- Pour toi, petite sœur de Madame la Vierge,
- Des cierges, l'on voudrait brûler pour toi des cierges
- Et te faire un tapis des bleus pourpris du ciel
- Et que le croissant d'or te soit un tabouret!
- — Est-ce un geranium, les fleurons de tes lèvres?
- Ah ! tes cheveux, couleur de lune qui se lève,
- Couleur de poésie et couleur d'auréole !...
- — Ce grand vol triomphal, ce vol de cygnes roses
- S'effarouchant au froid de ces neiges d'automne
- Dont s'effarent les lys et les roses d'automne,
- Ce beau vol, n'est-ce pas le parfum de ton corps?
- — Qui donc ne te dirait : Tu seras le jardin,
- L'exquis jardin fleuri de lys et de jasmins,
- Où, sous le ciel rose et or d'éternels matins,
- Grisés d'effluves blonds et d'aurore et de thym,
- Bondiront des troupeaux de biches et de daims?
- — Il pleut, il pleut, dans les jardins, il pleut, il pleure...
- — Entends-tu le silence d'un astre qui meurt?...
- — Ah! tes mains!... Et tes doigts, qui finissent en fleurs!..
- Ah ! le puits bienveillant, parmi les blondes mousses,
- Blondes, tels les duvets des Blondes ! et si douces !...
- Le charitable puits où j'ai bu bien des coups!...
- Ah! tes gestes, pâlis comme un refrain d'antan!
- Et ta subtile robe, en effluves d'encens!
- Et ton rire de givre! ah ton rire d'enfant!
- Et tes yeux, qu'il faudrait pour le bandeau du roi,
- Opales qu'on voudrait pour le bandeau du roi,
- Tes yeux, ah ! tes grands yeux, bénévoles étoiles
- Vers qui vole, en la nuit, la prière des voiles !
- Et tes seins! Et ton front! Et ta mignarde oreille
- Faite d'un peu de nacre et de beaucoup de rêve!...
- Et tes pieds longs et fins, tels ceux de Ganymède!...
- Tes cuisses ! N'est-ce pas celles d'un jeune archange
- Qu'emporte dans l'azur un beau vol d'ailes blanches?
- Et ta voix, paradis immarcessible où chantent
- Les Séraphins ailés et les mystiques Harpes!...
- Et tes sourcils, tes purs sourcils, d'un blond trop pâle !
- Et les serpents très caressants que sont tes bras !
- Et tes ongles aigus qui semblent des pétales !
- Et ton corps ! Tout ton corps ! Et ta tête, si chaste !...
- — Mais ton ventre, on dirait un rêve de vieillard !
20 novembre 1890
A Charles Wiest
- Les Doigts ont dit à la Cervelle : Non!
- Et, fors les yeux maléfiques du Rat,
- Nul doux espoir d'étoile n'éclaira
- Le ciel moisi du sanglant cabanon!
- La Tarentule immonde, en faction,
- Raille mes cris d'un fou rire moqueur!...
- J'ai dans le corps, à la place du Cœur,
- Un vieux cadavre en putréfaction...
- Un vieux cadavre où la horde des vers
- A découvert, pour assouvir sa faim,
- Un fin festin, digne des séraphins !...
- — Moi! je mettrai, dans mes lugubres vers,
- Ainsi que dans mes proses, afin qu'au
- Pinde je sois acclamé le vainqueur,
- Le plus possible de mon pauvre Cœur!...
- — Tant pis, si l'on y trouve un asticot!
- Les Doigts ont dit à la Cervelle:Non!
- Et, fors les yeux maléfiques du Rat,
- Nul doux espoir d'étoile n'éclaira
- Le ciel obscur du sanglant cabanon.
- Le Scolopendre hydrophobe et pelé,
- Le Stercoraire aux airs de matador,
- Le Capricorne et la Limace d'or
- S'estramaçonnent parmi les bolets,
- L'Araignée acéphale fait le guet...
- — Toi, ma maîtresse aux suçons trop ardents,
- Plante en mon Cœur tes ongles et tes dents!...
- L'Araignée acéphale fait le guet...
- — Vois-tu les yeux maléfiques du Rat?
- —Mange mon cœur, commensale du ver!...
- Tu me diras s'il sent le vétyver
- Ou le cédrat, ah! ah! ah! ah! ah! ah!
- 19 Mars 1890
- 19 Mars 1890
G.-Albert Aurier.