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apparence vulgaires et détestables, et il méritera que dans les âges futurs les poètes le célèbrent ainsi qu'ils chantèrent autrefois les tueurs de monstres et les fatidiques justiciers.
Certes, Ravachol fut un héros. Quand il eut un jour ressenti l'iniquité de souffrir pour des causes qui n'étaient point en lui et que le reste du troupeau respectait niaisement, il accepta la lutte contre la Bête triomphante, et chaque fois qu'il le fallut, au risque de sa vie vouée sans réticence à l'infaillible supplice, il accomplit le meurtre nécessaire.
Le meurtre nécessaire, dites-vous. Qui vous a révélé que cet homme ne fut point une brute sanglante et rapace, un assassin quelconque, qui n'entendait rien à la grandeur de la révolte et tuait uniquement pour voler ?
Je ne le crois pas : il a compris qu'il faut tuer et qu'il faut voler, et qu'il serait méprisable et avilissant de tendre la main. On lui avait prêché la résignation traditionnelle : il a refusé audacieusement de se résigner et donné l'exemple des colères libératrices. Deux portraits de lui montrent assez bien comment un doute pareil au vôtre s'est imposé d'abord à quelques personnes raisonnables : l'un fut pris aussitôt après son arrestation, l'autre quand sa physionomie normale eut reparu. La première image est celle d'un fauve abattu : l'expression de la figure meurtrie de coups est terrible ; la seconde est d'une infinie douceur, l'œil caressant et magnifique de tendresse et d'amour. Aucune parole n'en rendrait mieux la beauté particulière qu'une phrase de policier psychologue qu'on m'a rapportée : « Il n'y a pas sourire de femme qui vaille le sien. » Le vrai Ravachol est bien celui-là. Songez qu'il se départit un instant de sa hautaine sérénité et qu'il pleura en voyant venir à la barre des enfants qu'il avait