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LE VIEUX DANS SA BARBE


 Les femmes s'étaient retirées dans les chambres, et les valets, alourdis par la bière et la chaleur des trois foyers, avaient cessé de boire : leurs têtes aux lourds maxillaires oscillaient et tombaient sur leurs poitrines. A la place d'honneur, Hrafnkell vida la dernière corne et marmonna d'une voix lente :
 « Je suis un homme vaillant et je suis un homme habile : ceux qui m'obéissent le font par crainte, et, lorsque j'ai tué, je ne me sens pas le cœur triste et pesant.
 « C'est une folie que d'honorer les dieux ; on ne doit le respect qu'à soi-même ; on se doit d'être brutal pour être redouté, pour fonder son droit sur la force et mépriser les faibles qui ne sont rien.
 « En arrivant à Adalbol, je fis bâtir un temple au dieu Frey, et je me déclarai son prêtre ; dans ma lâche crédulité, je lui attribuais mes jours heureux et je lui consacrais de grands sacrifices ; je me fiais à lui, et si, pour aucun meurtre, je ne payais l'amende, c'était grâce à lui, à ce néant.
 « A Frey je vouai un étalon brun à raies noires, un étalon nommé Freyfaxi, et je lui jurai de tuer celui qui monterait ce cheval, bête franche n'o­béissant à nul, libre à la vue du dieu et à la mienne.
 « Et j'ai tué Einar, ce berger qui avait osé le seller et le chevaucher ; je l'ai tué d'un coup de hache, comme un homme noble, car il ne nia pas son acte et me l'avoua en face. Je l'ai mis à mort pour tenir mon serment ; et de moi-même, sans y être forcé, j'offris à son père le prix du sang.

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