Jardin mort

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Édouard Dubus, « Jardin mort » , Mercure de France, t. I, n° 8, Août 1890, p. 268-269.


JARDIN MORT

I

Enclos de murs dont les portes sont condamnées,
Le jardin qu'ont flétri d'extatiques années
Gît sous l'effeuillement de ses grâces fanées.

La ronce a lentement rampé sur les gazons,
Où les perverses, méditant leurs trahisons,
Cachaient le piège des subites pâmoisons.

Aux rives de l'étang, ce miroir qui frissonne,
Pour se rire ou cueillir des nénufars : personne,
Mais de mornes roseaux, que le Temps seul moissonne.

La brume ensevelit les bosquets vermoulus,
Debout dans le silence et le calme absolus 
Brise ou bise, le vent n'y rôde jamais plus.

Au ciel, où quelque oiseau de malheur toujours vole,
Plus de soleil pimpant, de lune bénévole,
Plus d'astres clignotant leur œillade frivole.

La désolation, veuve d'espoir qui ment,
Semble régner ici pour éternellement,
Sous l'empire d'un fatidique enchantement.

II


Une heure de printemps est cependant venue,
Herbes et fleurs ont diapré la terre nue,
L'étang s'est constellé des joyaux de la nue.


Les portes ont laissé leurs battants, engourdis
Sous les lierres inextricablement ourdis,
S'ouvrir au vent berceur des bosquets reverdis.


Ce fut lorsqu'apparut, sans laisser de vestige,
Tant sa marche semblait un parfum qui voltige,
La Reine rayonnante en nimbe de vertige.


Hiératique, elle cueillit, de ci de là,
Un bouquet pour fleurir sa robe de gala,
Puis, laissant le Royaume à la Mort, s'en alla.


Dès lors, enclos de murs aux portes condamnées,
Le jardin qu'ont flétri d'extatiques années
Git sous l'effeuillement de ses grâces fanées.

Édouard Dubus.



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