La Rédemptrice

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Jean Court, « La Rédemptrice », Mercure de France, t. VI, n° 33, septembre 1892, p. 8-9.


LA  RÉDEMPTRICE

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Pauvre Ame sanglotante et que l'effroi tourmente,
Pauvre qui pleures sur tes rêves abolis,
Fuyons ensemble loin de la nuit inclémente
Et funèbre où les astres sont ensevelis.


Quitte ce carrefour puant où la misère
Se dissimule sous la pourpre des haillons,
Où la joie aussi bien que les pleurs est amère ;
Et ne crains pas les poings tendus des histrions.


Assez longtemps tu fus leur ironique cible !
Assez longtemps tu te vautras sur leurs tréteaux !
Assez longtemps tu blasphémas, jouet flexible,
Sous le fouet et le rire des soudards brutaux !


Viens, un vent d'épouvante a venté sur les torches
Et la nuit interlope exsude des poisons !
Viens, c'est l'heure de fuir ! Je t'ouvrirai les porches
Et tes yeux reverront les calmes horizons.


Viens avec moi sans peur : je suis la douce brise
Qui ranime les Âmes mornes à mourir ;
Sur les fronts prosternés dans la poussière grise
C'est moi qui verse l'eau lustrale du Désir.


Viens, et je secouerai la fange de ta robe
Et tu pourras marcher dans les soirs triomphaux !
Je suis celle à qui nul triste ne se dérobe
Et je fais refleurir les rêves virginaux.


Je pardonne à l'Orgueil et j'absous l'Imposture ;
Je guéris toute lèpre avec mes baisers. Vois :
Les grands lis rédempteurs fleurissent ma ceinture,
La palme d'olivier verdoie entre mes doigts.
Viens et ne pleure plus, car voici la Vigile…
Pour te défendre contre le Mal souverain
Les plis de mon manteau te seront un asile
Plus sûr que les bastions de granit et d'airain.


Viens, je te bercerai comme la vague berce
La mouette languide sur son flanc cabré :
Tu nargueras la mort et la fortune adverse
Et tu sauras la joie après avoir pleuré.


Viens et chante à jamais, car grâce à mes mains frêles
Qui te guideront vers l'unique Vérité,
Tu n'iras pas cueillir les blêmes asphodèles
Aux Prés maudits d'une illusoire éternité.


 Jean Court.



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