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verte » sur l'âme d'un être que, par cela seul qu'il
est différent de lui-même, il ne peut concevoir
dans son essence ? Déjà, donc, il appert que l'intuitivisme
engloberait, sauf les autobiographes,
tous les psychologues, et non pas seulement une
catégorie de psychologues. Mais il ne comprend
pas qu'eux, car l'intuition, pour tous les romanciers
qui ne sont point de purs fantaisistes, est l'unique moyen d'insuffler, ou proprement de
prêter la vie. Les plus documentaires des naturalistes,
les fanatiques de l'observation, ceux qui s'effacent le plus devant les agissements de leurs
personnages, sont bien obligés, sous peine de fabriquer
cette machine automatique : des marionnettes
se mouvant dans un décor, de définir de temps à autre des états d'âme, quel que soit du
reste le procédé, d'entrer « dans la peau du bonhomme » ;
et c'est alors que l'intuition leur est indispensable, ou, en termes précis, le mot intuition
s'interprétant de façons diverses, la faculté de
transposition de leur propre moi déformé selon
leur conception de personnage.
L'invention d'une théorie n'allait point sans
modifications techniques, et M. Édouard Rod avance qu'il a cherché à « dégager le roman de
quelques-unes des scories qui l'empêchent de se
développer dans le sens indiqué : de la description,
d'abord... fastidieuse et surtout illusoire, car
elle tient beaucoup de place, dit peu de chose et
n'explique rien ». Ceci n'est que spécieux. Dans nombre de livres, certes, la description usurpe la
place, n'est qu'en relation très éloignée avec le
sujet, et partant devient fastidieuse et illusoire.
Mais, théoriquement, cela ne prouve rien, et pratiquement
ne fait que déceler artistes défectueux
des auteurs qui n'ont point la perception des rapports
entre le sujet et la chose ambiante, et man-