Pour l'Ingénue

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Julien Leclercq, « Pour l'Ingénue », Mercure de France, t. I, n° 1, janvier 1890, p. 22.


POUR L'INGÉNUE



Vois-tu ! la vie a de si hasardeux chemins
Qu'un vieil explorateur de sa géographie,
Malgré tout son savoir, jamais ne s'y confie
Sans craindre les périls d'imprévus lendemains.

Et n'es-tu pas l'enfant rieuse et délicate,
Faite pour voyager en des pays jolis,
Où le sol sablonneux et blond comme ta natte
Serait plus doux que le duvet des bengalis ?

Regarde... J'ai le corps tout sillonné de plaies,
Ainsi qu'un champ qui saignerait aux coups des socs,
-Et pour les rafraîchir, à la base des rocs
La mer m'offrit les flots amers des sombres baies !..

Mais toi, ne t'en va pas t'exposer au danger
De te meurtrir les flancs de pareilles blessures !
Viens... Je te porterai comme un fardeau léger
À travers tout, liée à moi par tes mains pures.

J'irai du pas prudent des pieds martyrisés...
Et comme j'aurai seul le souci du voyage,
Tu lèveras les yeux vers quelque beau nuage,
Quand je n'y mettrai pas un voile de baisers.


Julien Leclercq


29-30 Septembre 1889.

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