N° 4. – AVRIL 1890

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Mercure de France, t. I, n° 4, avril 1890, p. 97-144.


INTUITIVISME ET RÉALISME


 Le Naturalisme se meurt, le Naturalisme est mort ! Seul le grand pontife a gardé sa foi et perpétue l'office, abandonné de ceux-là même qui furent ses prêtres les plus fervents. Non pas que, radieux exaltés d'une foi nouvelle, ils marchent avec certitude vers leur Terre Promise : ils s'agitent en pleines ténèbres, avancent à tâtons ou piétinent sur place, dans les affres du doute. Mais parfois, en ce dur voyage pour la vague Chanaan, l'un d'eux perçoit qu'une aube délave l'obscurité de la route, et telle est sa détresse qu'il acclame d'enthousiasme cette indécise clarté : sans attendre qu'il fasse jour, sans se demander si ce ne sont point ses yeux qui s'accoutument à la nuit, s'il n'est point dupe d'une hallucination ou d'un mirage, vite il emprisonne la parcelle de vérité dans une formule où il appose un sceau particulier, un de ces mots en isme si fréquemment surgis pendant ces derniers temps, et dont le benjamin est l'intuitivisme.
 Mais M. Edouard Rod est un esprit trop prudent pour dire ce mot en Messie de la religion espérée : il le hasarde, l'insinue avec circonspection, doucement ironique pour lui-même et pour les inventeurs de systèmes en isme. Après avoir noté quelques-unes des causes qui ont détaché ceux de sa génération et lui du Naturalisme, et indiqué timidement leurs tendances vers un symbolisme peut-être, en somme, incompatible avec le roman, M. Édouard Rod propose : « Si j'avais la foi unilatérale de ceux qui croient au sens précis des termes, je prendrais le mot INTUITIVISME, et j'en ferais une étiquette à coller sur le flacon où nous nous débattrions ensemble ». Et, littérairement parlant, il définit l'intuitif « un homme qui regarde en soi-même... Mais il ne suffit pas de regarder en soi, il faut voir autre chose que soi... L'intuitivisme, si par hasard on voulait accepter ce mot, serait donc l'application de l'intuition comme méthode de psychologie littéraire : regarder en soi, non pour se connaître ni pour s'aimer, mais pour connaître et aimer les autres ; chercher dans le microcosme de son cœur le jeu du cœur humain ; partir de là pour aller plus loin que soi, et parce qu'en soi, quoi qu'on dise, se réfléchit le monde ».
 Or, en quoi la méthode intuitiviste de psychologie différerait-elle de la méthode (car il n'y en a qu'une) de psychologie employée dans tous les temps ? Hormis l'autobiographe, historien psychologue plutôt que romancier, quiconque écrit un roman n'a que son moi pour y voir dans le moi de ses personnages ; et qu'il veuille aller plus loin que soi ou en deçà, c'est toujours à son moi-boussole qu'il lui faut recourir pour s'orienter, à son moi-équateur pour mesurer les distances et régler l'être qu'il crée. Il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais d'autre méthode de psychologie littéraire. Cela, d'ailleurs, se prouve par l'absurde : comment le plus génial des habitants de la Terre, supposé convaincu que la Lune est peuplée, s'y prendrait-il pour l'étude psychologique d'un habitant de la Lune, n'ayant aucun terme de comparaison, aucune « fenêtre ouverte » sur l'âme d'un être que, par cela seul qu'il est différent de lui-même, il ne peut concevoir dans son essence ? Déjà, donc, il appert que l'intuitivisme engloberait, sauf les autobiographes, tous les psychologues, et non pas seulement une catégorie de psychologues. Mais il ne comprend pas qu'eux, car l'intuition, pour tous les romanciers qui ne sont point de purs fantaisistes, est l'unique moyen d'insuffler, ou proprement de prêter la vie. Les plus documentaires des naturalistes, les fanatiques de l'observation, ceux qui s'effacent le plus devant les agissements de leurs personnages, sont bien obligés, sous peine de fabriquer cette machine automatique : des marionnettes se mouvant dans un décor, de définir de temps à autre des états d'âme, quel que soit du reste le procédé, d'entrer « dans la peau du bonhomme » ; et c'est alors que l'intuition leur est indispensable, ou, en termes précis, le mot intuition s'interprétant de façons diverses, la faculté de transposition de leur propre moi déformé selon leur conception de personnage.
 L'invention d'une théorie n'allait point sans modifications techniques, et M. Édouard Rod avance qu'il a cherché à « dégager le roman de quelques-unes des scories qui l'empêchent de se développer dans le sens indiqué : de la description, d'abord... fastidieuse et surtout illusoire, car elle tient beaucoup de place, dit peu de chose et n'explique rien ». Ceci n'est que spécieux. Dans nombre de livres, certes, la description usurpe la place, n'est qu'en relation très éloignée avec le sujet, et partant devient fastidieuse et illusoire. Mais, théoriquement, cela ne prouve rien, et pratiquement ne fait que déceler artistes défectueux des auteurs qui n'ont point la perception des rapports entre le sujet et la chose ambiante, et manquent du don de pondération sans lequel il est impossible d'atteindre à l'eurythmie. Je ne voudrais point ressasser la vieille discussion des milieux, mais il est certain que la description des choses parmi quoi se meut un être, et strictement circonscrite aux rapports de l'être à ces choses, loin de nuire, comme une superfétation, à l'économie de l'œuvre, la complète — et souvent résout très brièvement des phénomènes psychiques qui demanderaient un long détail, plus fastidieux encore qu'une description « à coté ».
 Parmi les scories dont M. Edouard Rod dit avoir cherché à dégager le roman, il y a aussi « les récits rétrospectifs, qui, destinés à présenter le personnage, sont devenus, à force d'usage, des clichés sur l'enfance, l'adolescence et l'éducation », ― et enfin les « scènes », pour ce qu'elles ont presque toujours « un air désagréablement artificiel et théâtral ». Ce serait là, sans doute, une bonne besogne ; mais qui donc, sinon les écrivains maladroits (ou très jeunes et ne tenant pas encore leur métier), s'escrime encore aux récits rétrospectifs ? Et les « scènes », Flaubert n'en a guère, que je sache, dans l'Éducation sentimentale, l'œuvre entier de MM. de Goncourt presque pas, et M. Huysmans nulle part.
 Il semble donc que le mot intuitivisme n'étiquette rien de bien neuf, ni relativement aux tendances actuelles des esprits, ni en ce qui concerne les moyens d'exprimer. Il est équitable de noter que M. Édouard Rod n'a pas écrit sa préface exclusivement pour lancer ce mot, mais pour expliquer à ses « amis connus et inconnus » l'évolution de ses idées, simultanée, sinon parallèle, à une évolution des idées chez tous ceux de sa génération littéraire. Et là réside un fait important, car il est avéré que, après s'être un moment arrêtés au Naturalisme, la presque totalité des jeunes littérateurs évoluent aujourd'hui — sans d'ailleurs trop savoir où ils vont. Ce n'est pas ici le lieu d'étudier les très nombreuses tendances nouvelles, mais cette constatation me paraît topique que le cycle naturaliste, prétendu si peu vaste pourtant, restera incomplet, et que même infiniment peu des sujets qu'il renferme auront trouvé leur juste expression.
 En effet, dans l'échelle idéale qui part de la matière inerte, passe par les végétaux, les animaux et l'homme pour aboutir à Dieu, l'homme occupe un nombre considérable de degrés, pas beaucoup plus qu'animal en certains cas par le peu de développement de son cerveau, mais aussi tout près de Dieu parfois eu égard à l'étendue de son intelligence. Or, si le réalisme est bien l'expression immédiate de toute la vérité acquise, le cycle réaliste demeure incomplet en ce que non seulement on n'y rencontre point toutes les combinaisons connues d'individus, mais pas même tous les types d'individus.
 Quant à l'expression réaliste, elle doit de toute nécessité, pour être juste, combiner l'observation, l'expérience et l'induction certaine, être en un mot la cristallisation selon les lois naturelles de la vérité tangible ; et, à ce point de vue, concevoir l'individu en dehors de son milieu serait un non sens. Le Naturalisme l'a bien posé en principe, mais, dans la pratique, au lieu de se borner à la seule peinture, et selon les lois, des choses qui agissent sur l'être, il a peint toutes les choses parmi lesquelles l'être vit, les indispensables et les inutiles, sans discernement des valeurs. D'où le milieu, développé monstrueusement aux dépens de l'individu, puis la disparition dans le pêle-mêle des liens de l'individu an milieu : l'observation semble une étude concurrente à l'étude psychologique, nullement reliées entre elles, et la description toujours arbitraire. En sorte que M. Édouard Rod a pu dire, visant, je veux croire, les œuvres et non la théorie, que l'observation « fait de l'artiste un photographe et néglige ce que les faits ont de plus intéressant, c'est-à-dire leur signification ». Mais un autre défaut a aussi empêché le roman naturaliste d'atteindre à la juste expression du vrai : l'abus de l'analyse, qui dissout le fait et en abolit le caractère, délayage absolument contraire au but même de l'art : la synthèse. Évidemment l'auteur doit être un analyste, mais pour, après avoir désagrégé le fait, le reconstituer, le concréter sous l'aspect saillant et caractéristique qui répond à la fin de l'œuvre, dans l'édification de quoi il ne saurait entrer, si l'on peut dire, éparpillé en molécules, mais à l'état de particule composée.
 Entre qui s'évertue à exprimer la vie par la seule étude de l'âme, en dehors de toute circonstance extrinsèque, et quiconque cherche ce résultat par la seule notation d'agissements dans un décor, en dehors de toute étude de l'âme, il y a place pour qui résumerait les deux manières en les combinant, laisserait d'abord l'individu à son milieu, et avec la connaissance des lois qui régissent les relations de ces deux termes inséparables, obtiendrait l'expression synthétique d'une portion de vie, d'une vie, ou d'un groupement de vies. La théorie, du reste, n'est pas neuve, puisqu'elle s'induit tout entière de l’Éducation sentimentale, chef-d'œuvre de pondération où sont à peine sensibles deux ou trois erreurs de statique, admirable synthèse qui serait la parfaite expression réaliste sans quelques touches romantiques — encore que ce livre restitue l'époque d'Antony.
 Mais combien d'œuvres du cycle réaliste s'élèvent à cette expression synthétique du vrai ! M. Émile Zola, romantique autant qu'Hugo et descriptif- symboliste, est sciemment demeuré à côté ; les frères de Goncourt avaient trop d'esprit pour peindre vraie l'humanité lourdaude, et M. Edmond de Goncourt travaillant seul est trop analyste ; M. Huysmans aussi est trop analyste, et de plus trop peintre ; trop analystes, chacun dans une note différente, MM. Hennique , Céard et Camille Lemonnier ; trop objectiviste M. Paul Alexis. Et tous ceux qui vinrent ensuite procèdent de ceux-là ou en exagèrent les difformités (relatives, bien entendu, et dont plusieurs, considérées sous un autre angle que celui où je les regarde en cet article, sont des qualités de premier ordre), et davantage s'écartent de l'expression adéquate au concept réaliste. Il n'y a pour s'en rapprocher que M. Alphonse Daudet, par places, et seulement dans Sapho et dans l'Immortel, tous ses autres livres étant tarés de « fleurbleuisme » et de fausse sentimentalité. Seul , enfin, M. Guy de Maupassant a touché barre parfois : certaines de ses nouvelles sont achevées. Il semblait que l'auteur d’Une Vie fût marqué pour, en se perfectionnant, donner sa plus complète expression au roman de vérité immédiate ; mais il est plus objectiviste encore dans Bel-Ami, et le voici maintenant à l'opposite, dans la psychologie.
 Le cycle réaliste aura donc manqué du synthétiste que je veux dire, également loin du plat documentaire et de l'assommant psychologue quand même, troisième larron entrevu par M. Zola, j'imagine, alors que, s'avouant lui-même trop romantique pour cette tâche, il espérait des écrivains futurs l'accomplissement de l'œuvre rêvée. Ce troisième larron, à coup sûr, ne participerait pas plus du commissaire-priseur que du photographe : ce serait un artiste de grand talent, dont le champ d'action, naturellement fini, fermé aux au-delà de l'idéalisme, est cependant bien plus vaste que ne le prétend une critique sans profondeur. Et je crois soutenable ce paradoxe : si quelques-uns, parmi ceux qui furent réalistes, sont tout de bons sollicités par l'orientation de leur esprit à s'éloigner de leur première esthétique, les autres l'abandonnent uniquement parce que, sachant qu'il n'est plus possible de se localiser dans l'observation et l'analyse, il ne se sentent point l'envergure de la synthèse, qui requiert à la fois la vue d'ensemble, l'observation, la psychologie, l'analyse, le sentiment de l'harmonie ― sans compter l'intuition.


Alfred Vallette.

 Mars 1890.

L'AVEUGLE


 Le vieux qu'ont délaissé les enfants pour la danse,
 Avec sa barbe fluviale aux lourds glaçons
 Et ses deux yeux d'aveugle où nage une ombre dense,
 S'isole assis parmi la lourde exhalaison
 Du lilas qui s'est éparpillé d'abondance
 Et qu'on voit comme des perles sur le gazon.


 La rumeur des ruches d'or d'alentour s'est tue ;
 Et derrière le mur d'un feuillage estival,
 On entend le lointain nasillement d'un bal.
 Le vieux, lui ! dans le clos étoilé de laitue,
 Met, avérant la paix du soir dominical,
 Son immobilité profonde de statue.


 Tel ! il s'isole, assis parmi l'exhalaison
 De miel qu'ont les lilas ; tel ! dans le soir où fume,
 Vers la rivière, un fin brouillard d'un blanc de plume,
 Il rêve sous le toit léger des frondaisons,
 Mais sans voir — ô pourtant quel charme s'en exhume ! —
 Sans voir saigner, au loin, la crête des maisons.


 Rien ne lui tire un cri d'amour, ni l'or immense
 Du soleil qui s'immerge en quel vin glorieux !
 Ni le feuillage ou maint reflet de pourpre danse :
 Car ses yeux, autrefois braises vives ! ses yeux
 Pleins, toujours, d'un désir en toute effervescence,
 Un voile opalescent les exile des cieux !


 Le paysage vêt cette grâce infinie
 Des choses quand y vient la solaire agonie.
 Mais, sur sa face, pas un muscle n'a bougé.
 À l'horizon, c'est comme un trait de sang figé.
 Et paresseuse et presque à regret, se dénie,
 La clarté dont le clos s'est tout un jour gorgé.


 La musique du bal arrive par bouffées,
 Mais lui ne quitte pas son geste de langueur.
 Est-ce qu'il sentirait tout à coup dans son cœur
 Une étoile revivre aux cendres étouffées,
 Par un exploit renouvelé du Temps vainqueur
 Où des pierres sourdait une âme aux chants d'Orphée ?


 Est-ce un pressentiment du prompt deleatur
 Qui fait saigner son cœur ainsi qu'un nœud d'orties ?
 O ces yeux ! murés d'ombre où n'arde plus l'azur,
 Soit qu'il ostente un grain de porcelaine pur,
 Soit que, sous des flocons de soie, une partie
 De sa lueur se tienne un peu comme amortie !


 Est-ce le deuil d'avoir outrepassé les siens,
 De survivre aux élus d'amour des temps virides ?
 Trouble-fête ! exilé des clos musiciens
 Et des banquets où siège en roi l'effroi des rides,
 Des rides ! relentant déjà les eaux fétides
 Et le goût que l'humus donne aux corps qu'il détient !


 Ou si — comme ô mon Dieu ! le néant vite empire —
 Toute humaine pensée a reflué de lui,
 S'il n'est plus qu'un tronc vide ! un rien qu'on ne peut dire !
 Son geste de statue et de divin ennui,
 Tient-il du nonchaloir repu du bétail pire
 Dont les prunelles ne roulent que de la nuit ?


 Tient-il du vautrement des vaches qui digèrent
 Dans l'herbe épaissie où murmure un fil d'eau,
 Sans même qu'un frisson leur coure sous la peau ?…
 Est-ce un qu'on ne sait plus pourquoi Dieu le tolère :
 Corps mûr pour le néant dont le coup de tonnerre
 Déjà chemine qui doit le rendre à sa terre !


 On ne sait, car vraiment ! nul émoi n'a passé
 Sur son masque de sphinx aux pâleurs d'agonie.
 Et tandis qu'entre eux deux ! la Terre et le Ciel, c'est
 — Qui s'échange ! un adieu de tristesse infinie,
 Le pauvre orchestre de village non lassé
 Poursuit sa ritournelle avec monotonie !


Ernest Raynaud.

TRIPTYQUE DES PHASES


I.―Blasphème


J'immortaliserai ton corps dans mes vers graves,
Pour que, multiplié sur ces lourds piédestaux,
Son marbre, environné d'honneurs sacerdotaux,
Plane, au-dessus d'un peuple agenouillé d'esclaves

(J'aurai bâti mon Œuvre, en dépit des entraves,
Comme un temple étayé de fûts monumentaux
Dont nul, jamais ! ne pourra voir les chapiteaux
S'effondrer, sous l'énorme effort des architraves).

— Alors, de vains désirs souillant ton sexe nu,
Ces vils adorateurs, qui ne l'ont point connu,
Joindront leurs doigts dévots vers sa rigueur farouche :

Et moi, dont le dédain terrible l'a dompté,
Seul j'aurai possédé ton cœur, ému ta bouche,
Et trouvé l'animal sous la divinité.


II.―Refus


Pour les relire aux jours de vos mélancolies,
Ces vers désespérés que vous seule aurez lus.
Vous m'avez dit des mots qui valaient des folies :
Mais ces vers, même à vous, je ne les montre plus

(O stances de mon cœur, ô stances abolies !
Nul n'entendra gémir ces rythmes absolus,
Puisque le cristal pur des voix les plus jolies
Se brise au choc de leurs timbres voulus),

— Par vos soupirs d'amour, par vos larmes d'extase,
Par la langueur d'aveu d'une adorable phrase,
Vous m'avez réveillé d'un rêve, où vous glissez :

Vous saurez désormais que je vis dans un rôle,
Qu'une âme tendre dort sous mon masque de drôle,
Et que je suis un homme, au fond !... C'est bien assez.


III. ― Épitaphe

Plus tendre qu'un vieil air dans de lourdes étoffes,
Plus démesurément vibrant que mon orgueil,
Plus haut que la rumeur des flots blancs sur l’écueil,
Plus haut que le futur fracas des catastrophes,

Ton nom divinisé survivra dans mes strophes,
Madone aux regards noirs comme une église en deuil,
Quand ton âme et ton corps seront, dans LEUR cercueil,
Aussi morts que les dieux bien morts des philosophes.

— Glas funèbre, tinté par de joyeux grelots,
Mon affreux rire a pu s'égrener en sanglots,
Et mes sanglots, crever en larmes de délices !

Reçois donc, pour ce court bonheur immérité,
Le salaire ingénu de tes chères malices :
L'éternité du Vers, - la seule Éternité.

Louis-Pilate de Brinn'gaubast

LES FUMÉES



 Les fumées montent comme des folles vers la clarté du pays bleu ; elles partent en guerre, les fumées, contre l'implacable azur.
 ... Oh ! Les fumées furieuses, les fumées désespérées, les fumées mauvaises, les fumées inutiles, les fumées malades, les fumées humbles.


 Les longs mufles tendus des usines lancent des tourbillons noirs striés d'étincelles rouges, crêpe lourd d'un deuil larmé de sang, et les spirales effroyables montent, montent à l'assaut du jeune éther, de l'éther divin, éternellement radieux. Elles se ruent dans le vide, les fumées furieuses, s'étalent pour salir, se replient pour souiller plus profondément, se condensent pour engendrer les foudres. Elles déploient l'étendard sombre des cités écrasées par le travail, elles hurlent, elles se tordent, elles cherchent les étoiles pour les voler, comme les pauvres, farouches, volent les pièces d'or... Et le soleil, au matin, les dévore peu à peu, les dissout, les déchire de ses rayons railleurs ; elles deviennent brumes tristes ; ce nuage léger qui fuit l'aurore s'en va loin, n'importe où, pleurer sur des montagnes inconnues toutes les misères dont est plein...


 Les voilà, sortant du champ de bataille, les fumées désespérées, faites d'âcres senteurs de poudre, blanches, à reflets écarlates, puis d'un violet sinistre, balançant leurs aigrettes chaudes aux sommets des arbres tremblants. Les voilà, les rapides, les coléreuses, elles montent, montent, portant des clameurs de victoire ou de terreur. Quelquefois, elles sont toutes jaunes en passant sous le soleil, elles ressemblent à de la chair étendue, à un épais drapeau taillé dans une viande livide éclaboussée d'éclats de bronze... Et le soleil, le soir, prend les fumées désespérées, les rousses, pour s'en nimber à son couchant !...


 Elles se lèvent lentement des marécages malsains, les fumées mauvaises et sournoises ; à leur tour, par les temps du renouveau, les crépuscules tièdes, elles montent en vapeurs suffocantes, portant la fièvre de la terre, tous les miasmes pestilentiels, se dégageant des pourritures secrètes ou des tas de fleurs expirées. Elles sont douces, enveloppantes, comme la fantaisie d'une femme. Elles se réunissent mollement, elles partent pour aller étouffer dans une étreinte caressante l'azur qui rit, le soleil qui se moque... Et le soleil les arrête à mi-chemin, les pulvérise pour les jeter, au printemps, en poignées de pollen sur les grandes prairies vierges...


 Elles montent,les fumées inutiles ; toutes, aussi, elles montent, courageuses, indépendantes, les unes ballottées sur le caprice des vents du nord, les autres frêles, ténues, mais féroces comme des blasphèmes d'enfant. Il y a les soupirs d'amour et les soupirs d'agonie durant les nuits d'hiver. Deci, delà, un flocon blanc pur : l'haleine d'un poète qui se réchauffe en soufflant dans ses doigts transis. Un flocon bleuâtre : la fumée du cigare que savoure l'athée. Un flocon pourpre : l'asphyxie de la fille abandonnée, buée fusant meurtrière par la vitre cassée trop tard. Oh ! les fumées inutiles !... Surtout, par-dessus tout, les inutiles fumées d'encens ! Elles montent, elles montent... Et le soleil hautain fait suinter sur les cités maudites les pleurs des révoltés, les sanglots des prières, les larmes d'amour, en un brouillard froid...


 Comme une nuée diaphane, elles montent par les larges cheminées des hospices, les pâles fumées malades, et les quintes de toux des poitrinaires, les tisanes bouillantes, les respirations courtes des opérés, montent, montent péniblement, se traînant, navrantes, témoignant des tortures inouïes qu'endurent les malheureux punis d'avoir voulu vivre. Oh ! les fumées désolées !... Et, indifférent, le soleil en arrose, l'automne, l'asphalte de nos boulevards : c'est la pluie lugubre de novembre, qui abat les feuilles, une pluie valétudinaire...


 Elles ne sont point montées jusqu'au jeune éther triomphant, les humbles fumées !... Non, elles sont retombées sur les roses fraîches en rosée les exhalaisons des roses flétries. Et les derniers petits souffles des vieux petits oiseaux ont semé, sur les mousses, des gouttelettes amères que le soleil a bues sans les voir !...


 ...Les fumées remontent comme des folles vers la clarté du pays bleu, elles repartent en guerre, les fumées, en guerre contre un implacable azur !...

Rachilde.

 Mars 1890.

QUATRE BALLADES FAMILIÈRES
POUR EXASPÉRER LE MUFLE

I
BALLADE
DU MARCHAND D'ORVIÉTAN

« Salutations pantaculaires d'une amitié où la communauté des études et l'identité des aspirations illuminent de sérénité les dévouements du cœur. »

Joséphin Péladan au catéchumène Stanislas de Guaita (frère
Adelphe Mercurius pour les initiés).


Voici la rue et le plantain,
Le jus de taupe et la merd'oie,
Voici la graisse de putain,
Le cloporte, le vers à soie
Et le bol que Fagon emploie.
Ci la Bête du Gévaudan.
Ecco le fiel de la baudroie :
Voici les pieds de Péladan !



Reniflez un peu ! Ni le thym,
Ni la peau d'Espagne où se choie
L'orgueil ducal d'un blanc tétin,
Ni l'ambre, ni l'huile de foie
Que l'Islande à Barrès envoie,
Ni tes narcisses, Eridan,
Au humer n'offre tant de joie :
Voici les pieds de Péladan !



Quel charme ignoré du Bottin
Envoûte l'amoureuse proie ?
Nébo l'a dit à Trissotin.
Donc, lâchez un peu la courroie

De votre bourse et que l'on m'oye :
Pour que bachelette (à son dam !)
Livre aux mages la petite oie,
Voici les pieds de Péladan !



ENVOI



Prince d'Elseneur ou de Troie,
Fuyez l'œuvre d'Adolphe Adam
Et ces baumes, que je déploie :
Voici les pieds de Péladan !


2


BALLADE A MES AMIS DE TOULOUSE
POUR LES REMETTRE EN GOUT DES FRIANDISES QU'ON Y SERT



Du Capitole à Saint-Aubin,
La ville où Bonfils se gangrène
Est accueillante pour l'aubain.
Dans ses murs de briques, la raine
Ranahilde, jadis, fut reine.
Mais les princes du tranchelard
Brillent toujours en cette arène
On mange du veau chez Allard.



Foin du puchero maugrabin,
Des sterlets du Volga, du renne,
De ces grouses qu'offre un larbin
Et des tragopans de l'Ukraine:
Raca sur l'huître de Marenne,
Sur l'huître pareille au molard,
Sur la banane et la migraine :
On mange du veau chez Allard.

Viennent le puceau coquebin
Et la mérétrice foraine !
(Ces gens ont-ils l'ordre du bain ?)
Et Chérubin et sa marraine.
Il sied que la jeunesse apprenne
À conspuer Royer-Collard,
Parmi les coupes de Surense :
On mange du veau chez Allard.



ENVOI



Prince trop gavé de murène,
Ce maître-queux sinistre a l'art
Des ragoûts à l'huile de frêne :
On mange du veau chez Allard.



3


BALLADE

POUR SE CONJOUIR AVEC LE

PETIT CENTRE
« Tout renaît ! Le commerce des bestiaux va reprendre. »
Du Petit centre de Limoges, le 7 décembre 1888.


« Tout renaît ! » Sur le tympanon,
Sur l'ophicléide assassine,
Sur la peau de zèbre ou d'ânon
Et sur le hautbois qui dessine,
Maints phantasmes de bécassine,
Hurlons - tel Pompignan Lefranc,
Tel un butor dans sa piscine :
Le commerce des veaux reprend.

Palmes ! Discours et gonfanon
Tricolore ! O la capucine
Que porte an creux de son fanon
La mairesse chère à Lucine !

Elle est bovine, elle est porcine,
Elle raffole du hareng.
Son époux la nomme « Alphonsine ! »
Le commerce des veaux reprend.

Babouiné comme guenon,
Ce préfet chauve nous bassine.
Il parle, je crois, de Zénon
Et déclame un vers de Racine.
Pour le guérir, quelle racine ?
Quel bézoard mal odorant ?
Dis-nous, Pasteur, quelle vaccine ?
Le commerce des veaux reprend.



envoi



Prince, notre soulas est grand !
Posez, devant claires fascines,
Belles spatules vervécines
Le commerce des veaux reprend.



4



BALLADE DE LA GÉNÉRATION ARTIFICIELLE
« MéphistophélèsUn homme ! Et quel couple amoureux avez-vous donc enfermé dans le cheminée ?
« WagnerDieu me garde ! L'ancienne mode d'engendrer, nous l'avons reconnue pour une véritable plaisanterie. — ... Nous tentons d'expérimenter judicieusement ce qu'on appelait les forces de la Nature ; et ce qu'elle produisait jadis organisé, nous autres, nous le faisons cristalliser. »


Goethe. — Le second Faust.



Wagner, chimiste qu'exténue
Le grimoire du nécromant,
Distille, au fond de sa cornue,
La salamandre et l'excrément,

Et le crapaud que, doctement,
Assaisonne la verte oseille,
Pour que soit clos, en un moment,
L'homuncule dans la bouteille.

Catarrheux, il étreint la Nue.
Fi de la Belle-au-Bois-Dormant !
Fi de la Galloyse charnue,
Du mignon et de la jument !
Gaûtama ! le renoncement
Absolu que Ton Doigt conseille
Préside à cet accouchement :
L'homuncule dans la bouteille.

Plus de vérole saugrenue !
Plus d'hydrargyre ou d'orpiment !
Hélène, avec sa beauté nue,
Intoxique le jeune Amant.
[.......] tout simplement,
Au coin du feu, sous une treille :
Puis décantez modestement
L'homuncule dans la bouteille.



envoi



Fleur des hardeaux, Prince Charmant,
Nonpareille est cette Merveille
Offerte à votre étonnement :
L'homuncule dans la bouteille.

Laurent Tailhade.

LE COUREUR DE FILLES


I

À Alfred Vallette.



 Parce qu'il venait d'achever ses cinq ans, Pierre Leroc se croyait homme, c'est-à-dire libre, le soir, après le travail, de sortir seul, de jouer aux cartes en prenant quelque chose, en racontant des souvenirs du régiment, et de rentrer tard, à l'heure où les chiens qui sont enragés courent par les rues désertes, cherchant les os, la queue arquée entre les jambes. Doux au fond et docile, il n'avait guère que ce défaut de vouloir faire l'homme, non seulement avec ses deux sœurs timides et simples, mais encore avec son père et sa mère, parents terribles. Sa mère l'avait prévenu tout de suite :
 — Je ne veux pas que tu quittes la ferme après la soupe.
 — Mais, maman, qu'est-ce que je fais ? Je ne fais rien, moi !
 — Prends bien garde, ou je te donne une calotte !
 Une calotte ! Pierre avait haussé les épaules. La Griotte, comme on appelait sa mère, du nom de la cerise à courte queue, n'avait pas changé pendant son absence. Elle semblait toujours aussi aigre, et même aussi bonne qu'auparavant. Elle aimait ses enfants d'une manière bizarre, méchante et dure le plus souvent, mais toute en pleurs dès que son fils écrivait : « J'ai couché cette nuit à la salle de police », et dès que l'une des deux sœurs se faisait venir le sang au bout du doigt d'une brusque piqûre.
 — Mais, maman, je ne suis pourtant plus un gamin !
 — Tais-toi donc, nez mou. Je te défends de courir le guilledou. M'entends-tu ?
 À ces mots, les deux sœurs, en train de coudre avec application près de la fenêtre, les joues caressées, au moindre coup de vent, par les langues des géraniums qui se penchaient, élastiques, baissèrent sagement les yeux. La Griotte s'en aperçut, et, comme elle avait dit une bêtise, elle s'en prit à Pierre :
 — D'abord, grand vaurien, tu ne pourrais pas mieux te tenir, quand tes sœurs sont là ?
 Sous ses sourcils rejoints, ses yeux paraissaient en
combustion. Elle tremblait, les poings fermés. Ses lèvres blanches rentraient dans sa bouche, comme si les pointes de ses dents, pareilles à des aiguilles, en eussent pincé, mordu et tiré les bords de l'intérieur, pour les réunir en un surjet solide. Allait-elle prendre un manche de balai ou une casserole ?
 Les deux sœurs haletaient et manquaient deux points sur trois. Pierre répondit :
 — Tu ne sais pas ce que tu dis, va, maman !
 Il sortit, et ce soir-là rentra plus tard encore que d'ordinaire.


II


 Le père dut intervenir. C'était un homme d'une force extraordinaire. De ce qu'on l'avait vu abattre un bélier malade, d'un seul coup de pioche à la nuque, on avait conclu qu'il pouvait prendre un bœuf furieux par ses deux cornes, et le retourner sur le dos, simplement, comme un petite tortue de restaurant. Une autre fois, n'avait-il pas, d'une détente de jarret, cassé la jambe droite d'un de ses meilleurs amis ? Ces histoires étonnantes, peut-être fausses, se contaient aux veillées d'hiver, aux soirées d'été, au chant criard des rainettes, et intéressaient comme des légendes. Certes, son garçon Pierre, par sa haute taille et ses membres souples et solides comme l'érable, tenait visiblement de lui. Mais quelle différence ! D'abord, un fils n'est jamais aussi fort que son père. Leroc se montrait surtout redoutable dans les discussions sur l'honneur, celui des filles et celui des garçons. Il s'enflait soudain, comme si une grande bouffée de vent eût soufflé, par ses veines, dans tout son être. On s'attendait à voir « gicler » des filets rouges de ses tempes battues par les violents afflux du sang. Ainsi les vers de terre sortent d'un sol humide, quand on frappe rythmiquement autour d'eux. Pour les fautes de libertinage, Leroc n'admettait qu'un seul châtiment : la mort.
 Déjà il avait voulu tuer à coups de revolver une des deux sœurs injustement soupçonnée. Heureusement le revolver n'était pas chargé. Le chien de l'arme fit jusqu'à six fois un petit « clic » inutile et grotesque. Les deux sœurs étaient à ce point innocentes qu'elles ne surent jamais bien, se trouvant côte à côte au moment de l'attentat, laquelle des deux avait failli mourir, et si leur père avait voulu plaisanter. Car, sensible au ridicule, il n'insista pas. Seulement, il eut soin de glisser dans le revolver, séance tenante, une balle. Une seule devait suffire à l'occasion !

III.


 Il dit à Pierre :
 — Alors, tu suis les « fumelles ? »
  — Comment, tu t'en mêles aussi, répondit Pierre, toi, un homme !
 C'était impatientant. Il reprit, têtu, le front plissé :
 — Et quand ça serait ?
 — Oh, moi, dit Leroc, je n'y vais pas par quatre chemins. Si tu sors encore le soir pour aller retrouver ta traînée, tu auras affaire à moi.
 De ses doigts recourbés, il indiquait le creux de sa poitrine, à trois reprises diverses, comme un pêcheur convaincu.
 Ce défi exaspéra Pierre.
 Il ne tenait pas aux filles, mais il tenait à sa liberté. Il garderait sa liberté et les filles avec. Les tracasseries de sa mère l'avaient rendu mauvais. Il comprit que toute tentative d'arrangement serait vaine. Il chercha quelque temps une bonne réplique, qu'il roula dans son cerveau comme un enfant pétrit entre ses doigts une boule de neige, une réplique dure, serrée, lourde d'entêtement, et la jeta en plein dans sa colère de son père, avec méchanceté et hardiesse :
 — Je suis majeur, je peux faire ce que je veux !
 Les deux sœurs cessèrent de coudre et dressèrent leur col, l'une toute rouge, l'autre toute pâle. Qu'allait-il se passer ?
 Pierre regardait résolument son père. Tous les deux se soufflaient dans la figure, les épaules penchées et prêtes à se heurter ; mais la Griotte, épouvantée et subitement attendrie par le danger que courait son fils, se jeta entre les deux hommes en criant :
 — Leroc, aussi, tu ne sais pas le prendre, ce petit ! Laisse-moi faire.
 Il ne se passa rien. Leroc en s'arc-boutant contre un mur neuf l'aurait fait crouler, mais il obéissait volontiers à sa femme. Par peur ou par mépris, il se contint et dit à Pierre :
 — Ah ! tu fais ton majeur avec ton père, mon garçon, c'est bon ! Continue, jusqu'à ce que je t'arrête.
 Et il détourna ses épaules menaçantes avec la lenteur d'une grue qui déplace des pierres de taille.


IV


 Pierre continua de rentrer à des heures tardives, indifférent aux clabauderies. Sa mère se mit en chasse avec ardeur, pour trois motifs. D'abord, très religieuse, elle
ne trouvait dans l'œuvre de chair, en dehors du mariage, que crime et perdition. Elle voulait surprendre son fils en pleine débauche, le nez sur la chose, et, après l'avoir corrigé (car elle le voyait encore tout petit, en culotte fendue, la porte grande ouverte aux fessées), lui faire honte de sa conduite, et le ramener à la ferme par l'une et l'autre oreilles, alternativement. Ensuite elle était jalouse comme mère. Enfin elle voulait regarder en face l'amoureuse, et, au moyen d'habiles coups doubles, lui distribuer, à elle aussi, sa part de gifles.
 Dès que Pierre était sorti, elle prenait son parapluie, même aux plus beaux soirs, et sa lanterne grillée, sans laquelle elle n'allait jamais dehors, la nuit venue, et tâchait de le suivre. C'était impossible. En effet, grâce à ses longues jambes, Pierre la distançait sans peine, et, plein de méfiance, rusait, compliquait les détours. Elle le perdait rapidement de vue, devait revenir, irritée et maligne, mais non découragée. Leroc et les deux sœurs dormaient déjà, tous les trois dans la même chambre. Pierre couchait à côté, dans l'écurie, tout près des bêtes. On pouvait l'entendre rentrer en collant son oreille au mur. Depuis quelque temps, c'était à croire qu'il ne rentrait pas du tout. Ayant enjambé son homme, coulée dans la ruelle, la Griotte, étendue sur le dos, son chapelet entre ses doigts, écoutait de ses deux oreilles. Mais rien ! pas un bruit de loquet ! Bientôt, sommeillante ; elle aurait été incapable de faire une différence entre un claquement de porte et la chute coupée et lourde d'une grosse bouse de vache. Il lui fallait accrocher son chapelet à la croix du bénitier, et s'endormir tout à fait.
 Un soir, elle eut une grande surprise. Vite déroutée par la disparition brusque de Pierre à un pan de mur, elle s'en revenait à la maison, lentement, toute triste. Elle entendit des pas qui la suivaient. On semblait avancer avec précaution. Elle se cacha derrière un arbre. Une ombre la frôla. C'était son fils. Comment, si tôt ? Elle prit sa piste, et prudemment l'épia. Il alla droit à l'écurie, en évitant de marcher sur les pierres craquantes. Il mit ses sabots dans ses mains, et il poussait la porte avec douceur quand elle lui frappa sur l'épaule.
 — Tu ne l'as donc pas trouvée, ce soir ?
 Il parut étonné.
 — Tiens, tu n'es point couchée !
 Comme elle ne répondait pas, il reprit avec hauteur :
 — Non, je ne l'ai pas trouvée.
 — Tu l'avoues donc, tu cours après elle tous les soirs !


 Déjà rageuse, elle lui pointait son parapluie en pleine poitrine, et lui en donnait de grands coups sur les bras, tandis qu'elle agitait sa lanterne en la balançant comme un encensoir. Il laissa tomber ses sabots et saisit le bout du parapluie en disant d'une voix basse :
 — T'es folle, maman, t'es folle, c'est sûr.
 Elle lui jeta des mottes de terre, des morceaux de bois, tout ce qu'elle trouvait sous sa main. Il ouvrit le parapluie, et les projectiles rebondirent sur la toile tendue et sonore. Elle l'insultait en lui donnant des noms d'animaux méprisés, sans trop crier de peur de réveiller les deux sœurs. Enfin elle agrippa une baleine du parapluie. Pierre le lâcha et disparut dans la nuit.


V


 Le lendemain soir, la Griotte repartit en chasse comme de coutume. Il lui sembla qu'elle suivrait Pierre plus aisément. Il marchait au milieu de la route, sans tourner la tête de droite et de gauche, comme une personne honnête qui se promène pour se promener et n'a rien à craindre. Il s'enfonça tranquillement dans l'ombre des acacias. Elle crut le tenir, avec l'autre peut-être. Mais brusquement il se retourna et cria :
 — Si tu crois que je ne te vois pas ! mais tu perds ton temps.
 Et il s'enfuit, sauta par dessus un petit mur de pierres sèches. Elle avait beau crier :
 — Vas-tu m'écouter, vas-tu m'écouter !
 Il se sauvait toujours, peu à peu rétréci et rapetissé par les ténèbres. Longtemps encore elle le vit courir dans le pré, foulant les herbes, pareil à un revenant en folie. Sur son passage, de grands bœufs blancs se dressaient pesamment, détiraient leurs membres humides de rosée et gourds, et soufflaient avec force, pris d'inquiétude, leurs cornes luisantes en avant, toutes semblables à des arcs étranges où les étoiles auraient tendu leurs rayons.
 Je fais des bêtises, se dit la Griotte. Je me montre trop tôt.


VI


 — Cette fois, ils ne m'échapperont pas.
 Elle pensait cela au bord de la rivière, à une bonne distance de Pierre, qui, ce soir-là, n'avait pu la dépister. Patiente, elle marchait toujours entre deux saules. De temps en temps, elle reculait, repartait, et elle riait en elle-même, car si de loin un passant l'apercevait, il pouvait croire à une danse fantastique où elle faisait trois pas en avant, deux en arrière, jouant le rôle du cavalier seul.
 Devant un coude bien arrondi de la rivière, Pierre s'arrêta. Un bateau de flotteur, attaché à un tronc de saule par une chaîne libre, clappait comme une langue de chien qui boit. Pierre le détacha et sauta dedans. Le bateau glissa vers l'autre bord, sur le reflet d'un ciel très pur, jonché d'astres brillants comme des yeux et que le sillage faisait légèrement clignoter. L'eau coulait, lente, sans chocs, s'illuminait entre deux projections de saules, rentrait dans l'ombre, et la perche de Pierre s'enfonçait, se retirait sans bruit. Il semblait pêcher aux feux de la lune, et, avec son bras démesurément allongé, aller chercher des poissons sous les pierres.
 La Griotte ne put retenir une exclamation. La chance encore se tournait contre elle. Elle ne la verrait donc jamais, cette fille ! Pierre était arrivé. Les saules, au-dessus de lui, se creusaient en charmille impénétrable, et leurs branches se traînaient sur une pile de bois. Il était là, à n'en pas douter, derrière cette pile, sous un couvercle de feuilles fraîches, le nid de leur amour.
 La Griotte entendait la voix de Pierre, des sons indistincts et lointains, coupés de silence pour les réponses de l'autre voix, qu'elle n'entendait pas. Elle aurait voulu se jeter à l'eau ; elle ne put qu'agiter ses deux poings, suffoquée, en criant :
 — Libertins, libertins !
 Et en pleurant douloureusement.


VII


 Dans la journée, elle faisait des recherches, et allait effrontée, de porte en porte, par tout le village, questionner les filles :
 — C'est-il toi qui veux les bœufs ?
 Si la fille rougissait, sans oser comprendre, la Griotte précisait :
 — Je te demande si c'est toi qui veux les bœufs, avec mon Pierre !
 L'une lui rit au nez. L'autre la remit vertement à sa place. Une troisième la menaça même de lui faire envoyer du papier par monsieur le Juge de paix.
 Elle ne put rien savoir, et désespéra de jamais connaître la vérité, de plus en plus haineuse contre la rouleuse inconnue qui lui volait l'amitié de son enfant. Comme Leroc n'agissait pas, ne faisait aucune observation, en apparence désintéressée, elle l'aiguillonna, vexée toutefois de n'avoir point réussi toute seule.
 — Il faudrait pourtant t'y mettre, Leroc, et que ça finisse, cette histoire !
 — Ah ! tu te rends, dit Leroc avec dédain, ce n'est pas dommage. T'a-t-il assez roulé le petit que je ne sais pas prendre. Oh ! tu en es encore une drue, toi, de femme ! Enfin, tu y renonces ; c'est bon, à mon tour !
 Il s'expliqua nettement avec Pierre.
 — Ou tu te coucheras ce soir tout de suite après la soupe, ou je te ferai ton affaire ce soir même.
 Sa voix était si ferme, son attitude si énergique, que les deux sœurs s'agitèrent, effarées, et leurs quatre yeux se déplacèrent vivement, dans tous les sens, comme les billes d'ivoire d'un jongleur.
 Pierre ne répondit même pas, et, sa soupe avalée avec précipitation, il s'en alla en pleine liberté, sifflotant.
 Il passa dehors la moitié de la nuit.
 Comme il rentrait, insoucieux, à son écurie, une détonation éclata tout près de lui. En même temps, un grand cri fut poussé. Pierre se précipita et retint son père prêt à tomber. Leroc venait en effet de se loger une balle dans le bras gauche. Il criait, comme égorgé. Pierre le traîna à la maison. Ce fut une stupéfaction ! Les deux sœurs s'étaient assises sur leur lit. Elles se frottaient les yeux, ouvraient la bouche, et, pâles, collées l'une contre l'autre comme des figurines de porcelaine, elles tâchaient de comprendre. En chemise, sèche et affolée, la Griotte avait dévalé du haut de son grand lit. Une mèche de cheveux gris s'était échappée de son serre-tête et se tordait au creux de ses épaules maigres. Le bras de Leroc pendait misérablement. On le tâtait, on lui disait :
 — Fais donc voir, montre donc ; mon pauvre vieux, comment diable as-tu fait ton coup ?
 Mais, à chaque attouchement, il se débattait avec des plaintes rauques.
 — Laissez-moi. Allez-vous me laisser ?
 Toute la nuit, il gémit à lui seul comme un orchestre d'instruments à vent. Un instant, il se calmait, et, d'une voix enfantine, expliquait l'aventure :
 — J'ai d'abord voulu tirer, et puis, je n'ai plus voulu, et en même temps que j'ai tiré, je me suis retenu.
 Enfin je ne sais pas !
 Honteux de sa maladresse, incapable de supporter sa douleur avec courage, il refusait les soins, surtout ceux de Pierre, qu'il n'était pas loin de considérer comme son assassin. Les deux sœurs s'étaient levées, et, blanches, grelottantes comme si on les eût trempées dans un seau de glace, tenaient l'une la chandelle vacillante, l'autre des bandes de toile. Le médecin arriva. Il voulut tenter d'extraire la balle.
 — Jamais de la vie, ça me ferait trop mal ! Plus tard, vous reviendrez !
 Le médecin dut laisser la balle tranquille.
 — Mais s'il revient, il nous comptera deux visites, dit la Griotte quand il fut parti.
 Fréquemment repoussé, Pierre demeurait dans un coin, muet, tout à ses remords. Seule, la Griotte, marchant en chaussons, avait le droit de s'approcher du lit. Leroc eut la fièvre, délira, et finit par s'endormir d'un sommeil agité. Parfois, il se débattait, rejetait les draps au pied du lit et mettait à nu ses jambes rugueuses et moussues comme de la vieille écorce. Les deux sœurs se courbaient alors sur leur ouvrage, de telle sorte qu'elles étaient obligées de tirer l'aiguille horizontalement, de peur de s'éborgner. À tour de rôle, tous veillèrent Leroc, silencieux, superstitieusement frappés par la bizarrerie de l'accident. La Griotte réfléchissait en découpant de la charpie. Elle jugeait la conduite de Pierre avec plus d'indulgence. Peut-être bien, tout de même, qu'ils l'avaient traité par trop en enfant. Elle ne doutait pas que le malheur de Leroc ne fût une punition du bon Dieu. De son côté, Pierre, amolli, avait embrassé sa mère en lui promettant qu'il ne le ferait plus.
 Elle hocha la tête sans rien dire. Ils guettaient les mouvements du blessé, parlaient à voix basse, et faisaient « chut ! » aux voisins, qui entraient prendre des nouvelles. Ils les donnaient dans l'oreille, les murmuraient comme des confidences. Les curieux s'asseyaient, regardaient quelques instants Leroc dormir, et faisaient place aux autres. L'un d'eux prétendit qu'on aurait mieux fait d'appeler le vétérinaire, moins cher que le médecin, et, sauf le respect que je vous dois, aussi habile à soigner les gens que les bêtes. Toute la journée ce fut un va et vient.
 La Griotte, bien vraiment révolutionnée, répétait :
 — Jamais on n'a vu une chose pareille ; mais, je le dis toujours, on n'a que ce qu'on mérite !
 Leroc continuait de dormir, de plus en plus calme.


VIII


 Toute la grande chambre tombait à un silence profond. Au-dessus de l'immense cheminée, où tourbillonnait une fumée âcre, entre deux chandeliers de cuivre brillants comme des éclairs, et quatre baguettes de bois noir, Napoléon Ier, empereur, son petit chapeau un peu de travers, l'œil sévère et la main droite glissée dans sa redingote grise, comptait une à une les pulsations de son grand cœur. On ne voyait pas encore le portrait du général Boulanger, car les gloires successives de la France n'entraient guère sous cet humble toit qu'une vingtaine d'années après leur disparition. Un agent, toutefois, leur avait fait l'article en disant :
 — Un malin, celui-là, tenez !
 Leroc avait pris le portrait :
 — Un malin, vous dites ?
 C'est égal, il se défiait et préférait attendre ; et, après avoir tous regardé, à la ronde, longuement, l'image peinte, et bien que, selon les deux sœurs, elle eût un faux air de Pierre alors soldat, ils l'avaient rendue, en garde contre les entraînements du cœur, les coups de tête et les dépenses qui ne servent à rien.
 Enfin Leroc ouvrit les yeux. Il paraissait soulagé. Mais la vue de Pierre le mit de nouveau en fureur. Il lui cria :
 — Va-t-en ! Sors d'ici !
 Pierre s'en alla, penaud.
 — Ne te fâche pas, dit la Griotte, tu vas te faire mal.
 À son grand étonnement, Leroc ne sentait plus rien du tout.
 En effet, comme on n'avait pas voulu la retirer, la balle s'était décidée à sortir toute seule. Leroc la trouva dans ses bandes défaites. Il la prit d'abord pour un noyau de quelque fruit : c'était bien une balle, un petit morceau de plomb informe, bosselé, enveloppé dans une couche de sang caillé. Pierre, rappelé, d'un coup de canif montra à découvert le brillant du plomb. Il voulait la remettre tout entière à neuf, mais la Griotte et les deux sœurs l'en empêchèrent, comme s'il allait accomplir un sacrilège. Il fut convenu qu'on garderait la balle sous verre, sur la commode, à côté du livre qui avait servi aux trois premières communions des enfants. En réalité, la balle, à peine entrée dans les chairs, était restée à fleur de peau et n'avait eu qu'à se laisser tomber. Mais, de l'avis de tous, le bras était troué de part en part. Leroc geignait encore pour la forme. Cependant, joyeux de se voir hors de danger, il dit à Pierre :
 — Est-ce que ça te servira de leçon, au moins ?
 Pierre hésita avant de répondre ; puis il dit aux deux soeurs :
 — Allez donc voir au poulailler, s'il n'y a pas des oeufs !
 Quand elles se furent éloignées, il reprit :
 — Soyez tranquilles, papa et maman, je ne sortirai plus le soir.
 La Griotte n'accepta pas cette exagération :
 — Oh, de temps en temps, tu pourras nous laisser ! Il faut jeter ta gourme !
 Ému par tant de douceur, Pierre s'enhardit :
 — D'abord, c'était une farce !
 — Comment !
 — Oui, c'était pour vous faire en croire. Vrai comme je le dis, je connais point de fille. Quand j'avais dépisté maman, je rentrais tout de suite à l'écurie. Tu te rappelles, le soir du parapluie ? Eh bien, tous les soirs c'était la même chose ! Quand tu m'as suivi le long de la rivière, jusqu'en face de la pile, je t'ai joliment mis dedans. Tu as cru qu'elle était là, la fille ! Il n'y avait pas plus de fille que sur ma main. Je causais tout seul. Ça ne m'amusait point toujours. Des fois, je gelais dehors. D'autres fois, je travaillais pour passer le temps. La dernière nuitée, je suis allée dans la vigne et j'ai resserré avec une clef les fils de fer qui s'étaient détendus, même que j'ai relevé, au clair de lune, des supports à moitié tombés. Dame, vous vouliez me contrarier, alors j'ai voulu vous contrarier aussi, moi, na !
 Il avouait tout, la tête basse, modeste, souriant aussi, car il se félicitait d'avoir si bien joué à cache-cache. Il ne s'apercevait pas que la figure de son père s'empourprait graduellement. La Griotte poussait des « oh ! » d'étonnement, et n'en revenait pas, à la fois dépitée et orgueilleuse. Quand Pierre eût fini de raconter ses petites affaires, Leroc, oubliant son bras malade, s'était assis sur son lit :
 — Comment ! c'était une farce ? Tu te moques comme ça de tes père et mère, et, par-dessus le marché, tu manques de les tuer ! ».
 Il avait saisi une chaise avec sa main libre, et la lança de toute sa force. Pierre l'attrapa au vol, et la posa tranquillement sur ses quatre pieds. Leroc voulait sauter par terre. La Griotte le prévint à temps.
 — Allons bon ! ça va recommencer ! tu fais la bête, à la fin !
 Pierre dut l'aider à le maintenir. Il pressa légèrement le bras blessé de son père, qui, dompté comme un taureau auquel on a mis un anneau dans le nez, se recoucha avec un grognement perçant et continu, tandis que Pierre, sans le lâcher, sanglotait et lui disait, en maîtrisant ses soubresauts, le corps tout secoué :
 — Voyons, papa, si je te dis que je cours les filles, tu te fâches, et si je te dis que je cours pas les filles, tu te fâches encore. Alors je ne sais plus quoi dire, moi !

Renard

MULIEBRIA CORDA
-
I. —L'Auberge


C'est un bouge suspect où de pâles buveurs
Vont s'attabler aux soirs de souffrance charnelle ;
C'est l'assommoir où sombrent toutes les ferveurs
Dans un rouge chahut d'obscènes ritournelles.

Les murs sont maculés du sang des cœurs blessés
Venus s'échouer là comme sur une grève,
Cœurs de Désespérés et cœurs de Délaissés
Contempteurs de l'amour et Renégats du rêve.

Le bouge hospitalier les reçoit tous, hélas !
Ces vagabonds que leur ennui d'être seuls navre,
Et qui sont résignés, quoique pourtant bien las,
Par la vie inutile en quête de leur hâvre.

— Mais parfois en ces lieux, par le vice requis,
Un hôte de hasard victorieux s'installe,
Et despotiquement, comme en pays conquis,
Épand une terreur de loyauté brutale.

Alors on clôt la porte ainsi que les auvents
Pour l'accomplissement de ténébreuses fêtes,
Jusqu'au jour où l'Auberge ouverte à tous les vents
Croule enfin sous les coups des dernières défaites.

II — Le Palais



À l'abri des pillards, derrière les remparts
Des bastillons qui lèvent haut de toutes parts
Leurs hourds et leurs créneaux, comme une forteresse
Et royal de splendeur, l'altier palais se dresse.

Maints seigneurs valeureux et maints aventuriers
Ont livré sous ses murs des combats meurtriers ;
Maint troubadour badin maître en gaye science
Sur le seuil a lassé l'art de sa patience…

Aux heurts d'appel les échos seuls ont répondu…
Et tous s'en sont allés, le cœur tout morfondu,
Sous le regard cruel du Sphinx énigmatique
Blasonné sur l'écu de gueules du Portique.

— Mais parfois le plumail d'un roide paladin
Qui vague à l'aventure au seul gré du destin
Surgit, au flamboiement d'un éclair de victoire,
Dans la clameur d'une fanfare évocatoire.

Et voici que soudain, aux sons de l'olifant,
Les murailles devant le seigneur triomphant
Croulent, et que, sans coup férir, le preux pénètre
Dans le palais altier qui n' attendait qu'un maître.



III. — Le Temple



Voici l'asile inviolé de chasteté ;
Le bon Ange gardien seul y dit des Prières,
Et le jour tapageur au filtre des verrières
Dépouille avant d'entrer toute brutalité.

Sur l'autel fastueux semé de lys, les cierges
Restent immaculés en leurs supports d'or fin,
Et, seuls, les doigts légers d'un furtif séraphin
Effleurent le clavier des orgues encor vierges.

Le Tabernacle est clos, l'Évangile est fermé !
Des fleurs sans nul parfum défaillent dans un vase,
Et du silence émane une languide extase
Qui flotte en attendant le Rêve inexhumé.

Mais l'heure va sonner du premier sacrifice
Qui troublera ce long repos conventuel.
L'Officiant élu suivant le rituel
Pour la Communion va lever le calice.

L'encens voluptueux dans l'encensoir fumant
Alors propagera des ferveurs inconnues,
Et les orgues enfin clameront jusqu'aux nues
Un Hosannah suprême éperdu vers l'Amant.



Jean Court.

PANTOUM DU FEU



Un pâle papillon bat de l'aile dans l'âtre,
Le bois fume et s'allume avec de petits cris ;
Dans l'âme une lueur incertaine folâtre,
Le souvenir entr'ouvre un peu son linceul gris.



Le bois fume et s'allume avec de petits cris,
Une flamme jaillit, s'abat et se redresse ;
Le souvenir entr'ouvre un peu son linceul gris,
Une voix d'autrefois hésite en sa caresse.

Une flamme jaillit, s'abat et se redresse,
L'or palpitant s'allie au rose frémissant ;
Une voix d'autrefois hésité en sa caresse,
Cheveux épars s'incarne un Rêve éblouissant.

L'or palpitant s'allie au rose frémissant,
Mille langues de feu se meurent réunies ;
Cheveux épars s'incarne un Rêve éblouissant.
On poursuit un vain leurre en folles agonies.

Mille langues de feu se meurent réunies,
L'ombre viendra bientôt envahir le foyer ;
On poursuit un vain leurre en folles agonies,
La vision dans la brume va se noyer.

L'ombre viendra bientôt envahir le foyer,
Un peu de cendre exhale une tiédeur bleuâtre ;
La vision dans la brume va se noyer,
Un pâle papillon bat de l'aile dans l'âtre.

Édouard Dubus.

NOCTURNE


 Et c'est encore, ainsi que partout, ainsi que toujours, sous ce banal plafond héraldique et parmi le sadisme sans distinction de ces peu cléricales verrières, c'est encore le même orgueilleux bruissement de foule, le même inane clapotement d'océan — un océan dont les flots seraient anthropomorphes, grotesquement... Les bains de mer de mon âme, de ma pauvre âme malade !... Quelque chose, en vérité, comme un Trouville psychologique !...
 Serties des vieux chênes sculptés, les tapisseries usées de Flandres prélassent sur les murs leurs verdures fanées, leurs ivrognes nabots, leurs gaîtés houblonneuses et pesantes, toutes leurs charmeuses gammes de calmes teintes éteintes, qu'étoile, brutal et froid, l'aigu diamant d'une lampe Edison... Cette dissonance m'enchante. Elle m'enchante autant que, dans tout ce très gothique mobilier, les petites bombes de chocolat et les inquiétants cylindres de jais dont s'orne la houle des occiputs, autant que les cigarettes qui fument entre les lèvres trop écarlates de ces dames, là-bas, somptueuses et plâtrées comme des façades... Pourquoi me gênerais-je et ne répéterais-je pas que : mon âme a la colique. De tels aveux impliquent le ridicule, la raillerie, je le sais... En quoi, pourtant, ces simples mots sont-ils plus grotesques que la conduite de cette herboriste bien connue qui donnait, selon l'expression du poète,


De l'ipécacuanha à un cacatoès...


 —Vous m'apporterez ce qu'il faut pour écrire, n'est-ce pas ?...
 Pour écrire ? À quoi bon ? À quoi bon, en somme ? Les vagues anthropomorphes ne déferlent-elles pas sur l'épiderme de mon âme ? Je suis au bain. Pourquoi donc écrirais-je ? Et pour qui ? Et à qui ? Que sais-je ? Mais il le faut ! Certes, il le faut. Oh ! l'éternel priapisme de l'écritoire !...
 Eux et Elles, voyez, ils se prélassent, dans la paix des longues déglutitions... Sans doute, par une lente endosmose, leur liquide cervelle s'écoule, peu à peu, avec les bières bues... Elle s'écoule dans leur ventre, leur liquide cervelle, et jusque dans les urinoirs...
 Moi, maintenant, je sens ainsi que des myriades de tortureuses pattes de mouches qui chatouillent mes nerfs frissonnants et mes capillaires et mes moelles et mes fibres et toutes les cellules de mon cerveau (surtout celles des circonvolutions, voisines de la scissure de Rolando, où, comme on sait, Hetzig a localisé les centres psycho-moteurs). Oh ! ce martyre !... Eux et Elles, boivent et digèrent... J'entends très nettement fonctionner leurs estomacs... Mais il me semble que, de minutes en minutes, leurs crânes diminuent, diminuent, diminuent... Pourquoi donc suis-je convaincu que la résultante mathématique de toutes ces infimes vibrations qu'impriment à mon système nerveux les pattes de mouches dont il a été parlé plus haut, constitue un phénomène physique, très curieux et même grandiose, comme, par exemple, un tremblement de terre, une éruption volcanique, un cyclone, une aurore boréale ? Pourquoi aussi estimé-je que tous ces gens qui m'entourent devraient, lèvres bées, admirer ce spectacle, assurément peu banal, avec la satisfaction de touristes anglais qui ont vu un beau cataclysme... Mais voilà qu'ils rient tous, et leur rire m'indigne et me désole comme un blasphème, ou plutôt comme une imbécillité insolente ! Certes, tout cela est loin d'être clair !...
 D'ailleurs, la mystérieuse endosmose accomplit son œuvre... De minutes en minutes, les crânes diminuent, diminuent, diminuent... Tenez !... Ce monsieur, là-bas, n'a déjà plus de tête, non, plus de tête du tout...
 Oh ! qu'ils me meurtrissent l'âme, tous ces étroïdes ambiants qui ne paraissent point ressentir et qui, de fait, ne ressentent point le monstrueux supplice des pattes de mouches... Mon corps entier vibre douloureusement, comme vibrerait sous l'archet d'un fou une contre-basse qui serait hyperesthésique...
 Là-bas, dans un coin, j'entrevois trois jeunes garçons, virginaux et trop roses, qui sourient et minaudent. Leurs cils sont adroitement rehaussés de pastel, et leurs lèvres, d'aquarelle. Leurs ongles sont polis comme des abbés et leurs phalanges s'enorgueillissent de cercles d'or. Leurs vestons, congrûment écourtés, découvrent des callipygies voluptueuses, presque hottentotes. Pourquoi, dès leur première œillade, ai-je procréé cet alexandrin qui me semble, pour l'instant, sublime, tout simplement :


Le strabisme éternel des tantes rabougries !...


 Mais, j'y pense, peut-être bien que ces trois jeunes garçons ont des mœurs infâmes !...
 Quoi qu'il en soit, cette foule imbécile, cette foule de stupides repliés sur leurs ventres, commence à me donner des nausées et, pour ainsi dire, le mal de mer.
 Elle, seule....
 Mais, alors, pourquoi ces sourires à la satisfaite idiotie de son voisin ? Pourquoi l'indulgence de ses sourires au goître indiscutable de son voisin ? Ne voit-elle donc point le goître psychologique de son voisin ?... — Oh ! Mon Dieu, après tout, quelle logique induction m'incite à conclure que ses pâles yeux mauves soient autre chose que d'insensibles opales, inaptes à transmettre les sensations à son âme ? A-t-elle même une âme ?... Elle se targue de cheveux blonds comme du chanvre et un peu crépelés, sans doute par les artifices du bigoudi. Voila tout ! Absolument tout !...
 Je me sens couler, doucement, dans l'imbécillité... Les pattes de mouches ne font presque plus vibrer la contrebasse de mon corps... Piano, piano, pianissimo !... Parmi les tapisseries usées de Flandres... Oh ! les petites bombes de chocolat ! ... l'endosmose !... les callipygies voluptueuses ! le goître psychologique ! et Elle ! et ses cheveux ! et le reste !... En somme, pourquoi tout cela ? Raisonnons... Raisonnons...
 (Un trou, une lacune, une léthargie de la conscience. Combien cela dura-t-il ?) .
 Maintenant, regardons-la. Elle parle. Elle a un long nez, quasiment aristocratique, et une grande bouche mince, presque sans lèvres, qui rit toujours, pâle comme une cicatrice, au milieu de son visage plus pâle, de son visage de pseudo-anglo-saxonne qui ne connaîtrait pas les solides joies du rosbeef... Et, tout cela, sous son extraordinaire perruque flave, ébouriffée, comme je l'ai déjà dit, par les artifices déloyaux du bigoudi.
 Oh ! l'horrible cliquetis des dominos...
 Elle n'est point très jeune. Non, sans doute !... point très jeune. À moins qu'elle ne le soit d'âme, ce que je ne sais, ni vous, ni même Elle, ni personne, ni même Dieu. Elle a peut-être trente-six juvéniles automnes, ou bien quarante, ou peut-être même cent, et plus ! Mais sa peau est pâle et, quoiqu'un peu séchée par les plâtres, les bismuths, les magnésies et toutes les gouaches cosmétiquées, sans rides visibles pour moi, et ses cheveux sont blonds comme doit être son âme, au cas, je le répète, où elle aurait une âme, et je sens que si ses dents petites, qu'azura imperceptiblement l'abus du vif-argent, et si ses pâles yeux mauves, froids et maléficieux comme des opales, ne riaient point avec tant d'insistance, parmi le douloureux et voluptueux tohubohu de ce lieu bête, vers le goître monstrueux de son inqualifiable voisin, peut-être serait-elle un jour la Sorcière, la sainte Sorcière mille fois bénie dont le divin philtre...
 — Messieurs, on ferme !...

G. Albert Aurier

VOLUPTÉ

Je rêve de vers doux et d'intimes ramages,
De vers à frôler l'âme ainsi que des plumages ;


De vers blonds, où le sens fluide se délie
Comme sous l'eau la chevelure d'Ophélie ;

De vers silencieux, et sans rythme et sans trame,
Où la rime sans bruit glisse comme une rame ;

De vers d'une ancienne étoffe, exténuée,
Impalpable comme le son et la nuée ;

De vers de soirs d'automne ensorcelant les heures
Au rite féminin des syllabes mineures ;

De vers de soirs d'amour énervés de verveine
Où l'âme sente — exquise ! — une caresse à peine,

Et qui au long des nerfs baignés d'ondes câlines
Meurent à l'infini en pâmoisons félines.

Violes d'or... et pianissim' amoros'...

Je rêve de vers doux mourant comme des roses.

Albert Samain.

AU THÉATRE LIBRE

les frères zemganno

 La critique s'est montrée sévère pour les Frères Zemganno. Ç'a été, dans les feuilles bien pensantes inféodées au « Georgeohnetisme » et au « Sarduvisme », un tolle général. Les Aristarques de la presse ont froncé le sourcil. Les moins âpres, tels que MM. Sarcey et Vitu, ont prononcé le mot de fumisterie ! Quelques-uns se sont fâchés rouge de ce que des mains profanes, non artistes, eussent osé tripatouiller le chef-d'œuvre redoutable d'Edmond de Goncourt, et ont crié au sacrilège !


 Des mains non artistes, certes ! j'en conviens, celles de M. Méténier. L'auteur de Madame la Boule n'apporte dans ses écritures ni le souci, ni la nervosité qu'il convient. Il n'est pas le sensitif en quête du vocable rare, déterminant, du mot qui peint, apte à comprendre pleinement les Goncourt et à faire passer, par suite, sur la scène, ce frisson spécial qu'ils ont mis dans leur œuvre ; mais il est homme de théâtre : il a des habilités spéciales, de la facilité, de l'entregent. Il sait et il pratique toutes les roueries de nos moins scrupuleux feuilletonistes, qu'il menace d'ailleurs dans leur gloire. À le connaître, il est charmant. Son exubérance de voix, son en-l'air de gestes vous tirant, quand il parle, un bouton ou un revers d'habit, toute la chaleur de son débit, toute l'animation de ses yeux, en font une personnalité. On sent une conviction. Il donne l'illusion d'un littérateur opiniâtre et féroce. Et tout cela va, chez lui, de pair avec une entente prodigieuse de la réclame, un agencement merveilleux du succès. C'est l'oiseau rare des éditeurs !
 Pour lui surtout, cette transposition des Frères Zemganno était ardue. Il s'est tiré de la difficulté avec bonheur. M. Alexis dut être ici bon conseilleur. Il a compris qu'il fallait le moins possible changer l'œuvre du maître. La pièce ! c'est simplement trois tableaux découpés dans le vif du livre avec l'ingéniosité rare qu'on va voir :


Ier acte


 Les frères Zemganno ont inventé un tour nouveau, qui doit leur conquérir Paris. Ils s'en entretiennent avec leur directeur. Survient la Tompkins, qu'on sent amoureuse de Nello. Rapidement, elle passe, constatant le dédain gouailleur, l'ironie audacieuse du jeune homme. On nous l'a suffisamment fait entrevoir excentrique et nerveuse. On conçoit que son dépit sera autre chose que résigné ; elle file avec un regard féroce où s'attisent des projets de vengeance.



IIe acte.


 Le Cirque d'Été. Les frères Zemganno vont entrer en scène. Leur nouveau tour est un saut perpendiculaire à travers un tonneau de toile. Ce tonneau, on l'apporte. La Tompkins, muette, vire autour. À la flamme noire de ses yeux, on devine qu'elle médite de lui substituer un tonneau de bois. Elle sort. À peine les frères Zemganno se sont-ils élancés en scène (la représentation se passe à la cantonade), qu'on entend un grand cri, puis les clameurs d'une foule surprise. Par suite de la substitution de tonneau, Nello a manqué son tour et, en retombant lourdement, s'est cassé les deux jambes. On l'apporte en scène sur une civière. La toile tombe.



IIIe acte.



 Convalescence de Nello. Gianni se désole, et quand il a compris que son frère ne pourrait plus faire de la gymnastique, il l'assure qu'il y renoncera lui-même et qu'il se résoudra à jouer avec lui, du violon, le derrière sur une chaise.
 On le voit, c'est la simplicité, c'est le nu du roman avec, autant que possible, les phrases mêmes de M. de Goncourt, çà et la, plaquées ; c'est le roman, mais sans plus les délicatesses d'analyse, les richesses descriptives ; et dans cette transposition, des nuances subtiles se sont évanouies, tout un parfum d'intimité s'est évaporé. Il y manque, à cette pièce ! la vie. Oui ! il y manque, à cette pièce ! l'âme du roman.
 Toutefois, pour qui a savouré l'élixir rare des pages du maître et qui s'en est grisé, cette représentation laisse un charme. Elle fut pour moi, qui l'ai considérée comme la mise en images de l'œuvre captivante. D'autant que MM. Grand (Nello) et Antoine (Gianni)ont eu d'heureux gestes, des inflexions inspirées, et par instants, la vivacité captieuse du livre. Quand à Mlle Sylviac , elle a silhouetté la Tompkins avec l'énergie farouche, le piquant exotique qui convenait.
 De là deux courants bien distincts dans la salle. La sympathie des lettrés, suivant en eux-mêmes les péripéties du roman rappelées par des équivalents scéniques, et l'ennui des autres, cherchant à saisir le sens d'une chose dont ils n'avaient sous les yeux que le symbole.
 Sarcey lui-même n'a pas vu que l'intérêt de la pièce gisait non dans la traîtrise de la Tompkins (ah ! oui, la grande scène d'amour à la Sardou, la courtisane froissée qui, après avoir supplié, se révolte… tu connais çà aussi, toi, Dumas !) mais dans la touchante amitié des deux frères.
 Peut-être faut-il chercher aussi dans les raisons qui ont fait que la pièce a été mal accueillie, ce bruit fâchent suscité autour d'elle par des reporters malavisés.
 Avec des soins minutieux, on nous avait narré la gestation du drame, les nuits blanches, les cigarettes, les démarches de MM. Alexis et Méténier, les lectures émouvantes faites, la nappe ôtée, chez MM. Daudet et de Goncourt. On assurait que dans le grenier d'Auteuil, des habitués avaient maculé d'une effusion lacrymale la soie de leur gilet, et l’Évènement s'était, le matin même de la représentation, imbibé, comme eux, de pleurs ineffables. Tout cela avait inutilement surexcité les nerfs des spectateurs.
 Et puis, on nous avait promis une mise en scène somptueuse, des décorations uniques, des cavalcades, quoi encore ?… des maillots ! Hélas ! nous n'avons eu, en fait des maillots, que celui d'Antoine, et cela n'a pas même fait braquer les lorgnettes. Pourtant cet acte du cirque a paru le meilleur (ô éternel cabotinisme !). La représentation en sourdine, les fanfares à la cantonade, les applaudissements lointains, ont intéressé. La galopée des spectateurs effarés accourant sur la scène, après la chute de Nello, a fait haleter la salle. C'était d'un réalisme saisissant. Mais ce n'était là qu'un effet de gros mélodrame.
 En somme, cette représentation a été curieuse. Si elle n'est pas appelée à faire date dans notre histoire littéraire, elle aura eu ce résultat heureux d'accaparer quelques jours l'attention publique au profit du premier (sans conteste !) de nos romanciers contemporains et de deux jeunes dignes d'estime, laborieux et sincères, pour qui sont tous nos vœux.


Ernest Raynaud.



BIRIBI



 Bravo ! Encore un coup d'épée dans le ventre de cette vieille sacro-sainte idole : l'Armée !… ─ Mais, l'Armée, Monsieur, c'est la Patrie ! Et puis, vous ne le nierez pas, l'Armée est nécessaire ! ─ Le choléra aussi est nécessaire. Est-il pour cela défendu de le blaguer ou vilipender ? Ne vaudrait-il point mieux froidement discuter telles assertions, étudier les documents présentés ? Quant à moi, ô candides bourgeois, que vous anathématisassiez ou que vous n'anathématisassiez point les sacrilèges mangeurs de guerriers, et M. Georges Darien en particulier ! je constate seulement ceci : que l'Armée me semble un peu trop redouter critique et discussion, pour avoir la conscience aussi nette qu'elle le clame. Quoi qu'il en soit, si les épouvantables faits racontés par M. Darien, dans Biribi, sont exacts — et j'ai cru reconnaître dans son livre l'indubitable accent de la vérité, — il est dès maintenant démontré qu'il existe, en plein xixe siècle, des tortionnaires plus cruels, plus raffinés, plus atrocement lâches que les moines de l'Inquisition, et que ces répugnants torquemadas, à la fois juges, gardes-chiourmes et bourreaux, sont des officiers, de ces courageux et nobles officiers français dont les culottes vermillon sont si chères à M. Prudhomme ! Oui, M. Prudhomme, lisez ce roman, et si, à cette tragique évocation des martyres compliqués et barbares, des féroces assassinements à coups d'épingles qu'on fait subir, là-bas, dans cette fournaise du Sud Algérien, aux pauvres Camisards, vous ne sentez pas vos moelles bouleversées d'un frisson, et si vous ne crachez point quelque injure indignée vers l'Armée et vers ceux qui vivent de l'Armé, c'est que vous êtes, ainsi que je l'ai toujours pensé, incurable. Biribi est un livre superbe, angoissant, terrifiant. L'écriture, certes, en est bizarre et, pour tout dire, souvent mauvaise. On y trouve à profusion des locutions - je cherche un mot cruel pour M. Darien — des locutions superlativement militaires : «  Je me suis piqué le nez quelquefois » ; « pas plus adroit de mes mains qu'un cochon de sa queue  » ; « la fleur des pois des Chaouchs  » ; « j'essaye de piquer un roupillon ». D'autres fois, au milieu de phrases très oratoires, on voit surgir des termes d'argot qui donnent l'idée d'un Bossuet retouché par M. Méténier, et souvent enfin on se heurte à de truculentes métaphores romantiques qui ont du faire tressaillir les squelettes de Théo ou de Petrus Borel : « Jeter à pleines poignées, sur les éraflures que fait la pointe froide de la menace, le sel cuisant de l'ironie... » « Elle a osé fourrer la Révolution dans la sabretache des généraux à plumets et jusque dans le chapeau de Bonaparte, comme elle a fait bouillir le grand mouvement des Communes dans le chaudron où les marmitons de Philippe-Auguste ont écumé une soupe au vin. La Société, vieille gueuse imbécile qui creuse elle-même, avec des boniments macabres, la fosse dans laquelle elle tombera, moribonde sandwich qui se balade, inconsciente, portant sur les écriteaux qui pendent à son cou et font sonner ses tibias, un grand point d'interrogation, tout rouge ». Mais ces tares de style, je n'ai point le courage de les blâmer. Je les aime presque. Eût-il été logique de vêtir d'élégants brocarts le paria affamé de pain et de vengeance, l'énergumène, fou de misère et de douleur et de rage qui, le corps et le cœur saignant sous ses loques, va hurlant ses malédictions et vomissant sa haine vers ses bourreaux ? Donc, ne faisons point l'inepte pédagogue, et constatons que Biribi est une barbare et vibrante épopée qui nous révèle des cercles de supplices plus nombreux et aussi effroyables que ceux qu'inventa le Dante.

G. Albert Aurier



LES LIVRES


 L'absente, par Adrien Remacle (Savine). — L'idée de ce livre, si j'ai bien saisi, est l'insoluble dualité de l'homme et de la femme dans l'amour, quelques efforts qu'ils fassent pour s'identifier. Seulement, ici, la thèse est traitée subjectivement au seul point de vue de l'homme, principe actif, qui tend de tout son être à cette identification, tandis que la femme, terme passif, ne l'appelle ni ne la repousse, sorte de sphinx impénétrable. L'homme, donc, aux premières « cristallisations » commence par voir la femme non telle qu'elle est, mais qu'il la voudrait ; puis, peu à peu, la dotant de tous les éléments qui composent sa propre essence, il a d'autant plus l'illusion d'approcher le but. Mais il souffre, car la femme est énigmatique et muette, et les rares paroles qu'elle prononce le jettent en d'épouvantables doutes. Et l'illusion et le doute grandissent parallèlement, jusqu'au jour où le fait, un acte irrémédiable, lui prouve qu'il ne l'a jamais comprise et qu'elle ne l'a jamais compris, que c'est le reflet de son moi qu'il voyait en elle, et que là où il cherchait une âme il n'y avait rien : d'où l'Absente. — Est-ce cela ? Si oui, pourquoi ces considérations d'atavisme qui compliquent inutilement les situations ? Un autre défaut encore ces « morceaux » en dehors du sujet, fort beaux isolément mais qui nuisent à l'économie de l'œuvre et en obscurcissent l'idée. Néanmoins, le roman de M. Adrien Remacle est un livre d'artiste et de penseur, dont la lecture est intéressante.

A. V.


 Au Maroc, par Pierre Loti (Calmann Lévy). — Loti nous prévient dans sa préfacé : « Que ceux-là seuls me suivent, dit-il, qui sont mes pareils et mes frères. Pour ce qui est des autres, qu'ils s'épargnent l'ennui de commencer à me lire : ils ne me comprendraient pas. » L'avis est un peu inutile. Fraternellement, donc, nous partons avec lui. Il est évident que l'auteur ne s'est pas proposé un but littéraire. Son livre est comparable à une sorte de Guide Conti au Maroc, artistement rédigé par un homme de lettres. Loti enseigne avec l'art de ne pas perdre sa tête en route, le plus court moyen et le plus sûr pour se rendre à Fez, la ville du sultan, où, grâce aux portes étroites et basses, « on a l'impression d'arriver chez des lapins très pauvres ». Le soir, on campe n'importe où, parfois dans un cimetière. Le matin, on plie les tentes. Le lendemain on recommence ; tout va bien. Souvent, et peut-être malgré lui, Loti se rappelle qu'il a écrit : Pêcheur d'Islande, et parle, en poète impressionnable et délicat, « des neiges mortes, des chameaux qui allongent, de droite et de gauche, avec des ondulations de chenille, leur long cou chauve ». Il lit Huysmans aux heures perdues. Il décrit une espèce de cauchemar de guerre, une vision rapide de fantasias arabes, où les cavaliers trouvent le moyen, sans se culbuter ni ralentir, d'échanger leurs fusils et de se donner un baiser ; de fantasias qui passent avec des cris stridents, comme en ont les martinets, les soirs d'été, lorsqu'ils tourbillonnent dans le ciel. Il note une grande montagne toute rebroussée de lumière, la musique nocturne des grenouilles, qui est de tous les pays et qui a dû être de tous les âges du monde, des brochettes d'enfants juchés sur des ânons, l'atroce, l'exquis supplice du sel (recommandé), des ascensions lentes de femmes qui montent sur les terrasses et, après avoir regardé les mains gantées, les mains à deux peaux de Loti, disparaissent. Coucou ! c'est fini. À remarquer que cette fois l'auteur ne semble pas avoir souffert d'amour par une belle marocaine. En somme, ce n'est pas encore de la géographie pure, et, à ce point de vue, le livre est manqué.


J. R. P.


 La Jeunesse contemporaine, par Lorenzo Vero (Vanier). — La valeur d'un homme « se reconnaît à ces trois manifestations de son être : la religion à laquelle il obéit, la philosophie qu'il professe, la poésie qu'il porte en lui. » Ces principes posés, l'auteur annonce — sans jamais entrer dans la discussion — quelles seront la religion, la philosophie et la poésie des jeunes hommes de notre temps. Mais M. Lorenzo Vero parait avoir plutôt exprimé ses idées propres qu'induit les réelles et complètes tendances de la jeunesse contemporaine, d'ailleurs si insaisissables encore. Toutefois, il en a certainement noté quelques-unes, et sa brochure, qui décèle un esprit élevé autant qu'original, est intéressante et vaut qu'on la lise.

A. V.


 Biribi, par Georges Darien (Savine). — Ce livre apporte à qui l'ouvre d'effroyables sensations, et encore après lecture faite on garde un peu de l'effarement qui suit un très mauvais rêve. C'est, en certains épisodes, d'une intensité de noirceur incroyable. Oui, sous un ciel bleu, ce livre est noir, car le patient, tout à ses haines, l'œil fixé sur les gardes- chiourmes, est aussi un peu hébété, ne sait pas même en quel pays se passe son aventure. — Rien que dans cette obstination à ne pas égarer un seul instant les impressions du lecteur, il y a du talent ; il y a aussi de la monomanie : le livre a, malheureusement çà et là, de trop pamphlétaires allures (et des revendications sociales bien gênantes). Je ne suis pas de ceux qui sont mécontents de l'écriture de ce livre : plus soignée, elle aurait peut-être adouci, par des bigarrures d'art, les infernales violacités qui luisent au-dessus de ce cimetière. Car c'est un charnier — du moins moral — que Biribi. Il paraît qu'on a dû couper telles pages attentatoires à notre candeur : il en reste assez pour offrir un aperçu de vices qu'on ne voit que là — et dans la Bible.

R.G.


 I. Dire du mieux : — I. Le Meilleur Devenir ; II. Le Geste ingénu ; par René Ghil. — « Et si, se plus et plus dénaturant du cercle dont elle est l'équivalente transformation, se développe une ellipse : plus et plus, va à équivaloir en droite l'elliptique périphérie. » Tel est le principe de la « Philosophie évolutives » sur quoi M. René Ghil nous annonce des volumes de poésie. Cette représentation géométrique de la Matière en perpétuel devenir, selon le Transformisme Hégélien, n'eût rien perdu, ce semble, à être exprimée plus clairement. Mais où l'ombre d'une poésie à extraire de là ? Je ne parle, bien entendu, que d'après le concept de l'œuvre, car l'œuvre elle-même m'échappe : si je saisis parfaitement le « vouloir » du poète, j'avoue mon philistinisme devant son expression. Toutefois, même intelligible aux lettrés, la poésie philosophique que rêve M. René Ghil ne saurait être qu'un long et fastidieux ressassement des origines de l'homme, de ses transformations accomplies et devant s'accomplir. Quant à l’instrumentation, l'auteur connaît mon avis sur ce point : nier les correspondances de l'idée, du sentiment, de la sensation ou de la chose même au son, serait aussi puéril et vain que de tenter en fixer les lois.

A. V.


 Les Vrais Sous-Offs, par Georges Darien et Édouard Dubus (Savine). — La conscience nationale s'est émue ces derniers temps, d'un livre où l'armée était odieusement trainée dans la boue. En réponse aux accusations infâmes portées contre nos soldats et en particulier nos sous-officiers, M.M. Georges Darien et Édouard Dubus viennent de faire paraître chez l'éditeur Savine, 12, rue des Pyramides, une forte brochure patriotique, qui réduit à néant toutes les inventions dont M. Descaves a tenté de flétrir les défenseurs du drapeau français. Dans un style énergique, tantôt vibrant d'indignation, tantôt débordant d'enthousiasme, les auteurs des Vrais Sous-Offs (envoi franco au reçu de 75 centimes, timbres), après avoir donné le sentiment de tous les organes de l'opinion publique sur la question, démontrent par des règlements militaires, et de nombreux récits, inédits pour la plupart, que les cadres de notre armée ne sont et ne sauraient être qu'une école de désintéressement, de moralité et de courage. Les Vrais Sous-Offs ont leur place marquée d'avance dans la bibliothèque de tout bon Français.

D.-D.


 Pierres d'Iris, par Albert Lantoise (Lemerre). — La notation, en proses et poésies alternées, de sensations guère originales, d'idées un peu 1830 et de tableautins fugaces. Nul souci, d'ailleurs, d'un lien synthétique entre les différentes pièces du livre, dont le seul poème en prose intitulé Le Paysan laisse quelque impression. C'est jeune et déjà lu plutôt que mauvais, bien qu'on y trouve ce vers : « Esprit ! O sens divin qui mes douleurs exprime », et deux ou trois fois, dans son sens vieux jeu, le mot « lyre »

A.V.


 Le Clergé sous la troisième République, par M. François Bournand (A. Savine). — L'auteur raconte avec indignation (et beaucoup de documents à l'appui) les misères que firent aux prêtres, moines et nonnes, un tas de minuscules persécuteurs, moins spirituels que Néron.

R.G.


 Après le Punch, par Henry de Braisne (J. B. Ferreyrol). — Un volume de nouvelles que l'auteur a publiées dans le supplément littéraire des journaux quotidiens.

A.V.


THÉÂTRES


Théâtre des Variétés. — Monsieur Betzy, Comédie en quatre actes, de MM. Oscar Méténier et Paul Alexis. — Le thème exploité : Un ménage à trois, sans plus. MM. Méténier et Alexis n'ont pas cru devoir, et en cela je les approuve complètement, introduire dans leur comédie ce que l'on est convenu d'appeler une « action ». Ces quatre actes se composent donc purement d'une succession de scènes découpées à l'emporte-pièce, en des situations d'une ironie constante et toujours poussée au paroxysme ; inde le côté comique de la chose, qui, au fond, est d'un féroce pessimisme. On comprend qu'une œuvre ainsi conçue tranche violemment an milieu de la navrante stupidité des vaudevilles auxquels nous ont habitués de consciencieux manœuvres. Mais pourquoi les auteurs, qui se targuent bien haut d'introduire le réalisme au théâtre, pratiquent-ils encore, abusent-ils même du monologue, cette ennuyeuse absurdité ? Le premier acte et la seconde moitié du troisième sont enlevés de main de maître et frisent de près la haute comédie. Par contre, le deuxième acte est trop conventionnel : il est d'ailleurs gâté par l'entrée grotesque du père Ludinar. Cet incident serait à supprimer ainsi que tout le quatrième acte, qui est franchement mauvais d'un bout à l'autre, et de plus inutile. Finir après la gigantesque scène du parapluie eût d'ailleurs été adroit, car en somme ne constitue-t-il pas toute la moralité de la pièce, ce symbolique en-tous-cas pour deux ? — Ceci dit, il convient de féliciter sans réserve M. Dupuis, vraiment extraordinaire dans son Marneffe nouveau genre, ainsi que MM. Baron, Roche et Mlle Réjane.


J.C.

BEAUX-ARTS


 Expositions de Février Mars. — Et d'abord, chez Petit, Les Aquarellistes. Une impossible collection de truculentes hideurs : d'abominables prototypes de chromos à trente sous, signés : Maurice Leloir, Loustaunau, Adrien Moreau, Bourgain, Escalier, Adrien Marie, Delort, Worms, Dotaille, Maissonier fils, Vibert ; d'assez piteux essais de plein-air de MM. Courant, R. Jourdain, V. Gilbert, Zubert Yon, Priant, Brown ; une ridicule écuyère de Flameng, des chiens de de Penne et des chats de Lambert ; des Clairin, des Duez, des Bontet de Montvel ; de plus intéressants paysages de Béthune et d'Harpignies ; des fantaisies de Besnard (femmes et paons) assez verveuses.
 Ensuite, les expositions de cercles : le Volney, l'Union, etc. À l'Union, Deux Bretonnes de Dagnan, un horrible portrait de Mlle Wilson et de sa poupée par Bonnat ; Le cul d'une dame rousse, par Carolus Duran ; des tentatives pleinairistes d'Aublet et de Montenard ; deux têtes de Jean Gigoux : une Lionne vautrée dans un paysage où il neige des pains à cacheter rouges, par Gérôme ; des Coins de Rivière de Pelouse ; une Famille de Besnard ; un portrait bien fadasse, par Flameng ; une infamante confiserie de M. Bouguereau. Puis c'est l'Exposition des Femmes-Peintres et même Sculpteurs. Un portrait de jeune fille de Mlle Loire, assez Caroluadurandique ; des choses diverses, autant qu'ondoyantes, de MMmme Klumpke, Espenan, Mariette Cott, Duncan, Buchet, de Turner, Huillard, Deschamps, Tynard, Blanc, etc.
 Enfin, pour terminer, une chose un peu plus intéressante : l'Exposition Pissaro, chez Boussod et Valadon. Voilà de l'art d'un meilleur aloi. M. Pissaro, on le sait, est un chercheur, un consciencieux et infatigable chercheur qui, à l'âge où d'autres se reposent sur leur travail accompli, a voulu, jetant les formules qui lui avaient servi à créer déjà tant de magistrales œuvres, se remettre au pourchas d'un autrement, d'un plus loin et d'un mieux. Les toiles exposées appartiennent toutes à cette dernière manière. La couleur y est divisée infiniment. Les éléments constitutifs de chaque ton sont juxtaposés et non point mixturés ; leur combinaison s'opère dans la rétine et non sur la toile. Quels que soient les inconvénients de ce procédé, un peu compliqué, il est incontestable que M. Pissaro en a obtenu des effets de rutilements et de vibrations prodigieux. Un beau jour d'hiver à Eragny ; les Faneuses, d'un style et d'une couleur tant exquis ; les Glaneuses, d'une ligne si noble et si harmonieusement baignées de couchant ; les mélancoliques, les idylliques Prairies à St Charles ; les Femmes causant ; la délicieuse Gardeuse d'oies, le Verger, tant éblouissant de soleil ; enfin la Cueillette des Pommes, cet indubitable chef-d'œuvre, d'une simplicité et d'une hauteur de style qui fait songer aux primitifs florentins, tout cela le témoigne irrécusablement. Les peintures à la détrempe de M. Pissaro sont d'ailleurs aussi remarquables que ses peintures à l'huile, et elles ont sur celles-ci l'avantage d'être d'une facture moins compliquée, ce qui les fait apparaître plus simples, plus larges, plus profondes. La Fenaison à Pontoise, les deux Marchés, la Gardeuse de chèvres, les Faneuses, les Bergers pendant l'averse, sont des merveilles. À regarder aussi, dans les mêmes salles, d'un autre très grand artiste, Paul Gauguin, de merveilleux grès-émaillés et un troublant bas-relief en bois sculpté dans lequel je lis le plus farouche hymne à la luxure et à la bestialité qu'aient écrit nuls doigts humains. Au reste, le Mercure de France parlera sans doute un jour plus longuement de ces deux grands poètes : MM. Pissaro et Paul Gauguin.

G. Alb. A.

Échos divers et communications


 En librairie prochainement : Sur le Lotus, de Mitrophane Crapoussin, recueil de poésies dont notre collaborateur Laurent Tailhade fut naguère autorisé à extraire la ballade qu'il nous a donnée (n° 2, Chronique, in fine). Et puisque nous parlons de Laurent Tailhade, annonçons qu'il achève un roman de mœurs contemporaines : Le Péché, et qu'il publiera sous peu un livre de poésies : Les Escarboucles.
 Nous recevons le premier fascicule des Entretiens politiques et littéraires (A. Savine, éditeur), signés de trois noms estimés parmi les jeunes gens de lettres : M. Francis Vielé-Griffin, qui expose d'une façon très précise une théorie de la Liberté du vers ; M. Paul Adam, bien ennuyeux avec ses Politiciens devant la question juive ; et M. Henri de Régnier, qui, toujours clair pourtant dans les plus hermétiques de ses poésies, atteint du premier coup au comble du charabia dans cette prose : Souvenirs d'un camarade de collège sur le duc d'Orléans.
 La librairie Genonceaux mettra en vente, ce printemps, un livre de Rachilde intitulé : Cynismes, avec une préface de Laurent Tailhade. — Ne pas confondre ce livre avec la Sanglante ironie, roman annoncé dans nos échos et qui paraîtra en septembre.
 En présence d'une note publiée par une Revue littéraire et visant dans son honneur notre collaborateur L.-P de Brinn'gaubast, résidant à l'étranger aujourd'hui et n'ayant pu encore relever l'attaque, nous croyons opportune cette déclaration que nous n'avons point lieu de douter de l'honorabilité de notre confrère, qui, nous en sommes convaincus, détruira sans peine toute imputation flétrissante. — N. D. L. R.
 Au moment de mettre sous presse, nous recevons de M. L.-P. de Brinn'gaubast copie d'une lettre qu'il adresse au directeur du périodique littéraire dont il est ci-dessus question, et de laquelle il résulte que notre collaborateur saisit les tribunaux de l'affaire. — N. D. L. R.

Mercvre.


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