Willis ! feu follet !
Ananas ! fraisier ! migraine !
Breuvage d'ambre et de lait !


Le Cantique des cantiques
Semble composé pour toi.
Salomon, sous les portiques,
Écoutait le kakatoi;


Écoute-moi, jouvencelle,
Touffe de lilas en fleurs !
Printemps incarné ! Vaiselle
D'or ! Lampe aux feux enjôleurs!


Désarme tes grands yeux qu'arme
Une tigresse fierté !
Sinon je me rendrai carme
Dans un couvent, cet été.


Et, plus triste, sur les roches,
Que le saint prophète Enos,
Je me noierai, sans reproches,
Dans l'Hunyadi-Janos.

D. J.


 C'est le mois prochain que paraît, à la Librairie Académique Perrin et Cie, Lassitudes, par Louis Dumur, livre de poésies que nous annoncions dernièrement.


 Le 19 septembre, rencontre à l'épée entre MM. Catulle Mendès et Francis Vielé-Griffin, à la suite d'un article paru dans les Entretiens Politiques et Littéraires et jugé offensant par M. Catulle Mendès. — « A la deuxième passe, M. Vielé-Griffin a été atteint à l'estomac, avec pénétration oblique de deux centimètres et demi. » Témoins de M. Catulle Mendès : MM. Georges Courteline et Jules Rosati ; témoins de M. Vielé-Griffin : MM. Paul Adam et Félix Fénéon.


 M. Albert Carré vient de recevoir, pour les spectacles du jeudi, au Vaudevillle, une comédie-drame en 4 actes, La Nargue, de notre collaborateur Julien Leclercq.


 Coupé dans un journal des colonies ce plaidoyer pardevant le tribunal de la bonne ville d'Hanoï. — Il s'agit d'un vol d'armes et de munitions commis à la citadelle. Me Deloustal défend une demi-douzaine de coolies Tonkinois :
 « Quand j'ai entendu parler de cette affaire, s'écrie-t-il, de mon cœur de Français il m'est sorti un cri, et je voulais vous dire : Coupez leur la tête.
 « J'espère que des cas comme ceux-là amèneront à modifier le code en le rendant beaucoup plus sévère pour les Annamites, mais du moment où ces hommes sont devenus mes clients le secret professionnel m'oblige de les défendre.
 « Qu'a donc fait cet homme là ? (et Me Deloustal, ne se souvenant pas du nom de son client, l'appelle : le bouffi, à la grande joie de l'auditoire) il a voulu donner trente-deux piastres à un agent de police pour être relâché. Qu'est-ce que ça prouve ? Sinon qu'ils est salement piastreux.
 « Et vous venez vous étonner que ces choses-là arrivent.
 « Si M. le Procureur de la République veut me donner un agent, j'irai avec lui arrêter les Annamites, et tous me donneront, non pas trente-deux piastres, mais cent, deux cents piastres.
 « Au reste la loi est formelle à c't'égard ; la loi peut pas punir pou'l's'intentions.
 « D'habitude la défense plaide contre l'procureur de la République ; aujourd'hui c'est pas le cas, et par conséquent je m'en remets à la sagesse du Tribunal. »

(Indépendance Tonkinoise, 18 avril 1891).


 Échantillon de romance patriotique :

Ils sont Français, et malgré leur enfance
Le sang français coule en leur petit cœur !


PETITE TRIBUNE DES COLLECTIONNEURS


  on achèterait :
 Des Entretiens Politiques et Littéraires : les deux numéros 1 et jusqu'au numéro 9 inclusivement (en numéros).
 La Revue Indépendante série Dujardin (26 numéros).
 La Revue Contemporaine (Direction A. Remacle).
 De la Vogue : numéro 6 du tome III.
 Du Courrier Français : années 1884-1885 complètes.
 Du Pierrot (de Willette) : les numéros 18-19-20-23 2e année.
 Du Chat Noir : année 1882 complète.
 Du Mercure de France : numéros 1, 13 et 14.
 De F. Vielé-Griffin : Les Cygnes, — Ancœus (éd. orig. brochés).
 De Henri de Régnier : Apaisement (1886); Les Lendemains (éd. orig. brochés).
 D'Odilon Redon : Dans le Rêve (Album).
 De Paul Verlaine : Fêtes Galantes ; — Sagesse (éd. orig. brochés).
 De J.-K. Huysmans : A. Rebours (édit. orig. Holl. ou Jap., broché).
 De Guy de Maupassant : La Maison Tellier (éd. orig. Holl., broché)
 De Pierre de Loti : Mon frère Yves (éd. orig. Holl. broché).
  on vendrait :
 La République des Lettres, 1876-1877, collect. comp., 4 vol. — 30 fr.
 Les Taches d'Encre, de M. Barrès, collect. comp., 4 num. — 4 fr.
 La Revue du Monde Nouveau, collect. comp., 3 num. — 6 fr.
 Le Pal, de Léon Bloy, collect. comp., 4 num. — 2 fr.
 Le Fifre, collect. comp. 15 num. ill. par Forain — 5 fr.
 Le Nouveau Monde, drame en 5 actes (épuisé), de Villiers de l'Isle-Adam — 6 fr.
 Le Vice Suprême, de J. Péladan, avec l'eau-forte de F. Rops et la préf. de J.-B. D'Aurevilly (vol. broch., en mauvais état) — 5 fr.
 Victor Hugo : 150 pièces diverses, caricatures, charges, dessins, portraits, collect. unique — 100 fr.
 Répertoire du Théâtre-Français. 23 vol. rel., grav. — 25 fr.
 Œuvres de Rutebeuf, 3 vol. — 5 fr.
 (Au Mercure de France, le mardi, de 3 à 5 heures, ou par correspondance. — On est prié de fournir le plus possible de renseignements : nombre de numéros formant les collections, date de publication des volumes, leur état : coupés, non coupés, brochés, reliés, etc. — Frais d'expédition en sus des prix marqués.)

Mercvre.


Outils personnels