La Belle au Bois Dormant

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A.-Ferdinand Herold, « La Belle au Bois Dormant », Mercure de France, t. IV, n° 26, février 1892, p. 125-129.


LA BELLE AU BOIS DORMANT

A Pierre Quillard.

I
C'est, au milieu des bois que la lumière dore,
Un parc inviolé par les souffles d'hiver
Où les rayons éternels d'une chaste aurore
Se mêlent aux parfums des fleurs et charment l'air.


La douce clarté vague en des blancheurs heureuses;
Elle baise, le long des candides chemins,
Les roses pâles et les grêles tubéreuses
Et les lys glorieux et les calmes jasmins.


Et là, loin des cris lourds de haine et de colère,
Loin des hommes tremblants et voués aux douleurs,
La Belle qu'a surprise un sommeil séculaire
Dort parmi le triomphe immaculé des fleurs.
***
Des voix
Dors, ô Belle, dors dans le mystère,
Où des rêves d'azur illuminent tes yeux,
Dors comme la Guerrière en sa virginale armure;
Et les voix de l’Été, les voix de la lumière,
Les voix des impérissables ramures
Te berceront avec des cantiques pieux:
Dors, ô Belle, dors dans le mystère.


Contemple, ô Belle, les célestes prairies
Que nul monotone automne ne vient faner,
Contemple les harmonieuses prairies
Étincelantes d'or calme et de pierreries
Où vaguement apparaît le Prédestiné.


Le voici survenir, l'idéal Fiancé,
Le Héros conquérant des suprêmes territoires,
Celui vers qui ton rêve s'est élancé,
Le souverain vêtu d'aurore et de victoire,
Le voici survenir, souriant
Et guidé par de merveilleuses mélodies,
Et, comme en des splendeurs d'étoiles brandies,
Sa royale beauté flamboie à l'Orient.
II
Le bois en fleurs est plein de joyeuses querelles:
La clarté du printemps y réveille les bruits.
Les abeilles d'or roux passent, les sauterelles
Frôlent de leur gaieté les myrtils et les buis.


La pervenche bleuit près de la violette
Dont les parfums montent vers le ciel éclatant;
Le nénuphar d'ivoire s'ouvre et se reflète
Dans le miroir limpide et moiré de l'étang.


Les oiseaux, gazouilleurs de légères matines,
Épandent par les airs des hymnes triomphants,
Et, parmi les halliers étoiles d'églantines,
Bondissent des troupeaux de biches et de faons.


Des joyaux qui vivent embellissent les sentes,
L'hiver ne blesse plus les arbres de chocs lourds,
Et, dans la fraîcheur des clairières bruissantes,
Vole et rayonne comme un jeune essaim d'amours.
***
Des voix


Lentement, des pas sonnent par les sentiers;
Ils frôlent, sans les fouler, les fleurs frêles;
Vague et douce, une chanson se mêle
Aux chansons qui s'échappent des nids printaniers.
C'est un prince qui approche par les sentiers.


Son front rayonne de lumière;
II sourit un sourire d'extase,
Ses yeux que les larmes n'ont jamais ternis,
Ses yeux que des feux divins embrasent,
Ses yeux sereins et purs comme l'aurore première,
Semblent suivre quelque songe dans l'infini.


Le Prince


J'écoute des voix de lutins
Chanter dans les blondes haleines
Qu'imprègnent la verveine et le thym.
O voix, c'est votre chant qui mène
Vers les parterres clairs du glorieux jardin.


Dans la bonne forêt grandissent
Les chansons mystérieuses et propices;
Je vais comme emporté vers le ciel,
J'ai quitté le mensonge:
Oh,guidez-moi,voix chères, voix fraîches, voix de miel,
Guidez-moi
Vers celle que j'ai vue en la lueur des songes.


Des voix


Dans le parc aux fleurs impérissables,
Loin des cris mornes, loin du choc des glaives,
La Belle dort.
Bercée d'hymnes ineffables,
Elle suit longuement son rêve.


Qui es-tu, Toi qui veux conquérir le Trésor?


Le Prince


Je suis le royal Solitaire,
Je suis le Pur.
Les hydres d'orgueil m'ont crié leurs cris durs:
J'ai forcé les hydres à se taire.
Et maintenant, je veux aller vers le mystère,
Je veux aller au jardin d'azur
Où la Belle dort en des rhythmes de mystère.


Des voix


Malheureux...
Tu ignores le jardin où tu cours.
Tes pauvres yeux, tes pâles yeux
Ne peuvent contempler la chaste aurore,
Et, parmi les parfums d'amour,
Tu languirais vers la victoire humaine, encore.


Le Prince


Que m'importent les luttes vaines?
La divine lumière rayonne à mes prunelles.
O Voix, guidez-moi vers la Belle,
Oh, guidez-moi vers l'éternelle Souveraine.


Des voix


Es-tu le Renonciateur?
Es-tu Celui qui méprise a jamais
Les âpres désirs, faux et menteurs?
As-tu bien écouté les Messagères?
Pourras-tu, dédaigneux des villes étrangères,
Boire l'onde bénie aux fontaines de paix?


Le Prince


Mes ardeurs vers la nuit sont mortes.
J'ai suivi le vol doré des Chimères
Qui m'ont guidé loin des royaumes éphémères
Et je peux franchir la lumière de la Porte.


C'est moi qui verrai la Dormeuse
Et c'est moi qui l'éveillerai;
Et nous écouterons, par le jardin sacré,
Chanter les harpes bienheureuses.


Des voix


Va donc, ô Vainqueur:
Puisque tu as oublié les vaines pensées,
Éveille la Fiancée
Qui t'a vu dans l'espoir de son rêve, ô Vainqueur.


III


En le lit virginal de jasmins et de roses,
Le Prince a contemplé la Dormeuse au front blanc,
Et, pour rendre le jour aux prunelles encloses,
Il approche, orgueilleux à la fois et tremblant.


Le parc éblouissant frémit d'un long sourire.
L'Élu frôle le front clair d'un baiser vermeil;
La Belle ouvre ses yeux où le printemps se mire
Et chante doucement l'hymne du bon réveil.


***


La Belle


L'aurore fatidique empourpre les allées.
Au baiser attendu je m'éveille parmi
La chaste royauté des fleurs immaculées.


]e m'éveille du beau sommeil que j'ai dormi,
Et voici que l’Étoile du bonheur m'éclaire.
Oh, c'est toi qui devais venir : approche, Ami.


Toi qui pour mon amour as méprisé la terre,
Toi de qui la splendeur hantait mes rêves saints,
Approche, ô Conquérant couronné de lumière.


Les Esprits de paix nous entourent par essaims,
Et les blancs oiseaux fils des candeurs inflétries,
Les cygnes immortels chantent dans les bassins.
Et c'est l'heure où s'ouvre la fleur des songeries;
Nous irons par l'éclat fraternel du verger
Sous les branches que nulle grêle n'a meurtries


Et qui nous béniront d'aimer et de songer.


La Belle et le Prince


Une brise impalpable et pure nous caresse,
Des Femmes de soleil parent nos cheveux blonds,
Ses astres luisent sur la route où nous volons
Et tous deux nous montons vers la divine ivresse.


Dans le printemps royal nos clartés confondues
Volent éperduement d'un sidéral essor,
Et nous buvons la vie aux flots de pourpre et d'or
Qui fécondent le champ des chères étendues.


Nous sommes la blancheur de la lune rieuse,
Nous sommes le saphir argenté de la mer,
Nous sommes la pâleur du soir limpide et clair
Et la rougeur de l'aurore victorieuse.


L'impérissable Jour de l'Extase se lève.
Nous moissonnons l'espoir superbe à pleine faulx,
Nous sommes les chants et les rhythmes triomphaux
Et nous sommes la Joie éternelle et le Rêve.


A.-Ferdinand Herold.

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