Page:Mercure de France tome 003 1891 page 195.jpg
pas des pavés à la tête, mais des cailloux polis, c'est-à-dire des arguments.
Loin de moi la faiblesse d'implorer que l'on s'écarbouille le nez à coups d'encensoir réciproque, ni que l'on s'accorde un génie mutuel comme au bon vieux temps où Béranger filait.
Point !
Echangeons une Critique judicieusement amicale, voilà tout !
Aimons-nous, certes, les Poëtes !
Aimons-nous simplement, en dehors de tous privilèges d'écoles ! Aimons-nous en adversaires loyaux et généreux ! Aimons-nous parce que nous sommes la Jeunesse et qu'il sera trop tard demain ! Aimons-nous parce que, si l'on veut, la Haine coûte cher et que plus économique est l'Amitié... généralement !
Enfin réinstaurons la courtoisie dans nos articles, mettons une ganse à notre discours et des jabots à nos gestes, lorsqu'ils s'adressent au Poëte, ― car le Poëte abrite une Grande Dame : son Âme !
Un écrivain de ma génération, qui depuis longtemps a fui le leurre de nos sympathies et l'hypocrisie de notre atmosphère, me disait :
― « Les Jeunes Poëtes, vois-tu, sont les Lépreux du Verbe. J'évite leur cité d'Aoste et j'œuvre bellement dans ma pure solitude. De nos jours, la présence est humaine et l'absence divine. »
Tentons donc notre métamorphose, soyons sociables et meilleurs, sinon chacun de nous aussi devra conclure en Homme-aux-rubans verts : fuir !
Il est aisé, ce me semble, de s'épargner le dénouement d'Alceste. Plus d'acide dans nos encriers désormais et tendons-nous une main probe ainsi qu'une aile d'hirondelle : recette simple, s'il en fût.
Être chien de faïence n'est pas vivre.
Mais peut-être examiné-je la situation avec un verre noir grossissant, et sans doute ai-je tort de croire tant à la Guerre des Dieux.
Je préfère supposer une courte prise d'armes