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rappelant les textes hiéroglyphiques des obélisques de l'antique Egypte ?
Oui, sans doute, l'artiste, s'il n'a point quelque autre don psychique, ne sera que cela, car il ne sera qu'un compréhensif exprimeur, et si la compréhension complétée par le pouvoir d'exprimer suffit à constituer le savant, elle ne suffit pas à constituer l'artiste.
Il lui faudra, pour être réellement digne de ce beau titre de noblesse — si pollué en notre industrialiste aujourd’hui — joindre à ce pouvoir de compréhension un don plus sublime encore, je veux parler du don d’émotivité, non point certes cette émotivité que sait tout homme devant les illusoires combinaisons passionnelles des êtres et des objets, non point cette émotivité que savent les chansonniers de café-concert et les fabricants de chromo — mais cette transcendantale émotivité, si grande et si précieuse, qui fait frissonner l'âme devant le drame ondoyant des abstractions. Oh ! combien sont rares ceux dont s'émeuvent les corps et les cœurs au sublime spectacle de l’Etre et des Idées pures ! Mais aussi cela est le don sine qua non, cela est l'étincelle que voulait Pygmalion pour sa Galathée, cela est l'illumination, la clef d'or, le Daimôn, la Muse...
Grâce à ce don, les symboles, c'est-à-dire les Idées, surgissent des ténèbres, s'animent, se mettent à vivre d'une vie qui n'est plus notre vie contingente et relative, d'une vie éblouissante qui est la vie essentielle, la vie de l'Art, l'être de l’Etre.
Grâce à ce don, l'art complet, parfait, absolu, existe enfin.
Son œuvre, merveilleuse déjà, je ne puis la décrire ni l'analyser ici. Il me suffit d'avoir essayé de caractériser et de légitimer la conception très louable d'esthétique qui parait guider ce grand artiste. Comment, en effet, suggérer avec des mots tout l'inexprimable, tout l'océan d'Idées que l'œil clairvoyant peut entrevoir dans ces magistrales toiles : le Calvaire, la Lutte de Jacob avec