Sixtine, par Remy de gourmont (Albert Savine). — Voir page 402.
Albert, par Louis Dumur (Bibliothèque artistique et littéraire, 36, boulevard Arago). — Voir page 405.
La Princesse Maleine, par Maurice Maeterlinck (Paul Lacomblez, Bruxelles, 33, rue des Paroissiens). — Même les
plus fervents admirateurs de M. Maurice Maeterlinck croient devoir, en parlant de ce drame, faire quelques réserves : car, avouent-ils, l'imitation de Shakespeare y est évidente. Je ne crois point qu'il y ait lieu à de telles réserves, et il ne faudrait pas beaucoup de mots pour établir que l'imitation d'Homère, de Dante, de Shakespeare est de droit commun : leur esprit est devenu comme un indiscernable élément de l'esprit moderne. Ces poètes, que nous lisons avant la vie par les yeux de nos pères et qui ont produit les pensées desquelles nous vivons, sont comme des forces de la nature. Ils se sont confondus, au cours des longues années, avec les sentiments qu'ils exprimèrent : ils ont seulement donné de nouvelles nuances à l'universel domaine dont ils sont des parts intégrantes.
Bien plutôt que d'avoir imité Shakespeare avec un esprit nouveau, bien plus justement reprocherait-on à M. Maeterlinck certains procédés dont il abuse, dans un but visible, mais qu'il semble dépasser. Ces répétitions où chaque personnage se complait, ces :
Maleine.—Je suis la princesse Maleine.
Hjalmar.— Vous êtes la princesse Maleine ! Vous êtes la princesse Maleine ! Mais elle est morte !
Maleine. — Je suis la princesse Maleine.
Ces insistances fatiguent plus qu'elles n'émeuvent. Maleine et Hjalnar ne sont pas seuls à les usiter. Anne, le Roi, la Nourrice n'ont pas d'autre moyen d'expression, aux heures de
grand trouble, — et il ne serait pas fondé d'affirmer que telle en effet soit l'expression de tous les humains à toutes les heures de grand trouble : si plusieurs bégaient ainsi, beaucoup se taisent, d'autres bavardent avec une fébrile volubilité qui cherche dans d'incohérentes imaginations de choses ou de mots un refuge rapide contre la douleur ou l'effroi. — Un second reproche aurait trait à la trop immédiate intervention de la nature parmi les événements. Cela est beau en soi et, dans une crise perpétuellement exaspérée comme celle de ce drame, je sens bien que les plus expressives syllabes sont celles que prononce le Tonnerre. Mais on leur fait des appels trop fréquents, indiscrets. — Enfin, par une sorte de pacte tacite avec le mystère, un fou ne peut faire un geste qui ne prenne un sens profond, dans le drame, non seulement pour ceux des personnages qui sont au plus près de la nature, comme le vieillard qui y retourne et la très jeune fille qui en vient, mais au regard même de comparses, — et l'effet ainsi généralisé s'atténue.
Hautement il faut louer : ce retour comme violent au véritable esprit de la nature, aux correspondances par lesquelles elle perce et brise les bandeaux des conventions sociales de geste et de langage. « Les pauvres ne savent jamais rien... » — « Qu'on a l'air pauvre quand on est mort ! » — « C'est le vent qui l'a tuée. »
Blessantes, en définitive, certaines recherches dans la
simplicité. Je n'admire pas — dans cette dernière scène autrement toute admirable — le « Y aura-t-il de la salade ? »
Cette pièce, et plus qu'elle encore L'Intruse et Les Aveugles (j'aurai l'occasion prochaine d'en parler avec quelque détail), font de l'air dans l'atmosphère lourde des tentatives naturalistes et des simples turpitudes tous les soirs applaudies sur nos « grandes scènes »
CH. M
À Trépas, par Dauphin Meunier (Léon Vanier). — Si près de nous, le Naturalisme apparaît fossile. Peut-être le fut-il toujours. Il a ses procédés, qui sont des clichés, sa langue, qui est une langue morte. À faire du naturalisme au lendemain du bachot, les nouveaux écrivains doivent se souvenir du pensum naguère familier. — M. Dauphin Meunier a laborieusement écrit dans ce genre fastidieux une nouvelle où il ne faut considérer, dit la préface, « que l'effort consciencieux vers le savoir-écrire. » Y fallait-il choisir ce thème ? Et c'est moins de la littérature que de la marquetterie : pour le style, Huysmans, Cladel, Goncourt, Verlaine (le Verlaine de la prose), Poictevin sont assez adroitement imités, assez adroitement joints, — je crois, sans profits. — L'intérêt serait dans ce soin que prend un jeune homme, qui n'y était pas condamné et que semblent séduire d'autres désirs, d'exhaler le dernier soupir d'une École agonisante. Et c'est du naturalisme recherché, précieux, un souci de choisir des syllabes aimables pour nous montrer des malades dans une « salle Jenner » et leurs efforts d'expectoration et reniflement... quand les mucosités érugineuses venaient s'étirer aux poils des moustaches. » — Je considère cet effort consciencieux d'expectoration littéraire, mais je préfère ceci : « ...des dormeurs... qu'on dirait ne pas vouloir effrayer les souvenirs d'eux-mêmes, tant ils s'immobilisent en des semblants d'une vie persistant au-delà, avec un clin d'œil qui reluque, un sourire complaisamment figé... » Il y a un poète, peut-être, dans cette petite phrase. On regrette qu'il se soit résigné, presque partout ailleurs dans cette nouvelle d'une centaine de pages, et réduit aux règles d'un genre où son plaisir ne l'appelait, non plus que le nôtre.
Ch. Mce
Général Grant And the French, par Théodore Stanton(The Cornell Magazine, oct. 1889 ; Ithaque (E M.). — Intéressante étude écrite pour protester contre cette légende que le général Grant aurait, en 1870-71, manifesté, tout bas et tout haut, de haineux sentiments à l'égard de la France, une excessive admiration pour la Prusse. Réduits à leur valeur, les propos, dépêches et messages du président de la
République américaine n'ont pas dépassé les formules ordinaires et nécessaires de la diplomatie : fable que ses félicitations télégraphiques à chaque victoire du roi Guillaume ; légende que cette sympathie exhubérante pour l'empire allemand restauré : « Grant, dit M. Stanton avec beaucoup de bon sens, était Américain, rien qu'Américain ». Nous avons voulu, bien qu'elle soit déjà ancienne, signaler cette notice, qui, grâce à de nombreux et authentiques documents cités, a la valeur d'une définitive page d'histoire. M. Stanton proteste contre les vers de V. Hugo intitulés : « Le Message de Grant » ; moi aussi : on proteste toujours avec joie contre les vers démocratiques du vieux rhéteur.
R. G.
Les Enfants, poésies, par Hugues Lapaire (Savine). — Vous vous en repentirez un jour, M. Lapaire !
Le Théâtre-Mixte s'annonce peu original, et manque de modernisme. Il est au moins curieux, par exemple, de voir dans un théâtre de jeunes, c'est-à-dire d'oseurs, le Caïn de M. Grandmougin et la Kallisto de M. Gayda : rien dans ces deux ouvrages, certes, n'eût choqué nos grand pères. Le premier interprète en vers fluents l'évènement biblique : ce Caïn qui rachètera son crime par le travail est incontestablement un fort honnête résigné — qui nous est bien égal. Il est d'ailleurs fâcheux que M. Grandmougin se soit chargé du rôle de Caïn, et un acteur « pour de vrai » eût obtenu mieux du poème. — Quant à la fantaisie héroïque de M. Gayda, c'est l'éternel agenouillement de la puissance devant la beauté, et le sempiternel triomphe d'Éros. Ah ! que ces raisonnements — bien rimés du reste — du grand Zeus pour convaincre Kallisto sont peu émouvants ! Et puis ce rouge cru, ce blanc cru, ce bleu cru ! Irrésistiblement les costumes de Mlle Esquilar et de M. Larochelle, celle-là meilleure Kallisto que celui-ci bon Zeus, évoquaient une tricolore journée de 14 Juillet.
Si La Petite Bête est un vaudeville, elle manque de mots, et elle manque de psychologie si elle vise à la comédie. Elle repose d'ailleurs sur une exception infiniment rare : Jeanne, une jeune épousée qui ne saurait être heureuse avec son mari que si sa mère habite avec eux, est une petite dinde - « petite bête » a dit mon confrère d’Art et Critique — presque introuvable dans le monde. Bien peu vraisemblable aussi la mère de Jeanne, Mme de Barnye : avec le désir de vivre auprès de ses enfants, elle prend des allures de mondaine évaporée uniquement pour leur prouver que, s'amusant beaucoup loin d'eux, elle ne se résignerait point à la vie de famille — et ce par crainte de déplaire à son gendre, lequel voudrait, comme Jeanne, que Mme de Barnye ne les quittât point ! M. Paul Fort, dit-on, est très jeune : c' est pourquoi sans doute il
s'est plu à ce paradoxe familial. Il convient d'attendre un second essai avant de le juger. La Petite Bête a été bien interprétée par MM. Clément David, A. Guyel (qui gagneraient à rompre radicalement avec la tradition : l'exagération des jeux de physionomie, les déplacements intempestifs, etc.) Melle Esquilar et Camm, MM. Arnould et de Turigny.
Le clou de la représentation fut le François Villon de M. Louis Germain — qui a ouvert la séance par une causerie sur le théâtre moderne : une sorte de préface aux annales du Théâtre-Mixte, assez vaine en somme puisque le programme y inclus ne sera point suivi. — M. Louis Germain nous montre un François Villon « lâché » par Margot et qui, rencontrant l'occasion du bien-vivre en épousant Annette, une petite bourgeoise, cossue, se décide à l'existence régulière. Mais Margot reparait, elle reparait avec Mauthinct, un loqueteux ami du poète ; or, la superbe fille est l'amour libre, tout le passé des voluptés et des joies qui ont égayé les misères ; Mautinct est la vie bohème, aventureuse, libre, attirante malgré ses déboires — et Villon est reconquis. Mais pourquoi Margot occit-elle Annette ? Ce dénouement de mélo, manifestement inutile, me gâte un peu cette pièce romantique, qui, par sa langue et sa facture, est un très louable effort. M. Louis Germain jouait lui-même François Villon, et, à le considérer comme acteur-amateur, je ne vois que des compliments à lui adresser, ainsi qu'à M. Blaess-Mautinct ; mais je préfère dans la comédie moderne M. Clément David (Catuche), tandis que Melle Camm m'a paru meilleure ici, dans Annette, que dans Jeanne de La Petite Bête. Melle Reynold, qui devait jouer Margot, a été remplacée au dernier moment par Melle Bailly, une énergique truande.
A. V.
Chez Boussod et Valadon (Boulevard Montmartre) : un merveilleux pastel de Degas : Femme nue, assise par terre, se peignant ; deux lumineux coins d'Angleterre, de Pissaro ; une vue de la Creuse, de Claude Monet ; des Raffaelli ; des Redon ; un très beau Christ, au jardin des Oliviers, et des paysages bretons, de Paul Gauguin ; un portrait de femme et des paysages, de Corot ; etc.
Au Luxembourg : le Buste de Delacroix, récemment inauguré.
Au Pavillon De La Ville de Paris : l'exposition de Blanc et Noir (il faut tout voir, pour s'instruire.)
G.-A.A.
Baudelaire eut la velléité de suivre les cours de l'École des Chartes. En classant divers registres des archives, M. Guilhermoz, secrétaire de l'Association des anciens élèves de
l'École, a, en effet, découvert l' inscription, comme élève libre, pour l'année 1845-46, de Pierre-Charles Baudelaire, né à Paris le 9 avril 1821.
Il disparaît l'année suivante. S'il avait persévéré, il eût appartenu à la promotion qui a fourni, entre autres, M.M. Marty-Laveaux et Léopold Delisle.
R. G.
L'année 1890 du Mercure de France se reliera en un fort volume, pour lequel nous enverrons à nos abonnés et aux personnes inscrites au service les feuillets de titre, de faux-titre, les tables et la couverture. À partir du fascicule de Janvier 1891, le recueil paraitra sur 64 pages ; il formera deux volumes dans l'année, et les prix seront modifiés ainsi :
Un an..... 7 fr.
Six mois. ... 4 fr.
Un an.....8 fr.
Six mois.....5 fr.
Ceux de nos souscripteurs qui renouvelleront leur abonnement avant le 20 décembre bénéficieront de l'ancien tarif.
La librairie Alphonse Lemerre met en vente cette semaine un livre original de notre collaborateur Jules Renard : Sourires pincés, dont nous parlerons le mois prochain.
Composition de la prochaine séance du Théâtre-Mixte :
I. Le débat du cœur et de l'estomac, farce en 1 acte, en vers, de M. Alexis Martin ; II. La voix du sang, pièce en 1 acte, en prose, de Mme Rachilde ; L'Accent, comédie en 3 actes, en prose, de M. Émile Bergerat.
De l'Art moderne : « Un de nos collaborateurs a reçu hier de M. Antoine, directeur du Théâtre-Libre, le télégramme suivant : « Ami, vous qui connaissez Maeterlinck dont je n'ai pas l'adresse, voulez-vous lui demander de ma part ses Aveugles` pour le Théâtre-Libre. Il peut être tranquille comme mise en scène. Nous jouerons la pièce cet hiver au théâtre du Parc après la première de Paris. »
Tous les jeudis soirs, Salle des Capucines, Concerts artistiques du Grillon, sous la direction d'Edmond Teulet. On y entend MM. Amyot, Giraud, Dreyfus, et le délicat chansonnier Eug. Lemercier, qui va prochainement publier un recueil : La Vie en chansons. Nous parlerons de ce livre lors de son apparition.
Mercvre.
1. Nous sommes obligés de remettre à notre prochain fascicule les bibliographies de : — Cœur en peine de M. Joséphin Peladan ; — L'Appel des Voix, de M. Charles Sluyts ; — Rythmes pittoresques, de Mme Marie Krysinska.