Théâtre d’Art : Les Flaireurs. - Bateau ivre

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A.-Ferdinand Herold, « Théâtre d’Art : Les Flaireurs. - Bateau ivre », Mercure de France, t. IV, n° 27, mars 1892, p. 272-273.





 Les Flaireurs. — Les Flaireurs sont une œuvre sobre et puissante. On les a souvent comparés à l’Intruse, et, en effet, il y a d'évidents rapports entre les deux drames, mais l'art de Van Lerberghe est plus simple encore et plus primitif que celui de Maeterlinck, plus encore il rappelle la chanson populaire; ses moyens de suggestion sont plus directs; aussi Van Lerberghe n'est-il pas tenu d'accumuler les répétitions de détails comme le fait Maeterlinck, et son drame, avec une étrange rapidité, vous émeut d'une émotion violente — on pourrait presque dire brutale.
 D'ailleurs, l'œuvre est des mieux composées : une gradation croissante y est strictement observée, et, à chaque épisode, l'idée suggérée devient plus nette. Chacun des trois symboles — l'eau avec l'éponge, le linge, le cercueil — nous montre la mort de plus en plus proche, de plus en plus implacable. Le même progrès se marque dans les illusions et les visions de

la Mère, suggestives elles aussi — d'une manière moins directe — de l'idée de mort, mais transformée, et de terrible devenue souriante. Et c'est un beau contraste qu'il y a entre les peurs de la vivante et la sérénité de l'agonisante. Tout cela n'est pas d'un art aussi facile que l'a dit un nommé Fouquier, qui n'a consacré que deux lignes aux Flaireurs,sans d'ailleurs les avoir vu représenter, et.presque certainement, sans les avoir lus.
 Les Flaireurs ont été parfaitement joués par Mme Suzanne Gay et Mlle Georgette Camée. Mme Gay a composé le rôle de la Mère avec beaucoup de science: elle a mis un charme infini à dire les douces visions où passent la belle Dame du château et les Anges du Paradis, et, au moment de la suprême agonie, elle a été simple et tragique. Mlle Camée a rendu avec son talent coutumier les effarements et les angoisses de la Fille.
 Pour les Flaireurs, il faut de la musique de scène, suivant les indications mêmes de M. Van Lerberghe. La partition qu'a écrite M. Duteil d'Ozanne est distinguée, et elle a été fort bien exécutée par l'excellent quatuor Geloso-Tracol-Fernandez-Schnecklud.
 La mise en scène a été suffisante, à peu près ; cependant, les rideaux de serge noire manquaient au lit, la porte ne s'est pas brisée au dénouement, et les coups frappés n'ont pas été gradués comme il aurait convenu: ils ont, dès le début, été trop violents et trop précipités.
 Bateau ivre.— Il n'y a pas lieu de disserter sur un poème aussi connu que Bateau ivre, et aussi parfaitement clair, quoi qu'en pense le nommé Fouquier, qui, sans doute, ne l'a pas compris par la simple raison qu'il ne l'a pas lu; et il vaut mieux ne point parler de la médiocre interprétation qu'en a donnée M. Prad. Pour ce poème, M. Paul Ranson avait peint un décor d'une brillante fantaisie, mais que malheureusement, dans la hâte et le désarroi de cette fin de représentation, on ne planta pas avec le soin qu'il aurait fallu.

A.-Ferdinand Herold


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