Théâtre Libre : L’Etoile Rouge. - Seul

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Gaston Danville, « Théâtre Libre : L'Etoile Rouge - Seul », Mercure de France, t. IV, n° 28, avril 1892, p. 353-355.



THÉATRES


THÉATRE LIBRE.

 L'Étoile Rouge, pièce en trois actes, en prose, de M. Henry Fèvre. — Vauxonne, un vieil astronome, s'est ruiné, ainsi que sa fille Berthe, en poursuivant d'irréalisables rêves, tels la communication entre Mars et la Terre, la construction d'appareils pour répondre à de prétendus signaux des hypothétiques habitants de l'Etoile rouge, etc. Comme Vauxonne recherche un commanditaire pour continuer ses coûteuses expériences, il rencontre à Antibes, dans une maison amie, un jeune homme riche et intelligent, André de Suvigny, qui est vite capté par l'enthousiasme du vieillard, peut-être aussi par la beauté de sa fille. Après un flirt, que favorise bienveillamment la planète écarlate, les jeunes gens se marient. Berthe alors trouve inutile d'exposer son mari aux tourments de la misère qu'elle a connue, et, en petite femme positive, raisonnable, l'explique à son père, qui, devant la ruine de ses espérances, tombe, frappé d'une attaque mortelle d'apoplexie.
 Tel est, en quelques mots, le sujet de la pièce que M. Fèvre a tirée d'un roman inédit chez nous de M. Pawloski, mais en le modifiant profondément. Dans le texte russe, en effet, Vauxonne est un fou; il a déjà été enfermé dans une maison de santé ; tandis qu'on nous le représente comme un savant de valeur, dont le génie est méconnu, conception qui se concilie mal avec les puérilités et les invraisemblances de son caractère. Il nous apparaît avec des envolées idéales et utopiques, un désir effréné d'expérimentation. Or, l'astronomie, science éminemment mathématique et de géométrie, se prête peu aux tentatives expérimentales et à la poésie, à moins qu'elle ne soit interprétée par un de ces vulgarisateurs dont les publications, menue et fausse monnaie de la Science, semblent précisément, par leurs vues erronées, leur généralisation hâtive et inexacte, avoir mal inspiré M. Fèvre, au beau talent duquel nous aurions été heureux d'applaudir. Après cette méprise, il a une revanche à prendre.
 Au dernier acte, M. Antoine, par son jeu puissamment tragique, a soulevé un véritable enthousiasme. Eloges mérités à M. Christian et à Mme Meuris, qui l'ont vaillamment secondé.

 Seul, pièce en deux actes, en prose, de M. Albert Guinon. — Avec M. A. Guinon. dont on n'a pas oublié le récent succès au Vaudeville, signalé ici-même, nous rentrons dans la comédie bourgeoise. — M. Ledoux, après fortune faite dans la pharmacie, vit à la campagne entre sa femme et son ancien associé Bourdier, qui tous deux rivalisent de soins pour adoucir les moments pénibles que lui font parfois passer des attaques de goutte. Mais, il apprend un jour, d'une bonne qui se venge d'être mise à la porte, que sa femme l'a trompé, il y a quelque trente ans, avec son ami Bourdier. Il chasse les coupables de sa demeure, où il reste seul, privé de soins et des habituelles cajoleries, volé par une bonne malhonnête, écrasé d'ennui; si bien que, par égoïsme pur, il en arrive a pardonner à Mme Ledoux, et même — ce qui est peut-être excessif — il rappelle à lui Bourdier, qui le soignait si bien...
 Il y a là beaucoup de bonne observation, des mots heureux ; le seul reproche que nous pourrions adresser à l'auteur serait d'avoir accusé trop certaines situations, en visant à l'effet de gros comique, encore que cette légère critique s'atténue du fait qu'il a réussi, par ce moyen, à susciter parmi les spectateurs une débordante gaieté.
 M. Antoine a composé avec son habituel talent un goutteux très drôle. Dans un court rôle épisodique et... maritime, M. Gémier, cantonnier de Blanchette, a retrouvé le succès de sa dernière création. Compliments pour MM. Pons-Arles et Christian ; MM'""Marie Laure, Jeanne Dulac et la petite Parfait, qui a fort intelligemment joué Jacques.

Gaston Danville.

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