Page:Mercure de France tome 001 1890 page 024.jpg
VINCENT VAN GOGH
Et voilà que, tout à coup, dès là rentrée dans l'ignoble tohubohu boueux de la rue sale et de la laide vie réelle, éparpillées, chantèrent, malgré moi, ces bribes de vers en ma mémoire :
L'enivrante monotonie
Du métal, du marbre, et de l'eau....
Et tout, même la couleur noire,
Semblait fourbi, clair, irisé ;
Le liquide enchâssait sa gloire
Dans le rayon cristallisé....
Et des cataractes pesantes
Comme des rideaux de cristal
Se suspendaient, éblouissantes,
À des murailles de métal....
Sous des ciels, tantôt taillés dans l'éblouissement des saphirs ou des turquoises, tantôt pétris de je ne sais quels soufres infernaux, chauds, délétères et aveuglants ; sous des ciels pareils à des coulées de métaux et de cristaux en fusion, où, parfois, s'étalent, irradiés, de torrides disques solaires ; sous l'incessant et formidable ruissellement de toutes les lumières possibles ; dans des atmosphères lourdes, flambantes, cuisantes, qui semblent s'exhaler de fantastiques fournaises où se volatiliseraient des ors et des diamants et des gemmes singulières — c'est l'étalement inquiétant, troubleur, d'une étrange nature, à la fois vraiment vraie et quasiment supranaturelle, d'une nature excessive où tout, êtres et choses, ombres et lumières, formes et couleurs, se cabre, se dresse en une volonté rageuse de hurler son essentielle et propre chanson, sur le timbre le plus intense, le plus farouchement suraigu ; ce sont des arbres, tordus ainsi que des géants en bataille,
proclamant du geste de leurs noueux bras qui menacent et du tragique envolement de leurs vertes crinières, leur puissance indomptable, l'orgueil de leur musculature, leur sève chaude comme du sang, leur éternel défi à l'ouragan, à la foudre, à la nature méchante ; ce sont des cyprès dressant leurs cauchemardantes silhouettes de flammes, qui seraient noires ; des