JOURNAUX ET REVUES
L'Art et l'Idée, Revue contemporaine du Dilettantisme littéraire et de la Curiosité (Périodique mensuel illustré, de 64 à 80 pages grand in-8. Un an : sur vergé de fil à la forme, ex. num. 1 à 600: 40 fr. ; sur japon, ex. num. I à XXX: 80fr.; sur chine, ex. num. XXXI à XLV : 80 fr.; sur Chine, ex. num. XLVI à LX : 70 fr.) vient d'être créée par notre confrère M. Octave Uzanne pour remplacer le Livre Moderne, qui avait lui-même remplacé le Livre : non pas, d'ailleurs, parce que les deux premières revues, dont l'une vécut dix et l'autre deux ans, avaient « cessé de plaire »; mais M. Octave Uzanne — directeur, éditeur et rédacteur de ses publications — a sur les périodiques des idées spéciales, et, dès la première livraison du Livre Moderne, il annonçait que la collection en serait arrêtée au bout de deux ou trois ans, inaugurant ainsi les périodiques à durée limitée, ou, selon son mot, à combustion rapide. L'invention, à coup sûr, ne laisse point que d'être audacieuse, et, à considérer les mœurs routinières de l'abonné, l'entreprise aurait quelque chance d'échouer si M. Uzanne s'adressait au public ordinaire. Mais il a su se composer un public de lettrés, de dilettanti et d'amateurs d'art, bien décidé à le suivre partout et quand même, et lui seul pouvait se risquer à cesser en pleine prospérité la publication d'un Recueil pour lui en substituer un autre — cet autre dût-il lui être supérieur, ce qui est le cas. Le programme de l'Art et l'Idée est infiniment plus vaste que celui du Livre Moderne, un peu trop restreint aux choses de la bibliophilie pure. Exposer ce programme serait ici trop
long ; aussi bien est-il aisé de l'inférer du sous-titre : Revue contemporaine du Dilettantisme littéraire et de la Curiosité. Je préfère citer cet intéressant passage de l'article initial de M. Octave Uzanne, qui, en idéaliste fervent qu'il fut toujours, détourne ses regards du passé naturaliste pour scruter avec joie l'aube spirituelle qui poind :
« ... Ce sont les hommes mûrs, remarquons-le, qui s'obstinent encore à cette médiocre école de la vérité, tant dans les livres que sur les planches et ailleurs; les jeunes, les vraiment jeunes, ceux qui travaillent pour eux-mêmes et qui se pressent en ce moment pour apparaître bientôt dans l'arène publique, sont et seront délicieusement hostiles aux fades et salissantes crudités sans art.
« Déjà nous les voyons — dans leurs petites revues militantes, qu'on ne remarque pas assez — développer, non sans crânerie, le drapeau des nobles représailles; poètes, essayistes, romanciers, tous vont à l'idéal, à la mysticité, à la religion d'un beau cloîtré dans la pénombre des dévotions d'art. Peintres et statuaires suivent un mouvement analogue, comme si l'âme des débutants avait senti le gouffre de désillusion et de pessimisme où la poussée de leurs devanciers allait les précipiter.
« Autant je puis les suivre, — et certes ils m'intéressent, ces jeunes hommes, qui seront peut-être les gloires de demain, — autant je puis constater que le néant de certaines perfections modernes les frappe aussi bien dans l'expression des écritures romancières que dans le rendu extra-habile des maîtres contemporains de la peinture et de l'illustration.
« D'instinct, ils sentent qu'ils n'iront pas au-delà de ces exécutions achevées, et aussi ne cherchent-ils pas à éterniser un genre qui a donné tout ce qu'il pouvait rendre en des mains artificieuses ; ce qui les attire, ce qui les captive, ce sont heureusement les formes naïves, les joliesses d'un art primitif, les synthèses d'idées intellectuelles ou surnaturelles, dignes d'émouvoir l'âme et de donner à la pensée des vibrations inconnues. — Ah ! comme en cela ils ont sagesse et noblesse; aussi, de quelles espérances ne fleurissent-ils pas nos horizons !
« Ces nouveaux venus souvent fourniront à l'Art et l'Idée l'occasion d'études successives sur ce transformisme qui s'accuse chaque jour davantage. »
La première livraison de l'Art et l'Idée contient un exquis frontispice symbolique composé par M. Carlos Schwabe, différents portraits de M. Maurice Boucher par M. Van Muyden, et de curieuses réductions, dont quelques-unes en couleur, des couvertures ou premières pages des magazines illustrés d'Europe et d'Amérique.
A. V.
Un poète bouquinant à l'étalage d'un libraire, à Londres, est abordé par une vieille femme qui tient absolument à entrer en conversation. On cause: c'est une bohémienne, qui fut actrice qui connut, en ses jours de gloire,Thackeray et Dickens. On entre au bar, et en buvant un verre de whisky Gypsy Jane s'émeut d'entendre — elle les connaissait de longtemps — les cloches de St-Mary-le-Strand. Finalement elle invite le poète à venir la voir dans la forêt d'Epping, où elle demeure, et par dessus son verre de whisky le sacre de cette bénédiction : « Dieu bénisse le sol où posent tes pieds et le soleil qui demain matin luira sur ta tête! » Cette curieuse petite scène est spirituellement contée dans St Jame's Gazette (4 février); le poète et l'auteur est, croyons-nous, car l'article est anonyme, Arthur Symons.
Mélusine (janvier-février): Une étude de A. Barth sur le
célèbre folk-loriste hollandais George-Alexandre Wilken; une version inédite de la chanson populaire La Blanche Biche, recueillie dans le département de la Manche et publiée par J. Couraye du Parc. Maléficiée, sans doute, Argentine est fille, le jour, et biche, la nuit. Son frère la tue à la chasse et personne ne manque au festin; où est Argentine?
Argentine répond: « Je suis la première mise:
Mon corps est sur vos plats, mon cœur sur vos assiettes,
Et sur vos plats d'en haut ma blanche poitrine y est mise
Et sur nos noirs charbons mes pauvres os y grillent. »
Regnault et sa mère tombèrent le visage contre terre
De se voir an dîner, au diner d'Argentine.
La même.revue donne en supplément un très curieux placard populaire illustré (tiré sur le bois original, qui semble remonter au XVIIe siècle), relatif au pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle et au miracle du « coq rosty » qui chante pour sauver un innocent.
R. G.
Le Chasseur de Chevelures, Moniteur du Possible (n°
2), vaut le premier. C'est toujours la même exquise ironie. Cela manquait vraiment, un journal où la raillerie la plus perverse ou la plus formidable fût bien chez elle,où la vérité pût se dire et non se « proférer », où le vrai ton de conversation fût admis. Si le n° 2 ne contient pas un morceau de la valeur de Théâtre-Humain, c'est que les contes dignes d'être signés E.-A. P. sont rares.
Revue Philosophique, dirigée par M, Ribot. De M, G.
Belot, une intéressante revue générale, Justice et Socialisme, basée principalement sur les travaux les plus récents de
V. Cathrein, W. Graham, B. Malon, H. Spencer. — C'est, en somme, en vue de mieux réaliser la formule même de la justice : à chacun suivant ses œuvres, que les socialistes conçoivent leur plan de réorganisation. Ils visent, en enlevant à l'individu tout ce qui est dû à la société, à ne lui laisser que les fruits de son seul travail. Ils espèrent ainsi obtenir que les différences de condition entre les individus soient uniquement la résultante des différences de leurs facultés ; et Ils veulent que l'usage de ces facultés leur soit assuré pour que cette justice soit une réalité et non un mot.
Voprosy filosofii i psichologii, dirigée par N. Grote (Moscou). — A noter les Lettres de A. Kozloff, à propos du livre du comte Tolstoï « De la vie » où l'auteur réfuta sans peine la philosophie enfantine et malgré cela si à la mode du célébre romancier.
G. D.
La Jeune Belgique inaugure la douzième année de son existence par un numéro triple, augmenté d'un supplément où se continue la courageuse polémique entreprise par M. Albert Giraud contre les Sarceys de son pays, Charles Tardieu et Gustave Frédérix ; le bon poète des Dernières Fêtes applique judicieusement à ces bêtes serviles et arrogantes le système nègre de la matraque. Souhaitons qu'il continue jusqu'à ce que mort s'ensuive. A lire tout particulièrement un exquis poème de M. Fernand Séverin, et aussi des vers ou proses de M.H. de Régnier, F. Vielé Griffin, A. Fontainas, A. F. Herold, Ivan Gilkin, Gustave Kahn, Georges Eekhoud, T. Demolder, A. Giraud, et d'A. Giraud encore d'excellentes bibliographies.
Vient de paraître à Liège le premier numéro d'une nouvelle revue, Floréal, qui ne sera point indigne de ses aînées de là-bas et fait surtout appel aux « jeunes et aux inédits. » De beaux vers d’Émile Verhaeren et deux pages de proses signées Gaston Vyttall et P.-M. Olin.
P. Q.
L'Art Moderne continue sa campagne contre M. Gustave Frédérix, dit le « Sarcey belge ». Cet éminent personnage étant, parait-il, persuadé de l'impartialité de sa critique, le numéro du 14 février reproduit deux de ses articles, parus à huit jours d'intervalle dans l’Indépendance, l'un sur Coquelin, « qui, entre deux tournées théâtrales, se risque à jouer à l'écrivain , l'autre sur Émile Verhaeren. Et l’Art moderne ajoute: « Voilà assurément un édifiant parallèle. Cela sue d'un coté la courtisanerie, de l'autre l'irrémissible rancune. M. Gustave Frédérix ne peut pardonner à la jeune école d'avoir bafoué sa dignité de grand chambellan de la critique, et d'avoir inspiré au petit cénacle on il pontifie des doutes sur sa divinité littéraire. » D'où il appert que le Sarcey de nos voisins est pire que le nôtre, point rancunier au fond, plutôt bonhomme, et qui se contente de ne jamais comprendre.
Dans le même numéro, un article signé F., sur l’Exposition Camille Pissarro, dont voici le début: « Pour la sincérité de
leur observation, leur intelligence des valeurs, la décision de leurs effets, les premières œuvres de M. Camille Pissarro furent séduisantes. Puis il rompt ses colorations, et, plus tard, c'est en éléments prismatiques qu'il les décompose : les ombres sont teintées et limpides, l'air auréole les objets en ses paysages poudroyants d'ambre et de lupuline ou frais de clartés lustrales. La mémoire riche de tous les phénomènes d'une réalité si fervemment épiée, heures, saisons et panoramas, il cesse de peindre en plein air, traite la Nature en répertoire de motifs décoratifs, la libère de l'accidentel, pacifie l'antagonisme de ces deux caractères: énergie et douceur, — et atteint à de hautes symbolisations inconscientes. »
L'Ermitage — sous une nouvelle couverture brique — commence l'année par un intéressant numéro. M. Charles Maurras ouvre la livraison avec le Le Repentir de Pythéas, lettre à Adolphe Retté, où il essaie de prouver à l'auteur de Thulé des Brumes qu'il est Roman sans le savoir... Suit immédiatement un excellent article : La Romanité théorie et école, où le mystérieux Saint Antoine dit fort clairement ce qu'il semble bien qu'il fallait dire sur le sujet. Après avoir conclu que « la Romanité est donc peu de chose dans le développement moderne », Saint Antoine reprend: « ... il est difficile de voir comment la Romanité-théorie servira de base à la Romanité-école... Que nous ayons,ces derniers ans, abusé de l'obscurité germanique ou anglo-celte et qu'un régime de clarté et de méthode nous doive être tonique, il n'y a pas la matière à fondation d'école ». Amen ! — Au sommaire du même numéro, les noms de MM. Adolphe Retté, Pierre Dufay, Henri Degron, Yvanhoé Rambosson, Pierre Louys, Henri Mazel, Pol Macon, Pierre Valin, Hugues Rebell, Georges Fourest, Antoine Sabatier, René Tardivaux.
Dans Art et Critique (13 février), sous le titre générique Études Wagnériennes, un intéressant article de M. Alfred Ernst sur la valeur du silence dans une œuvre lyrique: « Mais faire taire à propos les protagonistes de l'action n'est pas moins difficile que de les faire parler comme il convient, et il n'est donné qu'aux vrais maîtres de résoudre avec un pareil succès ces deux problèmes. Si l'on étudie les drames de Wagner, on y remarque vite l'importance des scènes muettes, leur pleine beauté artistique, leur haute et complète signification. Le poète-musicien a tiré du silence, et spécialement de prolongations inusitées du silence, des effets véritablement souverains. »
La Plume du Ier février publie le portrait, gravé par Maurice Baud, de notre collaborateur Édouard Dubus. — Sommaire très chargé, comme toujours. — D'un article de M. Alphonse Germain sur la Décoration an Théâtre : « Le prétentieux trompe-l'œil des machines à grand spectacle, espoir des carcassiers, délice du vulgaire, abaisse la scène au niveau du cirque ou de l'exhibition panoramique; quant à la fameuse plantation exacte — chère aux photographes de la
dramaturgie — faillant toujours par quelque détail, elle reconstitue la vérité à peu près comme reconstitue l'histoire une figuration chienlisée. Le théâtre ne donne et ne peut donner que l'apparence des choses, — ce qui l'élève à l'Art; c'est l'inférioriser que le transformer en kaléidoscope, en agrandissement d'instantanés.
« D'autre part, le décor de demain doit-il, « pure fiction ornementale », compléter l'illusion, ainsi que le préconise M. Pierre Quillard, par « des analogies de couleurs et de lignes avec le drame » ? Ceci mérite discussion...
« L'innovation consiste donc surtout, conclut M. Alphonse Germain, à nuancer le décor expressivement, afin qu'il tienne un rôle dans la pièce et contribue à son unité, afin que, le rideau levé, aucune dissonance ne choque l'œil du spectateur. »
A. V.
Dans Psyché (janvier), une curieuse nouvelle d'Adrien Remacle : La Figurine. — Numéro exceptionnel illustré de la Libre Critique (n° 6): étrange dessin de M. Eugène Laermans, illustrant un poème en prose de M. Eugène Georges: Lucide. — M. Paul Redonnel commence dans Chimère une étude sur le Socialisme Intégral, de Benoit Malon. — Le Magasin Littéraire (Gand, janvier) publie La Reine du Mai, de Tennyson, de M. O. G. Destrée. — Au sommaire de la Revue Flamande de Littérature et d'Art : Louis Tiercelin, Gabriel Vicaire, Paul Dulac, Gabriel Marc, Emile Hinzelin; une comédie en un acte, en vers, de M. Franz Foulon : Les Sabotiers. — La Revue du Siècle (Lyon, janvier) s'ouvre par une étude sur Puvis de Chavannes, de Paul Guigou, et donne en photogravure hors texte le portrait du peintre. — Les Échos de l'Anjou reproduisent Le Sonnet, de Jules Renard, paru dans notre dernière livraison: seraient bien aimables, à l'avenir, d'indiquer « les sources ».
Nouveaux confrères, la plupart très intéressants, mais que, vu leur nombre, nous ne pouvons aujourd'hui que mentionner : La Croisade (Le Havre. In-8° rais. Un an : 6 fr. Dir. Emile Foubert; Red. en chef: Daniel De Venancourt). — Essais d'Art Libre (Paris. In-16 Jésus. Un an: 10 fr. Dir. Edmond Coutance; Réd. en chef: Abel Pelletier; Secret.: Camille Mauclair). — La Syrinx (Aix-en-Provence. In-i6 Jésus, hors commerce, tirage à 100 ex. Écrire à M. Joachim Gasquet, rue Lacépède, 25, Aix). — Le Saint Graal (Paris. In-8° carré. Un an : 5 fr. Réd. en chef : Emmanuel
Signoret ; Secrétaire : Gustave Robert (Jean Lanugère) et Louis le Cardonnel. - Le Mouvement Littéraire (Bruxelles. In-4° rais. Un an : 7 fr. 50. Fondateurs : Fernand Roussel, Raymond Nyst, Léon Donnay). - La Joute (Paris. In-4° Jésus. Un an : 12 fr. Dir. Masson Darboy ; Réd. en chef : Louis Duquesne ; Secrét. Gaston Darbour).
Ouf !