Les Livres, Théâtres, Beaux-Arts, etc. août 1890

De MercureWiki.
Mercure, « Les Livres, Théâtres, Beaux-Arts, etc. » , Mercure de France, t. I, n° 8, Août 1890, p. 300-304.


LES LIVRES



  Le Possédé, par Camille Lemonnier ( Charpentier). ─ Voir page 296.
 Hénor, par Mathias Morhardi (Perrin et Cie). ─ Voir page 288.
 Notre cœur, par Guy de Maupassant (Ollendorff). ─ George Sand, ayant fini un roman à trois heures du matin, narre quelque part un témoin effrayé et admirant, prit un autre feuillet, inscrivit un autre titre, Jacques, et, sans désemparer, sans une minutes de réflexion, commença un nouveau volume. Exemple certainement mémorable de ce que peut la volonté jointe à du sens sens pratique et à de l'avidité industrielle : M. de Maupassant est tout de même supérieur à la célèbre « danseuse de revue » ; sa philosophie,aussi vile, est moins naïve, et ses œuvres sont moins ennuyeuses. Ce roman raconte d' éternels et nécessaires malentendus ; la conclusion en est assez dure pour les princesses, auxquelles le héros de l'histoire décidément préfère une petite bonne, toute simple, toute… ─ Ah ! toutes les femmes de chambres voleront le livre à leurs maîtresses. En somme, c'est une bonne lecture pour le wagon, la plage, le yacht…

R. G.


 Le petit Margemont, par Robert de Bonnières (Ollendorff). ─ L'analyse de cela, même avec peu de mots, est bien inutile. Ni observation, ni analyse, ni fantaisie, ni style ; c'est avec ce qui reste que cet amateur confectionne ses romains, durant les après-midis de loisirs que lui laissent ses obligations mondaines.Les lecteurs de la Revue des Deux Mondes croient que de telles pages font partie du mince grand livre de la Littérature actuelle : oui, mais à l'état de feuilles blanches, l'écriture qui les recouvre n'ayant atteint à aucune signification.

R.G.


 Amour de tête, par Abel Hermant (Charpentier). ─ Ah ! celui-ci est dur à lire ! Pas de trous, pas même de pores visibles : densité égale, au moins, à celle d'une barre de platine. C'est voulu, mais à tort. Même dans l’Armante de Stendhal, il y a quelques solutions de continuité, quelques brisures, ou, pour changer de métaphore, quelques clairières. Ici, sans soleil, presque sans lumière, s'en va la forêt des déductions enchevêtrées l'une en l'autre telles que les lianes… Enfin, elle n'est pas, il s'en faut, médiocre, cette analyse d'un médiocre ou plutôt d'un impuissant, car il a assez d'intelligence pour des actes intéressants, et la volonté seule lui manque ; et aussi il réfléchit trop, mange en pensées ─ comme en herbe ─ ses actions possibles. J'ai noté plus d'une observation neuve et vraie, des mots précis, un effort vers le non banal.

R. G.


 Byzance, par Jean Lombard (Savine). ─ Nous ne faisons aujourd'hui que signaler ce livre, reçu trop tard pour que nous en rendions compte d'une façon suffisante. Un article lui sera d'ailleurs consacré dans notre prochain numéro.



THÉATRE



 Le Théâtre mixte, sous la direction de MM. Paul Fort et Hérisé, a donné sa première représentation le 27 juin, salle Duprez.
 M. Hippolyte Paulet n'a pas très bien lu un À-propos en vers de M. Marc Legrand ─ lequel À-propos lui-même manquait d'épices. ─ Puis, dans le Florentin, trois actes de La Fontaine (ou de Champmeslé : grammatici certant), tripatouillés par J. -B. Rousseau qui les réduisit en un seul, M. Andréas (Timante) a été d'une gaucherie remarquable, et M. Paul Fort a exagéré la mimique du rôle d'Harpagème. Melle Laurel (une pétulante Marinette) et Mme Bucy (Agathe, mère d'Harpagème) furent suffisantes, mais on a fait un petit succès à Melle Beauprez, une jolie personne d'une cinquantaine d'années que son inexpérience même a servie dans le rôle de l'ingénue Hortense. ─ Après le Florentin venait Pierrot et la Lune, comédie lyrique de M. Marc Legrand, un acte en vers où Pierrot symbolise l' Art… pour l'art (à toi, Renard !) Cassandre le Bourgeois bourgeoisant, Arlequin le vulgaire jouisseur, Colombine la Femme, la tentatrice qui, repoussée par l'amant de la Lune, épouse Arlequin et laisse un regret au cœur de ce Saint Antoine de Pierrot. J'indiquerai bien la scène à ne pas faire, si je ne craignais de sarcéiser : car cette piécette gagnerait évidemment à finir lorsque Pierrot, ayant refusé l'amour de Colombine, voit s'éclipser la Lune. Mais notre ami Marc Legrand n'est point si pessimiste. M. Paulet a beaucoup mieux joué Pierrot qu'il n'a In l' À-propos du début ; M. Bondenet fera bien de crier moins fort et de soigner ses r ; M. Paul Fort est un bon Cassandre ; Melle Rachel d' Aincourt, encore une jolie ingénue de quatorze ans, qui n'avait jamais mis le pied sur les planches, a créé une Colombine inattendue, charmante du reste, une Colombine naïve et qui n'a pas trop l'air de savoir ce qu'elle risque en se jetant à la tête de Pierrot. ─ Le programme promettait aussi un acte en vers de M. Charles Grandmougin : Caïn ; mais une indisposition a retenu chez lui l'auteur, qui devait jouer dans sa pièce.



ENQUÊTES DE CHOSES D’ART



 Au Louvre, de nouvelles acquisitions, provisoirement exposées salle Henri II : un beau triptyque attribué à Memling ; un merveilleux portrait en pied, de jeune homme, par Antonis Mor ; un paysage de Huet, un portrait par Boningtom. À voir aussi, dans les salles de l'école française, la « Remise des Chevreuils », de Courbet, et les « Glaneuses », de Millet, récemment installés.
 Au Luxembourg, accroché provisoirement, en attendant son transfèrement au Louvre, l' « Ave Maria », de Bonvin, légué par M. Vince.
 Chez Boussod et Valadon(boulevard Montmartre) : un admirable portrait de femme, de Corot ; une biche dans la neige, de Courbet ; un Monticelli ; un grand paysage, de Th. Rousseau, qui est un des plus beaux que nous sachions ; des Claude Monet, des Gauguin, des Degas (portraits, jockeys et chevaux, etc.), des Raffaelli(1), (sculptures, peintures, surtout le « Café du quartier de l'École Militaire »), des Renoir, des Guillaumin, des Odilon Redon, des Lautrec. Prochainement, la maison mettra en vente un « Album de lithographies d'après certaines œuvres de Monticelli », qui est une précieuse merveille.
 Chez Tanguy (rue Clauzel) : des Van Gogh, des Gauguin, des Émile Bernard, des Guillaumin, des Luce et une nature morte de Cézanne (poires sur une serviette) qui est tout simplement un incomparable chef-d'œuvre.
 Chez Mayer (rue Laffitte, 5) : une étude de femme au pastel, de Forain.
 Chez Coutet (rue Lafayette, 34): Le « Faucheur », la « Gardeuse d'oies », le « Bineur de betteraves », de Camille Pissaro; une Vue du quartier Notre-Dame, de Schuffnecker.

G.-A. Aurier


Échos divers et communications

30 juin 1890.


 « Monsieur le Rédacteur en chef,
 « Je crois de mon devoir, en vous remerciant des lignes consacrées à notre ami disparu, Directeur et Fondateur des Écrits pour l'Art, de faire remarquer que votre note pourrait vouloir dire que ce Périodique (dévoué par la volonté de M. Gaston Dubedat « à ma Philosophie évolutive et ma théorie d'Instrumentation verbale », et non à un inane symbolisme) est quasi déchu…
 « Quand Gaston Dubedat fonda les Écrits, en 87 : plein d'une foi amie en mon Œuvre, il voulait dès lors les vouer entièrement à moi. Je refusai, et comme alors, ne sachant au juste ce que voulait M. Mallarmé, je l'admirais candidement, comme d'autres, pour ce qu'il semblait promettre, je m'effaçai devant lui : de là, la Revue adopta le Symbole posé en théorie, de M. Mallarmé ; et de moi, la théorie Instrumentaliste. Je n'avais publié encore, pour l'Idée, mon principe de Philosophie évolutive. ─ Cinq ou six rédacteurs seulement, dont trois sont encore des nôtres actuellement : MM. Stuart Merrill, Georges Khnopff, et moi.
 « Après sept numéros, ce périodique, en cette série sans cohésion, s'arrêta ─ pour, le 15 novembre 88, abolissant cet essai, reparaître avec, selon le rêve de Gaston Dubedat demeuré le Directeur, mon Principe de Philosophie évolutive et ma théorie d'Instrumentation verbale pour programme, sans dommage à la personnalité de chacun.
 « Les Écrits pour l'Art depuis paraissent, et continueront ─ grâce, qu'il me pardonne l'indiscrétion, à la générosité de notre ami Stuart Merrill, puisque jusqu'à ce jour nous n'avons voulu d'abonnements. ─ Et, avec les trois restés de la première série, les Écrits comptent actuellement quinze poètes admirablement voulants et unis. Déjà, il en serait bien plus, mais il n'est pas chez nous d'inutiles.
 « Il fallait cette fois-ci encore et malgré nos Déclarations et la preuve de nos œuvres (on sait cela, d'ailleurs, car bien connus et loin sont les Écrits et les Principes qui les guident), répéter notre mépris des Symbolistes aussi mort-nés que les Décadents, ─ et montrer vivace plus qu'en aucun temps pour vos lecteurs, l'œuvre fondée par notre cher ami mort avant le triomphe auquel il avait foi : Les Écrits pour l' Art.
 « Je vous remercie, etc… »

René Ghil



  Volontiers, mon cher Ghil, nous avons inséré votre lettre, mais c'est pure camaraderie, car nullement l’écho incriminé ne saurait être pris dans le sens que vous dites.

  MM. Léo Trézenik, dans le Roquet, Rodolphe Darzens, dans la Revue d'Aujourd'hui, et A. Berliaux, dans Art et Critique, ont simultanément publié un projet tendant à la création, par le groupement des périodiques de littérature et d'art existants, d'une feuille quotidienne. Cette feuille s'intitulerait, par hypothèse, Le Journal Libre, et porterait en sous-titre, à tour de rôle, le titre des périodiques syndiqués. Chacune des publications adhérentes conservait sa direction et son administration. Une réunion préparatoire de directeurs de revues a eu lieu le 5 juillet, et, annoncent les trois publications précitées, l'entreprise a été reconnue possible.

 De notre collaborateur Jules Renard : dans la Revue d'Aujourd'hui, un bouquet de Petites Bruyères et un humoristique conte rapide, La mèche de cheveux ; dans le Roquet, un amusant et paradoxal article, l'Art… pour l'argent.

 Dans un numéro de la Wallonie qui lui est entièrement consacré, M. Émile Verhaeren a publié les proses et poésies alternées dont voici les titres : Poésies : Silencieusement ; Un Soir ; Sais-je où ? ; Une Nuit ; Quelques-uns ; le Polder ; Sonnet ;Proses : Une Promenade ; Un Réveil ; L'Aquarium ; En Biscaye ; Les Maîtres du Siècle. ― La Wallonie annonce d'importants fragments de M. Jean Moréas.

 Le Roquet continue son amusant « Massacre des Innocents ». En voici la série, par ordre chronologique : Paul Bourget (Alfred Vallette) ; Francisque Sarcey (Léon Millot : ― le Maximus Pontifex de la critique théâtrale a eu l'honneur d'un second éreintement dans le même numéro, par Georges Darien) ; Joséphin Péladan (Édouard Dubus) ; Édouard Noël (Rodolphe Darzens); Émile Bergerat (Jean Ajalbert) ; Albert Wolff (Rodolphe Darzens).

 M. François Coppée devrait bien soigner sa prose, où se rencontrent, toutes les douze syllabes, comme s'il le faisait exprès, de fort désagréables assonances ; on en peut juger par ces quelques extraits du Coup de tampon :
 « C'est pis que sous l'Empire. Trop heureux de ne pas attraper de prison. Ah ! misère ! Avec leur chimie, ils ont raison, les Russes. Si l'on veut renverser la marmite des bourgeois, il faudra prendre la dynamite et les faire sauter, dût-on sauter avec !…
 « Il faisait beau. La rue avait un air joyeux. D'une école sortait une bande de gosses. Les charrettes à bras et leurs humbles négoces de verdure et de fruits parfumaient le trottoir ; et des couples, parmi la poudre d'or du soir, passaient, heureux, chacun auprès de sa chacune. » (Figaro du 7 juillet).
 Dans la Revue de la Littérature Moderne, un intéressant article de notre collaborateur Ernest Raynaud : Le Théâtre moderne.
 Les Jardins de l'Élysée Montmartre sont très en vogue : tous les étrangers y viennent admirer les transformations faites et entendre l'excellent orchestre de Dufour.


PRIME GRATUITE


 Nous avons l'honneur d'informer nos abonnés que nous offrons gratuitement à ceux qui nous en feront la demande leur portrait peint à l'huile par un artiste bien connu, M. Dugardin (84, faubourg Saint-Honoré). Il suffira d'adresser au bureau du Mercure de France une photographie en indiquant la couleur du teint, des cheveux, des yeux et des vêtements. — La photographie, devant être détériorée, ne sera point rendue. ― La livraison du portrait s'effectue dans le délai d'un mois à un mois et demi.
 Pour les frais de correspondance et de port, joindre en timbres-poste la somme de 1 fr. 05.

Mercvre.


1. Nous sommes obligés de remettre au prochain numéro l'article annoncé de M. G.-Albert Aurier sur l'œuvre de M. Raffaelli.


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