L’Offrande funéraire à Hymnis

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Pierre Quillard, « L'Offrande funéraire à Hymnis », Mercure de France, t. V, n° 29, mai 1892, p. 18


L'OFFRANDE FUNÉRAIRE A HYMNIS.

Pour Bernard Lazare.


Face d'ombre, je viens à toi : la nuit m'emporte.
Poussière évanouie aux plis blancs d'un linceul,
Pâle vierge oubliée et que j'honore seul
D'une fleur morte hélas ! moins que ta grâce morte,

Je viens à toi qui dors au fond des siècles lourds
Et dont le pur tombeau clôt les lèvres fidèles,
Je n'ai pas entendu les mots qui naissaient d'elles
Ni goûté la douceur de tes tristes amours :

Mais je pleure ton corps et sa grâce équivoque
Et les baisers trop lents qui l'auraient effleuré,
Sœur de jadis, désir dont je me suis leurré
Parce qu'un même appel nocturne nous évoque

Vers les mêmes cyprès noirs et silencieux.
Vain appel, tu le sais ! et menteuses fanfares :
Je ne scellerai pas de caresses avares
Les yeux désenchantés qui connurent les dieux.

Sommeille loin de moi près de la mer antique,
Sous un ciel insulté par de confuses voix,
Où la vague qui chante encor comme autrefois
Entrechoque les mas du port aromatique.

Toujours l'âpre soleil et la foule et l'embrun,
Loin de moi, troubleront ta mémoire ignorée,
Et l'inutile fleur que je t'ai consacrée
Ne réjouira pas ta cendre d'un parfum.



Pierre Quillard.


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