Page:Mercure de France tome 004 1892 page 149.jpg
a souffert absolument, et peut-être encore ! Une infinie tristesse s'est répandue sur le monde, et d'où sinon d'en haut? Songe à la douleur divine, après la vanité du rachat, vain comme la vanité
qu'il rachetait ! Le sacrifice fut incompris, hors de quelques-uns qui n'ont aujourd'hui que des héritiers obscurs, imbéciles ou désarmés.
— « Pensons à nous-mêmes, dit Hyacinthe.
— « Oui, soyons égoïstes et nous serons peut-être sauvés. Le salut est personnel. Nous, d'abord, et délestons de toute fraternité inutile le vol de la chimère qui nous emporte aux étoiles.
— « Ne devons-nous pas aimer les autres ?
— « Nous ne devons pas aimer les mauvaises volontés : elles se sont, d'elles-mêmes, mises en dehors de l'amour. Mais il n'est pas nécessaire de les haïr ni de les mépriser.
— « Je voudrais, dit Hyacinthe, les aimer quand même, — un peu.
— « Non, ce sont des négations : ce serait aimer le mal qu'elles symbolisent.
— « Pourtant j'aime les bêtes.
— « Les bêtes sont innocentes.
— « Ah ! nous allons devenir bien pharisiens ! »
Cette remarque m'interdit, car Hyacinthe avait
raison, — relativement. Pratique, telle que toute femme, elle ne voulait pas fermer le cercle sans espoir de solution ; il lui fallait garder une possibilité de cousinage avec l'humanité. Je lui concédai son désir pour le cas où nous serions devenus l'un pour l'autre des sachets empoisonnés.
Toutefois, je repris :
— « En toute religion, — même en celle que nous pratiquons (oh ! surtout en paroles, comme des gens que l'acte déconsidère, au moins momentanément, à leurs propres yeux), — il y a un ésotérisme, un mystère qui, une fois pénétré, dispense le fidèle de toute charité médiate. N'ayant plus de relations qu'avec l'Infini, il s'abstrait de la création, n'est tenu envers ses frères, mauvais ou bons, à aucune sorte d'amour effectif ou théorique :