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- Ils bénissaient Hermès, protecteur des ibis,
- Et, sur le littoral tapissé de tabis,
- Ruisselaient diamants, turquoises et rubis...
- Elles allaient, semant des parfums de pervenches,
- Offrant aux arrivants des cuisses et des hanches,
- Doux lit, jonché de lys, où dormir des nuits blanches...
- — Puisque les prêtres vils, loin de leurs impurs mets,
- Jadis, vous ont chassés, vous vivrez, désormais,
- Dans ce candide Eden qu'ils ne sauront jamais!...
- Ils plaindront votre exil sur l'île solitaire...
- Ne pouvant aborder la terre du Mystère,
- Ils diront son sol dur et son air délétère...
- Mais vous, loin des autels de leurs sanglants Molochs,
- N'ayant plus souvenir des glaives ni des socs,
- Et vos pieds ignorant les ronces et les rocs,
- Vous bénirez le ciel indulgent qui vous choie,
- Et, dans ce doux jardin de l'immuable joie,
- A jamais, vous vivrez des jours d'or et de soie !...
- Ainsi parla le dieu des ténébreux savoirs,
- Qui dicte aux faiseurs d'or les occultes devoirs,
- Hermès, berger des sphynx dans les royaumes noirs.
- Alors, les exilés des méchantes patries,
- Comme un avril qui monte en des branches flétries,
- Sentirent du printemps dans leurs âmes fleuries...
- Dans les prés de sinople ils allèrent s'asseoir...
- Le ciel était d'opale... Il faisait presque soir...
- Leur cœur s'évaporait ainsi qu'un encensoir...
- Les flûtes des Sylvains chantaient des chansons douces,
- Des naïades dansaient des rondes sur les mousses
- Et des fleurs de pêchers poudraient leurs toisons rousses.
- Et les flots bleus ceinturaient l'île, ainsi qu'un Styx...
- Des torrents de saphir tombaient des monts d'onyx...
- L'air était plein d'un vol d'aigles et de phénix...
- Sur un roc de cristal pleurait le luth d'Orphée,
- Et Sappho, pour baigner d'avril son corps de fée,
- Entr'ouvrait au zéphyr sa robe dégrafée...