Journaux et Revues juillet 1892

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Mercvre, « Journaux et Revues  », Mercure de France, t. V, n° 31, juillet 1892, p. 276-280.





JOURNAUX ET REVUES


 La National Review de juin contient une intéressante étude d'Arthur Symons sur Paul Verlaine; en voici la conclusion :
 « ..... Ce que Verlaine a fait de sa vie, cela nous intéresse seulement en tant que sa vie a créé ou modifié l’œuvre de l'artiste; et en lui vie et art ne font qu'un, aussi sûrement qu'ils ne font qu'un en Villon. Depuis les Romances sans paroles jusqu'aux Liturgies intimes, chaque période de cette « fièvre appelée la vie », il l'a chroniquée et caractérisée en vers. Le vers a changé comme la vie a changé, demeurant fidèle à certaines caractéristiques fondamentales, comme l'homme, à travers tout, est demeuré fidèle à son étrange et contradictoire tempérament. Verlaine a fait quelque chose de neuf du vers français, — quelque chose de plus pliable, de plus exquisément délicat et sensitif ; la langue, avant lui, avait quelques qualités de moins. Il a inventé cette nouvelle sorte de poésie impressionniste, « la nuance, la nuance encore », qui semble correspondre si subtilement aux dernières tendances des autres arts : la peinture de Whistler, la musique de Wagner. Lui-même, créature de passions et de sensations, ballottée çà et là par tous les vents, il a donné une voix à tous les vagues désirs,à toutes les tumultueuses impressions de cette faible et frénétique créature, le moderne homme des villes. Il a mis cela en une musique tantôt exquise, quand le mode est exquis, tantôt dissonante, quand le mode est dissonant; musique toujours aiguë et musique toujours flottante, telle qu'on n'en avait jamais entendu de pareille. Ainsi, bien nouveau et bien typique apparaît ce chanteur qui n'a chanté que lui-même : ses chagrins, ses fautes, ses détresses; ses heures de joie, les heures où il se croyait heureux; les heures où la chair triompha et les heures de mystique communion avec l'esprit : les couleurs, les sons qui le délectèrent, les mains qu'il baisa, les pleurs qu'il essuya. »

R.G.

 Revue Philosophique, dirigée par M. Th. Ribot (Juin). Sous le titre : Existence et développement de la Volonté, M. Fouillée entreprend une étude psychologique fort importante. Non seulement il tend à montrer la présence constante de la volonté dans tous nos actes psychiques, mais encore il s'attache à révéler l'ubiquité du vouloir et du sentir. La philosophie générale, selon lui, verra dans l'énergie physique l'expression extérieure de l'énergie psychique, c'est-à-dire de la volonté, qui est omniprésente et constitutive de la réalité même. L'auteur s'inspire, comme on devait s'y attendre, de sa théorie des idées-forces, exposée déjà plusieurs fois dans ses travaux antérieurs. M. Fouillée nous fait à ce propos l'honneur de nous citer à plusieurs reprises, en nous reprochant, entre autres, une contradiction à propos de la non-subordination des centres moteurs aux centres sensoriels. Nous ne pouvons ici entrer dans toutes les considérations qui seraient nécessaires pour nous justifier, aussi ferons-nous seulement observer à l'éminent professeur que seules les interprétations et non les observations auxquelles nous avons fait allusion ont prêté à discussion.
 Rapprochant de M. Spencer le baron d'Holbach, et comparant à la Morale Evolutionniste le Système de la Nature, M. A. Lalande montre ingénieusement la parenté d'esprit de ces deux auteurs, qui contraste avec la différence considérable de temps et des milieux dans lesquels ils vivent.

G.D.

 Les « Numéros exceptionnels » de la Plume sont presque toujours intéressants; celui qui fut, en mai, consacré au Jargon de maistre François Villon infirme gravement cette règle. Le laborieux disciple du laborieux Vitu s'est donné beaucoup de mal — pour rien; l'« interprétation » de M. Jules de Marthold, en effet, outre qu'elle paraît inexacte, est encore un peu plus obscure que l'original. Ne parlons pas des bizarres prolégomènes où une érudition confuse étale des naïvetés de cette force : « Ballade, le mot lui-même tient du Jargon en ce qu'il est d'importation étrangère, venu de l'Inde, où les danseuses chantant étaient appelées Balladières (et non Bayadères), et par nous emprunté à l'Italie où l'avaient introduit les Zingari qui le tenaient des Arabes. » Je ne crois pas que l'on puisse accumuler, en si étroit espace, plus d'incohérences. Tout le monde, en effet, tous ceux, du moins, qui possèdent quelques notions de linguistique, savent que le mot Ballade et ses congénères viennent du bas latin balla, balare, ballare, balator, billator, balatio, vallatio, ballimathia, balisteum,etc., etc., et que la probable origine de ces formes est le grec βαλω, βαλλιξω ; le provençal donne ballar; l'italien,ballare; l'espagnol et le portugais,bailare; le wallon,baler; l'anglais, bale; l'allemand, ballen; l'ancien français, bal, baul, baule, baler, bauller, baloier, etc,
 « Les langues de l'enseingne vont au vent baloiant. »
 L'ancien français donne encore balestiaux et balets, et le français moderne balistique, baliste, ballast, ballaster, etc., et l'expression de langue verte balade, balader, se balader. On voit la fécondité de cette famille. Quant au mot ballade lui-même, le provençal donne ballada, et l'italien ballata, chanson à danser ; et quant à bayadère, c'est purement et simplement le portugais bailadeira, danseuse.
 Tout cela prouve que M. de Marthold, ignorant les plus élémentaires mécanismes de la linguistique, aurait mieux fait de s'abstenir d'une étude où cette connaissance est indispensable.
 Le numéro suivant de la même revue (1er juin) s'enrichissait d'un Supplément poétique où je trouve une pas banale pièce, Evanescences; les fuyants vers de M. Alfred Thooris disent les quatre initiations pour lesquelles s'éclairent « les ogives »,
  Où planent des luminaires et les Saints en dérive.
 La communiante, « comme une hymne vers Dieu passe...» :
  C'est la première fois que le Rêve pérennel
  Communie à genoux et a peur des souffrances
  Dont palpite tout bas le nouveau de sa chair,
   L'âme sourde aux évanescences
   De l'encens et des prières !
 Principales matières de Mélusine (Mai-Juin): Un Ancêtre du quatrième Etat, par M. Gaidoz, notice sur un curieux placard ancien dont la revue donne en même temps le fac-simile; La Pernette, par M. Van Duyse, texte d'une version du XVe siècle; La Fille qui fait la morte pour son honneur garder, par M. J. Couraye du Parc, version normande de cette jolie chanson populaire :

Dessous les lauriers blancs,
La Belle se promène,
Blanche comme la neige,
Fraîche comme le jour.
Trois jeunes capitaines
Vont lui faire l'amour...

 La Fascination (Suite) par M. J. Tuchmann, etc.

R. G.

 Le Livre d'Art (Dir. Paul Fort, 12, avenue du Bac, Asnières) est une suite aux Programmes-Revues du Théâtre d'Art. Son premier numéro, dont le rédacteur en chef est notre collaborateur Remy de Gourmont, a paru en mai, avec des poésies de P.-N. Roinard, A.-Ferdinand Herold; une traduction par Remy de Gourmont de deux anciens poèmes mystiques, un article du même : Le Paraclet des Poètes; un poème en prose de Saint-Pol-Roux : Le Paon; un conte de Rachilde : Piété mondaine; et des dessins de MM. Emile Bernard et Jean Verkade.
 L'Art et l'Idée (Mai) donne un très intéressant article de M. Octave Uzanne sur le statuaire-décorateur Joseph Chéret, « une des physionomies les plus modestes et les plus originales de ce temps ». M. Joseph Chéret est le frère de Jules Chéret. « Les deux frères ont, du reste, une grande parenté d'art; chez eux, quoi qu'ils fassent, ils apportent la vie, le mouvement intense, jusqu'à la frénésie voluptueuse des corps dessinés ou modelés; ils conduisent sabbat charnel fougueux, entraînant, diabolique, et ils rendent palpitant tout ce qu'ils créent..... Les vases de Chéret, par exemple, les cratères, les coupes, les amphores élégantes, les jarres ventrues qu'il a décorées, ou, pour mieux dire, enguirlandées de femmes mythologiques, d'amours folâtres et de babys exquis sont des productions sans équivalent. Joseph Chéret a apporté dans cette manière un frison nouveau....; on reconnaît dans l'arrangement de ces vases, dans l'ensemble de ces décorations charmantes, ce sentiment profond, inné, païen, de la femme; que lés artistes du XVIIIe siècle portaient si bien hors d'eux. » Reproductions dans le texte et hors texte de vases, fragments décoratifs, cheminées, médailles créés par M. Joseph Chéret, puis un portrait-croquis inédit de l'artiste par son frère Jules. — Au sommaire du même numéro : Propos de table de Victor Hugo à Guernesey, et Les Étapes de la Réclame curieuse et amusante histoire du puffisme à travers les âges.

A.V.

 Dans la Société Nouvelle, de beaux poèmes d'Emile Verhaeren; la suite du remarquable roman de William Mooris, l'esthète socialiste anglais (Nouvelles de nulle part); une étude de Charles Henry sur la transformation de l'Orchestre.
 Dans le Banquet, d'excellents vers de Grégoire Le Roy, mais point inédits, et une étude biographique un peu incomplète sur ce bon poète, trop discret.
 Deux excellents calembours de M. René Ghil dans les Écrits pour l'Art : « M. Péladan (Joseph... fin de bon sens) ................... » — « pour les Débats,(des bâts d'ânes.) ... »

P.Q.

 Gazzetta Letteraria : un bon article de Giuseppe Depanis sur le dernier roman de Gabriele d'Annunzio, l'Innocente : « Comme œuvre d'art pure, c'est un des meilleurs livres publiés en Italie; la forme est merveilleuse par la clarté des images, la ciselure du style, la franche saveur d'italianité de la langue : quelques chapitres ont un relief et une force de coloris extraordinaires... »
 Cronaca d'Arte : de jolis vers français d'Alberto Sormani :

Comme une barque, perdues les rames,
je ne vaux plus rien. Amour est mort.

Vita Moderna (Milan): une étude de Enrico A. Butti sur geux nouveaux romans français. Ce jeune romancier avoue un goût particulier (et bien dangereux) pour La Sacrifiée de M. Rod et le manuel d'anthropologie préhistorique que M. Rosny publia (en collaboration avec Louis Figuier et Camille Flammarion) sous le titre de Vamireh.
 La Critica Sociale réclame, article de M. G. de Franceschi, la liberté pour la femme. Mais la femme, en comparaison de l'homme, est scandaleusement libre dans la société actuelle! Elle n'est soumise à aucune des obligations qui mangent la vie du mâle... Elle est libre comme le moineau, — et aussi paillarde, ce qui fait que le mâle ne proteste pas contre ses privilèges.

R. G.



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