N° 24. – DECEMBRE 1891

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Mercure de France, t. III, n° 24, décembre 1891, p. 321-376.


DERNIÈRES PAGES (1)


LA LITTÉRATURE ET L'OPINION


 La position de M. Bryant (2) dans le monde poétique est peut-être mieux établie que celle de tout autre Américain. Il n'y a sur le rang qu'il occupe que peu de différences d'opinion; mais, comme d'habitude, l'accord est plus complet dans les cercles privés que dans le public, à en juger par ce que l'on peut glaner des sentiments du public dans la presse. Aussi bien, je dois observer ici que cette unanimité d'opinion dans les milieux littéraires est toujours fort remarquable lorsqu'on la compare avec les divergences de l'apparente opinion publique. Hors des journaux il est presque rare de rencontrer une sérieuse diversité de vues touchant le mérite d'un écrivain. L'homme de lettres, habitué à la réclusion, qui se mêle pour la première fois au monde littéraire, est invariablement étonné et charmé de découvrir que les décisions de son propre et libre jugement, - décisions qu'il a cru devoir taire à cause de leur contradiction flagrante avec les décisions de la presse, - sont soutenues et considérées comme des choses toutes simples, toutes naturelles, par ses confrères presque sans aucune exception. Le fait est que, mis les uns les autres face à face, nous nous trouvons contraints à un certain degré d'honnêteté rien que par l'ennui que l'on éprouve à équilibrer sa contenance et un mensonge. Nous couchons sur le papier avec un grand sérieux ce que nous ne pourrions pas, au prix de notre vie, affirmer personnellement à un ami sans rougir ou sans éclater de rire. Que l'opinion de la presse ne soit pas une opinion honnête, qu'il soit rigoureusement impossible qu'elle soit une opinion honnête, cela ne fut jamais nié même par les membres de la presse eux-mêmes. Individuellement, cela va sans dire, le journaliste est parfois honnête, mais je parle de l'ensemble. Il serait en vérité difficile, pour ceux qui sont familiers avec le modus operandi des journaux, de nier la fausseté des jugements qu'ils mettent en circulation. Qu'un livre soit publié en Amérique par un auteur inconnu, insoucieux ou sans influence, s'il le publie « à ses frais », il sera confondu de voir que personne au monde ne s'en occupe. Si le livre a été confié à un éditeur de marque, alors on pourra lire dans la plupart des journaux un entrefilet critique variant de trois à quatre lignes, dans ce goût  : « Nous avons reçu, de l'infatigable maison Tel et Tel, un volume intitulé Ceci ou Cela, qui nous a paru grandement digne d'être lu. Comme tous ses aînés, il fait honneur aux laborieuses presses de Tel et Tel. » D'autre part, que notre auteur ait acquis de l'influence, de l'expérience, ou (ce qui vaudra encore mieux pour lui) de l'effronterie, quand son livre paraîtra, il s'en fera donner par l'éditeur une centaine d'exemplaires (ou davantage, s'il le faut) « pour ses amis de la presse ». Ainsi nanti, il se rendra personnellement au bureau ou (s'il est vraiment malin) au domicile particulier de chaque directeur de journal de sa connaissance, entamera quelque conversation, proférera des compliments pour le journaliste, arrivera à l'intéresser, comme par hasard, au sujet même de son livre, et, finalement, guettant le bon moment, lui demandera la permission de lui laisser « un volume qui, justement, traite de la question dont ils viennent de parler ». Si le directeur semble suffisamment conquis, il en reste là, avec confiance ; mais s'il s'aperçoit de quelque tiédeur (ordinairement signifiée par ce regret poli du rédacteur regrettant de ne pouvoir vraiment « consacrer à un tel ouvrage le temps qu'il faudrait pour rendre justice à sa réelle importance »), notre auteur ne perd pas la tête  ; il comprend, il sait,― mais heureusement il a un ami très au courant de ces matières et qui consentira (peut-être) à rendre compte du livre,― et le directeur n'aurait plus qu'à surveiller la rédaction de l'article, à le corriger pour qu'il ne s'écartât pas des idées qu'il professe lui-même. Enchanté de trouver de la copie toute faite, et encore plus enchanté d'être débarrassé de l'importun, le journaliste consent. L'auteur se retire, consulte son ami, le renseigne sur les points les plus importants de l'ouvrage, et grâce à quelques adroites insinuations obtient un convenable article (ou bien, ce qui est plus fréquent et beaucoup plus simple, l'écrit lui-même)  : l'affaire est terminée. Rien de plus que la pure impudence n'est nécessaire pour la mener à bonne fin.
 Maintenant, les conséquences de ce système (car c'en est un vraiment) sont très simples. Quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, les hommes de génie, trop indolents, trop insoucieux des choses de ce monde pour prendre tant de peine, ont encore cet orgueil intellectuel qui les empêche, quelles que soient les circonstances, d'aller même insinuer, par la remise personnelle d'un livre à un membre de la presse, qu'ils désirent un compte rendu de ce livre. Conséquemment, eux et leurs œuvres se trouvent submergés et annihilés dans l'océan de l'apparente adulation publique sur lequel, en des barques dorées, naviguent triomphants les ingénieux valets et les diligents charlatans.
 En général, les livres des valets et des charlatans, n'étant lus par personne, n'ont pas à craindre la contre-partie des louanges que les auteurs se sont à eux-mêmes décernées ; mais de temps en temps il arrive que l'excès même des collaudations apporte son propre remède. Les gens de loisir, lisant la recommandation d'un de ces livres de valetaille, y jettent un coup d'œil, parcourent la préface, quelques pages çà et là, et le jettent avec mépris, étonnés du mauvais goût du journaliste qui l'a exalté. Mais il y a itération, puis une continuelle réitération du panégyrique, si bien que les amateurs se mettent à douter d'eux-mêmes, s'imaginant qu'il y a peut-être tout de même quelque chose de bon perdu au milieu du volume. En un accès de curiosité désespérée ils entreprennent de le lire avec soin jusqu'au bout ― leur indignation devenant à mesure plus vive, finissant par dépasser même les bornes du mépris. C'est cette indignation qui empêche l'opinion de la presse en matière de livres de pouvoir être réellement considérée comme l'opinion publique, — et c'est ainsi que s'élèvent de grosses divergences apparentes qui s'évanouissent lorsque l'on pénètre dans un cercle littéraire.

Edgar Poe.


 (1) Traduction inédite. — V. Mercure de France de novembre, n° 23.
 (2) Poète américain (1794-1878), l'un des quatre, avec Longfellow, Poe et Whitman.- N. D. T.

Oremus.

Seigneur ! Demain est sombre, et le froment est rare :
Ouvrez aux affamés les caves de l'avare,
Seigneur !


Faites communier le pain et la Justice
Ceux qui boivent la Haine au douloureux calice,
Seigneur !


Jetez, Seigneur ! car les détresses sont venues,
Un chaud manteau d'espoir sur les épaules nues,
Seigneur !


Nos sommeils sont livrés aux dents des larves fauves :
Echenillez les rideaux flétris des alcôves,
Seigneur !


Lavez les cœurs impurs et les robes souillées,
Rendez une corolle aux âmes effeuillées,
Seigneur !


Rendez l'orgueil aux consciences amoindries
Et le beau sang vermeil aux entrailles meurtries,
Seigneur !


Seigneur ! demain est sombre, et le froment est rare :
Ouvrez aux affamés les caves de l'avare,
Seigneur !


Louis Denise.

RHYTHMES D'AUTOMNE


A Henri de Régnier.


Voici la danse des feuilles dans les allées ;
Elle emporte l'espoir fleuri des mais nouveaux
Et des rhythmes de mort descendent les vallées.


Le vent automnal balance les grands pavots
Qui penchent tristement l'orgueil de leurs corolles ;
L'hiver attelle ses mystérieux chevaux.


Impassibles et froids ainsi que des idoles,
Le poitrail hérissé de neige et de glaçons,
Ils passeront avec de blanches auréoles.


Ils entraînent, loin de la joie et des chansons,
Vers les palais où pleurent les anciennes gloires
Parmi le souvenir des défuntes moissons.


Ils entraînent vers les grottes mornes et noires
Où s'alanguissent les roses et les lilas,
Fleurs maigres dont l'ennui décolore les moires.


Monotone, le vent sonne toujours le glas
Des matins lumineux et des nuits étoilées
Et fait tournoyer, sans jamais en être las,


La danse des feuilles mortes dans les allées.



Le ruisseau court parmi des brumes violettes.


Dans les brumes, on dirait qu'il y a des ombres :
Ce sont des jeunes filles blanches et blondes
Avec des yeux bleus et des chevelures longues
Et des couronnes de violettes.


Oh, ce sont Elles :
Ce sont les Fées qui régnèrent autrefois,
Les Souveraines radieuses dont la voix
Guidait les Chevaliers vers la Forêt immortelle.


Maintenant, les voici comme mortes ;
Mélancoliques, elles dansent dans la brume,
Parmi les aulnes et les roseaux  ;
Elles dansent lentes et taciturnes.


Et c'est le chœur des tristes Fées qui sanglote
Près de l'automne du ruisseau.



Dans le soir passe comme de l'oubli.


Aux branches frileuses des arbres,
Il y avait de claires gemmes ;
Voici maintenant que les gemmes
Tombent, pareilles à des larmes.


Dans le soir passent comme des âmes tristes.


Par le ciel calmé souriaient
Des vierges aux voiles d'azur ;
Des pleureuses en chappes grises
Qui murmurent des chants mauvais
Hantent, seules le soir obscur.


Dans le soir passe comme de la mort.



C'est la pluie,
C'est la langueur lente des soirs d'automne,
Ce sont des heures vagues qui sonnent
Comme un écho d'anciennes vies.


Et voici les belles mortes ;
Elles arrivent en un cortège
Long et morne,
D'où ? De loin, de là-bas...
Des épines ont déchiré leurs robes,
Et parmi leurs cheveux, blonds ou bruns, luit de la neige,
Ça et là...


Oh, vous passiez jadis en des robes dorées
Et des gemmes et des étoiles vous coiffaient,
Et tout riait quand vous surgissiez à l'orée
Des bois, où la chanson des oiseaux triomphait.


Et maintenant, vous repassez
Pâles et la joue amaigrie ;
L'orgueil de vos fronts s'est abaissé
Et la douleur des chemins vous a flétries.


Et vos yeux, vos yeux ternis pleurent,
Tandis que, tristement, s'envolent les heures.

A.-Ferdinand Herold.

NOTICES LITTÉRAIRES


IV


LOUIS DUMUR


 « Juteux avait débuté par un volume énorme, écrit comme on donne un coup de massue, pesant d'invectives, de choses lourdes, pour effrayer et produire du bruit. Le livre avait fait scandale, un scandale cherché, voulu, avec un arrière-tintamarre de gros sous » (1).
 Irrésistiblement ces lignes me reviennent, au moment de parler de M. Dumur, qu'elles semblent caractériser. Je ne sais si M. Dumur a cherché le scandale, mais il l'a inévitablement provoqué à chacun de ses livres. Ça été d'abord La Néva, un recueil de vers rythmés étrangement, qui servit aux poètes, sous couleur d'agiter des questions prosodiques, à se vider réciproquement sur la tête des potées d'injures. Ce fut ensuite Albert, qui suscita de vives polémiques et dont on a dit, à la fois, que c'était « une gageure », « une foutaise » et « le plus beau livre du siècle ». Il demeure qu'un écrivain si diversement apprécié ne saurait manquer de puissance et que ses livres valent d'être discutés.
 Dans les feuilles littéraires, M. Louis Dumur fût souvent cité parmi les symbolistes et les décadents, poètes chez qui, avant que la renaissance romane ne vint tracer une éclatante ligne de démarcation, résidait tout l'intérêt artistique contemporain. M. Dumur ne fut pourtant jamais ni symboliste, ni décadent, et s'il se rattachait à ce double groupe, c'était plutôt par ses amitiés que par ses tendances. Il s'en distinguait en tous points, autant par ses défauts que par ses qualités. Il eut tout au moins l'avantage de ne jamais sacrifier à la fausse orfèvrerie, aux sonorités vaines du chaudronnier Hérédia, et de garder intact le culte de la langue, alors que tant de poètes mal inspirés, abattus sur elle comme une nuée de criquets, y exerçaient les pires ravages ; mais la grâce et la mesure lui restaient étrangères. M. Maurras le classerait parmi les barbares. Il parait bien, par ses écrits pleins de raideur génevoise et de brutalité voulue, que son éducation ne fut ni française, ni catholique au sens large du mot, c'est-à-dire païenne, puisque c'est par l’Église que nous a été transmis l'héritage païen. D'ailleurs, si M. Dumur se distinguait, par son art, des symbolistes et des décadents, il avait de commun avec eux qu'il se fourvoyait, bien que d'une autre façon. Alors que ceux-ci s'envasaient de plus en plus dans la bourbe et les marécages du Parnasse, M. Dumur se traînait à la remorque d'une formule vaine, épuisée. Je veux parler de la littérature romantique, dont il est le dernier représentant.
 Son Albert est un neveu de Werther et de René. Il est, comme eux, un apôtre de la désespérance. Il s'ennuie sans cause, même au sein des richesses, et dans les bras de ses amantes. Pour rester dans la note, il se tue d'un coup de revolver, non sans avoir débité maintes tirades qui sentent leur Obermann et leur Rolla d'une lieue.
 Le livre de vers (2) que M. Dumur publie aujourd'hui à la librairie Perrin, accentue encore cet esprit romantique. Il y est proclamé entre autres choses que :
 L'homme n'a pas d'idéal plus beau que la désespérance.
 Pourtant, avec l'âge, la passion s'est refroidie et le romantique est devenu égoïste. Il a retiré ses passions du monde pour les ramener à lui. Ce ne sera plus le jeune homme fougueux qui se jette désespérément dans la vie et dans l'amour, ce sera le vieillard qui goûte l'amertume en silence. « Puisque tu naquis au globe, dit M. Dumur, épuises-en la douleur. Sois comme le martyr qui veut le supplice et l'acclame, et songe qu’à vouloir vivre, l'homme se désespère et s'avilit. Le mal est partout. Toutes les fleurs du chemin sont des ronces. Il n'y a rien, rien!... qu'un peu d'orgie et Priape! »
 C'est, effectivement, à Priape que M. Dumur restreint sa conception de l'amour. Les notaires en retraite et les filles entretenues auraient tort de chercher dans ses vers pâture à leur sentimentalité. Il n'est ni romance, ni clair de lune, et il manque de goût pour la culture des fleurs bleues dont abonde le répertoire des ténors de Casinos. Il ne s'arrête pas aux madrigaux. Il use de la femme comme d'un remède, et, le soulagement obtenu, il ne lui reste qu'aversion et dégoût. Il semble même que tout souci plastique lui échappe. Il ne décèle nulle part le goût des lignes pures et des formes belles qui donne à quelques-uns l'illusion de l'amour. Il ne voit, il ne comprend que la « machine obscène ». S'il fut captivé d'une femme et s'il en compose le los, c'est parce que :
 Elle eut le don de plaire aux sens et d'être l'âme
 D'une nuit de plaisir.

 Il a pour le commerce des chairs la sévérité d'un réformé, et il s'irrite que tout converge à ce but désastreux. Il appelle la femme « le gouffre de nos chutes ». Elle l'importune :
  Délace de mon cou tes bras,
  Tes poses molles, fille impure.
  Revêts tes linges, ta jaspure,
  Et fuis les lits que tu leurras.

 Il trouve l'amour « lascif ». Il le proclame un obstacle au bonheur.
 Qu'est-ce donc qu'il entend par bonheur? « C'est, dit-il quelque part, la quiétude de l'esprit. » On s'en doutait bien un peu, mais où trouver cette quiétude, en dehors de l'amour? Est-ce dans les livres ? Non, puisque Albert, qui est un peu M. Dumur, les déclare vains et insipides. Est-ce dans la contemplation de la nature ? Mais M. Dumur n'aime pas la nature, ou s'il l'aime, il n'y parait guère. Et d'ailleurs, la fréquentation des philosophes, en lui donnant le goût des abstractions, a restreint chez lui le don de contempler qui fait les merveilleux poètes. L'abus du syllogisme a développé sa raison aux dépens de son cœur. Il n'a pas plus de sensibilité qu'il n'a d'affections.
 Il trouve les fleurs tristes. Il hait le soleil :
 Oh ! voilez-moi le dur soleil de diamant.
 Il quête les ciels de boue. Il parle de la paix des grands brouillards, et, comme il a lu Baudelaire, il reprend :
 Peut-être que le cœur qui souffre et qui soupire
 Aime à trouver dans la nature le reflet
 Des larmes dont s'étanche en vain son long martyre.

 S'il décrit des paysages, ce seront des steppes inertes et engourdies de froid, des fleuves gelés, des villes ensevelies sous les neiges, pour ce que son cœur, qu'il appelle un glaçon d'hiver, y trouve d'affinités. Encore ces descriptions ne lui servent-elles que de termes de comparaison. S'il se complait à la peinture de la Néva, c'est qu'elle est le mot de la vicissitude humaine, c'est qu'il trouve à l'admirer l’étonnement et le frisson du vrai métaphysique ; et c'est justement ce souci de philosopher qui ôte à ses vers la couleur et la poésie.
 Une seule fois, il s'est senti attendri devant la nature, et le sonnet où il a mis son émotion est si agréable que je le veux citer en son entier  :

lampyres

 Les doux lampyres veulent luire en mes chemins,
 Et chaque pas les voit qui sourdent sous les herbes.
 Si les étoiles sont trop haut aux cieux superbes,
 Les doux lampyres me seront moins inhumains.


 Je me rappelle la fillette aux blanches mains
 Qui les aimait et leur jetait des yeux acerbes,
 Et les cueillait et les posait en fines gerbes
 Dans ses cheveux, tressés avec les purs jasmins.


 Et s'ils s'éteignent, que ma nuit en soit plus noire !
 Je laisse aux princes les idoles de la gloire,
 Aux sacrificateurs les chênes écartés,


 Aux chefs des peuples, les trésors et les empires.
 Combien sont douces les mollesses de clartés
 Que sèment aux chemins luisants les doux lampyres!


 Que M. Dumur n'a-t-il plus souvent regardé l'herbe où sont les verts luisants!
 La conception de la vie que dénotent les Lassitudes doit amener fatalement au suicide. Albert n'y a pas manqué. M. Dumur, je l'espère, s'en sauvera par la littérature, ce qui vaudra mieux pour lui et pour nous. En attendant la mort, il se réfugie dans le sommeil, et quel ennui lorsque le matin-geôlier rouvre ses yeux :
 O rêve, tu me fuis, tu m'abandonnes seul !
 Je vêts mes douloureux habits comme un linceul,
 Tous les dégoûts m'accompagnant en louche escorte.

 En la lueur haïe où vont errer mes pas,
 Tu me seras un grand regret de chose morte,
 Alors que ce qui reste n'en console pas !

 Il serait malaisé de retrouver les sources du pessimisme de M. Dumur. Les héros romantiques devenaient sombres à la suite d'épouvantables forfaits. Ils sentaient sur eux le poids du remords. Schopenhauër lui-même devint amer d'un amour contrarié. Mais M. Dumur est trop jeune pour avoir éprouvé ces rudes secousses. Je crois qu'il est pessimiste de tempérament, comme on est jaloux ou cruel. Il dit lui-même que, dès le berceau, il soupçonna la vie d'être immonde. Est-ce qu'Albert, à huit ans, ne fait pas déjà la leçon à son curé en lui déclarant qu'il trouve l'univers inutile?
 Cette façon de japper après le monde, comme un chien, choque un peu le goût de notre race où les plus éprouvés, les plus assurés, s'il en est, de l'inutilité du monde ont soin de s'armer de scepticisme. Il en va mieux ainsi, ne serait-ce que pour ne pas paraître tout nu devant les hommes, comme dit finement M. Maurice Barrès. M. Dumur, lui, se montre tout nu, et, qui pis est, il fait la culbute pour qu'on se retourne.
 Malgré tous ces anathèmes systématiquement jetés à grands coups de plume tonitruante, malgré ce parti pris de violence et de brutalités dans ses livres, M. Dumur n'est pas, comme on pourrait le croire, dans la vie, un agité et un bruyant. Il se montre au contraire très réservé, et il a le désespoir discret. Ce n'est pas lui qui fait retentir les salons de ses vers. Il ne déclame pas et c'est à peine, même, s'il cause. Les yeux songeurs sous la double vitre du lorgnon, avec, toujours, une spirale de fumée bleue aux lèvres, c'est un doux et un studieux, plus amateur de livres que de femmes. Je suis persuadé que ses orgies ― un mot bien démodé dont il abuse ― se réduisent à quelques modestes repas chez Duval ou à quelques bocks bus le soir, au Café, entre amis. En tout cas, je puis assurer qu'elles n'ont rien de néronien et de sadique et qu'on n'y fustige pas des femmes nues, au dessert, non plus qu'on n'y brûle des esclaves enduits de résine. Même on n'y fume pas l'opium dans des crânes d'enfant, les pieds nonchalamment appuyés sur un tigre, selon le vœu de M. Rollinat.
 M. Dumur conserve, jusque dans sa mise, cette discrétion de bon goût, et son commerce a des charmes. Dans cette petite chambre meublée de la rue Jacob où il habitait naguère, et où ses doigts s'aventuraient parfois à traduire au clavecin l'inquiétude de son âme, j'ai gardé le souvenir de charmantes causeries d'art, de délicates et cordiales voluptés.
 Il me reste à parler des innovations prosodiques de M. Dumur. J'hésite à le faire, car, outre qu'elles ont été maintes fois discutées (3), elles me semblent ne devoir engendrer que des controverses ennuyeuses et stériles. L'intérêt d'un poème résidant en la phrase chantée, il semble bizarre et pédant d'indiquer le mouvement et la mesure dans lequel il est écrit : C'est là l'avis de M. Dumur lui-même, auquel je ne puis que souscrire. Il suffit qu'un vers soit jugé harmonieux. Savoir quelle sorte de pièces, iambiques ou anapestiques, le composent, n'ajoute rien à la jouissance. Le lecteur, s'il n'est grammairien ou scoliaste, s'en soucie peu, et, pour le Poète même, son oreille est un guide plus sûr que tous les traités de prosodie du monde. Le véritable artiste trouve d'instinct les combinaisons métriques les plus hardies, et, s'il s'inquiète d'en formuler les lois, ce n'est qu'après coup et par jeu. D'ailleurs, en ces temps d'affranchissement à outrance des rythmes et des rimes, les vers de M. Dumur ne sauraient étonner, quand bien même il n'eût pas livré le secret de leur facture.
 Il me suffira d'énoncer que M. Dumur rythme ses pièces d'après l'accent tonique. Je crois bien que sans le savoir tous les bons poètes rythment ainsi. Je me souviens qu'un soir, ouvrant le Pèlerin Passionné, M. Dumur trouva que les vers de Moréas pouvaient très bien se scander selon sa méthode, et pourtant M. Moréas n'y avait pas pris garde. Il avait simplement obéi au sens intérieur qu'il a de l'harmonie. Si M. Dumur ouvrait Racine, il verrait quel perpétuel souci il y est tenu de l'accent tonique ; souci instinctif, bien entendu. Quel vers des Lassitudes mieux martelé que celui-ci, par exemple :
 Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cœur,
où les syllabes d'elles-mêmes se scandent?
 Quand M. Dumur emploie la rime et s'astreint à un nombre de pieds régulier, il intéresse vivement; mais il inquiète lorsqu'il fait ses vers-blancs et qu'il allonge indéfiniment ses stiches.
 Je crains que des oreilles françaises ne puissent jamais s'accommoder de cette sorte de vers. Des innovations analogues, antérieurement tentées, n'ont eu aucun succès. La plus célèbre fut celle de Baïf, lequel inventa, outre ses vers mesurés à la façon grecque et latine (Ce petit Dieu | cholere archer | léger oiseau...), des vers construits d'après le système syllabique et qu'on a surnommés baïfins. Je trouve aux vers baïfins comme un avant-goût des vers de M. Dumur, dans ceux-ci par exemple :
Muse, royne d'Elicon, fille de mémoire, ô déesse,
O des poètes l'appuy, favorise ma hardiesse.
Je veu donner aux François un vers de plus libre accordance,
Pour le joindre au luth sonné d'une motus contraincte cadence.
...................................................
Je veu d'un nouveau sentier m'ouvrir l'honorable passage
Pour aller sur votre mont m'ombroyer sous votre bocage,
Et ma soif désalterer vostre fonteine divine Qui sourdit du mont cavé dessous la corne Pégasine...

 Mais Baïf a piteusement échoué comme les autres.
 M. Dumur sera-t-il plus heureux que ses prédécesseurs? Tout en lui souhaitant le succès, je me hâte d'ajouter que ces tentatives ont cela de bon qu'elles témoignent d'une intelligence vigoureuse tendue vers l'inédit.
 Un esprit rare et hardi, peu satisfait des formules vivantes, incliné vers tout ce qui germe; un critique érudit et un noble poète, suivi d'autant plus de jalousies qu'il a mieux dépassé le cercle étroit des coteries qu'il a traversées, mais que n'émeuvent ni les sarcasmes ni la haine des impuissants, M. Anatole France devait fatalement s'inquiéter de Louis Dumur et de ses tentatives. Il les a qualifiées d'intéressantes et a jugé ses vers harmonieux. Ce jugement d'un homme doublement compétent, au goût sûr et impeccable, suffirait à classer M. Louis Dumur parmi les plus scrupuleux poètes de ce temps-ci; mais aux éloges mérités, j'ai le devoir — adversaire, puisque roman! — d'apporter les réserves les plus sévères. Ces poètes à côté desquels marche M. Dumur ne furent que des transitoires. Leur influence ne peut survivre — quel que soit leur talent personnel — à la mort de l'école symboliste, dont, à tort ou à raison, ils se réclamaient. Que vont devenir ces poètes en désarroi, licenciés par le chef dont ils suivaient l'heureuse Étoile? L'Avenir ne peut être à l'erreur symboliste, ni à l'erreur romantique. L'Avenir n'est pas non plus à ces autres rimailleurs stériles, où se perpétue l'agonie du Parnasse, si dégénérés, si avilis qu'ils n'ont plus de jouissance qu'a brouter les chardons de Mendès. La voix de Vérité a parlé haut par la bouche des muses romanes. En dehors d'Elles, il n'y a ni espérance, ni salut.

Ernest Raynaud.


 (1) Albert, par Louis Dumur.
 (2) Lassitudes, un vol. in-18 (Perrin et Cie).
 (3) On n'a pas oublié notamment l'article autorisé et documenté de notre ami Édouard Dubus, paru ici même (mai 1890, n° 5, p. 145) lors de la publication de La Néva.

CANTILÈNE DES NEIGES D'ANTAN




Théophana, brebis rose de Brumissa,
Pasiphaé, Circé, qui naquit de Persa,
Galathée, Euridice, Amaryllis, Omphale
Enchaînant Heraclès de tresses triomphales,
L'incestueuse Phèdre, Alceste, Sémélè,
Eriphile, Doris et la mutine Eglè,
Clio, Nisa, Pénélope, l'épouse insigne,
Calliope et Léda, plus blanche que son cygne,
Péribée et la nymphe Erato, Nicéa,
Et la princesse aux bras neigeux, Nausicaa
Dont les royales mains lavaient en l'eau du fleuve
Le linge du palais, Pyro, la sombre veuve,
Naïs, fleur de l'Ida, Cassandre au rire amer,
Alcis, Rhéa, Téthys, joli lys de la mer,
Andromède, Phrynè, la plaideuse badine,
Eriphanis, Myrto, la jeune Tarentine,
Polymnie, Ilione, Electre, Alcinoè,
Théophano, Nyctis, Prognè, Philonoè,
Timandra, Parthenope, Œnone, Iphigenie,
Et la grande Sappho qui puisait son génie
Dans les baisers d'Erinne, Hia, Calypso
Pleurant sur son rocher l'infidèle vaisseau,
Atalante au pied vif, si légère à la course,
Et la nymphe Biblis qui fut changée en source,
Andromaque, Thébè, Néèra, Philonis,
Et Clymène et Myrrha, la mère d'Adonis,
Mèlissa, Niobè, la mère sacrilège,
La farouche Médée experte en sortilèges,
Et Sinope qui but aux lèvres d'Apollon,
Et celles-ci qu'on vit, dans le divin vallon,
Étreindre tes flancs nus, Muse de Mitylène,
Savantes aux baisers autant qu'aux cantilènes,
Myrtis de Béotie, Anytè, Praxilla,
Nossis et Corrina, Moero, Télésilla...
Hélène, et les sanglants combats qui vinrent d'elle,
Philomèle, qui fut muée en hirondelle,
Déjanire qu'aima le centaure Nessus,
Et celles qui baignaient leurs seins dans l'Ilissus
Et dont les noms légers vibraient comme des lyres...
Et vous, belles, et vous, ô blondes hétaïres,
Que l'amoureuse Attique encensait de ses vœux,
Et qui grisiez des chauds parfums de vos cheveux.
Cent peuples implorant vos caresses ingrates,
Vous, Aspasie, vous que consultait Socrate
Sur des cas de morale, et vous, trop blonde Hymnis
Pour qui mourut d'amour la brune Parthénis,
Toi, blanche Mégara, si badine et si vive
Qui, dans tous les festins, découvrais aux convives
Les riches nudités de ton ventre poli,
Et vous, Démonassa, vierge au geste joli
Qui vainquîtes Chrysis au bel art des caresses,
Doris, Syrinx, et vous, Thaïs, aux belles tresses,
Bacchis de qui les yeux étaient d'onde et de ciel,
Glycère dont le nom avait le goût du miel,
Ananthe qui dansais, nue, aux sons de la lyre,
Myrrhirie dont la chair fleurait l'ambre et la myrrhe,
Toi, Laïs, qui montrais aux promeneurs du Pnyx
Tes jambes de Carare et ta gorge d'onyx,
Cléïs que Phidias jugea digne du socle,
Et vous, Théoria, maitresse de Sophocle,
Vous, volage Herpyllis, qu'Aristote enchaîna,
Et vous, Agathoclée, et vous, Ganathœna,
Vous, svelte Danaé qui traîniez sur les dalles,
Avec tant de langueur, l'argent de vos sandales,
Toi, Musarie, et vous, Rhodope, Philinna,
Vous, Lyra, Pannychis, Clinias, Hippona,
Vous, beaux noms d'or, orgueil des impudiques joûtes,
O vous, belles d'alors, ô belles, ô vous toutes,
Joyeux sons, oubliés de nos barbares voix,
O belles, n'êtes-vous les neiges d'autrefois ?
Plus encor que vos corps vos noms sont en poussières,
Ils feraient ricaner nos époques grossières !...
Sonores comme l'or et plus doux que le miel,
Ils ne chanteront plus, vos beaux noms, sous le ciel...
O vous, faste défunt de l'antique Hellénie,
Sappho, Phryné, Bacchis, Glycère, Iphigénie,
Si les morts ont des pleurs, pleurez en vos tombeaux :
Vos filles ont troqué vos noms pour de plus beaux,
Et les poètes las des immuables thèmes,
Sanctifieront bientôt ces modernes baptêmes!...
Ils vous célébreront, nymphes des temps nouveaux,
Vierges aux cheveux roux, troupeau de jeunes veaux !...
Vos noms étoileront leur strophe adamantine,
O vous, Zozo, Nana, la Goulue et Titine !...
Et, demain, nous verrons un Virgile — de goût-
Dont tu seras l'Amaryllis, Grille-d’Égout!...

 Septembre 1890.


G.-Albert Aurier.

CONTROVERSE SENTIMENTALE


 Quand il était encore un vivant, les hommes l'appelaient le poète de l'amour et de la douleur. Un jour d'été, celle qu'il aimait était morte, et depuis qu'avec elle on avait scellé dans la tombe la joie, la lumière et la beauté, il faisait retentir parmi les peuples ses chansons luxurieuses et désespérées. Maintenant, à son tour, il était mort; et tandis que, là-haut, les prêtres de la cité sacrifiaient à sa mémoire de palpitantes tourterelles, il paraissait, dépouillé de tout mensonge, devant les Juges des âmes.

l'homme


 Me voici, ô Vénérables, pareil à un arbre d'automne, quand les feuilles envolées ne voilent plus aux regards les secrètes blessures de l'écorce.

les juges des âmes


 Cesse de parler par métaphores; abandonne ces derniers haillons de la pensée terrestre et ne t'imagine point que d'harmonieuses phrases puissent abuser nos oreilles incorruptibles : la fable d'Orphée n'est qu'une fable inventée pour le plaisir vaniteux de tes semblables. Celle que tu pleurais si bruyamment, tu sais bien que tu ne l'aimas jamais et même que tu l'as tuée.

l'homme


 Je l'avoue. Mais ce fut justice.
 L'après-midi, ce jour-là, était si chaude que les cigales lasses se taisaient; seules, les gouttes d'eau tombant une à une dans la vasque de la cour rhythmaient le silence, et, selon leur chute, mes strophes se scandaient, lumineuses et souveraines. Furtive, elle s'approcha de moi; ses baisers dévoraient mes lèvres et elle me provoquait à l'amour. Je l'emportai brutalement – la brutalité lui plaisait — vers la chambre bien close ; et sur la neige des toiles précieuses, nos corps se mêlaient ainsi que le voulut le caprice cruel des dieux.

les juges des âmes


 Eh ! les dieux n'auraient point de caprices. Mais la honte bien naturelle d'être vous-mêmes vous porte à faire de vos misères et de vos folies des fantômes magnifiques et supérieurs et à nommer divines toutes vos faiblesses.

l'homme


 Soit ; je ne parlerai plus des dieux. Nos corps se mêlaient: par le jeu savant des baisers et des paroles sans suite ni signification, j'essayais de faire oublier à la femme défaillante la grossièreté des caresses. Personne n'aurait nié, à nous voir, que l'amour fût, ainsi qu'ils disent depuis les siècles, la plus enivrante des passions. Et j'entrouvrais les yeux pour admirer, comme souvent, la figure de mon amante, si belle alors et qui semblait parfois presque endormie dans la volupté. Sa tête se renversait au bord du lit ravagé ; son bras droit pendait à demi, et tout à coup, à cette minute que je croyais pour elle surhumaine et hors de la terre, j'ai vu que de sa main brusquement ramenée elle prenait avec art une mouche, entendez-vous ! une mouche qui se promenait insoucieuse dans une tache de soleil, sur les plaines blanches des draps éclatants et que depuis longtemps, je l'ai compris, elle guettait. Pour avoir, de ce seul geste, détruit tout le rêve que je créais autour d'elle et pour sa joie à elle, j'ai tué la femelle maudite, je l'ai tuée et ce fut justice.

les juges des âmes


 Ne t'irrite pas. Le Calme sied aux morts. Et puis, toi-même étais-tu sans reproche et sa distraction fut-elle plus coupable que ton mensonge?

l'homme


 Plus coupable mille fois ! cette femme était belle et j'ai cru qu'elle m'aimait.

les juges des âmes


 Illusion de fat.

l'homme


 Naïveté d'âme ingénue. Je pensais être seul parmi les hommes à connaître la vanité de l'amour et des autres joies. Quand la belle vierge vint vers moi, les lèvres fleuries de baisers, je lui fus reconnaissant du bonheur qu'elle feignait de m'apporter, et je m'appliquai à représenter selon les règles usuelles le drame des cœurs bien épris. Pourquoi, de son côté, fut-elle moins attentive au rôle qu'elle s'était attribué, sans que je lui en eusse fait la moindre prière ? Son action fut déshonnête, criminelle; j'ai confiance que vous ne me montrerez point de rigueur.

les juges des âmes


 Certes, ta bonne foi fut surprise. Cependant, n'es-tu pas digne de punition pour avoir, ensuite, par ta feinte douleur et par l'évocation de joies que tu savais décevantes, perpétué sur la terre le vieux leurre de l'amour ?

l'homme


 Qui sait? Il suffirait pour m'absoudre que la puissance de mes chansons pût, un jour, faire croire en toute certitude à sa réalité : alors les dieux existeraient vraiment et leur souvenir, sans doute, serait bienveillant à celui qui les tira des ténèbres et du chaos.

les juges des âmes


 La mort ne t'a pas guéri des chimères : mais comme, à tout prendre, tu n'as pas péché, tu peux t'endormir avec les justes, en attendant cette aube de gloire qui ne resplendira peut-être jamais.


 L'homme, libéré de la vie, connut désormais le sommeil sans rêves.

Pierre Quillard.

MADRIGAL


Ne vous souvient-il pas d'une existence exquise,
Au temps joli qui vit fleurir la Pompadour?
Lors, on vous saluait en soupirant: "Marquise !"
On m'honorait comme un très digne abbé de cour.


Vous me laissiez parfois, quand languissait le jour,
Vous prêcher, tout confit en l'onction requise,
Quelque homélie assez incandescente pour
Mettre la mer à sec et fondre la banquise.


Quand la mort nous plongea dans le Royaume noir,
Nous reprîmes si bien nos jeux, que, pour ce monde,
Pluto scandalisé nous fit repasser l'onde.


Désormais votre abbé, Marquise, attend le soir
Où, brûlant des beaux feux de naguère, il vous dise
Un madrigal au vieux parfum de mignardise.


SUPERBIA


Au seuil du Parc gemmé d'aurore printanière
Où, témoignage du Passé, gît la statue
D'un blême Éros tombé de hautaine manière,
La chanson qui riait dans nos rêves s'est tue.


Dès lors, plus savamment que l'ardente lanière
Qui, dans le poing crispé du bourreau, s'évertue
A n'accorder jamais la blessure dernière,
Chaque heure aux mains du Temps sur nous s'est abattue.


Nostalgiques bannis du pays des Chimères,
Mais revenus des soirs de rire ou d'élégie,
Nous détournons les yeux des fêtes éphémères,


Et notre solitaire exil se réfugie
Dans un palais brûlant d'une tragique flamme:
L'orgueil des souvenirs nous dévorent l'âme.

Édouard Dubus.

POÈMES D'AUTOMNE

Wann wild es Ruhe im Haus?
R. Wagner (Tristan)

I
RAPPELS NOCTURNES


 Comme une larme aiguë, une larme de l'infini, la Lune tombe, tombe du ciel, lente, indiscontinuement. Le rayon de sang pâle qu'elle pleure dans le fleuve, entre les hauts feuillages d'ombre des mystérieuses rives, s'éteindra pour renaître ainsi que toutes choses terrestres.
 Douleur sans fin des Cieux... Oh! quelle douleur, quelle douleur pleurez-vous, hauts Inconnus, par vos si belles larmes errantes? Il me semble, en des nuits, me souvenir de ces douleurs-là qui auraient été miennes, elles par où je sens que j'ai fait autrefois partie d'une enfance si grande!
 Et voici que de Vénus aussi se reflète sur l'eau la mouillure voilée et vacillante d'une larme, sœur des humbles miennes. Je sens mon cœur gonflé par la fuyante espérance de retrouver les souvenirs perdus. O mes Patries, mes belles Patries! me laisserez-vous traîner encore longtemps, misérable, sur les chemins obscurs des souvenirs!...

II
LE POÈME DES VENTS


 — Écoute? Je vais te narrer l'histoire d'un preux chevalier qui ...
 — Non, laisse-moi:.. Ne veuille point que j'écoute: j'aime mieux regarder les arbres qui s'agitent au vent accouru des tempêtes lointaines...
 — Écoute? et tu sauras l'histoire des amours de la blonde Astine et...
 — Non, je t'en prie: je préfère ouïr le chutement du vent qui blanchit les feuilles des bouleaux et anime les cimes rondes et somptueuses des hêtres...
 — Oh écoute! Je te remémorerai ce que ton âme a souffert dans l'isolement des tendresses, et les larmes voluptueuses que...
 — Oh non, je t'en supplie! Il me plaît davantage que mes yeux errent aux puissants balancements des chênes ancêtres, et que mon âme s'épeure parmi les chevelures soudainement bouleversées des larges et fragiles acacias...
 — O toi, qui veux tressaillir, écoute le beau poème surhumain de l'Inconnu, le sublime poème où...
 — Oh par pitié, tais-toi! et me permets de me perdre dans l'infini des vivantes feuillées frissonnantes des vies du temps, éveillées au souvenir des ouragans éloignés...
 — Mais ces choses que tu dis, que tu veux, ne sont-elles pas des poèmes ?
 — Peut-être ; je ne sais pas... Je veux ignorer si la forêt est poème et le vent aède. Laisse-moi, me croyant seul, loin des poèmes conscients, me baigner dans les nuances innombrables de la forêt tremblante, de la forêt... de la forêt.....

III
ANGOISSE SUPRÊME


 J'implore l'oubli! J'implore l'oubli!
 O Éveils du vent dans les feuillées, ne me rappelez rien! O Mer, ne bruissez pas des souvenirs angoissants! O vous, arômes, ne suscitez pas les spectres vagues et inquiétants de mes Passés ! Lune jaune-soufre au ciel gris-bleu, que votre morne et immobile silence, brouillé d'autrefois, ne me parle pas!
 J'implore l'oubli! Oh! Si j'allais resavoir le passé!
 En arrière, le gouffre noir s'emplit d'un clapotement d'anciennes larmes qui mentent: Oh! Si leur source avait été mes yeux!
 J'implore l'oubli! Oh! il me semble en mon cœur la secousse d'anciens sanglots...
 Une longue route assoiffée, peut-être, j'aurais marché, râlant, les pieds saignants, la tête en fièvre, le cœur en feu, sous le fouet des inexpiables désirs, et je verrais se dérouler au loin des avant cette route blanche à l'ardeur du ciel embrasé, cette route des avant présage des ensuite, peut-être...
 Oh! j'implore l'oubli! j'implore l'oubli! Exorable Seigneur, écartez de moi le fiel du Savoir, laissez mes lèvres s'approcher au moins des fadeurs du doute!...
  Ploumanach, octobre 1891

Adrien Remacle.

LA TÊTE BRANLANTE


I


 Le vieil homme s'efforça de regarder ses souliers cirés, et les plis que formait, aux genoux, son pantalon clair trop longtemps laissé dans l'armoire. Il réunit les mollets, se tint moins courbe, son gilet bien tiré, une chiquenaude à sa cravate folle, et dit tout haut:
 — « Je crois que je suis prêt à recevoir nos soldats français. »
 Sa blanche tête tremblante remua plus rapidement que de coutume, avec une sorte de joie. Il zézayait, disait: « Ze crois, ze veux », comme si, à cause de l'agitation de sa tête, il n'avait plus le temps de toucher aux mots que du bout de la langue, de l'extrême pointe.
 — « Ne vas-tu pas à la pêche ? » lui dit sa femme.
 — « Je veux être là quand ils arriveront. »
 — « Tu seras de retour! »
 — « Oh! si je les manquais! »
 Il ne voulait pas les manquer. Écartant sans cesse les battants de la fenêtre qui n'était jamais assez ouverte, il tentait de fixer sur la grande route le point le plus rapproché de l'horizon. Il eût dit aux maisons mal alignées :
 — « Otez-vous : vous me gênez. »
 Sa tête faisait le geste du tic-tac des pendules. Elle étonnait d'abord par cette mobilité continue. Volontiers on l'aurait calmée, en posant le bout du doigt, par amusement, sur le front. Puis, à la longue, si elle n'inspirait aucune pitié, elle agaçait. Elle était à briser d'un coup de poing lent.
 Le vieil homme inoffensif souriait au régiment attendu. Parfois il répétait à sa femme :
 — « Nous logerons sans doute une dizaine de soldats. Prépare une soupe à la crème pour vingt. Ils mangeront bien double. »
 — « Mais, répondait sa femme prudente, j'ai un reste de haricots. »
 — « Je te dis de leur préparer une soupe à la crème pour vingt, et tu leur prêteras nos cuillers de ruolz, tu m'entends, non celles d'étain. »
 Il avait encore eu la prévenance de disposer toutes ses lignes contre le mur. Le crin renouvelé, l'hameçon neuf, elles attendaient les amateurs, auxquels il n'aurait plus qu'à indiquer les bons endroits.

II


 On ne lui donna pas de soldats. Parce qu'il pêchait les plus gros poissons du pays, il attribua cette offense à la jalousie du maire, pêcheur également passionné. A dire vrai, celui-ci, d'une charité délicate, l'avait noté comme infirme à tête peu solide.
 Le vieil homme erra, désolé, parmi la troupe. La timidité seule l'empêchait de faire des invitations hospitalières. On suivait avec curiosité sa tête obstinément négative. Il les aimait, ces soldats, non comme des guerriers, mais comme pauvres gens, et, devant les marmites où cuisait leur soupe, il semblait dire, par ses multiples et vifs tête-à-droite, tête-à-gauche:
 — « C'est pas ça, c'est pas ça, c'est pas ça. »
 Il écouta la musique, s'emplit le cœur de nobles sentiments pour jusqu'à sa mort, et revint à la maison.
 Comme il passait près de son jardin, il aperçut deux soldats en train d'y laver leur linge. Ils avaient dû, pour arriver jusqu'au ruisseau, trouer la palissade, se glisser entre deux échalas disjoints. En outre, ils s'étaient rempli les poches de pommes mes tombées et de pommes qui allaient tomber.
 — « A la bonne heure, se dit le vieil homme : ceux-là sont gentils de venir chez moi ! »
 Il ouvrit la barrière et s'avança à petits pas, comme quelqu'un qui porte un bol de lait.
 L'un des soldats dressa la tête et dit :
 — « Vesse ! un vieux ! Il n'a pas l'air content. Quoi ? Qu'est-ce qu'il dit ? entends-tu, toi ? »
 ― « Non », dit l'autre.
 Ils écoutèrent, indécis. Le vent ne leur apportait aucun son. En effet, le vieil homme ne parlait pas. Il continuait de s'attendrir, et, marchant doucement vers eux, pensait :
 —  « Bien ! mes enfants ! Tout ce qui est ici vous appartient. Vous serez surpris, quand je vous prouverai, filet en main, qu'il y a dans ce ruisseau, au pied de ce grand saule âgé de six ans à peine, des brochets comme ma cuisse. Je les y ai mis moi-même. Nous en ferons cuire un. Mais laissez donc votre linge, ma femme vous lavera ça ! »
 Ainsi pensait le vieil homme, mais sa tête oscillante le trahissait, effarouchait, et les soldats, déjà inquiets, sachant à fond leur civil, comprirent :
 — « Allez-y, mes gaillards, ne vous gênez pas, je vous pince, attendez un peu ! »
 — « Il approche toujours, dit l'un d'eux. M'est avis que ça va se gâter. »
 — « Il portera plainte, dit l'autre, on lui à crevé sa clôture. Le colonel ne badine pas, c'est de filer. »
 — « Bon, bon, vieux ! assez dodeliné, tu ne nous fais pas peur, on s'en va. »
 Brusquement, ils ramassèrent leur linge mouillé et se sauvèrent, avec des bousculades, en maraudeurs.
 — « As-tu le savon ? » dit l'un.
 L'autre répondit :
 — « Non ! »
s'arrêta un instant, près de retourner, et, comme le vieux arrivait au ruisseau, repartit avec un :
 — « Flûte pour le savon ! il n'est pas matriculé ! »
 Ils se précipitèrent hors du jardin.
 — « Qu'est-ce qu'ils ont donc ? » se demanda le vieil homme.
 Le branle de sa tête s'accéléra. Il tendit les bras et cela parut encore une menace, voulut courir, rappeler les deux soldats.
 Mais de sa bouche, comme un grain s'échapperait d'un van à l'allure immodérée, un pauvre petit cri tomba, sans force, tout au bord de ses lèvres.

Jules Renard.

PROSES DE DÉCOR
LE FESTIN DES BARBARES


 Les Barbares mangent et s'enivrent. On les voit chaque nuit, sur les hantés terrasses des palais et des temples dominant la Ville conquise, festoyer bruyamment aux flambeaux et se gorger de viandes et de vins. Ceux qui les approchent les trouvent couchés sur les lits consulaires, vautrés demi-nus parmi les draperies impériales et parés obscènement de joyaux volés. Sur 1a tête, ils portent les couronnes d'or et de gemmes enlevés aux statues des Dieux; aux poignets et aux doigts, ils se mettent des bracelets et des bagues faits de l'or et des pierreries dont ils dépouillèrent les tombeaux; sur la poitrine, ils ont les colliers précieux arrachés aux femmes le jour du massacre et du pillage. Leurs faces hideuses de Barbares sont peintes; leurs corps de Barbares sont tatoués d'images érotiques. Quelque-uns dédaignent les saillons et les peaux de bêtes, se drapent, superbes, dans des laticlaves et des robes sacerdotales que froissent leurs armures de Barbares, leurs armes de barbares. Ils boivent dans les vases sacrés et les souillent de crachats ; ils mangent de la viande ignoble dans la vaisselle d'or du Saint-Collège. Ils se font servir et contenter la chair par des troupeaux de serfs agenouillés et de belles filles nues, — qu'ils violent avec d'immondes paroles. Lorsqu'ils sont ivres et repus, ils commandent à quelque gypsie égaré vers leurs bastilles de chanter les chansons grossières de leur pays ; ils lui donnent dérisoirement les entrailles des animaux impurs, pour y chercher les Lignes Augurales des Destins, et le jettent pieds et mains coupés dans les fossés de la citadelle. Parfois, tandis qu'on brûle devant eux l'encens des cassolettes, c'est leur plaisir d'éventrer les femmes prisonnières ou de torturer les esclaves pour se faire livrer de fabuleux trésors enfouis. Parfois encore, ils descendent en cohue vers la Ville et saccagent les maisons patriciennes et se réjouissent aux cris des agonisants et à la lueur des incendies, et dansent, en frappant leurs armes de Barbares, des danses lubriques et guerrières.
 Mais quand la plupart sont las et dorment, dans la fraîcheur nocturne, un sommeil de brutes assouvies, — vautrés demi-nus sur les lits consulaires et les draperies impériales et parés obscènement de tous les joyaux volés — on en voit aussi qui s'accoudent aux créneaux, le front lourd, et des hautes terrasses des palais et des temples, longuement, tristement, regardent au dehors, vers la plaine, — comme s'ils regardaient vers l'avenir menaçant de colère et de proches représailles.
 Là-bas, par delà l'ombre de la Ville, assoupie dans sa lâcheté complice — et tellement tombée, par l'amour de son négoce, quelle ne s'inquiète même plus de ses Maîtres légitimes, — là-bas, c'est le camp des Croisés, — là-bas guette la foule implacable et vengeresse de l'armée assiégeante. — Aussi loin qu'on peut découvrir s'étend une seconde ville, enserrant la Cité prostituée, une ville immense dont les feux s'espacent dans la nuit et la campagne, s'essaiment après les rivières et les bourgs, et garnissent jusqu'aux collines de l'horizon. — Et les Barbares écoutent, anxieux, dans le silence de l'heure, le hennissement des cavales et les cris de veille, de graves chants de psaumes apportés par le vent, et se demandent combien ils se sont levés d'hommes pour la tuerie ?
 Depuis que de méchants moines prêchèrent la lutte exterminatrice, des multitudes accoururent telles de mouvantes forêts de piques — dans la clameur des trompettes et le roulement des machines de guerre. Il vint des patrices vêtus d'or avec les légions prétoriennes et des cavaleries d'estradiots et d'argyraspides. Il vint des phalanges de lansquenets et de reitres, des cohortes étranges sous le haubergeon et le pavois, parmi des oriflammes et des icônes byzantines. Il vint des troupes de paysans, conduits par leurs prêtres, armés des corsesques et des framées qu'ils forgèrent des socs de leurs charrues ; de pauvres gens parlant des langues ignorées, qui combattent avec des épieux comme pour abattre les loups et ne se font reconnaître qu'à la croix rouge cousue sur leur tunique. Chaque jour il en arrive encore et par milliers, des plus lointains pays. — Et chaque jour de même les attaques se rapprochent. Hier ils ont pris et rasé les faubourgs. Demain ils prendront la Ville et la Citadelle. Malgré la poix et l'huile bouillante et les catapultes des remparts la ruée furieuse des assaillants bat les portes, qu'elle défonce à coups de bélier. Les pierres de ses balistes insultent les murs et font brèche dans les donjons. Les Barbares, qui essayèrent tant de sorties pour brûler les tours roulantes et détruire les machines du siège, comprennent maintenant qu'ils n'échapperont plus. Et voici qu'à l'aube du carnage, ils se rappellent les grands chevaliers de fer apparus jadis devant leurs fossés, si beaux dans la lumière frémissante aigrettant, — le vermeil de leurs écus et l'acier de leur morions! — Ils se rappellent les varlets, blasonnés de gueules, l'escorte des Barons et des Leudes dont les blancs plumails ondoyaient sur les cimiers des casques ; puis des hérauts, sur des palefrois caparaçonnés d'or, qui sonnèrent l'olifant et s'approchèrent en pompeuse ambassade, sous les bannières de trêve, pour réclamer le patrimoine de leurs suzerains. Et cependant que des hautes terrasses des palais et des temples, ils regardent, les Barbares, si tristement, là-bas, le camp des Croisés — l'immensité de la ville ennemie enserrant leur ville réduite, la foule implacable et vengeresse de l'armée assiégeante qui déjà s'agite dans la plaine et reprend les armes, ― ils se surprennent à répéter les paroles prophétiques d'alors, les paroles des grands chevaliers de fer, et le défi de leur bravoure et de leur jeunesse, ― qui entraîna la multitude à l'égorgement des derniers mercenaires, et tout à l'heure encore planera sur la citée dévastée, dans l'ironique splendeur de leur dernier soleil :
 — Nous sommes les Dieux en exil et les Rois sans royaumes; nous sommes les Despotes errants et les Pèlerins de la Foi; nous sommes les Princes du Saint-Empire que vous avez dépossédés! — Nous sommes ceux que vous croyez toujours des enfants, le cœur faible comme leurs pères, et qui se dressent et veulent vous chasser de leur territoire !
 Gardez-vous bien, les mauvais Béotarques et les pillards de Delphes, car nous avons de bonnes épées et des compagnons fidèles ! Avec nous marche tout le peuple des croyants. Il approche derrière le Labarum du Christ, sous la bénédiction des cardinaux et des archimandrites. Et quand il aura prié les saints et Madame la Vierge et que l'appel des clairons aura sonné sept fois dans le matin violet, il surgira la guisarme au poing, en des hourrahs de victoire, sur les remparts écroulés de vos bastilles maudites !
 Et vos corps décapités et sanglants, vos corps hideux de Barbares, vos corps tatoués d'images lubriques, il les fera piétiner par nos chevaux, il les traînera, déchiquetés par nos chiens sur les dalles et les mosaïques de la Ville sainte, sur le pavé reconquis de la Voie Triomphale, ― tandis que nos cortèges de pourpre monteront l'Acropole !...

Charles Merki.

 
TABLETTES
LE COLLOQUE SILENCIEUX
____

A Adolphe Retté.


 Mon Âme est une fleur singulière et sauvage que l'ami ni la femme ne purent convertir au climat genéral ; sa vertu d'indomptabilité tant est souveraine que les tentateurs de la convaincre s'en reviennent rayés comme verre. Les brèves fois qu'un gré de trêve la descend de sa roche farouche, l'Incurable se recroqueville et se fane au commerce explosible des Hommes, instinctivement ses pétales de sensitive serrent l'argenterie de ses pistils, — et je passe pour dérisoire ou fol.
 La Phrase Humaine m'épouvante.
 Le geste me semblant la carcasse suffisante de la pensée, j'aimerais vivre parmi ceux qui parlent seulement du geste, et mon désir serait aussi de les entendre, les yeux clos.
 Combien divin deux Sages prochement assis qui, lèvres agrafées, laisseraient leurs Âmes échanger des idées exotiques : perles vendangées dans les vagues du profond mystère, oiseaux rares cueillis sur les îles hautaines du rêve !
 Car sa Parole trahit l'homme ;oblique d'origine, dont l'hypocrisie frugale est lettre copieuse pour mes regards infinissables de Voyant. Le verbe m'arrive comme un solide serpent bleu, jaune, vert, rouge, noir, selon la caverne qui le prononce, et ce reptile je l'entends, je le sens, je le vois, j'en perçois la saveur et le volume ; à telles enseignes qu'une fréquente envie d'irritée révolte m'envahit, nonobstant le pratique savoir-vivre ; alors il me faut crucifier mon ire puérile sur ma clémence légendaire pour ne pas, sautant au col de la Parole, stranguler le serpent révélateur.
 Néanmoins je souffre la Parole des autres lorsque, négligé dans mon coin curieux, elle rampe vers le voisin, la massée, la foule ; en ce cas je la presque tolère et lui prête à la longue une couleur de dimanche, une peau de plaisance, un son d'aubaine, un goût puis un parfum prisables de fruit défendu.
 Cette extrême sensibilité fit de mon Âme une orpheline qui longtemps pleurera ses Illusions assassinées dans la forêt des Expériences, une orpheline dont la patrie chère est la Solitude : domaine vaste, ainsi que la Charité, commençant où ne sont pas les Hommes, cessant où je ne suis plus seul, et qui se manifeste sur la montagne, sur la mer, dans la plaine, hanté par les Choses miraculeuses dont j'aime la seule éloquence, les Choses qui se taisent pour mieux exprimer.
 Aussi, fuyant l'exil de Tout-le-monde, volontiers je retourne en la patrie d'élection : quotidienne promenade.
 D'habitude l'errant est solitaire, mais ce soir je me sentis moins léger, comme d'une présence invisible à mon bras appuyée.
 J'avais une Compagne présumable et je reconnus dans une certaine mesure, malgré ses facettes nombreuses, telle Revenante de mon propre Mémorial indiquant ensemble la Complice de ma jeunesse arlequine et les diverses bateleuses de ma nudité, — c'est-à-dire cette synthèse : la Femme.
 Seul à deux, parmi la Nature de laquelle essorait une vie réparable, nourricière, consolatrice, notre pensée s'arrêta mêmement sur ces tombes vivantes, les Choses...
 Or je parus dire à ma Compagne prismatique :

Songe à l'Exil
qui dort
son vierge sort
en ces tombes d'avril.
Ce halo qui transforme
de chacune
et nous parfume
est son désir
de ne gésir
plus
jamais plus
sous la borne importune
O rêve
— cause
de notre heure brève —
rêve
de la Chose !
Phénomènes ou fruits
sont adamantines sueurs
de ses nuits
sans lueurs.
Nous vivons de cet effort
d'un Mort
vers la Vie
qu'il envie ;
les Hommes
nous sommes
les chacals fervents
des cadavres vivants
dont sourd l'essentielle expression lointaine :
épis ou bien fontaine.

Mais
si jamais
le vœu prisonnier
parvenait au seuil printanier,
si jamais
la forme avare
émancipait son lazare,
la sève sans l'écorce
ou l'élixir hors la bouteille
nous crèverait de sa force
comme un clairon la proche oreille.

Alors, de par sa vie,
nous serions en la mort
comme, de par sa mort,
nous fûmes en la vie.

Car l'Isis captive
est une Idée
bridée
qui néantirait notre chétive
inanité
par l'essence de sa nudité
pensive
ou sous les fiers sabots de sa primitive
beauté.

***

De même,
O Vierge de Candeur,
O Vierge que l'on aime,
nous vivons pour les ors de ta pudeur
enfouis dans le missel de ta fraiche âme
et vivons par ces ors dont le rayon fragile
est une oriflamme
précieuse ainsi qu'une odeur
d'évangile.
Nous chérissons la Vierge en friche
aux regards ailés
de mélopée,
au désir riche
comme un jeune champ de premiers blés,
au verbe semblable à l'épée
d'une juste épopée.

Oui, l'on aime l'espoir
émané de la vierge enfantine :
larve de femme, vif cadavre à la peau d'aubépine ;
et cet espoir
nous montre heureux dans son miroir.

Cette vigile de la Femme
est la vie de notre àme,
nous chantons les joies de Son silence
et Sa naïve somnolence
met sur nos lèvres la rieuse opulence.

Car ce n'est pas encore vérité
la femme qui sommeille,
mais le miel sans le dard irrité
de l'abeille.

L'aube hélas passe,
vient le vêpre hargneux ou le joujou
nous casse ;
aussi la richesse de nos lèvres passe
et son bijou
s'exile sur le fleuve hagard
de notre regard.

Vagissant, telle un corbeau,
de son joli mystère en marbre de colombe,
l'exquise créature
apporta la torture,
la Femme étant sur l'horizon
l'inéluctable et seule trahison ;
vers la tombe
on entreprend dès lors la grise marche du lambeau.


 Au détour d'un olivier ma Compagne s'enfuit, me jetant dans l'oreille l'aigre brasier d'un rire inextinguible.
  (Domaine de Pierrefeu, avril)


Saint-Pol-Roux.

CONTES D’AU-DELÀ

A LA DÉRIVE


 Lucy, gardant en main la coupe de champagne où elle venait de mouiller ses lèvres rieuses, approuva vivement la proposition de Raymond Dutal.
 — « Oh oui, dit-elle, tournant la tête vers le manteau pers des eaux silencieuses, plissé seulement par le sillage lumineux des canots s'enfuyant, embarquons tout de suite, d'autant qu'on respire atrocement mal ici, avec cette chaleur étouffante. »
 Sur les tables desservies du restaurant, les lampes associaient à la blancheur moite des nappes leur tonalité chaude, orangée, qui se rehaussait d'or blond, de mauve ou de carmin, dans les verres mi-pleins demeurés là, avivaient de flambées luisantes la panse verdâtre des bouteilles. Tamisées de bistre, diffuses, plus épandues, toutes ces lumières tendaient à se confondre et se perdaient en une clarté imprécise qui vernissait les feuillages immobiles et luisants des marronniers. Des groupes se distinguaient où braisillait le rouge vif des cigares. A la pointe de l'île, un point se devinait, indiqué seulement par une voûte d'ombre.
 Un brouhaha de conversations tumultueuses bourdonnait confusément, parfois déchiré de rires féminins aigus, sonnant avec le timbre d'un cristal qui se brise.

____


 De la rivière brune monte comme un appel murmurant et plaintif qui coule le long du bord en un ruissellement continu. Confuses, multiples, presque insaisissables, des voix rayent le silence ouaté de brouillard ; voix fraîches, au ton sourd, voix mouillées de clapotis scintillants près des talus de cendre, près des roseaux, qui bruissent et résistent, dans une constante vibration, harmonieux, sonores, aux empressés assauts du courant; voix fantômatiques des brises molles, des brises tièdes, imprégnées des odorants secrets que leur confièrent les frissonnantes corolles épanouies, des brises sous lesquelles ondulent les feuillées de la berge, semblant un troupeau velouté de bêtes nerveuses et souples s'étirant.
 Aux rives, c'est le jeu des fumées pâles, glissant lentement sur la terre. Des brumes claires s'effilochent comme de très vieilles écharpes, soyeuses et frêles. Leur voile opaque se déchire aux buissons, qu'ils décorent de fictives toisons neigeuses. Plus loin, elles reculent à l'infini la perspective réelle, masquant les meules violettes, les prés dépouillés et nus, les arbres, d'une vapeur laiteuse qui se poudrerize de blanc mat, aux rayons lunaires.
 L'haleine embaumante des foins récemment coupés s'atténue au contact de cette obscure senteur, aux relents de marécage, mêlés du fade parfum des nymphéas et encore de l'odeur irritante des menthes sauvages, qui flotte sur l'eau, les soirs d'été.
 Étendue à l'arrière de la yole, la jeune femme distinguait à peine le visage du rameur. Du reste, ils parlaient peu, subissant tous deux la mystérieuse poésie du lourd décor de ténèbres.
 La fuite de la barque se perpétue, monotone, plaquant de rejaillissants éclairs métalliques sur le bitume de l'onde ; et de menus globules d'argent accompagnent la plongée régulière des rames.

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 Souvent ils prolongeaient ainsi leur charmante errance nocturne entre les rives connues, heureux de cet isolement intime, que berçait le flot rêveur, complice muet des songeries amoureuses.
 A Coups rythmés, Dutal nageait sans fatigue, imprimant à la légère embarcation une allure égale.
 Soudain, d'un mouvement brusque, Lucy pencha son buste en avant :
 — « Raymond, Raymond, fit-elle, avec une expression d'intense terreur, ne rame plus... là... devant nous... un gouffre noir... arrête...»
 Sa voix décelait une crainte atroce, la terreur vrillante d'un redoutable péril imminent.
 Comme le jeune homme, se retournant, n'apercevait que les contours familiers vus tant de fois, il crut, devant cette apostrophe dont il ne comprenait pas la raison, à une plaisanterie, et se mit à rire.
 — « Voyons, nous passons là tous les jours; il n'y a rien de changé! »
 Il reprit les avirons.
 Mais, avec un effrayant accent d'épouvante, un convulsif tremblement qui étranglait les mots dans sa gorge, haletante :
 — « Oh... je t'en prie!.. n'allons pas plus loin...je t’assure qu'il y a, tout près, des rochers... où nous allons... nous briser... ».
 Raymond, ne se doutant pas du poignant de cette émotion, ignorant qu'il est de ces états d'angoisse, sans cause extérieure, plus affreux peut-être que s'ils avaient leur source dans une réalité, tint cela pour une scène jouée, et, haussant les épaules lança l'esquif en avant.
 —« Tu es folle! »
 Étreinte alors d'une suppliciante oppression qui l'affolait, Lucy se précipita hors du bateau.
 ... La nuit était fort sombre : on ne retrouva le cadavre que le lendemain.

Gaston Danville.

THÉÂTRE LIBRE
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 Un ramage de jovialités, aujourd'hui fossiles, emplit la salle à manger de la maison Vauquer. On est aux prises avec des mets récalcitrants ; et le père Goriot, par vieille habitude de vermicellier soucieux de l'origine des farines, flaire son pain, quand mystérieusement Mme Vauquer l'appelle : lors les pensionnaires entrevoient passer derrière la porte vitrée une exquise personne, — sa maîtresse évidemment, car à qui fera-t-il croire que c'est là sa fille? Puis, entre Eugène de Rastignac, Goriot et ses deux filles (Anastasie de Restaud et Delphine de Nucingen), le roman se développe, Vautrin et Bianchon n'étant plus que des personnages épisodiques, la duchesse de Langeais, la vicomtesse de Beauséant et Mlle Taillefer étant absentes.
 Dominé par son pathologique amour paternel, Goriot se laisse dépouiller ; il déteste les maris de ses filles puisque celles-ci se plaignent de leurs maris ; et il est volontiers le complice de leurs amants : pourtant, économe, il trouve que le Maxime de Trailles d'Anastasie de Restaud est par trop un bourreau d'argent ; il aime bien tenir la chandelle, mais pas la bougie ; aussi adore-t-il le bon Eugène de Rastignac, l'amant de Delphine. De saignée en saignée, le voilà sans un sou : alors ses filles s'invectivent ; Delphine reproche Maxime à Anastasie ; Anastasie la censure du fait d'Eugène. Goriot n'a plus qu'à mourir, mais il ne s'y résigne qu'après tout un cinquième acte d'agonie, car il attend ses filles — qui ne viendront pas.
 Au III, la question des rapports financiers des deux amants est bien résolue, sans rigorisme.
Au IV, Anastasie a fait endosser par son père le billet qui doit payer une différence de Maxime, et Delphine dit : « Elle est revenue pour l'endos ». A l'entr'acte, d'Axa rectifiait judicieusement : « Elle est revenue pour le dos. »
 Cette pièce de M. Tabarant est une illustration, mais qui vaut mieux que celles dont les romans de Balzac s'étaient ponctués, de Bertall à M. Julien Le Blant, si, bien entendu, on excepte les H. D.

Willy.

LES LIVRES (1)
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 Lassitudes, par Louis Dumur (Perrin et Cie). —— Voir Page 328.
 Pierrot-Narcisse, par Albert Giraud (Lacomblez, Bruxelles). —— L'auteur de Pierrot Lunaire est revenu à son héros favori : l'homme pâle le hante. Et puisque, comme il le dit lui-même, c'est son sort

D'avoir Pierrot jusqu'à la mort.
A côté de lui, comme une ombre,

il nous donne, de par son destin et pour notre agrément, un nouvel avatar de ce caméléon prodigieux et inépuisable. La comédie de M. Albert Giraud est alerte, spirituelle, ingénieuse. La note n'en est peut-être pas très inédite ; nous avons déjà entendu, chez Banville et ailleurs, ce vers pétillant, sautillant, à rime éclaboussante, ces élégances trop artificielles, ces mousses de champagne : mais M. Giraud n'a point la prétention d'innover ; il se contente de jouer à son tour avec virtuosité d'un instrument charmant. Cela déjà suffirait à montrer le philosophe qu'est le poète de Pierrot-Narcisse. Il y a mieux : l'idée de son poème est d'une ravissante sagesse.

Ecoute : il est deux races 
Vieilles comme l'azur et comme la clarté :
L'une éprise de force et de réalité,
Belle, luxuriante; héroïque, ravie
Par la banalité splendide de la vie,
Et cette race-là c'est celle des heureux !
L'autre est la race des rêveurs, des songe-creux,
Et de ceux qui, nés sous le signe de Saturne,
Ont un lever d'étoile en leur coeur taciturne !
C'est la race farouche et douce des railleurs
Qui trainent par le monde un désir d'être ailleurs.
Et que tue à jamais chimérique envie
De vivre à pleine bouche et d'observer la vie,

 C'est la race de ceux dont les rêves blasés
 Se meurent du regret d'être réalisés !
 L'une est pleine de joie, et l'autre de rancune,
 L'une vient du soleil, et l'autre de la lune ;
 Et l'on fait mieux d'unir l'antilope au requin
 Que les fils de Pierrot aux filles d'Arlequin !
  Eliane, Cassandre, Arlequin et tous les autres personnages de la pièce sont de la première race ; Pierrot n'est pas fait pour eux, ils ne sont pas faits pour lui. Ce serait à désespérer de la vie, si, par une fortuite providence, Pierrot ne rencontrait pas son image dans une glace de Venise. Il reconnaît là le frère intime qu'il peut, qu'il doit seul aimer. M. Maurice Barrès sera content.

L. Dr.  


 Chansons pour Elle, par Paul Verlaine (Vanier). — Des vers de mirliton par un poète de génie.
  Tu bois, c'est hideux ! presque autant que moi.
  Je bois, c'est honteux, presque plus que toi.
 Telle est la dernière manière de l'auteur de Sagesse.


E. D.  


 Henry Pivert, par Fernand Clerget (L. Genonceaux). — Presque en même temps que les Tourmentes, un recueil de poésies non sans valeur, M. Clerget débute dans la prose par un roman à clés, « une fresque — déclare-t-il à Paul Verlaine dans sa dédicace — que vous connaissez bien, dont tout les personnages se sont gravés eux-mêmes sur les murs des temples vieillis dont ils sont les derniers pantins ». Or, il est indubitable que, malgré certaines qualités, ce livre est un mauvais début, le roman à clés, esthétiquement parlant, n'étant qu'une grosse erreur : l'écrivain, en effet, entre son désir de faire exact et la nécessité primordiale de créer des entités complètes, se trouve un peu dans la situation de l'âne de Buridan, d'où un grave préjudice pour l'œuvre. Je ne conteste point que Charles Demailli soit un livre très fort, même avec ses énormes défauts de composition, ses gibbosités monstrueuses du début — et peut-être à cause de cela ; mais je lui préfère Madame Gervaisais. D'ailleurs, pour m'en tenir à l'idée de l'œuvre : la gestation, l'évolution et l'impuissance du jeune décadent M. Pivert, placé dans le milieu que nous savons, les personnages manquent de relief, sans doute parce que l'auteur les explique trop, et la « fresque » apparaît dans un reculement brouillardeux. — Aussi bien serait-il injuste de condamner M. Fernand Clerget sur cet ouvrage où il a entassé ses observations de jeunesse ; c'est plutôt un essai « avant le premier mot, avoue-t-il dans sa lettre dédicace, que je dirai, sans doute un jour ».


A. V.  


 Lawn-Tennis, par Gabriel Mourey (Tresse et Stock). — Ne mireris, candide lector, si latiis urbis utar ut res referam quae uel potius diuinae Sapphonis linguam postulent : timeo enim ne apud typographum graecae litterae haud apte inueniantur. At saltem, cum uetera usurpem uocabula, Mercurium nostrum euoluentibus quaedam statim temporum subueni et imago quibus tenera feminarum labella nullis osculis interdicebantur et Pasiphaen urebat
  ……crudelis amor tauri……………………………
 Non tamen ad prodigiosos cum bestiis concubitus qui reginis tantum reseruantur mentem nostram sollicitat eximiae fabulae scriptor. Quotidianum guidem, prope est ut dicam uulgarem, amandi morem in scenam tradit et uirilis amplexus odium quod ad commune lectum et mutua gaudia nonnullas impellit puellas. Non autem ut Paulus Alexis, stolidissimus ille uir qui nomine tantum egregiae eclogae virgilianam uenustatem participat, sic fabulae personas e prostibulorum et lenonum faece hausit Moureius, sed ex ingenua gente ortas inter urbanorum sermonum lepores et amoeni horti floridas umbras inducit ; unde fit ut minus intelligam cur hi tam faceti tam fero euentu lusus claudantur et amica nuptae et praegnantis amicae spiritum rabidis manibus obstringat : hilarius enim euadit Aloisiae Sigeae Tribadicon et nemo non fateatur necesse est nulli magis perspicuos fuisse secretissimos muliebris animi recessus quam Nicolao Choriero, quippe qui prudentissimus fuerit magistratus et quem ob id ipsum ne intimus quidem uel infinius inter amatorios furores et errores fugerit. Ille etiam qui apud recentiores haud dubie huiusmodi élegantiarum arbiter exstitit non siuerit unquam libri sui limen ineptissima (nec mirum histrionali siguidem) epistola turpari.

P. Q.  


 Loth et ses Filles, par Paul Lacomblez (P. Lacomblez, Bruxelles). — « D'après la tradition arabe, l'une des filles de Loth s'appelait Radja, l'autre Zogar. — J'ai vainement interrogé M.  Ledrain sur le sens, allégorique de ces deux noms : Radja, Zogar. Comme je voulais faire un poème, tout simplement, sans prétention aucune à restitution plus ou moins exacte, j'ai passé outre, et j'ai essayé de suivre d'aussi près que possible l'interprétation courante de la Bible. » Ainsi parle l'auteur, qui, en effet, ne pèche point par hétérodoxie ; et c'est là, peut-être, son capital défaut, car les paraphrases du passage de Loth sont innombrables, et il semble qu'il ne soit plus permis de toucher à ce sujet que si, précisément, on en a une conception qui diffère de l'interprétation courante. M. Paul Lacomblez a d'ailleurs réussi ce qu'il voulait, et son poème a cette qualité assez rare aujourd'hui d'être bien composé. Toutefois, quelques vers vieillots et, par place, de véritables fléchissements. A signaler, scène II du troisième tableau le chant alterné de Radja et de Zogar, par quoi l'auteur a heureusement exprimé le moment difficile de l'histoire de Loth.

A. V.  

 Une honnête Femme, par Armand Charpentier (Perrin et Cie). — Livre d'une réelle valeur, et, si l'on ne peut être de l'avis de l'auteur sur certains points de droit commun, il faut louer très fort cette étude fine, remplie de détails d'une banalité voulue, absolument exquise. L'honnête femme est, selon Armand Charpentier, la créature saine de corps et d'esprit obéissant à des instincts normaux sans trop se préoccuper des préjugés de milieux. Hélène aura donc des amants parce que son mari est un imbécile, et elle ne cessera pas d'être honnête dans le sens strict du mot ; mais quel arc-en-ciel de nuances psychologiques fait rayonner l'auteur avant d'en arriver à fixer définitivement la figure de cette femme sur bleu pur !… Et que de revendications terribles ! Droit à l'amour, et, naturellement, droit à l'erreur en amour, droit au choix de l'amant, et droit aussi à la multiplicité des amants ! Cela finit par mener loin, tout en demeurant très logiquement déduit. Armand Charpentier dit: thèse sociale. Ne faudrait-il pas dire plutôt : bouleversement complet du monde ? Et puis cette Hélène, qui est si jolie, si musicienne, si gracieuse et si dévouée, fera-t-elle excuser les autres honnêtes femmes laides, point sentimentales et diablement intéressées ? Mais une femme laide, c'est, quoi qu'elle puisse faire, toujours une malhonnête femme, n'est-ce pas ?…

***  


 Reliquaire, Poésies, par Arthur Rimbaud, préface de Rodolphe Darzens (L. Genonceaux).— Jean-Nicolas-Arthur Rimbaud est né à Charleville le 20 octobre 1854, et, dès l'âge le plus tendre, il se manifesta tel que le plus insupportable voyou. Son bref séjour à Paris fut en 1870-71. Il suivit Verlaine en Angleterre, puis en Belgique. Après le petit malentendu qui les sépara, Rimbaud courut le monde, fit les métiers les plus divers, soldat dans l'armée hollandaise, contrôleur, à Stockholm, du cirque Loisset, entrepreneur dans l'île de Chypre, etc. Il serait actuellement à Harar, cap de Guardafui, en Afrique, où un ami de M. Vittorio Pica l'aurait vu, se livrant au commerce des peaux. — Il est probable que, méprisant tout ce qui n'est pas la jouissance brutale, l'aventure sauvage, la vie violente, ce poète, singulier entre tous, a renoncé à la poésie. Aucune des pièces authentiques du présent volume ne semble plus récente que 1873. Les vers de son extrême jeunesse sont faibles mais dès l'âge de dix-sept ans Rimbaud avait conquis l'originalité, et son œuvre demeurera, tout au moins à titre de phénomène. Sa parenté d'esprit avec Corbière et Laforgue est évidente, et la priorité du vers nouveau, libre et désarticulé à l'excès, lui appartient. Il est souvent obscur et plus que bizarre. De sincérité nulle, caractère de femme, de fille, nativement méchant et même féroce, Rimbaud a cette sorte de talent qui intéresse, sans plaire. Il y a dans le volume plusieurs pièces qui donnent un peu l'impression de beauté que l'on pourrait ressentir devant un crapaud congrûment pustuleux, une belle syphilis

ou le Château Rouge à onze heures du soir. Les Pauvres à l'église, les Premières Communions sont d'une qualité peu commune d'infamie et de blasphème. Les Assis et le Bateau ivre, voila l'excellent Rimbaud, et je ne déteste ni Oraison du soir ni les Chercheuses de poux. — J'attends de quelqu'un qui sympathise plus que moi avec ce précoce énergumène une étude, et de son esthétique, et de sa psychologie. La Préface ne donne rien de tel ; on peut même dire que, hormis quelques renseignements précis noyés dans 28 pages de la prose la plus pitoyable, la plus lâchée et la plus ennuyeuse, elle ne donne rien du tout. L'auteur s'est tire de sa tâche en déclarant son mépris pour la Critique littéraire: ce sentiment ne devrait être permis qu'à ceux qui sont capables d'en faire.

R. G.

  

 Les Sept Princesses, par Maurice Maeterlinck (Bruxelles, Paul Lacomblez). — Quelques jours avant que paraissent les Sept Princesses, un ingénieux chroniqueur, qui signe Saint-Charles au Figaro, y donna indiscrètement une analyse du drame nouveau ; il s'en gaussait avec l'aimable ironie des hommes bien élevés qui ne veulent point être dupes, et en différentes occasions se demandait, selon la guise de M.  Sarcey : « Pourquoi font-ils cela ? Pourquoi disent-ils cela ? Je crois bien que l'auteur se moque de nous. Enfin ! il y aura des gens qui feront semblant de comprendre. » Comme si jamais quelqu'un (sauf peut-être feu M. Scribe ou feu M. A.Thiers) avait su pourquoi qui que ce soit fait quoi que ce soit : il nous amuse d'attribuer aux événements des motifs sérieux et raisonnables, et par une économie spirituelle quasi-fatale nous mettons volontiers de l'ordre dans la succession des images, des sensations et des idées que semble nous suggérer le spectacle du monde, et nous tenons bourgeoisement les comptes de notre vie mentale. Nous ne nous sentons plus de joie quand les poètes (et j'entends ici ceux qui créent des œuvres d'art soit phoniques, soit plastiques) organisent harmonieusement le chaos des choses pour notre plaisir ; et peut-être, après tout, cet égoïsme intellectuel est-il légitime. J'admets que ce jour un peu artificiel charme le plus grand nombre : encore n'est-il que d'une stricte justice d'admettre aussi que d'autres, comme Maeterlinck, expriment de préférence les ténèbres de l'âme, parce qu'ils sont descendus, hagards et effarés, dans les limbes merveilleuses de l'inconscience.
 C'est une histoire étrange et simple que celle des Sept Princesses : On dirait d'une chanson populaire dialoguée et mise en action ou de quelque conte aussi vieux que la terre, comme en recueillirent les frères Grimm. Quand, sur le grand vaisseau de guerre, le prince revient des Iles inconnues vers le grand-père et la mère-grand, derrière les vitrages, dans une salle où il ne pénétrera qu'en soulevant une pierre funèbre, les Sept Princesses dorment leur sommeil de fantômes, et parmi elles il y en a une qui ne s'éveillera plus,

celle qui sans doute fut sa fiancée. Les trois personnages du drame qui ne sont pas silencieux, le Prince, le vieux Roi, la vieille Reine, parlent une langue qui est encore du silence, enfantine et sénile, langue des êtres qui viennent de naître et des êtres qui vont mourir, en petites phrases courtes et haletantes, souvent répétées et qui obsèdent ; et l'impression s'aggrave par les gestes de stupeur et d'anxiété, agrandis encore dans cette brume surnaturelle. Mais, au reste, on se raconte point la terreur, on la subit, et il serait aussi vain de vouloir rendre avec des mots l'effet d'un tel drame que l'inexplicable et impérieuse épouvante des bois nocturnes.

P. Q.  

 La Peine de l'Esprit, par Maurice Pottecher (Fischbacher). - Or, Franz cultiva la Science et tourna son âme vers la Sagesse ; il désira la Femme-Esprit sur la foi des vieux bouquins ; et les vieux bouquins ne le trompèrent pas ; la Femme-Esprit vint ; elle apparut, Eve de Miracle, élémental jusqu'alors captif dans un bouquet de roses pourpres ; et Franz l'adora ; ils passaient leur temps à causer métaphysique. Elle lui parlait dans la manière d'Allan Kardec et de P. Sinnet qui écrivit le Bouddhisme ésotérique ; et comme ceci se passait dans une petite ville d'Allemagne, les gens prirent Franz pour un sorcier. Alors, elle l'emmena prêcher la sainte doctrine devant les Académies et les corps savants, - sans doute de France et de Navarre  - et les Académies voulurent lui faire donner des douches. Elle l'emmena encore dans le ciel, parmi les sphères roulant au travers de l'immensité sidérale, en chantant de la prose de Camille Flammarion. Et pendant ce temps la mère de Franz mourut. Quand il revint, la maison était vide, le foyer éteint ; il se laissa conduire au cabaret, le soir de Noël, et voulut se consoler un tantinet dans la Vie. Mais la Femme-Esprit apparut une dernière fois, se matérialisa, rayonnante de beauté, nue et le visage voilé aux yeux de tous, et le fit mourir, pour avoir préféré, une minute, la réalité douce et tiède de la chair et les baisers d'une petite fille à des promesses de joies supra-humaine !…
 Telle est à peu près l'histoire que nous conte M.  Pottecher sur des thèmes chers aux Kabbalistes. Et, en somme, on aurait tort de rire. Par ses tendances philosophiques, l'idée si curieuse qu'il recèle, je trouve véritablement ce poème très bien. C'est si rare de rencontrer un livre qui ne soit pas le livre de tout le monde. Peut-être y voudrait-on davantage de littérature et la forme dialoguée ne convenait pas absolument ; elle fait penser aux scènes magistrales du Faust et d'Axel ; certains passages donnent même l'artifice de quelque traduction maladroite ; mais il y a nombre de couplets remarquables ; au tribunal de la Science officielle, le réquisitoire du psycho-physiologiste est d'une ironie haute et que Villiers de l'Isle-Adam, je crois, n'eût point dédaignée. - C'est ce qu'on en peut dire de moins banal.

C. Mki.  

  Les Cabots, par Oscar Méténier (Charpentier). — Des nouvelles sans prétention, mais bien drôles dans leur concision de rapport policier. On dirait, ces calots, des squelettes de bons bourgeois qui attendent un vêtement neuf ou un suaire propre pour se décider à entrer en danse. Quand Méténier va comme ça tout droit, très vite, et casse de ci de là une ficelle en chemin, il obtient de curieux effets de sobriété. A citer le Mari d'Agnès, la Pipe, In extremis et aussi Décadence... pour ne pas en perdre l'habitude... Puis cette très jolie phrase (il s'agit de deux amants en présence d'un mari moribond) « ...Ils cessèrent de s'aimer de par un sentiment semblable à celui qu'éprouveraient des gens de cœur à la pensée de laisser seul à la maison un aveugle pour aller au feu d'artifice... » Je donnerais bien des volumes en échange de cette unique phrase.

***  

 Journal des Destrée, Mémoires de la vie littéraire, par Jules Destrée (Bruxelles, Lacomblez). — La dédicace : A mon frère Georges, et l'épigraphe : A l'instar de Paris (Vieilles enseignes), indiquent suffisamment l'intention de parodie. C'est ce livret, une légère, très légère raillerie à l'adresse de M. de Goncourt, comme pour dire : Ce que nous avons noté dans notre journal n'est pas d'un bien haut intérêt, mais c'est toujours aussi intéressant que ce que vous avez noté dans le vôtre, et le nôtre a cet avantage d'être complet en 40 pages. On en lirait volontiers plus long, car M. Destrée a de l'esprit et du style. Exemples : « 5 janvier. — Un monsieur proférait l'autre jour : Mon écrivain préféré, c'est Maxime de la Rochefoucauld. » — « 27 mai.— (Après la description d'une très vieille maison, où demeure une jeune fille « passionnée de toutes les nouveautés et de toutes les recherches modernes », ces deux lignes) : « Faire avec cette donnée une nouvelle de l'accent des Diaboliques de Barbey d'Aurevilly, mais plus belle. »

R.G.  


 Épisodes, Sites et Sonnets, par Henri de Regnier (Nouvelle édition, Léon Vanier).—— Il convenait certes de rééditer les Épisodes et les Sites, vieux de trois et de cinq ans, et où H. de Régnier, fidèle encore à l'alexandrin, affirmait superbement l'art de somptuosité mélancolique qui lui est personnel. Par une largesse qu'il faut louer, aux pièces déjà publiées dans ces deux volumes aujourd'hui introuvables, le poète a joint dix-sept sonnets à peu près contemporains. J'extrais de la partie inédite quatorze vers attristés comme un crépuscule, en avertissant M. Anatole France que, malgré l'absence du mot or, ce poème n'est point apocryphe :
 Les lourds-couchants d'été succombent fleur à fleur,
 Et vers le fleuve grave et lent comme une année
 Choit l'ombre sans oiseaux de la forêt fanée,
 Et la lune est à peine un masque de pâleur.


 Le vieil espoir d'aimer s'efface fleur à fleur,
 Et nous voici déjà plus tristes d'une année,
 Ombres lasses d'aller par la forêt fanée
 Où l'un-à l'autre-fut un songe de pâleur

 Pour avoir vu l'été mourir et comme lui
 Lourds du regret des soirs où notre amour à lui
 En prestiges de fleurs, d'étoiles et de fleuves,

 Nous voilà miroirs d'un même songe-pâli,
 Emporter le regret d'être des âmes veuves
 Que rend douces l'une à l'autre le double-oubli.

P. Q.  


 Sociétaire (Mœurs de théâtre), par Paul Dollfus (Savine). ― Volume des plus gais, où l'observation joue le plus grand rôle ; livre absolument vécu et, par endroits, très vrai. C'est l'histoire d'une femme amoureuse, non pas positivement de son art, mais bien de la gloire qu'il procure. Elle a débuté modestement aux Variétés dans un rôle à maillot, puis, de là, — et certes il y a du chemin — à l'Odéon ; du second Théâtre Français, elle passe à la Comédie où, quelques mois après son entrée, elle devient sociétaire. Le roman — si roman il y a — en lui-même n'existe pour ainsi dire pas ; ce sont les silhouettes que M. Paul Dollfus fait s'agiter devant nous qui sont le fond de l'ouvrage ; les personnages sont tous pris sur le vif et, sous des noms spirituels, pour la plupart sont très reconnaissables. Au total, livre écrit le plus gaiment du monde et avec beaucoup de bonhomie.

P.F.  


 L’Intruse, par Eugène Faivre (Savine). ― Singulière idée que d'avoir mis sur un roman un peu quelconque le titre du chef-d'œuvre de Maeterlinck ! On trouve du reste de tout dans l'Intruse, la trame du Possédé, de Camille Lemonnier, et la manière naturaliste, des expressions chères à M. Paul Alexis, et aussi le sentimentalisme descriptif, plus le fameux poison employé si souvent par les feuilletonistes à court de dénouement rapide, j'ai nommé le curare. Le style n'est certes pas banal, car il étincelle de comparaisons extraordinaires : « Le désir chez une fille honnête est comme le duvet de la reine-claude... etc... etc... » En somme, bon livre pour cabinet de lecture de quartier populeux.

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  Aux Bords du Lez, par Lydie de Ricard (Lemerre). — M. Xavier de Ricard a réuni dans ce volume des proses et des vers de Mme de Ricard et les fait précéder de quelques pages dolentes et pieuses sur « la chère inoubliable morte » et le mouvement félibréen. ― Je n'ai, pour ma part, aucune tendresse pour les félibres ; j'éprouve ainsi un vif plaisir à écrire tout le bien que je pense de ces poèmes de soleil, rêvés dans la joie de la nature méridionale, mélancoliques souvent, d'une grâce mignarde toujours et si féminine. Mme de Ricard avait subi le charme des choses et des êtres du Languedoc ; elle les voyait avec une âme de femme songeuse et maladive, et se grisait dans la frissonnante lumière des paysages; les pièces de ce recueil en gardent une délicieuse allure, une douceur musicale de vocables affétés, et fleurant un étrange et capiteux parfum de là-bas. — Peut-être faut-il mettre à part, cependant, de petites machinettes en patois et des traductions de troubadours ; c'est si peu de la littérature !...

C. Mki.  


 Sainte-Rosalie-aux-Bois, par Ouida (Perrin et Cie). — Œuvre beaucoup trop ornée de tirades sur l'économie politique du peuple italien. Je doute fort qu'un Français, né malin, puisse s'intéresser tant que cela au gouvernement intime de la Péninsule. Un garde champêtre tue deux chiens dans un village où fleurit l'oranger, et de ces deux crimes découlent les plus épouvantables événements. Tout le monde va en prison ; la jeune héroine, si belle, si chaste, si touchante, finit par mourir après des couches très difficiles ; Carmélo, le jeune homme intéressant, devient presque socialiste et montre le poing à un gendarme ; les vieux parents, si respectables, se sentent devenir fous ; tous les chiens sont mis cruellement à l'attache. Livre écrit avec une grande conscience et les plus plus généreux instincts.

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 Féfée, par Jules Hoche (Savine). - Pourquoi romanesque ? Il semble que tout cela peut bien arriver, surtout l'égoïsme à triple détente du héros !… Livre émaillé de jolies refléxions, comme une prairie de laine frisée verte l'est de fleurs artificielles chez certaines vieilles filles. Mais rien n'est mieux aujourd'hui que l'artificiel, tant le vrai nous apparait désormais faux avec son convenu classique. Citons l'auteur : « Et c'est pourquoi la vie humaine me parait une invention diabolique à laquelle tout est préférable ― hormis la mort. ».

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 La Pieuvre, par Sophie Harley (Ferreyrol}. ― Mieux écrit que Salane et plus doux, le second roman de Madame Sophie Harley. Des aperçus drôles sur la vie des filles galantes, un type d'institutrice laide et débauchée assez amusant, de jolis paysages bien rendus, nous indiqueraient que l'auteur, se dégageant de certaines préoccupations d'effets brutaux, saurait spiritualiser son style jusqu'au pur sensualisme littéraire, ce dont il convient de le féliciter. Somme toute, ce que les jeunes romanciers encombrants peuvent reprocher à Madame Sophie Harley la nouvelle venue, ne serait-ce point de savoir faire aussi bien ce qu'ils font aussi mal?

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  René Pierson, par Henri Monet (Savine). — Un roman dans la manière d'Alexandre Dumas père, quand il faisait faire un livre à un de ses élèves. Œuvre bien amusante, en ce sens que l'auteur attribue le fameux krach du cuivre à un bandit sorti du bagne et devenu financier. Nous nous en doutions.

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 La Maitresse adjointe par Georges Aragon (Savine).― Imaginez un feuilleton de Montépin dont tous les héros, même les enfants, seraient atteints de satyriasis. Cas d'érotomanie littéraire vraiment très curieux à observer.

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 La dernière « réimpression » de M. Émile Zola, par Émile Redard (Genève, Imp. centrale). — A l'Institut National, on a du temps de reste ; on y discute le plus sérieusement du monde l'intérêt littéraire de quelques feuilletons, tel le Vœu d'une morte, que M. Émile Zola, dans sa mansuétude, voulut bien rendre au public pour qu'il puisse juger (!) entre sa vieille écriture et sa nouvelle. Avec l'emportement d'une sainte indignation, M. Redard va jusqu'à qualifier d'irrévérencieux le silence non ! par la critique sur d'aussi cruelles niaiseries ; et vraiment cette ardeur nous surprend et nouss peine ; un Zola de plus ou de moins, allez, M. Redard, il n'y a pas de quoi crier ; voici beau temps que le bonhomme n'est plus qu'un fabricant ; ses livres ne sont guère qu'articles de librairie ; et quelque pitié nous viendrait, même, de vous voir dépenser de la belle encre et du beau papier à seule fin de prouver qu'il retape ses œuvres juvéniles, si nous ne soupçonnions pas derrière vos grands gestes une bonne grosse fumisterie de Suisse et d'académicien. — Enfin, sans rancune, voulez-vous? Et brûlons du sucre.....

C. Mki.  


 Roi de théâtre, par Georges du Vallon (Savine). ― Œuvre très morale, mais l'alliance franco-russe devient bien encombrante, littérairement parlant.

Z.  


  Nos frontières de l'Est, par G. Démassue (Vesoul, J. Moiteret). — Considérations géologiques et stratégiques, détails sur les fortifications élevées de Dunkerque au Jura. L'intérêt de cet opuscule n'échappera point quand nous aurons dit que l'auteur a pleine confiance et qu'il démontre en ses quarante-cinq pages que tout est prêt pour le massacre.― Ces choses-là vous mettent « du baume dans le cœur » ; mais y allons-nous une bonne fois ? Pour plus de renseignements, consulter Le Joujou patriotisme (Mercure de France, avril 1891) ; — M. de Gourmont a parlé pour nous tous.

C. Mki  


 Fleurs de Caprices, par Henri Fuzeré (Vanier).— Le petit recueil affriolant que vous pensez. M. Fuzeré — qui fera certainement mieux un de ces jours — nous parle de son cœur et de ses maîtresses (oh ! ces jeunes gens !) ; il dit du bien de la nature et de la Parisienne, (puis dans mon cœur te sacrant ma déesse ; j'en eusse fait, je crois, ma reine, ma sultane ; de sa beauté j'ai dû subir la loi). De ci, de là, des cheveux blonds, une matinée d'hiver, la valse des baisers, des fleurs dedans Paris écloses, le Sultan excité, les premiers feux du jour; le papillon fantastique et volage, loin de la terre est leur séjour, etc...
 Celui qui n'a jamais commis de méchants vers lui jettera le premier trognon; passons l'éponge en pardonnant à l'auteur qui n'a pas eu le courage de l'auto-da-fé, — et citons seulement cette strophe polissonne :

Et dans sa course vagabonde
Un caprice fou me fit voir
L'amour dans un très grand œil noir
Encadré de chair rose et blonde.

 M. Fuzeré a beau nous dire qu'il a la lune triste, ces choses-là, habituellement, se mettent en latin.

C. Mki.


 (1) Aux prochaines livraisons : Un Volontaire de 1892 (Jean Lombard) ; Vitraux (Laurent Tailhade) ; L'Aube Russe (Pouchkine, trad. par B. Tseytline et E. Jaubert) ; Les Ventres (Paul Pourot) ; Thulé des Brumes (Adolphe Retté) ; Les Trains-éperons (Paul Masson) ; « Bonne-Dame » (Edouard Estaunié) ; Pour la Gloire (Hippolyte Buffenoir) ; Sanglots d'extase (Michel Abadie) ; Premiers Poèmes (George Suzanne) ; L'Elite (Paul Radiot) ; L'Action et le Rêve (Georges Servières) ; Apôtre (Louis-Gastyne) ; Autour du Mystère (Gaston Dujarric) ; A la bonne franquette (Gabriel Vicaire) ; Le Voyageur enchanté (Nicolas Lieskoff, traduit par. M. Victor Derely) ; et les livres annoncés déjà.
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CHOSES D'ART

 Le nouveau directeur des Beaux-Arts, M. Roujon, a été salué par la presse de bénédictions anticipées qu'il justifiera, — nous le savons. Et même, il nous est possible, dès aujourd'hui, de dévoiler une partie du plan de ce fonctionnaire — enfin ! — rigoureusement révolutionnaire. Dans le courant du mois de janvier, vers le 15 (si nous sommes bien informé), une large bande de toile apparaîtra au fronton du provisoire palais où sont logées — en garni — les ironiques gloires de l'art moderne (école française, avec garantie du gouvernement), et sur cette toile les passants, les visiteurs et même, s'ils savent encore épeler, les sénateurs, pourront lire, avec quelle joie ! ces mots : Fin de Bail. — Liquidation. — Rabais ! — Rabais!! — Rabais !!!
 La vente aura lieu sur les lieux mêmes, sous la direction de Me Escribe, commissaire-priseur (nous sommes précis) et avec le concours des plus éminents experts ; M. Larroumet a accepté, avec un dévouement dont l'art lui saura gré, les délicates fonctions d'aboyeur.
 Avant les enchères publiques, quelques acquisitions, seront faites à l'amiable. Ainsi nous croyons pouvoir affirmer que le Hure Museum de Chicago s'assurera la possession du Meissonier Napoléon III à Solférino. D'autre part, la ménagerie Pezon a fait des offres sérieuses pour l’Âge de pierre de M. Cormon et le Cirque Corvi pour les vainqueurs de Salamine, du même. Nous croyons également que la brasserie de la dernière Cigarette (patriotisme et galanterie) ne laissera pas échapper le Rêve de M. Detaille.
 Quant aux statues, dont la vente serait difficile et de nature peut-être à déprécier le prix du mètre cube de marbre, M. Roujon a spirituellement décidé qu'elles seraient réparties

avec intelligence dans les sites les plus pittoresques de la forêt de Fontainebleau.
 Seules une dizaine de toiles (Manet, Puvis, G. Moreau, Ribot, etc.) et quelques marbres (les Rodin, etc.) seront conservés et formeront le noyau du nouveau musée, qui sera immédiatement constitué avec le produit de la vente. M. Roujon compte acquérir (c'est même déjà fait, — conditionnellement) les œuvres principales de : Manet, Puvis de Chavannes, Rodin, Gustave Moreau, Whistler, Carrière, Gauguin, Odilon Redon, Degas, Cézanne, Claude Monet, Monticelli, Van Gogh, Pissaro, Sisley, Renoir, Félicien Rops, Forain, Chéret, Raffaëlli, Rodin, Baffier, Henry Cros, Seurat, enfin de tous les peintres et sculpteurs modernes ayant du talent, de la personnalité, et même (voyez quelle audacieuse innovation !) du génie. Quelques coins pas trop éloignés des cimaises seraient, en outre, dans les salles du nouveau musée, réservés à des artistes plus jeunes, dont les intéressants essais auraient, assure-t-on, enthousiasmé M. Roujon, et le catalogue porterait les noms d'Henry de Groux, Anquetin, Lautrec, Seruzier, Bernard, Bonnard, Luce, Ranson, Denis, Vuillard, Schuffnecker, Filiger, etc.
 Enfin ! nous pourrons donc bientôt nous promener sans nausée dans les salles du Luxembourg, y admirer les vrais maîtres d'aujourd'hui et de demain ! Remercions et félicitons M. Roujon. C'est peut-être pour une œuvre pareille, pour le nettoyage d'un pareil musée, que les grecs ont inventé le mythe d'Hercule travaillant dans les écuries d'Augias.

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 Une indiscrétion. Le peintre Henry de Groux travaille en ce moment à un tableau intitulé les Vendanges, dont il nous a été donné de voir l'esquisse : c'est l'Octobre d'un peuple. Les raisins sont bons à cueillir. Les idées que des maîtres stupides ont cultivées dans l'âme de la plèbe sont mûres. Il n'y a plus de Dieu. Il n'y a plus de foi. Il n'y a plus de chimères. Il n'y a plus de devoir ni d'idéal. Jouir, voilà tout. Alors la plèbe a voulu jouir, et elle s'est ruée sur les maîtres d'hier, sur les maîtres stupides, avec des hurlements de massacre, et ce sont les vendanges, les rouges vendanges, et, de ses pieds triomphants, elle foule, elle piétine les bonnes grappes humaines, buvant à plein cou, se saoûlant du sang-doux qui en coule. Mais voilà qu'en cette sauvage tuerie a commencé de serpenter une procession sinistre dont les bannières sont des potences, où se balancent avec d'immondes animaux qui les symbolisent les cadavres des abhorrés tyrans de la veille... En février, nous a-t-on dit, sera parachevée cette sanglante tragédie.

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 A voir :

Chez Boussod et Valadon : Le Portrait de ma mère, de Whistler. On connaît ce chef-d'œuvre, qui fut exposé dans je

ne sais quel salon d'hier. C'est peut-être le plus beau portrait qui [fu]t jamais peint depuis Velasquez et le Titien. On devrait, malgré toute loi et tout règlement, accrocher immédiatement une toile comme celle-là dans le salon carré du Louvre, à côté de l'Infante Marguerite. Aura-t-on même esprit de la faire entrer au Luxembourg ?!!!...
 Sur les murs : les affiches de Scaramouche et du Casino de Paris, par Chéret.
 Chez Diot : ( rue Laffitte, 43) une superbe peinture de Daumier.

G.-A. A.


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ÉCHOS DIVERS ET COMMUNICATIONS

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 M. Laurent Tailhade vient de faire paraître chez Léon Vanier, en édition de luxe, quinze poèmes extraits de : Sur champs d'or, volume en préparation, et qu'il a réunis sous ce titre : Vitraux. — Tirage à 500 exemplaires numérotés, sur papier de Hollande. — Nous reparlerons de ce livre dans notre prochaine livraison.

 M. Remy de Gourmont achève un roman : Le Fantôme, qui paraîtra en librairie au printemps.

 La Bibliothèque Artistique et Littéraire (31, rue Bonaparte) publie le septième ouvrage de sa jolie collection : Thulé des Brumes, légende moderne en prose, par M. Adolphe Retté. — Tirage à 312 exemplaires numérotés, dont 12 sur Japon, à 20 fr., et 300 sur simili-Japon, à 3 fr. Chaque volume contient le portrait à l'eau-forte de l'auteur, par Meyer. - Le prochain livre qu'éditera la Bibliothèque Artistique et Littéraire est de notre collaborateur Edouard Dubus : Quand les Violons sont partis.

 M. Jules Renard, l'original humoriste des Sourires pincés, corrige les épreuves d'un roman : L'Ecornifleur, qui va paraître à la librairie P. Ollendoff.

 Le Magazine Français Illustré prépare un remarquable numéro de Noël, qui contiendra, outre les illustrations ordinaires, huit gravures inédites en couleurs signées Duetz, J-P. Laurens, Olivier Merson, de Penne, Popelin, Rochegrosse, etc., et des articles également inédits de Jules Claretie, marquis de Cherville, François Coppée, Camille Debans, Charles Diguet, Anatole France, Judith Gautier, Gyp, Napoléon Ney, Edouard Plauchut, Rabusson, Armand Silvestre, André Theuriet, etc.; poésie avec musique de Mme Augusta Holmès. - Ce numéro, donné en prime aux abonnés, sera envoyé franco contre 2 fr. en timbres-poste adressés au Directeur du Magazine Français Illustré, 45, rue Laffitte.  Salle Duprez, le 9 novembre, au cours d'une soirée artistique, l'inoubliable créatrice au Théâtre Libre de la Fille Elisa, la toute charmante Eugénie Nau, a rnerveilleusment interprété le Pélerinage de Sainte-Anne, de notre collaborateur Saint-Pol-Roux. — Enregistrons ce lever d'étoile « magnifique ».

 De la Bataille Littéraire : — « Le poète Louis Le Cardonnel, fixé à Paris depuis quelques semaines, prépare pour bientôt un volume de vers. »

 Dans l'Ermitage de novembre, remarquable article de M. Adolphe Retté : Considérations sentimentales à propos de « Sixtine. »

 Le Théâtre d'Art annonce pour le 7 décembre sa première représentation de la saison. Au programme : Les Aveugles, de M. Maurice Maeterlinck ; un intermède ; Théodat, un acte en prose de M. Remy de Gourmont ; Le Concile Féerique, de Jules Laforgue ; Le Cantique des cantiques, adaptation de M. P.- N. Roinard et de Mme F. de Labrély.

 Voici reparaître la Revue Blanche (19 rue des Martyrs. - Un an : 7 fr.; le n° : 60 cent.), avec M. Alexandre Natanson pour Directeur, et au Secrétariat de la Rédaction M. Lucien Muhlfeld. Cette nouvelle série, format in 8° carré, 61 pages, se présente le mieux du monde, aussi bien au point de vue littéraire qu'à celui de la typographie. Nous parlerons bientôt plus longuement de cette intéressante publication sous notre rubrique Journaux et Revues, supprimée du présent numéro.

 Nous ne pouvons également que signaler aujourd'hui la naissance, en Belgique, d'un nouveau périodique dirigé par M. Franz Foulon, la Revue Flamande de Littérature et d'Art (in-8° Jésus, typ . très soignée. — Editeur : J.-B. Schaumans, rue Dethy, 74, Bruxelles. — Un an : 16 fr ; le n° 1 fr. 50).

 Le Passant, de Marseille, a transformé son format et son mode de publication : il paraît maintenant avec des illustrations et dans le format des journaux illustrés, sous une couverture de couleur. Le premier numéro transformé s'ouvre par — signée Maurice Barrès — une Lettre au Passant, sur la tâche qu'il a entreprise.

 Par contre, les Echos de l'Anjou, jusqu'à présent l'une des plus vivantes revues littéraires départementales, deviennent un journal hebdomadaire (le n° 5 cent).

 Nous rappelons qu'à partir de notre prochain numéro le Mercure de France paraîtra en livraisons de 96 pages ; il formera dans l'année trois volumes d'environ 400 pages chacun. Les prix seront ainsi modifiés : la livraison : 1 fr. — abonnements : France : un an : 12 fr., six mois. 7 fr.; — Union : un an : 14 fr.; six mois : 8 fr. — Ceux de nos souscripteurs qui renouvelleront leur abonnement avant le 20 décembre bénéficieront de l'ancien tarif.

PETITE TRIBUNE DES COLLECTIONNEURS

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 on achèterait:
Maurice Barrès : Une heure chez M. Renan (éd. or. br.)
Villiers de l'Isle Adam: Morgane. — Elen. — L'Amour suprème. — Premières Poésies (éd. or. br. prop. et sans dédic.)
Jules Laforgue : Derniers vers (in-4° br.)
Tristan Corbière : Les Amours Jaunes (éd. or. br.)
Adoré Floupette : Les Déliquescences, av. préf. (br.)
J.-K. Huysmans : A Rebours (éd. or. Holl. ou Jap. br.) — Croquis Parisiens, av. eaux-fortes de Forain (éd. or. br.) — Le Drageoir à Epices (éd. or. br.)
A. Bertrand : Gaspard de la nuit, front. de F. Rops.
F. Vielé-Griffin : Les Cygnes (éd. or. br. s. déd.)
Paul Verlaine : Sagesse (éd. or. br. s. déd.)
Henri de Régnier : Apaisement. — Les Lendemains (éd. or. br. s. déd.)
Guy de Maupassant : La Maison Teillier (éd. or. ou Holl. br.) — Histoires du vieux temps, scènes en vers, plaq. in-8° 1879 (br. s. déd.)
Pierre Loti : Mon Frère Yves. — Fleurs d'ennui (éd. or. ou Holl. br.) — Azyadé. — Le Mariage de Loti. — Le Roman d'un spahi (éd. or. br.)
Carmen Silva : Le Pic aux Regrets, plaq. in-4°, 1884 (br.)
Revue Contemporaine (Dir. Remacle) : n° 4 du t. IV, n° 1 du t. V.
Revue Indépendante : Coll. Dujardin comp. en num.
    Nos 23, 25, 26.
Art et critique : Coll. comp. en num. (au-dessous de la cote).
    Nos 1 à 20 et 22 à 35 et n° 46.
Mercure de France : 3 ex. n° 1 (à 1 fr. 50) ; 3 ex. n° 19 (à 1 fr.).
Odilon Redon : Dans le Rêve (Album).
Gustave Doré : La Sainte Russie.

on vendrait:

Un exemplaire de Quatre Poèmes d'Opéra, par Richard Wagner (Paris, Bourdillat, 1861. - Tr. prop. demi rel. maroq. rouge, tranches dor., av. les couv., mais rogné)  50 fr.
Fèvre-Desprez : Autour d'un clocher (ouv. saisi, ep. éd. or.)   5 fr.
Soirées de Médan (Charpentier, 1890, in-8° écu. Av. les portraits saisis)  10 fr.
Pierre Infernal : Les Gouailleuses (Vanier, 1882. Imp. du « Gulliver ». — couvert. écornée)  3 fr. 50.
J. Barbey d'Aurevilly : L'Amour impossible (Bourdillat, 1859. Ed. or., Etat médiocre)     6 fr.
Diderot : Exemple singulier de la vengeance d'une femme, conte moral. Ouvr. posth. de Diderot (Londres, 1793). Ignoré des derniers éditeurs des Œuv. comp. L'un des quatre exemplaires connus (Stockholm, Londres, M. Sardou). Br. complet.  35 fr.
Paul Adam : Chair molle (éd. or. ép. — Couv. changée).
T. de Wyzeva : Stéphane Mallarmé, Notes (1886).
La Vogue : 3 vol. en num.  35 fr.
   T. IV, I889, 3 num.  5 fr.
Mercure de France (coll. comp. en num. Rare. 24 fasc. form. 3 vol.  30 fr.
Lutèce : 37 num. divers.
Le Courrier de la Saison (2 num.) et Le Paillasson (3 num.) de Laurent Tailhade, le tout form. coll. comp. (tr. rare)  20 fr.
Le Décadent (sér. journ. 1886) num. 14 et num. 23 à 35.
La Plume (1890-1891) : 18 num. divers.
La Revue Indépendante, Dir. Dujardin. les 26 num., dont 12 (1888) reliés en 4 vol.  20 fr.
La Revue Indépendante (1889-90, en part. br.) : 12 num. div.
La Décadence (coll. comp., détr. et intr.) : 4 num.
Le Scapin (sér. journ. comp., détr. et intr.) : 18 num.
    (sér. rev. comp. en num.) : 9 num.  1 fr. 75
Paris Illustré (anc. sér) 61 num.  35 fr.
La Parodie (A. Gill, journ. ill.)  25 fr.
La Jeune France : 48 num. div.  5 fr.
La Revue du Monde Latin : 42 fasc. div.  6 fr.
La Revue de France : 103 fasc. div.  20 fr.
La Revue Britannique : 89 fasc. div.  15 fr.
La Revue Alsacienne : 74 fasc. div.  10 fr.
 Au Mercure de France, le mardi, de 3 à 6 heures, ou par correspondance. — En sus des prix marqués, frais d'expédition et, s'il y a lieu, de recouvrement.

Mercvre.

ERRATA

(TOMES II ET III)



 Tome II.
P. 327. — sur une diligence de bretagne, vers 10, lire : Oh! m'enjeunis vers...
  Tome III.
P. 12. — Le Trépas du puits, lig. 34, lire : Pas plus égoïste ne fus que...
P. 26. — Le Substitut, lig. 20, lire : ... la bonne du substitut...
P. 93. — Solitude, vers 4, lire : Rêver sur le seuil des portes
P. 188. — Journaux et Revues, lig. 12, lire : ... à propos de la spéciale attirance...
P. 194. — La Trève, lig. 26, lire : Joignez qu'il est...
P. 209. — Les trois femmes en deuil : ll. 7, 8 et 9, lire : ... sous le fardeau des souffrances et de la vie ; une étroite coiffe noire enferme...
P. 231. — L'« Erechtheus » de Swinbune, lig. 13, lire : ... du même autel de la Vierge.
P. 243 — Les Livres, lig. 12, lire : L'Exil de Harini...
P. 263. — Vénus Anadyomène, Ier vers du 2me tercet, lire : Les reins portent deux mots gravés : Clara Vénus. (Ce sonnet a été composé sur une épreuve de Reliquaire, qui allait paraître chez M. L. Genonceaux. Le manuscrit du volume étant égaré, nous n'avons — pas plus que l'éditeur, qui a, comme nous, publié le vers faux — pu rectifier. C'est l'obligeance de M. Léon Vanier, possesseur d'une copie de Vénus Anadyomène, qui nous permet de rétablir le vers tronqué).
P. 268. — Violons tsiganes, lig. 9, lire : ... pour le suprême effort.
P. 279. — La Pendule, lig. 13, lire : ... que l'autre faisait sonner.
P. 295. — L'autopsie de la vieille fille, lig. 13, lire : ... où florissent...
P. 296. — A propos de « la mer », lig. 32, lire : ... que le dénuement...


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