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vie, le monde extérieur sensuel et passionnel, la matière — que se clôt le drame. L'homme est fait pour être seul, il crée son univers, il n'existe réellement et pleinement que par la vertu de ses Idées et la radiation orgueilleuse de son Moi.
Je voudrais citer le passage où Hénor se compare à Dieu et celui de la Frégate, qui sont, je crois, les plus beaux vers du poème. Il faut me borner, pour finir, à transcrire l'argument du cinquième acte, qui est aussi fort beau, et qui a l'avantage de tirer du drame la morale — sans doute étrange et discutable, mais logique ― qu'il comporte.
« Comme à nos orgueils de très beaux emblèmes
Suscitant l'ampleur de nobles destins,
Les arbres, qui sont pareils à nous-mêmes,
Les arbres sont mus par des vœux hautains.
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Car, rien ne se voit en eux du mystère
Grave de leur vie : impassiblement
Ils naissent debout dans un calme austère,
Sachant le monde et le mésestimant.
Au-dessus des herbes qui les encensent,
Fiers de leurs mélancoliques splendeurs,
Et convaincus de leur toute-puissance
Ils sont bienveillants comme la grandeur.
Disséminés, au loin, dans les parterres,
Ils ne mêlent pas leur sort isolé :
Les arbres géants meurent solitaires
Avec les secrets qu'ils ont recelés. »
Louis Dumur.
Peterhof, 22 juin 1890
1. 1 volume, par Mathias Morhardt (Perrin et Cie).