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Avant de sortir, précédé de Mme de Laneuil, qui me conduisait à ma chambre, je saluai la jeune
fille avec cette discrétion qu'impose l'accord tacite
de deux âmes compromises dans le même secret.
Ses yeux suivaient les miens, ses clairs yeux bleus
à la transparence attendrie...
Depuis longtemps les merles avaient salué le
soleil au faite des lourds marronniers : Albéric
entra chez moi. Les lendemains ! Quelques doutes
le tourmentaient : il me les confessa avec la naïveté
de ces êtres inquiets et bons qui croient trouver
en autrui une sympathie. Je le laissai dire, cela
me reposait, car, ainsi que l'enseigne la morale
des Proverbes, il faut, en état de déréliction,
regarder autour de soi : d'autres douleurs s'exhalent, et cela console.
Ah ! je pense au saint-sacrement de ses lèvres !
L'Apparition : un murmure l'annonça. Édith
fit son entrée dans le grand salon morne, sous les
regards indulgents des ancêtres. Les yeux n'avaient
pas pleuré, mais n'avaient pas dormi : une ombre
se creusait autour de leurs pâles saphyrs.
Le corsage dont j'avais corrigé l'esthétique cuirassait
étroitement la Vierge sous le grand voile blanc.
S'écartant du chœur, elle se dirigea, lente et
suivie de tous les regards, vers son grand'père,
vieillard presque douloureusement ému qui s'appuyait à la cheminée, — et, en passant près de
moi, sans à peine remuer les lèvres, la bouche entr'ouverte comme pour un soupir, les yeux
baissés sur l'effondrement de nos espoirs d'une
heure, elle me fit entendre ces seuls mots :
« Il est trop tard ! ».
Moi aussi, je baissai les yeux, dévorant en mon
âme la joie maudite des occultes compromissions.
Elle offrit sa grâce au baiser du vieillard, et les
deux mains sur ses épaules elle lui souriait.
Édith souriait tristement.