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Pour de rares qui s'intéressent à ce très fin et très curieux esprit qu'est M. G. Rodenbach, j'essayai jadis de formuler l'impression de ses poèmes, de suivre la précieuse évolution d'un mystique dont le vers, parfois, me faisait penser à de blancs voiles de ces dentelles du nord, qu'un peu de vent soulèverait ; à de lentes théories de formes indécises, cheminant sans bruit par des paysages brumeux et lunaires. Avec cela, c'était le culte d'un art hautain, d'élégantes tendresses, des afflictions subtiles, un état d'âme inquiète, flottant d'un catholicisme moribond et du regret de l'enfance à des rappels d'amours mélancoliques et si douces sur le décor des fêtes mondaines, des calmes béguinages, des antiques cités flamandes agonisant d'ennui et de solitude. La poésie, pour lui comme pour d'autres des sensationistes, est restée cette langue idéale et fluente qui laisse entrevoir des choses à peine définies, les pensées vagues, l'inexprimé du vouloir et l'incertain du clair obscur, les froissements minimes et les deuils imaginaires des consciences que la vie meurtrit, que la réalité brutalise. Aujourd'hui, M. Rodenbach publie le Règne du Silence, un très beau livre, et c'est la même impression — encore accrue peut-être et plus poignante — de mélancolie, de douce tristesse, le charme pacifiant, apaisant « du rêve, où l'on se laisse aller comme au fil d'un cours d'eau », d'une âme où tout désir se décolore, qui n'a plus vraiment souci que d'elle et ne prolonge rien autre que sa quiète illusion. Il est de ceux qui ont atteint le port et le bon refuge. Depuis les vaines batailles, il s'est éloigné vers les cloîtres de solitude, où les douleurs graduellement s'effacent, ne laissent qu'un peu de souvenir, de vagues remembrances vêtues par l'éloignement et l'oubli d'un brouillard de leurre, — au point