Page:Mercure de France tome 006 1892 page 339.jpg
De MercureWiki.
- Ainsi parla Circé, théa des Etruries,
- Dont le corps dévêtu brillait de pierreries,
- Au milieu de l'azur bienveillant des prairies !...
- Et, ses deux yeux pleins de saphirs éblouissants,
- Et son cœur défaillant de musique et d'encens,
- Et saoule d'avoir bu des lions rugissants,
- D'avoir bu, d'une gorge et d'une âme voraces,
- De l'azur, du soleil, du ciel et de l'espace,
- Et d'avoir contemplé le dieu Tauth face à face,
- Elle tordit son corps, reptile convulsé,
- Et, comme un beau serpent qu'un dard a traversé,
- Morte, elle s'écroula, l'ondoyante Circé.
- Les clairons d'or sonnaient sous les bleus sycomores,
- Et l'essaim voltigeant et blond des cystophores
- Lui présentait le talisman des mandragores,
- La fleur qui fait revivre et le saint bézoard...
- Soudain s'est rouverte la bouche!... Et l'œil hagard...
- Et le sang s'est remis à couler sous son fard !...
- Et les doux exilés des méchantes patries,
- Comme un avril qui monte en des branches flétries
- Sentant sourdre un printemps dans leurs tètes fleuries
- Comprirent qu'ils étaient : des Effluves d'encens,
- Des Ames, des Parfums, des Papillons, dansant
- Dans la Respiration de l'Etre Eblouissant !...
- Nos brocarts leur semblent des loques...
- Que nous importe leur mépris?
- Que nous importe qu'on se moque
- Des hymnes qu'on n'a point compris?
- Et que nous importe le nombre
- Des aveugles à l'âme sombre
- Dont l'œil séché prend pour de l'ombre
- Nos gais midis clairs et fleuris !...
Juin 1890.
G.-Albert Aurier
(1) Erreur de copie sans doute: nous n'avons pas retrouvé le premier manuscrit. — A. V.