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qu'elle chevauche vient de hennir à mon seuil. Le sceau des jours moroses, elle l'a brisé aux sabots de sa monture, et le nocturne manteau gemmé d'étoiles se déchire, sous le souffle prochain du jour illimité.
(Sur la place, la foule bruit et menace, des clameurs s'entendent qui arrivent au moribond.)
Tant que vivra l'Ennemi le bonheur fuira nos demeures, le calme bonheur que nos pères ont prédit, le bonheur qu'avaient dissimulé ceux qu'on appella d'abord les poètes, ceux que depuis longtemps on nomme les hiérophantes. Nous vivons dans les angoisses et les transes, et nous fermons nos portes, car nous craignons pour nos fils l'écho de la dernière voix mensongère. Quand, sans contrainte, vivrons-nous la libre vie, la vie aux joies paisibles, devant des tables servies, près des lits d'amour et de repos ? Pourquoi, chefs puissants et tutélaires, ne pas nous accorder le supplice de celui qui voulut rêver loin de nous ?
(Les vieillards qu'un frisson de terreur a secoués se lèvent en tumulte.)
(Sénilement ils balbutient et ânonnent : « le Rêve est mort ! »)