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Ainsi le vers final tombe comme une irrévocable pierre funéraire sur un monde à jamais aboli de jeunesse et d’espérance. Rien ne resterait de tout cela, sans le juste orgueil du poète qui arrache leur trésor aux ténèbres avares et prolonge au-delà du temps la mémoire de sa pensée :
- Le vin d’amour, l’or et le jade,
- Et la gloire et la fleur du saule
- Durent si peu ! et le vent maussade
- Sur les tombes grises miaule,
- Mais les bonnes chansons demeurent
- Et clémentes sont les tempêtes,
- Aux saintes roses qui ne meurent.
- Jamais sur le front des poètes.
(Prospero’s Island.)
M. Laurent Tailhade eut grandement raison d’établir par son exemple la suprématie d’un art dont l’inutilité actuelle constitue l’altière indépendance et assure la royauté à venir. Il a trouvé le seul moyen à peu près efficace d’écarter les contacts insupportables à qui reçut pour son malheur quelque délicatesse native : mais quand on veut vivre ainsi dans la solitude de son âme, il faut être assez fort pour se suffire à soi-même, et nombre de gens arbitrairement qualifiés poètes n’en sont point capables.
Pierre Quillard.
(1) Vitraux. Quinze poèmes extraits de Sur Champ d'Or (Léon Vanier).