Il a duré moins qu’une fleur. - Fête

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Édouard Dubus, « Il a duré moins qu'une fleur dans votre main - Fête », Mercure de France, t. IV, n° 27, mars 1892, p. 248-249.




II a duré moins qu'une fleur dans votre main,
Ce voyage entrepris à l'aventure, ensemble,
Vers un ciel d'éternel printemps qui vous ressemble
Me voilà seul et j'ai perdu votre chemin.


Mais je vous chante au fond des forêts où m'écoute,
Seul, le chœur étonné des Faunes; et, tandis
Que je leur dis et leur redis nos paradis,
Le regret obscurcit mes regards, goutte à goutte.


Alors, donnant l'empire à mes yeux immortels
Par delà l'horizon de cette humaine vie,
Un bon Ange apparaît soudain, qui me convie
A voir mes songes incarnés en doux pastels.


Et je vous ai sans nos poussières de la terre,
Sans les tentations dont le régne est puni:
Pure évocation d'un silence infini,
Irradiant tous les mirages du mystère.


FÊTE

Pour Stuart Merrill.

L'or rosé de l'aurore incendie
Les vitraux du palais où se danse
Une lente pavane affadie
Aux parfums languissants de l'air dense.


L'éclat falot de la bougie agonise
A l'infini dans les glaces de Venise.
Les rideaux mal rejoints sont aux franges
Allumés des splendeurs de l'aurore;
La musique a des sons bien étranges:
On dirait un remords qui pérore.


Mourants ou morts déjà les sourires mièvres,
Les madrigaux sont morts sur toutes les lèvres.

On s'en va, deux à deux, sans étreinte,
Sans cueillir un lambeau de dentelle,
Tressaillant tout rêveur, mais sans crainte,
Au bruit sourd de son cœur qui pantèle.


Pour défaillir, ne faut-il pas qu'on oublie
Le triste éveil d'une ancienne folie?

Dans la salle de bal nue et vide
Reste seul un bouquet qui se fane,
Pour mourir du même jour livide
Que le cœur des danseurs de pavane.


L'éclat falot de la bougie agonise
A l'infini dans les glaces de Venise.

Edouard Dubus.

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