Page:Mercure de France tome 006 1892 page 160.jpg
Le silence et l'effroi planent sur le manoir
Dont les Sphynx endormis ne gardent plus les portes,
Et c'est comme un parfum triste de choses mortes
Qui flotte vaguement et monte dans le soir.
Les émaux sont ternis et les verrières closes,
Et l'on voit, au soupir des vieux luths détendus,
Sur les ifs assombris des Jardins suspendus,
En pétales pourprés pleuvoir le deuil des roses;
Car, vers le bon combat, les Rois aventuriers
Que présageait, de loin, l'éclair des boucliers,
Ne viendront plus jamais du fond des bois magiques ..
Aux matins de splendeur succède un soir de mort,
Et le dernier Veilleur de ses mains héroïques
Laisse à jamais tomber le Glaive avec le Cor.
L'Amour, le souverain Seigneur de toute Vie,
M'apparut, couronné de lys et de pavots,
Sur le pré jaunissant, dévasté par la faux
Où l'automne sécha les bouquets d'Ophélie.
La tristesse rêvait dans l'ombre de ses yeux;
Le vent frais soulevant sa chevelure folle
Agitait en ses mains une branche de saule,
Et les fleurs s'effeuillaient sur son front sérieux.
Or, cet Amour, avec sa douce bouche triste,
Me dit : « Tu veux en vain me fuir; je suis Celui
Qui, pour te conquérir, t'ai naguère ébloui
Du rayon de mes yeux; nul cœur ne me résiste.
Et plus que la Douleur et le Temps je suis fort,
Moi, Seigneur de la Vie et Seigneur de la Mort ! »