Pour s'en aller

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G.-Albert Aurier, « Pour s'en aller », Mercure de France, t. IV, n° 26, février 1892, p. 110.


POUR S'EN ALLER



Car, que fus-je, sinon, en ta vie, un passage,
Et que fus-tu, sinon, en ma vie, un passage
Des drames du Guignol où vont les enfants sages?


N'avons-nous pas assez rossé le commissaire?
Oh ! laisse donc un peu dormir le commissaire
Et mon cœur pantelant que tes ongles lacèrent....


Assez longtemps, je fus Monsieur Polichinelle,
Et toi, tu fus trop Madame Polichinelle
Dans les portants de ces décors de Tour de Nesles....


Crois-moi : c'est assez vivre entre ces murs de toiles...
Ah ! saluons le bon public ! Baissons la toile!
Au dehors, le vrai ciel est scintillant d'étoiles.


Chère mignonne, allons nous-en : c'est plus pratique.
Laissons-la le bâton, la bosse et la pratique,
Et, sans retard, quittons le métier dramatique:


La farce en cent tableaux, que nous avons jouée,
N'est-elle pas (il est minuit !) assez jouée?
Reprends ton chapeau blanc et ta mine enjouée!


Au plus vite, quittons ce stupide théâtre,
Embrassons-nous encor aux portes du théâtre,
Puis courons dormir, seuls, chacun près de son âtre,


Car, que fus-je, sinon, en ta vie, un passage,
Et que fus-tu, sinon, en ma vie, un passage
Des drames du Guignol où vont les enfants sages ?...



G.-Albert Aurier.


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