- II a duré moins qu'une fleur dans votre main,
- Ce voyage entrepris à l'aventure, ensemble,
- Vers un ciel d'éternel printemps qui vous ressemble
- Me voilà seul et j'ai perdu votre chemin.
- Mais je vous chante au fond des forêts où m'écoute,
- Seul, le chœur étonné des Faunes; et, tandis
- Que je leur dis et leur redis nos paradis,
- Le regret obscurcit mes regards, goutte à goutte.
- Alors, donnant l'empire à mes yeux immortels
- Par delà l'horizon de cette humaine vie,
- Un bon Ange apparaît soudain, qui me convie
- A voir mes songes incarnés en doux pastels.
- Et je vous ai sans nos poussières de la terre,
- Sans les tentations dont le régne est puni:
- Pure évocation d'un silence infini,
- Irradiant tous les mirages du mystère.
Pour Stuart Merrill.
- L'or rosé de l'aurore incendie
- Les vitraux du palais où se danse
- Une lente pavane affadie
- Aux parfums languissants de l'air dense.
- L'éclat falot de la bougie agonise
- A l'infini dans les glaces de Venise.
- Les rideaux mal rejoints sont aux franges
- Allumés des splendeurs de l'aurore;
- La musique a des sons bien étranges:
- On dirait un remords qui pérore.
Mourants ou morts déjà les sourires mièvres,
Les madrigaux sont morts sur toutes les lèvres.
- On s'en va, deux à deux, sans étreinte,
- Sans cueillir un lambeau de dentelle,
- Tressaillant tout rêveur, mais sans crainte,
- Au bruit sourd de son cœur qui pantèle.
Pour défaillir, ne faut-il pas qu'on oublie
Le triste éveil d'une ancienne folie?
- Dans la salle de bal nue et vide
- Reste seul un bouquet qui se fane,
- Pour mourir du même jour livide
- Que le cœur des danseurs de pavane.
L'éclat falot de la bougie agonise
A l'infini dans les glaces de Venise.
Edouard Dubus.