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poteau où ce néant avait eu l'audace de m'épargner.
« Il poussait des gémissements et demandait grâce avec une voix d'enfant ; ses cris devenaient importuns, et je lui fis couper la gorge par une servante. Les lâches doivent mourir comme des poules : ils ne méritent pas sur eux la main d'un mâle.
« Je mis les pieds sur les ruines du temple de Frey, et je conchiai les restes charbonnés du dieu. Je m'étais servi de moi-même et des hommes qui m'avaient suivi ; par amour ou par crainte, peu m'importait, puisqu'ils m'avaient obéi.
« Et je me jurai de n'avoir d'autre dieu que moi ; car les dieux m'avaient trahi, si moi j'avais vengé mon insulte. Je le dis à mes serviteurs et à mes servantes : Hrafnkell sera le dieu de Hrafnkell, et il entend qu'on le respecte. »
Le vieillard se tut ; à travers la fumée des brasiers à demi éteints, on percevait des ronflements sonores. Les sourcils froncés, Hrafnkell caressa longuement sa barbe blanche ; ses yeux se fermèrent, et il s'endormit dans son orgueil.
Raoul Minhar.