Colloque

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Louis Dumur, Colloque, Mercure de France, t. I, n° 12, décembre 1890, p. 425.


COLLOQUE



  Sur une onde perverse qui dort,
  La nacelle a glissé si plaintive,
  Que la brume du soir, que la mort
  De la nuit, sur la nef fugitive,
  Murmurèrent ces choses d'accord :

 « Où va-t-elle, la cymbe ? où va-t-elle,
 Sans rameur, sans un souffle de vent ? »
 — « Elle suit la fortune infidèle,
 Et sa course qui change souvent
 Découpa son sillage en dentelle. »

 — « Quel étrange et pénible méfait
 L'a poussée en ce triste voyage ? »
 — « Qui saura t'expliquer un effet
 Par la cause inconnue et volage
 Dont se meut l'univers imparfait ? »

 — « Je voudrais répéter à la barque
 Des paroles d'amour ou d'espoir ! »
 — « Ce serait la leurrer que la parque,
 La guettant de l'abîme si noir,
 Pour nul heur effrayant ne la marque. »

 — « La leurrer, ne sera-ce au moins pas
 Lui jeter une brise amicale ? »
 — « Croira-t-elle au plus fou des appas !
 Où la brume et la mort font escale,
 Sur leurs vœux fuirait-elle un trépas ? »

 — « Lamentable et cruelle ironie !
 La pitié vient de nous, les effrois ! »
 — « Nulle épave, ou maudite ou bénie,
 Transportant des navrés ou des rois,
 Ne survienne sans larme infinie ! »


Louis Dumur.

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