Petits aphorismes : Sur l’Opinion. Sur l’Esprit. Sur le Caractère

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Louis Dumur, « Petits aphorismes : Sur l’Opinion. Sur l’Esprit. Sur le Caractère », Mercure de France, t. VI, n° 33, septembre 1892, p. 70-74.



PETITS APHORISMES
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SUR L'OPINION

1

 Nous méprisons parfois l'opinion sans cesser d'y être sensibles.

2

 L'opinion est comme la société : les hommes la font et en sont esclaves.

3

 On s'aperçoit de l'inertie des choses jusque dans le monde des idées, où, s'il est difficile d'imprimer un mouvement, il est encore plus difficile de l'enrayer.

4

 Dans la marche en avant de la civilisation, les idées morales forment l'arrière-garde.

5

 En un siècle où la chimie s'est renouvelée tant de fois, la morale en est encore à se demander si elle a bougé depuis Solon.

6

 II est prudent d'avoir des opinions ; il est sage de n'en pas avoir.

7

 L'opinion publique a trop de poids pour qu'on la néglige et trop d'inconstance pour qu'on en tienne compte.

8

 Nos opinions traînent partout ; nous les ramassons dans le ruisseau plus souvent que dans notre esprit.

9

 Il est si rare d'oser braver l'opinion, qu'on peut pardonner à ceux qui la bravent à tort.

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SUR L'ESPRIT

1

 Avoir de l'esprit n'est pas suffisant : il faut en avoir avec esprit.

2

 Ceux qui n'ont pas d'esprit s'en félicitent presque, se jugeant d'autant plus profonds.

3

 La profondeur n'exclut pas l'esprit : elle le rend profond.

4

 L'étendue de l'esprit ne préjuge en rien sa profondeur.

5

 L'esprit de la femme voltige ; celui de l'homme cabriole.

6

 Se venger d'un sot par un mot d'esprit, c'est décocher une flèche à un rhinocéros.

7

 II n'y a pas de pire sot que l'homme d'esprit qui veut en mettre partout.

8

 La moquerie découvre le ridicule des individus et ne voit pas le ridicule de l'espèce. Elle est le fait d'esprits superficiels, égoïstes et vaniteux.

9

 Notre esprit, comme notre appartement, devrait être chaque jour débarrassé de ses ordures ménagères.

10

 L'enthousiasme est plus facile que l'admiration, car dans l'enthousiasme on met son cœur et dans l'admiration son esprit. Le premier est plus accessible.

11

 L'étroitesse d'esprit est un étau qui comprime aussi le cœur.

12

 L'homme d'esprit l'emporte neuf fois sur dix sur l'homme de cœur : mais, la dixième, l'homme de cœur l'emporte définitivement.

13

 Il y a de l'esprit de mauvais aloi : c'est celui qui ne se fonde ni sur le cœur, ni sur la raison.

14

 Les gens qui ne sont que spirituels sont comme les hannetons : ils s'abattent au beau milieu de n'importe quoi, et souvent les pattes en l'air.

15

 On préfère être intelligent et paresseux plutôt que borné et travailleur. Pourquoi ? Le travail est une intelligence capable de plus que l'intelligence.

16

 Les femmes croient que l'on pardonne tout à leur beauté et les hommes à leur esprit.

17

 Tolérer les idées d'autrui est la marque d'un esprit faible ; ne pas les tolérer est celle d'un esprit étroit. Ce qu'il faut, c'est être enclin, par nature, à ne pas tolérer les idées d'autrui, et se forcer à les tolérer, par philosophie.

18

 L'intolérance fut la force et la barbarie des siècles passés.

19

 Avec la tolérance, on gagne en sagesse ce que l'on perd en énergie.

20

 Les nations en décadence ont toujours été tolérantes ; et pourtant la tolérance est une manifestation du progrès.

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SUR LE CARACTÈRE

1

 La franchise du caractère en met encore plus en relief les défauts que les qualités.

2

 Nous ne saurions trop estimer la franchise chez les autres. Elle nous épargne les longs tâtonnements pour savoir à qui nous avons affaire. Nous pouvons éconduire du premier coup les sots, les vaniteux et les parasites.

3

 Ce qui nous surprend le plus chez un homme, c'est de le découvrir bienveillant.

4

 Il n'y a ni bonheur, ni malheur : il y a des caractères heureux et des caractères malheureux.

5

 Les biens et les maux ne sont que les coefficients du caractère.

6

 Y a-t-il des caractères assez neutres pour que les biens et les maux décident de leur bonheur ou de leur malheur ?

7

 Il faut avoir beaucoup de caractère pour entreprendre de le réformer.

8

 Un caractère violent est un caractère faible.

9

 Les esprits légers supportent tout aisément ; c'est un privilège en même temps qu'une infériorité.

10

 La méchanceté vient souvent d'un énervement continu de la vie.

11

 La bonté n'est parfois que de la faiblesse. Méchants au fond, nous ne paraissons bons que parce que nous manquons de force pour soutenir notre méchanceté.

12

 Nous ne souffrons guère de nos défauts que par les désagréments qu'ils nous attirent.

13

 Il faut savoir se décider, fût-ce pour le mal.

14

 Nous souffrons de l'indécision comme d une gangrène morale, alors qu'elle provient souvent de trop d'honnêteté.

15

 L'indécision rend le hasard décisif.

16

 La fortune aide les audacieux, mais elle ne trahit qu'eux.

17

 Faire le mal, comme faire le bien, exige du tempérament : la plupart des hommes ne font que le médiocre.

18

 La honte est la lâcheté du mal.

19

 Élever un enfant consiste généralement à abaisser son caractère.

20

 L'esprit de l'enfant est une pâte plus ou moins fine, que l'éducation manipule plus ou moins habilement, et que la vie cuit avec plus ou moins de succès, quand elle ne la fait pas sauter.

21

 Le caractère se trempe là où le cœur se fond.

22

 Le caractère fait valoir la vie, comme le sel les aliments. Le tout est de saler à point.

23

 La vie émousse les caractères, lorsqu'ils se présentent à elle par le tranchant.
 Louis Dumur.


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