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qui commence à envahir les cheveux, il éclaire d'une efficace sympathie la broussaille épaisse de cette figure.
Aussitôt les souverains descendus, le chef des écuries offrit à Guillaume II le présent du tsar : une troïka, avec calèche pour l'été, attelée de bêtes de race, d'un joli poil café-crème. L'hospitalité est toujours somptueuse chez les Romanoff. Guillaume avait apporté un char-à-bancs : on lui rendit deux voitures, trois chevaux et un cocher en robe de velours par-dessus le marché. Il s'approcha visiblement charmé, en connaisseur qui veut l'être et le paraître, il palpa les bêtes l'une après l'autre, pinça les naseaux, scruta les dents, tâta les sabots, puis, après le départ du tsar, il s'occupa pendant bien vingt minutes à faire parader devant lui son nouvel équipage, dans cette allure caractéristique des troïkas, où deux chevaux galopent tandis que celui du milieu est lancé au grand trot.
La représentation terminée, Ivan Egorovich me dit :
— Dans la république athénienne, le bon sens des citoyens est la principale sauvegarde de l'État. Il est heureusement plus facile à ces deux souverains d'avoir du bon sens qu'aux deux cent millions d'hommes qu'ils représentent. Si l'un n'en a pas, l'autre, au moins, en aura pour deux.
— Espérons-le, Ivan Egorovitch : quoique, si le mauvais esprit s'en mêle, il lui soit assurément beaucoup plus commode d'avoir raison de deux hommes, que de s'attaquer an même moment à deux cents millions. — Reconduisez-moi donc jusqu'à ma voiture.
Princesse Nadejda.
Peterhof, août 1890.